Le site du parti de l'In-nocence

L'impuissance linguistique comme cause de la violence des "jeunes".

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
30 juillet 2009, 22:53   L'impuissance linguistique comme cause de la violence des "jeunes".
De l’impuissance linguistique à la violence

Par ALAIN BENTOLILA linguiste.



Portiques, fouilles, brigades, autant de gesticulations des politiques qui ne considèrent que l’écume des choses. S’il était aussi simple de supprimer les actes de violence en confisquant les instruments de la violence on le saurait et tout serait simple ; aussi simple que d’éradiquer l’illettrisme en imposant une méthode de lecture syllabique.

Si nos enfants - je dis bien nos enfants - passent à l’acte plus vite et plus fort, c’est parce que ni nous ni leurs maîtres n’avons su leur transmettre la capacité de mettre pacifiquement en mot leur pensée pour l’Autre. Un élève sur dix environ quitte aujourd’hui notre système scolaire en situation d’insécurité linguistique. Ils sont incapables de dire leur pensée au plus juste de ses intentions ; ils sont tout aussi incapables de recevoir la pensée d’un autre avec autant de bienveillance que de vigilance. Leur drame n’est pas de ne pas savoir parler selon les règles, leur drame est que l’école n’a pas su leur donner le goût de l’Autre. L’insécurité linguistique, parce qu’elle condamne certains des élèves à un enfermement subi, à une communication rétrécie, rend difficile toute tentative de relation pacifique, tolérante et maîtrisée avec un monde devenu hors de portée des mots, indifférent au verbe. Réduite à la proximité et à l’immédiat, la parole n’a pas le pouvoir de créer un temps de sereine négociation linguistique seule capable d’éviter le passage à l’acte violent et à l’affrontement physique.Cette parole alors éruptive n’est le plus souvent qu’un instrument d’interpellation brutale et d’invective qui banalise l’insulte et annonce le conflit plus qu’elle ne le diffère. Confinée dans le cercle étroit des «alter ego», elle n’autorise que de rares perspectives d’analyse et de problématisation. Cette impuissance linguistique impose alors que l’on utilise d’autres moyens pour imprimer sa marque : on altère, on meurtrit, on casse parce que l’on ne peut se résigner à ne laisser ici-bas aucune trace de son éphémère existence. Novembre 2006 ; j’accompagne ma fille, convoquée au tribunal d’instance de C. Nous y arrivons à 14 heures et en sortirons vers 18 heures. Quatre heures pendant lesquelles nous assistons, d’abord amusés, puis atterrés, à une parodie de justice sur fond d’illettrisme.

Sur l’estrade, un président sévère et renfrogné, qui ne lèvera pratiquement pas les yeux de tout l’après-midi sur les prévenus. A ses côtés, un procureur tout en bons mots, aphorismes et phrases fleuries ; nous eûmes droit à : «Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse», «Qui vole un œuf vole un bœuf», puis en montant un peu la barre : «Une bonne confession vaut mieux qu’une mauvaise excuse» et enfin, en guise d’apothéose : «O tempora ! O mores !» En bas, à la barre, quelques avocats pressés, sans connaissance réelle des dossiers et sans aucune relation avec leurs «clients», ces derniers tous blacks et beurs, en uniforme de la cité, sweats et baskets, répondent aux questions par des tronçons de phrases sur un rythme haché et accéléré.

