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Pourquoi Français et Américains ont-ils perdu au Viêt-nam ?

Envoyé par Gérard Rogemi 
Je vais encore me faire houspiller par certains liseurs. Court extrait du livre de Jean-francois Deniau Mémoires de sept vies trouvé sur le Blog de Schizodoxe

Jean-François Deniau évoquant ce souvenir de 1988 :

La vérité est que les Américains furent battus par les Américains, du jour où l’opinion aux Etats-Unis se retourna, notamment parce que la conscription ne touchait plus seulement les Noirs et les chômeurs mais les classes aisées, les étudiants des campus. Et ceux qui allaient à pied la nuit gagnèrent. Encore vingt ans plus tard, j’aurai l’occasion d’une nouvelle discussion avec un Américain sur l’Indochine. Henry Kissinger est venu à Paris pour le quinzième anniversaire des accords, invité à un colloque universitaire qui se tient aux lieux mêmes de la conférence USA-Viêt-nam, avenue Kléber. Nous déjeunons ensemble. Il y a du point de vue militaire et diplomatique quelque chose qui m’a toujours surpris: la façon dont les Américains vont lâcher le Sud-Viêt-nam. L’offensive du Viêt-minh (et cette fois pas en poussant des vélos à l’abri de la jungle comme à Diên Bien Phû) déferle par Ban Methuot. De véritables colonnes, blindés et camions, contournent par l’intérieur les positions de l’armée du Sud. (En débordant par la droite, en laissant l’ennemi sur sa gauche, aurait dit le colonel du secteur. Très facile de tirer…) Pourquoi l’Amérique n’a-t-elle pas bougé ?

Kissinger. - Parce que l’Amérique était engagée dans une négociation avec Hanoi pour l’éventuelle libération d’aviateurs capturés lors des bombardements sur le Nord. Nous n’étions même pas sûrs de leur nombre, la presse américaine ne s’intéressait qu’à ce sujet, très émotionnel. La télévision montrait les photos des disparus et de leurs familles sans nouvelles.

- Alors vous n’avez rien fait ?

- Alors nous n’avons rien fait. Il était très facile d’écraser avec l’aviation toutes les colonnes d’assaut du Viêt-minh. Je l’ai proposé au Président. Pour la première fois, la victoire décisive était à notre portée. Cela aurait pris moins de vingt-quatre heures. Et toute la situation basculait en faveur de nous et du Sud-Viêt-nam. Le risque était que Hanoi arrête les conversations sur les aviateurs américains prisonniers, risque que Ford ne voulait pas prendre. J’ai expliqué que le Viêt-minh serait bien obligé de les renouer après sa défaite, et dans des conditions bien meilleures pour nous… Le Président m’a dit avec un soupir :

« On voit bien, Henry, que vous n’êtes pas un élu. » Avant d’arriver avenue Kléber où je l’emmène-en voiture, Henry Kissinger me confie : « Cette conférence anniversaire m’ennuie énormément. Elle est publique, et la salle va être truffée de ces intellectuels de la gauche américaine, pacifistes et prosoviétiques, qui ont inventé l’expression “la sale guerre” et qui vont une fois de plus m’accuser d’être un nazi et un criminel. Ils me fatiguent. » Ce n’est pas ainsi que les choses vont se passer. A la tribune, un éminent représentant de la Sorbonne, historien. Je siège, invité d’honneur, à sa gauche. À sa droite des journalistes français très connus. La salle est bondée. Kissinger parle une petite demi-heure sur la conférence de l’avenue Kléber et son prix Nobel, sans rien apporter de nouveau. Le président de séance demande s’il y a des questions dans la salle. Alors se lève une Vietnamienne dont l’âge est difficile à dire, peut-être 45, 50 ans.

- Je m’appelle Thu-Lin. J’ai 23 ans. Mon père., officier dans l’armée du Sud-Viêt-nam, est mort de faim et de maladie dans un camp de rééducation à régime sévère. Ma mère et mon frère ont été égorgés devant moi et jetés à la mer quand nous avons fui, boat people. J’ai été violée onze fois, et vendue à un réseau de prostitution a Bangkok. Monsieur Kissinger, quand vous vous levez le matin, quand vous vous rasez, est-ce que vous pouvez vous regarder dans la glace? Silence de mort. Le président tousse et suggère :

- Nous allons regrouper les questions, pour permettre au professeur Kissinger clé mieux répondre. Hum, hum. Y a-t-il une autre question ? Alors un Vietnamien, sans âge, se lève.

-je m’appelle NguyenThan. J’ai 60 ans. J’ai été conseiller des troupes américaines. J’ai continué à me battre avec mon unité contre les communistes encore après la chute de Saigon. Pour l’honneur. Les communistes ont tué sur place la moitié d’entre nous. Les autres ont disparu. Parce que j’étais le chef, on ne m’a pas tué, on m’a mis dans une cage comme un animal, et on m’a promené de village en village avec un écriteau « traître au peuple, traître à la patrie ». Les enfants me jetaient de la boue et des excréments. Monsieur Kissinger, prix Nobel de la paix, comment faites-vous pour réussir à dormir.

Toute la salle est pleine de Vietnamiens qui se sont organisés et vont se lever tour à tour pour dénoncer les horreurs de la répression communiste et de la misère du peuple. Le président ne sait plus quoi dire. Face a ces revenants, Kissinger est pâle comme un revenant. C’est le porte-parole de cette gauche intellectuelle et pacifiste américaine, qu’il redoutait, qui va le sauver. Un Américain se lève et dit :

- Je suis le rédacteur en chef de Remparts, revue qui a joué un très grand rôle dans l’arrêt de la guerre du Viêt-nam en mobilisant l’opinion américaine contre elle. Ce n’est pas M. Kissinger qu’il faut attaquer sur les conséquences de la paix. Il n’a pas capitulé devant le Viêt-minh. Il a été battu par nous. La séance est suspendue
Le forum est bien parti pour devenir une superbe anthologie...
Bien cher Rogemi,

A mon sens, les Français et les Américains ont perdu pour des raisons extrêmement différentes.

