Lu avec intérêt dans le très bon livre de Daniel Lefeuvre,
Pour en finir avec la repentance coloniale
« Quelle part les immigrés ont-ils prise au rétablissement de la France après 1945 ? Dès lors qu’on veut nous persuader que les « Kabyles ont reconstruit la France », il n’est pas malvenu d’apprécier la pertinence de cette allégation à l’aune de quelques données chiffrées. Tous les historiens de l’économie française s’accordent pour estimer qu’en 1950-1951, la France s’est relevée des destructions de la guerre. Cinq à six ans d’efforts et de sacrifices considérables ont été nécessaires pour parvenir à ce résultat. En 1951, 150 000 Algériens et moins d’une dizaine de milliers de Marocains et de Tunisiens sont en France : ces 160 000 coloniaux -à supposer que tous soient actifs- comptent alors pour moins de 1% de la population active totale. Difficile d’admettre qu’une si faible proportion ait pu parvenir à un tel résultat !
Mais, objectera t-on, si les ouvriers algériens sont encore peu nombreux, on ne peut nier qu’ils occupent dans l’industrie les tâches les plus difficiles, lesplus dangereuses, les plus rebutantes et les moins bien rémunérées. Ils font ce que les français ne veulent pas faire. De ce point de vue leur apport est donc bien indispensable, comme le directeur des établissements Francolor le reconnaît, en février 1947 : « Nous avons beaucoup de mal à trouver des ouvriers français. Cette année, les travailleurs nord-africains nous ont bien dépannés. »
Cette certitude, désormais gravée dans les Evangiles de la bien-pensance, repose pourtant sur une lecture partielle -et donc partiale- d’une réalité autrement plus complexe. La lecture partielle se fonde sur un constat statistique : en 1952, 71 % des Nord-Africains travaillant en métropole sont des manœuvres, 24 % des OS et seulement 5 % des ouvriers qualifiés. À Renault-Billancourt, en 1954, 95% des ouvriers algériens sont manœuvres ou OS. Incontestablement la plupart des ouvriers algériens se situent bien aux échelons les plus bas de la hiérarchie ouvrière. Mais, de partielle, la lecture devient partiale, dès lors que, de ce constat, on glisse vers l’idée qu’ils se substitueraient systématiquement aux Français désormais absents de ces postes, c’est à dire que le monde des manœuvres et des Os serait essentiellement peuplé de travailleurs coloniaux. Or, si l’on observe l’origine des ouvriers qui occupent ces emplois, on trouve d’abord des ouvriers français, puis des ouvriers italiens, belges, espagnols, polonais etc., qui, sur ce plan, partagent le sort de leurs camarades nord-africains. Renault-Billancourt, premier employeur d’Algériens, occupe 19.000 manœuvres et OS au début des années 1950. Sur ce total, 3.200 sont nord-africains, soit moins de 17 %. Autrement dit les quatre cinquièmes des ouvriers les plus humbles de Billancourt ne viennent pas d’Afrique, mais des régions de France et des pays voisins d’Europe. »