Tout l’après-midi se sont ainsi succédé douze jeunes ; pas un seul n’a tenté d’articuler la moindre explication, de construire la moindre argumentation. Vers 17 heures est appelé à la barre un jeune homme ; il est grand, costaud ; il écoute le président qui rappelle les faits qui lui sont reprochés : en bref, vol de dix CD dans une grande surface et ce pour la deuxième fois. C’est là que le procureur nous a gratifiés d’un «Tant va la cruche à l’eau…» et s’est lancé dans un long discours de fort belle facture sur la protection des citoyens et la vertu du châtiment. Plusieurs fois, le jeune prévenu se penche en avant, empoignant la barre avec une force qui fait saillir les muscles de son cou ; il tente de parler, émet quelques mots saccadés : «C’est pas voler…» «Je les ai déjà.» Ses tentatives sont noyées sous le flot continu du laïus du procureur ; la tension devient palpable à mesure que se révèlent vains ses essais d’intervention. Le procureur s’arrête enfin : «Alors, de quoi voulez-vous donc nous entretenir qui ne puisse attendre l’ultime fin de ma péroraison (sic) ?» Et le jeune répète «C’est pas voler ; je l’ai déjà.» «Mais bien sûr que vous l’avez puisque vous l’avez volé !» La tension monte encore d’un cran, des insultes sourdes sont marmonnées que le procureur tourne en dérision : «Expliquez-vous donc au lieu de grogner comme un animal !» Et survient alors ce qui me paraissait inévitable : l’adolescent saute par-dessus la barre, bondit sur l’estrade et empoigne le procureur au collet. L’agresseur est ceinturé et menotté ; il sera traduit en comparution immédiate et écopera de plusieurs mois de prison ferme. Il fallait que la justice passe et elle est passée. Violence sur un magistrat dans l’exercice de ses fonctions, c’était un délit grave et il fut justement puni.

Mais jamais comme ce jour-là, je n’ai ressenti un tel sentiment d’impuissance, jamais ne m’est apparu avec autant d’évidence l’enchaînement fatal entre impuissance linguistique et passage à l’acte violent. Ce jeune tentait désespérément de donner une explication - vraisemblablement mensongère d’ailleurs - selon laquelle il n’avait pas volé les CD ; il venait, prétendait-il, les échanger parce qu’il les avait déjà. Mais lui manquaient les mots pour se faire comprendre, mais lui faisaient défaut les structures pour convaincre. L’humiliation de ne pas maîtriser ce qui fait le propre de l’homme, l’exaspération de n’avoir pas l’espace et les moyens de faire entendre son «beau mensonge» le conduisirent inéluctablement à l’agression. Il ne s’agit pas, bien sûr, de justifier un acte violent, inacceptable, il faut tenter simplement d’en comprendre les articulations. 16 ans, encore élève d’un lycée professionnel, citoyen français, il avait subi pendant treize à quatorze ans une obligation scolaire qui ne lui avait pas donné les mots pour laisser une trace de lui-même sur l’intelligence des autres.

Libération
, 24 juillet 2009.
Pourquoi ce jeune ne sait-il pas mieux parler ? En grande partie du fait de l'application de certaines réformes inspirées par M. Bentolila qui, quoique se parant du titre de linguiste (ce qu'il est, et même, sans doute, un très bon linguiste), intervient ici davantage comme une sorte de sociologue à la petite semaine : une après-midi passée dans un tribunal et il nous pond un article qui est censé dire le fond de l'affaire. Qui est attaqué ici ? Les magistrats pour continuer de bien parler ! Je ne crois pas que le jeune homme était incapable de dire : "j'avais déjà les disques, je venais les échanger". Cela, il en était capable. Il était en revanche incapable de roublardise, faute de moyens linguistiques. Il n'a pas supporté qu'on lui dise la vérité en face : il a volé. Il est choquant de s'en prendre à un magistrat dans l'enceinte d'un tribunal et M. Bentolila rapporte l'affaire comme si tout était de la faute du magistrat qui à force d'humiliation avait poussé à bout notre victime.
Sont coupables les gens comme lui qui ont privé les enfants d'un véritable apprentissage de la langue orale et écrite - qu'on le veuille ou non, la méthode syllabique apprendre à lire, la globale n'est qu'une méthode de lecture rapide imposée aux enfants qui apprennent par coeur et reconnaissent ce qu'ils savent déjà. Ils sont coupables parce qu'au lieu de maintenir une exigence purement scolaire : lire, écrire, compter - ils n'ont cessé de diluer cette exigence dans l'idéologie : la fameuse ouverture à l'Autre, un autre qui est toujours tout sauf vertical, donc pas ancien, pas plus grand et beau. L'autre est toujours appréhendé horizontalement, et presque toujours géographiquement : l'autre, c'est l'Africain, le Maghrébin, l'Asiatique (plus rarement), jamais le Breton, le Basque, le Gascon, l'Alsacien, Balzac, Bach, Giraudoux, Ronsard.
Bentolila est l'empoisonneur qui se fait passer pour le médecin !
Jean Giono avait tenu le même type d'argument que Bentolila, lors de l'affaire Dominici...
Dominici, c'est différent : il parlait à peine le français !
En plus de ce que dit Virgil et avec quoi je suis absolument d'accord, je suis très gêné par l'emploi que fait ce spécialiste du mot linguistique qu'il emploie dans son sens étendu, courant certes mais tout de même très contestable, à la place de langagier.
N'est-il pas évident que l'impossibilité de symboliser, d'articuler, conduit au passage à l'acte ?
Cette prémisse est tout à fait juste. Mais il faut en déduire qu'il faut résister à la déculturation et au désapprentissage de la langue, plutôt que d'encourager l'ensauvagement (comme un Alain Brossat, par exemple).
Hélas non, cher Bruno, il n'est pas évident. La violence et le "passage à l'acte" barbares ne sont pas l'apanage de l'analphabète. On l'a trop bien vu au siècle dernier. Les rappeurs, pour en revenir à eux, ne manquent pas de langue, de verbe bien pendu, de bagou, de loquacité générale, richement modulée, somptueusement violente parfois: il n'empêche que la plupart de leurs vedettes sont en taule, ou sortent de taule, ou font des pieds et des mains avec leurs avocats pour ne pas y être enfermés, pour violence aggravée, coups et blessures ayant entraîné une incapacité partielle ou permanente chez leurs victimes, des journées d'arrêt de travail, etc..

