En complément au billet introductif de JGL j'ajoute au dossier le texte ci-après.
Il s’agit d’une lettre envoyée par Roger Tebib, professeur des universités (sociologie) à la revue Catholica.
[... ] J'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre article sur « l'islam, et après ? », dans le n. 78 de la revue Catholica. Très objectif et bien documenté, il pose le problème de l'expansionnisme — souvent à titre conflictuel — d'une religion qui n'arrive pas à s'adapter à l'actuelle société technologique malgré les efforts d'intellectuels musulmans, surtout formés dans les universités françaises depuis la Nahda.
Je me permets, en complément, de vous communiquer un résumé des études que je fais depuis des années dans ce domaine, en fonction de ma spécialité universitaire. Elles concernent une série de revendications d'ordre juridique dérogeant au droit public français.
Communautarisme : catalogue des revendications islamiques
Toute une propagande se développe, depuis des années, pour que la France revoie le statut des étrangers de confession musulmane installés sur son territoire. Les agitateurs veulent, disent-ils, élaborer « un projet ajusté à une situation nouvelle de la Révolution arabe et de la situation politique et qui développe une démarche au sein du Mouvement immigré pour qu'il obtienne sa place dans un Etat interracial et interculturel » (document du Centre culturel de documentation de la Goutte d'or, 1982).
Il s'agit, en gros, des points suivants :
1) Fêtes musulmanes
Il conviendrait que l'Etat et les employeurs déclarent jours fériés les deux principales fêtes islamiques : le Fitr, qui marque la fin du jeûne du Ramadan, et l'Ahda, jour du sacrifice au cours du pèlerinage à la Mekke. Une demi-journée serait aussi chômée le vendredi.
2) Prières
Les travailleurs musulmans devraient avoir la possibilité de faire les deux ou trois prières quotidiennes qui tombent pendant les heures de travail étant bien entendu qu'il n'y aurait pas de retenues de salaire à cause de ces interruptions.
3) Reconnaissance des prénoms musulmans
Les immigrés de cette confession devraient avoir la possibilité de choisir les prénoms qu'ils veulent pour leurs enfants. Il paraîtrait que les services d'état civil feraient des difficultés à ce sujet : les Algériens nés en France, dits de la « deuxième génération », sont en effet Français, sauf s'ils refusent officiellement cette nationalité. Ils doivent donc se plier au droit civil français qui fixe certaines règles pour l'attribution des prénoms, ce que les islamistes contestent.
4) Programmes de télévision spécifiques
Une chaîne ou à la rigueur des heures d'émission en langue arabe et des transmissions de cérémonies de culte sont réclamées.
5) Enseignement de la religion et de l'arabe aux enfants musulmans.
Il est revendiqué des cours d'enseignement islamique (langue et religion) dans le cadre du système scolaire d'Etat ou d'un enseignement libre lié à l'administration française par contrat. Dans les deux cas, programmes et nomination des enseignants sont du domaine des associations de parents d'élèves.
Une autre revendication est celle du droit de vote que certains partis politiques voudraient voir accorder aux immigrés, au moins pour les élections municipales. En réalité, les intégristes ne réclament rien de plus ; participer à la vie nationale ne les intéresse nullement ; ils espèrent, dans les années à venir, regrouper politiquement les musulmans du Maghreb et de l'Afrique subsaharienne, dans le cadre communal, puisque l'immigration en France est un phénomène urbain.
Avec des conseillers et surtout un adjoint au maire qui s'occuperait essentiellement de ses coreligionnaires, ils pourraient organiser la communauté musulmane sur les plans associatif, social et familial.
L'adjoint, dit-on, ferait fonction de sâhib al madîna, préposé aux intérêts de la cité, porte-parole de ses frères en religion, procédant aux mariages, responsable de l'état civil des musulmans, ainsi que de l'ordre en accord avec les autorités de police (cf. Abdessalam Yacine, La Révolution à l'heure de l'Islam, Imprimerie du Collège, Marseille, 1981).
On a assisté au même processus à l'époque de l'Antiquité tardive. Devant l'effondrement de la puissance romaine, les légions étaient composées d'envahisseurs nomades qui avaient obtenu de l'Etat fantoche d'échapper pratiquement à toute juridiction ou contrôle des agents impériaux. « Le puissant est considéré comme responsable de toutes les personnes, libres ou non, qui vivent sous son patronage ; en revanche, il exerce une certaine autorité disciplinaire sur les gens dont il est responsable ». (F. Olivier-Martin, Histoire du droit des origines à la révolution, Montchrestien, 1948). L'anarchie était légalisée, le droit reculait devant la force des barbares. Et quand un plaideur se présentait en justice, on lui demandait d'abord : « Sub qua lege vivis ? » (sous quelle loi vis-tu ?). Cette professio juris était le préliminaire de toute instance.
