Chère Ostinato,
Je me suis borné à essayer de comprendre la logique d'Hugo dans cet extrait.
Il commence par désigner le dogme premier (et jusqu'ici indépassable) du libéralisme économique : « les pauvres ont besoin des riches », puis termine en montrant que si le peuple ne comprend pas la valeur de ce dogme, c'est parce qu'il « ne réfléchit pas que les inégalités de cette vie prouvent l'égalité de l'autre. » On peut donc en déduire que la principale règle du libéralisme économique (« les pauvres ont besoin des riches ») n'est envisageable qu'à la condition de
croire en un autre mode de rétribution, plus égal, accordé dans l'au-delà, de croire à la « loi de Dieu. »
Je me disais qu'il y a bien apparence qu'il faille mettre un peu de transcendance religieuse pour accepter cette affaire de riches et de pauvres, telle qu'elle apparaît dans cet extrait et telle, en effet, qu'elle continue à former le socle de la pensée libérale, savoir que le luxe de quelques-uns "fait vivre" la masse.
Monsieur de Montpensier, donnant sa fête, fait figure d'investisseur. Il dépense une somme qui paraît énorme aux yeux mal décillés des miséreux mais qui, en réalité, génère une dépense décuplée, celle-ci « mise en circulation au profit du peuple » qui ne s'aperçoit pas de l'aubaine. C'est tout à fait exact et même indéniable : « retombées » de cette fête il y aura pour le peuple et cependant, le compte n'y est pas. L'échange pourrait même avoir des allures de marché de dupes et de la pire espèce, de celle où le dupeur prétend de surcroit à un bénéfice moral et où le dupé est accusé d'ingratitude. Car il faudrait que le peuple hugolien comprenne que M. de Montpensier et ses invités prennent du plaisir
pour son bien à lui, le peuple, qu'ils passent une bonne journée pour lui en assurer quantité d'aussi bonnes. Quelle admirable entourloupe sémantique en effet que cet usage soudain égalitaire de ce terme de « bonnes journées » pour désigner, dans un cas, un partie de plaisir, dans l'autre des semaines de labeur.
N'importe, le peuple est ingrat à force de manquer de subtilité. Trompé par les enfantillages de ses reins brisés, de son corps prématurément usé, de l'emploi de son temps obéré par le gagne-pain, il s'obstine à ne pas comprendre non seulement pourquoi il n'est pas à la fête mais, par-dessus le marché, pourquoi il devrait applaudir de ne pas y être et même, n'y étant pas, se frotter les mains comme qui vient de conclure une avantageuse transaction. Ce n'est pas l'envie qui me semble en cause dans cette affaire, mais le sentiment peut-être infiniment plus simple de se faire rouler et de devoir dire merci.
Dans ces conditions, il semble alors indispensable, pour accepter sans broncher un tel partage des rôles d'avoir bel et bien la foi dans une rétribution surnaturelle.