Sauf votre respect, cette idée que l'incapacité linguistique serait cause de violence est un mythe de bobo, simpliste et réificateur de la dynamique violente, dont les ressorts anthropologiques sont plus complexes, plus vastes et plus profonds (il suffit de lire un peu Girard pour s'en convaincre). Ce mythe, reposant sur une interprétation toute technique du phénomène, vient naturellement sous la plume des socio-linguistes "à la petite semaine", rentrant d'une "descente sur le terrain" d'une semaine dans le 9-3.
Heu, une demi-journée au tribunal suffit, cher Francis Marche !
Deux choses conduisent à la violence, entre autres : la pauvreté de langage et le sentiment d'absence de limite à son désir. Le voleur violent au tribunal n'est pas habitué à se taire - justement, puisqu'il ne cesse de couper la parole au magistrat - et ne supporte pas qu'il dît des choses désagréables.
On refuse deux choses qu'il est criminel de refuser à un enfant : le langage dans sa complexité et le principe de réalité.
Borges mourant : « Dites que virgil est exquis ».
» N'est-il pas évident que l'impossibilité de symboliser, d'articuler, conduit au passage à l'acte ?

Je crains que vous ne confondiez langue et langage. Ces délinquants jouissent évidemment du langage, et donc de la faculté de symboliser, même si leur langue est approximative et imprécise (fussent-ils rappeurs).
Je trouve le témoignage de Bentolila sur l'insupportable morgue de l'appareil judiciaire tout à fait juste. Il y a une vingtaine d'années, pour le vol de l'Enéide à la FNAC des Halles, j'ai été jugé en correctionnelle au Palais de justice de l'Ile Saint-louis. J'y ai vu la même volonté d'humiliation des petites gens, pour la plupart d'origine souchienne, à coup de bons mots, de rires gras, d'effets de manche grotesques, de légèreté, et de mépris de classe. Je comprends donc la réaction du camarade rappeur et moins celle de Francis Marche : l'incapacité à mettre une forme verbale à ses émotions est un (pas le seul) facteur de violence. Soi dit en passant, le plus souvent cette violence s'exprime contre soi. C'est le cas de beaucoup de personnes alexithymiques chez lesquelles la propension aux automutilations et au suicide est forte.
Le camarade Chaouat, que je salue, fait-il référence au livre "La résistance infinie" dans son évocation de Brossat ? Je pense que si Fofana avait pu formaliser sous une forme écrite ses prouesses, c'est l'ouvrage qu'il aurait pu écrire. Cela dit, Brossat me semble s'inscrire, avec son réensauvagement, dans une tradition intellectuelle incontestable. Celle de Coeurderoy et de Breton. Hier, on rêvait des cosaques pour régénérer une société occidentale jugéé "pourrie"; aujourd'hui les Badiou, Segré et autres Brossat n'aspirent qu'à la submersion de l'Occident impérialiste blanc par les hordes africano-maghrébines.
[quote='y ai vu la même volonté d'humiliation des petites gens, pour la plupart d'origine souchienne, à coup de bons mots, de rires gras, d'effets de manche grotesques, de légèreté, et de mépris de classe.][/quote]