Actuellement, certains quartiers, foyers d'immigrés, immeubles remplis de squatters, zones à haute délinquance étrangère, sont pratiquement interdits à la police française et restaurent cette notion barbare d'immunité territoriale. L'unité nationale risque de disparaître derrière les « communautés ».
Une autre série de revendications concerne le droit des affaires. Ici, une remarque importante doit être faite : les Maghrébins sont de moins en moins employés dans les secteurs peu qualifiés mais s'implantent dans le secteur tertiaire. En 1986 déjà, on comptait parmi eux 38 % de cadres ou ouvriers qualifiés ; les trois quarts de ces immigrés étaient employés dans les services, le commerce et les transports, quelques-uns dans l'industrie (8 %) et bâtiment travaux publics (6,5 %).
Les intégristes islamistes veulent maintenant que le législateur modifie le droit des sociétés pour permettre à leurs coreligionnaires de s'implanter davantage dans le secteur des affaires en liaison avec les banques et établissements divers des pays musulmans.
A côté de notre système (société anonyme, à responsabilité limitée, coopérative, etc.), il faudrait introduire les associations suivantes de droit musulman :
1) la société Inâne (de cogestion limitée)
. Elle groupe deux ou plusieurs participants faisant fructifier un capital formé de quotes-parts déterminées, ou d'actions. Les bénéfices et les pertes sont répartis proportionnellement à ce qui a étéinvesti. Chaque associé peut faire tout ce qui intéresse la société.
2) Société « d'effort physique »
. Elle groupe « deux ou plusieurs associés qui se partagent le fruit de leur travail commun, provenant d'un artisanat, d'un métierde tailleur, de blanchissage ou d'autre. Ils se partagent le gain par moitié entre eux ou selon la convention choisie » (hadith commenté par Abou Daoud).
3) Société « ayant pour capital la bonne renommée ».
Se réunissent ainsi deux ou plusieurs personnes qui achètent des marchandises à crédit. Gains et pertes sont partagés.
4) Société de cogestion illimitée (Moufawadha).
Chaque participant « donne à son collègue toute liberté d'action physique et financière intéressant la société :il peut, sans demander d'autorisation, vendre, acheter, faire valoir les fonds par d'autres exploitants, déléguer des pouvoirs, engager des poursuites judiciaires, prendre et mettre en gage et voyager avec des fonds... Profits et pertes sont répartis proportionnellement à la participation de chacun » (Moursy, « De l'étendue du droit de propriété en Egypte », résumé, Le Caire, in Akhbar al yom, l981).
5) Société en commandite (Mudâraba).
Un banquier (rabb al-mâl) remet une somme d'argent à un agent (âmil) en l'habileté commerciale duquel il a confiance et lui donne mandat de l'appliquer au négoce. Avec l'installation de telles structures, notre pays serait soumis à une invasion des capitaux de l'islam avec des entorses graves à la fiscalité française et à notre droit du travail.
6) Cimetières pour musulmans.
Les intégristes ne veulent pas être enterrés dans ce qu'ils considèrent comme une « terre chrétienne », revendication qui s'oppose, soit dit en passant, à leur propagande qui affirme : « Est pays d'islam toute terre où deux musulmans ont fait régulièrement leurs prières ».
7) Droit familial islamique.
II s'agit là de domaines comme le mariage, le divorce, la garde des enfants en cas de séparation, l'héritage et toutes les relations de droit privé. La loi française devrait être modifiée pour permettre à la communauté musulmane de régler de façon indépendante la vie de ses membres.
8) Litiges avec l'Etat français.
Les fondamentalistes s'estiment lésés dans plusieurs domaines par le Code civil, en particulier :
— la femme musulmane ne peut, d'après la sharîa, hériter de son mari musulman que si celui-ci a fait un testament. Le droit français ne connaît pas cette réserve exorbitante du droit commun.
— les services français d'état civil refusent de reconnaître les mariages et divorces à l'étranger, situation que le mari musulman polygame estime inadmissible.
9) Reconnaissance de l'islam par les autorités fiscales.
Les associations religieuses et charitables musulmanes devraient recevoir des dons, quel qu'en soit lemontant, avec possibilité pour le donateur d'en déduire une partie de ses impôts. Ce serait l'introduction en France de l'aumône légale (zakat) qui est un des fondements du droit islamique.
10) Reconnaissance de l'Islam comme « seconde religion de France ».
Une telle affirmation en droit constitutionnel permettrait la conclusion d'un concordat avec la communauté musulmane installée sur notre territoire.
Permettez-moi de recommander la lecture des ouvrages suivants en relation avec toutes ces revendications : Gilbert Beaugé (dir.), Les Capitaux de l'islam, CNRS éd., 1990, rééd. 2001 ; Stéphanie Parigi, Les Banques islamiques, Ramsay, 1989 ; et aussi Hamid Algabid, Les Banques islamiques, Economica, 1990.
ROGER TEBIB