La raison de l'échec américain est sans doute celle citée.

En ce qui concerne la défaite française (dont d'ailleurs Deniau ne parle pas), les causes furent sans doute autre :

- une population qui nous était traditionnellement opposée au Tonkin (alors qu'elle était plus favorable en Conchinchine) ;

- une défait militaire "rampante". L'Etat-major français n'était pas idiot, Dien-Bien-Phu était pratiquement le seul endroit où pratiquer un choc frontal contre le Viêt-Minh, car auparavant l'armée française avait été très malmenée (voir la bataille de Cao Bang). Les Américains n'eurent, quant à eux, aucune défaite importante. Notez que lorsque le Viêt-Cong tenta de rééditer Dien-Bien-Phu à Khe-San, il alla à l'échec ;

- un niveau de corruption de l'appareil colonial tout à fait extraordinaire (voir le trafic des piastres et le comportement de l'étonnant Bao-Dai).

Le vrai tort des Français fut de ne pas savoir faire la "part du feu" et de se replier sur l'Annam et la Cochinchine (Hue et Saïgon) où nous avions de nombreux appuis.
Non, cher Jean-Marc, je suis obligé de vous contredire la guerre d'indochine a été perdue en France et pas sur le terrain.

Mendes-France a signé à Genève un accord de paix à la va-vite (1)parce qu'il savait que les francais en avaient assez de cette guerre. Le même scénario s'est d'ailleurs répété, sous l'égide de de Gaulle, quelques années plus tard en Algérie.

(1) La France n'a même pas été capable de prendre correctement soin de ses soldats tombés entre les mains de l'armée populaire vietnamienne (affaire Boudarel)qui durent subir pendant des années les pires sévices et l'horreur du lavage de cerveaux dans les camps de détention communistes.
Bien cher Rogémi,


Il faut tout de même dire une vérité : nous avons gagné militairement la guerre d'Algérie, mais nous avons perdu militairement celle d'Indochine.

En fait, les Français se désintéressaient de cette guerre, dont les motifs n'étaient pas d'une clarté extrême. Alors qu'en Algérie l'Etat n'avait jamais parlé d'indépendance avant les évènements, on fit miroiter au Viêt-Minh le concept de la Fédération indochinoise dans le cadre de l'Union française. Pierre Messmer et Jean Sainteny furent de bonne foi mais, dès que le Gouvernement français se sentit plus fort, il renia ses premiers propos.

Je vous joins un lien avec un site qui n'appartient pas aux Amis du désastre, c'est celui des Amis de Raoul Salan, où vous trouverez le fax-simile de la convention signée par Jean Sainteny et Ho-Chi-Minh.

Vous concevrez qu'après cela Ho-Chi-Minh put dire qu'on s'était joué de lui.

[www.salan.asso.fr]
Vous me decevez un peu, Cher Jean-marc, en avancant un fac-similé qui date de 1946. Huit ans plus tard la situation se présentait en métropole sous d'autres auspices.

Genève 1954, prélude à Evian 1963

A la conférence de Genève qui s’est ouverte le 26 avril, l’équipe René Pleven et Georges Bidault est remplacé le 18 juin par Mendès-France qui, investi à la tête du gouvernement, a fait le pari d’arriver à la paix dans le mois qui suivait.

Rien n’est plus éclairant que de se référer aux mémoires de Khroutchtchev, protagoniste de la conférence de Genève, pour se rendre compte dans quel traquenard nous a entrainé le funeste pari de Mendès-France.

Au cours d’une réunion préparatoire à la conférence qui se tint à Moscou entre alliés chinois, Russes et Viet-Minh, Khrouchtchev dut persuader Chou-en Lai d’apporter tout soutien à Ho-Chi-Minh pour „ permettre aux Vietnamiens de redoubler d’énergie dans leur résistance aux francais“. En effet, Ho-Chi-Minh avait déclaré au dirigeant chinois réticent que „la situation au Vietnam était désespérée et que s’ils n’obtenaient pas un cessez-le-feu, les Vietnamiens ne pourraient pas résister plus longtemps aux Francais“

Pour la suite, il suffit de laisser la parole à Khrouchtchev:
„Puis le miracle eut lieu. Au moment où les délégations arrivaient à Genève, les Vietnamiens remportaient une grande victoire en s’emparant de la place forte de Dien-Bien-Phu.

Dès la premiére session de la conférence Pierre Mendès-France alors chef de gouvernement francais, proposa de ramener les troupes de son pays en decà du 17e paralléle. J’avoue que la nouvelle, quand elle nous parvint, nous laissa bouche bée de stupéfaction et de plaisir. Nous n’avions rien espéré de tel. Le retrait en decà du 17e parallèle était en fait une revendication maximum à partir de laquelle nous comptions négocier. Nous avions donné consigne à nos diplomates d’en faire état dans le seul but d’affirmer, d’entrée de jeu, une position dure.

Aprés quelques discussions, nous acceptâmes l’offre de Mendès-France et le traité fut signé. Nous avions réussi à consolider les conquêtes des communistes vietnamiens.“


Etc... etc...

Cette paix à tout prix, justifiée aux dires du gouvernement par la situation calamiteuse fut réclamée à cor et à cri par toute la presse métropolitaine.
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