Je suis passé moi-même en 1971 devant le tribunal correctionnel de Valence pour un manquement au code de la route [non-respect d'un stop]. J'ai passé deux heures d'horreur dans la salle d'audience pendant lesquelles le juge se déchaina contre les petites gens convoqués ce jour là et se révéla être d'une arrogance et d'un mépris abyssals.

Mais je croyais que les juges sortant aujourd'hui de l'école de la magistrature étaient presque tous progressistes et proches du peuple.

Est-ce que je me trompe cher Petit-Détour ?
Je ne peux hélas vous répondre, cher Rogemi, car ce monde m'est complètement étranger.
Proches du peuple ? De quel peuple ?
Utilisateur anonyme
31 juillet 2009, 12:20   Re : L'impuissance linguistique comme cause de la violence des "jeunes".
Voler des CD : quelle bêtise, il ignore donc que la musique est gratuite ?

Si l'audience au tribunal s'est déroulée tel que le rapporte Bentolila, j'aurais apprécié que le voleur rosse le magistrat et prenne ensuite la fuite !
Citation
Proches du peuple ? De quel peuple ?

Bonne question, cher modérateur, mais je n'y répondrai pas ... la Halde nous observe !
Me Burgaud était, je pense, un bel exemple des "gens de justice" dont nous gratifie l'ENM.

S'il pouvait revenir, Daumier s'en donnerait à coeur joie.
Je ne sais plus très bien de quoi l'on parle. La violence est la violence; les formes qu'elle peut revêtir ne s'excluent nullement les unes les autres. Charles Maurras, exemple qui me traverse l'esprit, était un des premiers prosateurs français de son époque, un maître du langage, cela ne l'a nullement empêché de se faire l'apôtre et le suppôt de la plus noire et de la plus barbare des violences, l'heure du choix venue. On cite Breton ici, assez fin discoureur, lecteur attentif de Freud et de Hegel, qui appelait de ses voeux une violence non moindre contre le bourgeois (Cosaques abreuvant leurs chevaux aux fontaines parisiennes, etc...). La violence reste un choix. Personne n'est contraint, par aucune carence intellectuelle ou langagière, à faire ce choix; elle ne saurait s'excuser par un défaut d'apprentissage linguistique. Si l'inculte, à cause d'un boeuf sur la langue, se prenait automatiquement à tout casser, il n'y aurait plus, depuis des siècles, d'humanité pour en témoigner.
Utilisateur anonyme
31 juillet 2009, 15:37   Re : L'impuissance linguistique comme cause de la violence des "jeunes".
D'accord avec Francis.


De nombreux Chinois habitant le 13eme arrondissement de Paris, et ce depuis des années, quelquefois même des décennies, connaissent à peine dix mots de la langue française. - Sont-ils violents pour autant ?
Dites, l'Eneide, c'était cette édition d'une traduction de Klossowski ? avec sa jaquette vert pomme ? Ah comme je vous comprends...

J'ai quant à moi été amené à interpréter en prétoire pour un inculpé, dans une affaire de grivèlerie, à Hong Kong: un Français mystérieux, sans bagage, qui avait, expliquait-il, traversé la Chine à vélo en partant du Japon pour "fuir son identité" en abandonnant au Japon de fortes sommes d'argent. Il comparaissait en tenue de clochard. Il s'était fait prendre après avoir détalé de la terrasse d'un restaurant où il venait de se goinfrer pour la première fois depuis des mois. La justice, alors coloniale, le fit enfermer. J'en profitai pour lui passer du foie gras.

