Le sénateurAdrien Gouteyron vient de publier dans le "Journal de référence" un article fort critique quant à la Villa Médicis, ce qui est compréhensible de la part d'un parlementaire de droite.
Plus intéressant, il se réfère aux écrits de Renaud Camus, qu'il place sur le même plan que Berlioz et Debussy.
Voici le texte :
Pour qui s'intéresse au rayonnement culturel de notre pays, l'ampleur de la "bataille de la Villa Médicis" suscite une grande perplexité. Endroit magnifique, poste prestigieux, vue incomparable : les qualificatifs n'ont pas manqué pour justifier les ambitions, expliquer les rancoeurs.
Pas un seul instant n'a été posée la seule question qui vaille. Mais à quoi sert donc encore en 2008 la Villa Médicis, héritière de l'Académie de France à Rome de 1666, dont les pensionnaires s'adonnaient à l'énorme labeur de copiste des plus fameuses effigies de l'Antiquité ? Maintenant qu'une commission présidée par Hugues Gall, composée de grands esprits et de responsables éminents des institutions culturelles, a été chargée de choisir le directeur de la Villa Médicis, n'est-il pas temps, après avoir célébré la magie de ces lieux, de s'interroger sur le sens de son action ?
Au temps des prix de Rome, Berlioz et Debussy l'ont fait à leur façon. L'interrogation se fait aujourd'hui plus pressante. Dans son Journal romain (éd. POL, 1987), l'écrivain Renaud Camus livrait ce diagnostic : "Voilà une institution qui à l'évidence ne fonctionne pas. Elle coûte cher à l'Etat et ne lui rapporte un peu de prestige que par survivance, grâce à des souvenirs très lointains qui chez beaucoup de gens, heureusement, ne sont pas confrontés aux faits. Il est certain qu'une politique de pur bon sens, dont Dieu sait que je ne la préconise pas, la supprimerait."
En 2000, au terme d'un contrôle approfondi, le sénateur Yann Gaillard, rapporteur du budget de la culture, écrivait dans un rapport passé sous silence : "Voilà une académie qui n'a plus de tradition à transmettre, qui groupe des lauréats sans aucun centre d'intérêt commun (...). Qui invite, aux frais de la République, des artistes - au sens le plus large du terme - dans une capitale qui n'est plus, et depuis longtemps, un centre important de création, même à l'échelle de l'Italie." Et de poser une question urgente : la villa Médicis, contenant superbe, a-t-elle encore un contenu ?
DES AMBASSADES NOMADES
Répondre à la question, c'est rappeler que pour le peuple de Rome, cette Villa est la leur : son ouverture aux visiteurs a constitué un progrès important. Mais, alors que la revue générale des politiques publiques invite à rationaliser, à redéployer les moyens, pour réinventer notre action culturelle à l'étranger, y a-t-il réellement une place pour la Villa, centre culturel de luxe, en marge des trois ambassades que notre pays entretient à Rome, sans être complètement intégrée au service culturel ?
Et surtout, l'avenir de l'action culturelle à l'étranger passe-t-il par des lieux, fussent-ils plein de charme, à l'heure où Internet et le numérique ont aboli quasi complètement les frontières ? Il faut rénover de fond en comble l'idée de présence culturelle, en inventant des ambassades nomades, porteuses d'initiatives et de partenariats nombreux, dans les lieux les plus divers possibles. Le rayonnement culturel passe désormais par une fluidité accrue des échanges artistiques : nos postes culturels doivent donc jouer la carte de la mobilité, du "sans-lieu fixe", et abattre les murs de centres et de villas encore trop coupés du monde.
Ne nommons donc pas un directeur dans les murs de la Villa Médicis, à l'écart des lieux les plus en vue de la création contemporaine et, osons-le mot, du marché de l'art. Ce n'est pas à Rome que se trouve le Bateau-Lavoir du XXIe siècle. La commission d'Hugues Gall ne devrait pas être là, par ailleurs, pour choisir un maître hôtelier, offrant le gîte et le couvert à quelques pensionnaires triés sur le volet.
Préservons la belle idée d'offrir à nos artistes un moment de respiration propice à leur création, mais en leur offrant aussi un accès au monde fascinant d'aujourd'hui. Luttons contre le travers si français qui consiste à créer ou maintenir des résidences d'artistes dans des villes au patrimoine formidable, mais où ne bat pas toujours assez le coeur de la vie : à entretenir une résidence d'artistes, au bord de la Méditerranée, à Rome plutôt qu'à Barcelone, à créer une villa Kujoyama à Kyoto plutôt qu'à Tokyo. Il existe aujourd'hui d'innombrables bourses de création, de multiples résidences d'artistes entretenues par la France de par le monde, fruit des initiatives parfois concurrentes du ministère des affaires étrangères et du ministère de la culture.
Nommons un directeur d'une "Villa Médicis hors les murs", chargé de mener une profonde modernisation de ces résidences d'artistes, de rebattre les cartes des lieux, de coordonner les programmes, de rationaliser les moyens : voilà quel pourrait le sens de la commission d'Hugues Gall, qui s'égarerait si elle enfermait dans un palais romain l'ambition que notre pays doit avoir pour ses artistes à l'étranger.
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Adrien Gouteyron est vice-président du Sénat, sénateur UMP de la Haute-Loire.