Lors du procès, le mépris des juges fut total pour cet homme. Ce Français d'une quarantaine d'année avait de l'éducation, il s'exprimait comme "un jeune homme de bonne famille" ("je n'ai pas souvenance d'avoir commis d'acte violent"), se montrait calme et respectueux. Que s'était-il passé ? Lors de son arrestation, la police l'avait rudoyé, menotté, l'avait un peu assaisonné de coups de coude et de poings aux flancs pour le faire se tenir droit et coi pendant l'arrestation. Il s'était débattu, refusant pareil traitement sur sa personne. Les policiers l'avait alors passé à tabac, sûrs d'avoir affaire à un clochard, un délinquant, un schizo dangereux, et il comparaissait pour grivèlerie et violence à agent.

L'initiative de la violence n'a pas de cause simple et directe; elle reste un choix conscient du sujet, pour autant que ce dernier n'est pas sous l'emprise de drogues qui lui paralysent la conscience. Le flic est violent, le prévenu se débat, les flics redoublent de violence: dans cet enchaînement, la violence originelle demeure délibérée.

La violence n'est point conséquence de ceci ou de cela: elle est source délibérée, elle est un choix, auquel se raccrochent des suites, des contrecoups et des répercussions.

En d'autres termes, il ne peut être assigné de cause simple et directe à l'acte violent, attentatoire à l'intégrité physique d'une personne: aucun défaut de passé simple ou de subordonnée relative chez l'auteur de l'acte ne saurait servir d'excuse, d'exonération, de distraction de responsabilité quand l'individu en cause se précipite sur son interlocuteur les paumes écartées pour l'étrangler.
Bien évidemment. La violence n'est conséquence d'absolument rien: elle est origine, et originelle.
Il s'agissait, Francis, d'une magnifique édition des éditions de La Différence dont la couverture était verte. J'ignore en revanche si la traduction était bien de Klossowski.
Pour revenir à la question de la relation langue et violence, je ne sache pas que Breton ou Maurras aient dépassé le stade d'une violence écrite et soient jamais passé à l'acte, et notamment, pour le Breton du Premier manifeste, à ce fameux acte surréaliste élémentaire qui consistait à tirer dans la foule au hasard à coup de revolver ventre à hauteur de canon. Je crois que Breton n'était pas très courageux physiquement. En tout cas contrairement à Benjamin Péret, il n'a pas rejoint la glorieuse colonne Durrutti en Espagne, qui sévissait non loin du royaume de Sobrarbe.
Zendji a raison pour les Chinois à ceci près que s'ils ne maîtrisent pas le français, ils maitrisent au moins le mandarin. Ce qui n'est pas le cas de nos chers jeunes, qui, la plupart du temps, ne maîtrisent rien, ni le français ni la langue de leurs parents.
Je pense qu'il faudrait faire une différence entre la violence impulsive et la vilolence préméditée. Landru, Fourniret, les sérials killers en général, s'expriment fort bien .
Ceci dit, la violence impulsive, le passage à l'acte immédiat, sont souvent le résultat d'une culture de la violence qui méprise le langage, refuse l'apprentissage complet et complexe d'une langue et la réduit à sa plus simple expression. Le disert, celui qui s'exprime avec un vocabulaire riche et une syntaxe correcte est qualifié avec mépris,, dans les banlieues, de "bouffon" autrement dit de "cave".
Chez les Pieds-Noirs du peuple qui avaient beaucoup pris aux Arabes, de quelqu'un qui s'exprimait avec aissance en usant d'un vocabulaire jugé savant, ou recherché, on disait : çui-là, ma parole, c't un poète ! le mot était chargé de méfiance, d'ironie avec tout de même, parfois, une nuance de perplexité respectueuse.
Merci Cassandre, pour cette mise au point.
Cher Francis Marche, vous êtes un sublime contradicteur, mais c'est la première fois qu'on me traite de bobo ! j'en ris encore ! Cela dit, David Brooks, grand brocardeur de bobos, n'hésite pas à admettre qu'il en est un !
Je crois en effet qu'il faut distinguer (et distinguer encore, comme dirait Renaud Camus). Robert Antelme, ou, plus tôt, S. Haffner, tous deux attestent que la violence nazie s'accompagne (j'admets qu'elle n'est pas causée par, et que mon rapport de causalité est simpliste) d'un délitement de la langue (Antelme parle, je crois, d'une vocifération monotone--expression d'AF sur.... le rap !--, où tout est "vomi à égalité comme dans un dégueuli d'ivrogne", dans le camp de concentration). Haffner évoque lui aussi la déréliction du langage (langue ? langage ? parole ? je dois ici m'avouer imprécis, mais j'ai tendance à préférer parler de "langue" au sens de Renaud Camus, justement, au sens d'un héritage dans lequel chaque individu puise pour se subjectiver à partir de l'altérité syntaxique et lexicale, pour ne pas dire littéraire).
Quant à Girard, je sais bien que la littérature mène à tout, mais n'oublions pas qu'il est d'abord critique littéraire (brillant certes), et qu'il s'est lancé dans l'anthropologie en franc-tireur : le système du bouc-émissaire, surdéterminé par la Passion du Christ, n'explique pas tout ; la violence est multiple, ainsi que ses origines.
Et comme l'on en revient toujours aux années noires, dans ce genre de débat... admettons que le nazisme s'explique par une chose et son contraire : le Kulturpessimismus (on écoute du Mozart, on récite du Goethe, et on massacre une heure après), ou au contraire l'inculture, ou une culture et une expérience fragmentées, "disjointed" (Max Picard) qui caractériserait l'homme moderne, etc. Le nazisme, là encore, ou la Collaboration, sont-ils vraiment utiles pour comprendre le phénomène de la déculturation, de la perte de la langue et de la violence qui les accompagne ?
Utilisateur anonyme
31 juillet 2009, 21:37   Re : L'impuissance linguistique comme cause de la violence des "jeunes".
Le nazisme, là encore, ou la Collaboration, sont-ils vraiment utiles pour comprendre le phénomène de la déculturation, de la perte de la langue et de la violence qui les accompagne ?

A mon avis ça n'a vraiment aucun rapport. Le national-socialisme est une prise de pouvoir d'un type nouveau et un mouvement dont on ne peut discuter la qualité révolutionnaire, et ceci précisément du fait de l'imbrication de la prétention traditionnelle et de la prétention révolutionnaire. C'est ainsi que furent couplés une religion politique mystique à l'adoration de la réussite technique, un romantisme vieil allemand à la parade moderne des masses. En clair le NS est une association des contraires, avec un fort impact sur la langue, évidemment - mais quel rapport avec la déculturation dont nous parlons ici ? Si j'osais, et je crois que je vais oser, je dirais que le NS fut une tentative (délirante) de re-culturation.
Cher Bruno, j'avais bien sûr en l'esprit les mêmes cas historiques de violence, disons, culturée, lorsque je mentionnais "le vingtième siècle" dans mon premier message.

Mais je continue de penser que l'imputation de la violence non-préméditée, explosive, incontrôlée, etc. à une "impuissance langagière/linguistique" de l'individu violent reste une fausse bonne idée. Sans aller jusqu'à puiser dans Girard, et pour rester empirique, disons que toute société moderne, et à fortiori toute société ancienne, compte une très forte minorité d'adultes, souvent même une majorité, qui n'a jamais pu lire un livre de leur vie, dans le discours desquels l'interjection occupe une place prépondérante, où la performance syntaxique, quand elle existe, se limite à l'articulation simple du sujet, du verbe et de son complément, et qui n'en sont pas moins, disons "de braves gens", qui, conscients de leurs limites, se tournent vers des hommes de loi, des médiateurs, des "plus savants qu'eux" lorsqu'ils se sentent frappés d'une injustice, d'une incompréhension qui leur est préjudiciable. C'est qu'il existe dans ces sociétés-là des mécanismes complexes de recours à l'autre comme médiateur, justement, dont la fonction est d'éviter que le rustaud ne se précipite absurdement dans l'amok quand son verbe ne passe pas. Parmi ces mécanismes figure celui du respect du verbe supérieur, que, par exemple, l'avocat, le maire du village, le médiateur (le sage dans les brousses africaines), l'écrivain public autrefois, inspiraient chez l'analphabète, le coincé de la litote, personnages qui bénéficiaient de sa confiance et dont la fonction de juge de paix ad hoc, ou d'assesseur au juge de paix autant que d'intercesseur-communiquant, aidait à désamorcer le ressentiment du linguistically challenged.

Encore une fois, et pour demeurer bassement empirique: si tous les rustauds, les incultes qui ont peuplé la France pendant des générations s'étaient, de par leur incompétence linguistique, précipités dans l'amok à défaut de se faire entendre, il n'y aurait plus de France, ni de civilisation occidentale depuis longtemps.

Un mot sur Dominici et Giono. Le procès Dominici eut lieu en Provence à une époque où la majorité des hommes et femmes de la génération de Gaston Dominici, et une forte minorité de celle de ses fils, n'avaient plus de langue! Le provençal reculait, ne se pouvait plus employer dans les bourgs importants, cependant que le français ne pénétrait que difficilement au village où employer la langue de Vincent Auriol vous classait comme un "monsieur". Il n'y a aucune exagération à dire que la situation linguistique de ces gens était en tout point comparable à celle des beurs de banlieue d'aujourd'hui, qui n'ont ni arabe, ni français pour se faire entendre. Or, la Provence fut-elle mise à feu et à sang par ces gens dans les années 50 ? Non, elle ne le fut pas. Pourquoi ? Et bien tout simplement grâce au respect qu'inspiraient auprès de ces déshérités linguistiques les "Messieurs", qui s'exprimaient au village et au bourg dans le parler ministériel de Vincent Auriol, celui, pour y revenir, de la République Française, très largement, et très intimement respectée en Provence.
Il ne s'agit pas d'établir un parallèle et encore moins une analogie entre la société dans laquelle nous vivons et le nazisme, ce serait du délire. Cela n'empêche pas qu'il y ait des points communs entre l'Empire du Bien et les totalitarismes du siècle passé (davantage avec le communisme qu'avec le nazisme évidemment) par tout ce qui a trait à la dictature molle, l'omniprésence de la propagande, le refus du réel, du bon sens, l'avenir radieux, les mots qui puent, etc. Il ne s'agit pas de cela ici mais de la situation née d'une entreprise de conquête avec les différentes attitudes qu'elle suscite et que l'on retrouve dans toutes les situations de conquête partout et à toutes les époques.
Cher Francis,
Je me range à votre analyse.
Une rupture a bien eu lieu (la mondialisation ? L'émergence de formes incontrôlables d'individualisme consommatoire paradoxalement associées à un retour de l'appartenance tribale ? je ne sais...)
L'affaire Dominici m'évoque cette phrase de Kafka, sur les écrivains juifs qui commencèrent à écrire en allemand je crois : "leurs pattes de derrière collaient encore au judaïsme du père et leurs pattes de devant ne trouvaient pas de nouveau terrain. Le désespoir qui s’ensuivit constitua leur inspiration."
Hélas, ce type de suspension linguistique et culturelle se solde bien rarement par le génie littéraire, et plus souvent qu'à son tour par des expériences douloureuses d'aliénation, violentes ou non, d'ailleurs.
Mais avant dîner, je m'en vais entendre les trios élégiaques de Rachamaninof...
"L'impuissance linguistique" des jeunes est bien une conséquence de leur propre violence exercée à l'égard de la langue.
Je le crois en effet: s'il existe un dilemme de la poule et de l'oeuf dans cette question, c'est le choix violent, le choix politique de la solution violente, qui est la poule, la langue dévastée n'est que l'oeuf pourri qu'elle nous pond tous les matins, qu'elle couve dans les banlieues et qu'elle dépose, à l'occasion, dans les prétoires.

Personne, jamais, n'est contraint à la violence. L'antithèse de cette évidence a accouché du communisme, piètre épisode dans l'histoire de l'humanité.
Les exemples abondent en effet, d'exilés culturels, de sans-terre linguistiques, qui ont donné des génies littéraires et devinrent des paragons d'humanisme. Je vous écris cela d'une région du monde, l'Asie du Sud-Est, ou à peu près tous les grands poètes nationaux furent, durant de longues périodes de leurs vies, des déracinés linguistiques, entre 1885 et 1985.
"L'impuissance linguistique" des jeunes est bien une conséquence de leur propre violence exercée à l'égard de la langue."

"Je le crois en effet: s'il existe un dilemme de la poule et de l'oeuf dans cette question, c'est le choix violent, le choix politique de la solution violente, qui est la poule, la langue dévastée n'est que l'oeuf pourri qu'elle nous pond tous les matins, qu'elle couve dans les banlieues et qu'elle dépose, à l'occasion, dans les prétoires. "

Je suis absolument d'accord. Il suffit d'ailleurs de voir les élèves du film "Entre les murs" et leur refus teigneux de l'apprentissage d'un Français plus riche et plus correct que leur langage rudimentaire de banlieue.
Je ne crois pas que l'on puisse parler d'impuissance langagière chez les adolescents et jeunes adultes élevés dans la culture des cités. Si leur langue peut être jugée pauvre, fruste et maladroite, c'est dans un cadre où la norme est la langue officielle (même réduite à la version pratiquée dans les écoles d'aujourd'hui), celle qu'ils refusent d'apprendre et d'employer. Car ils cultivent au contraire la virtuosité langagière avec joutes oratoires (souvent des concours d'insultes), récits épiques, slam et rap. Entre eux, ils parlent énormément, vite et fort. Leur univers, dans le domaine de la langue comme du reste, est violent, grossier, obscène mais certes pas impuissant.

Voyez


dans ce reportage comment une fille de quatorze ans tient tête, avec des mots, à une jeune femme de la police. On pourra aussi se régaler de ce qu'elle pense de la France (à 2'20'').
Cher Marcel, je suis aussi d'accord avec votre message. Je pense que, en effet, à l'intérieur de certaines limites, de certain contexte, ces jeunes ont, au contraire, question langage, un aplomb certain.
Nous sommes d'accord, chère Cassandre. Cette histoire de violence comme résultante de l'impuissance langagière est un simple avatar, présenté par un mauvais linguiste, de la "culture de l'excuse" développée par les mauvais sociologues.
02 août 2009, 16:32   Serial killers
Bien chère Cassandre,

Il est des tueurs en série qui sont de véritables primitifs, voyez Vacher, sur lequel on écrivit beaucoup.
02 août 2009, 18:29   Re : Serial killers
Certes, cher Jmarc, mais il y en a aussi qui sont de fort beaux parleurs.
Utilisateur anonyme
02 août 2009, 18:54   Re : Serial killers
La plupart des serial killers américains sont de redoutables manipulateurs, qui savent se servir du verbe avec une grande efficacité.
02 août 2009, 19:05   Presse et réalité
N'y a-t-il pas un désir de la presse qui les décrit comme manipulateurs ?

Prenez l'affaire de Mourmelon : on a suspecté cet adjudant, Chanal, il était fort taiseux...
Je parlais des serial killers américains, à propos desquels il m'a été donné de regarder un documentaire très intéressant, il y a quelques années, réalisé par un Français, spécialiste du phénomène. C'était très intéressant, et je vous assure que les types en question étaient tout sauf privés de parole.
03 août 2009, 05:19   Re : Serial killers
La violence, y compris la violence meurtrière, et la qualité technique du verbe sont des aléas entièrement dissociés. François Villon, grand poète, remarquable verbeux, avait été un homme violent; Blaise Cendrars, auteur de fabuleuses dentelles rhapsodiques pour main gauche (relire Bourlinguer, texte ayant par endroit des phrases qui tiennent toute une page sans faillir aux lois de la syntaxe) raconte par ailleurs (dans J'ai tué) comment, dans sa première semaine de guerre, engagé dans la Légion, il décolla la tête d'un boche qui l'attendait dans un trou d'obus, à l'arme blanche, froidement, professionnellement, en légionnaire.
03 août 2009, 09:33   Re : Serial killers
Sans parler de ces idiots, pardon, ces handicapés mentaux, incapables de faire une phrase mais doux comme des agneaux et toujours souriants.
03 août 2009, 09:51   Re : Serial killers
» sont des aléas entièrement dissociés

Encore une fois, ce serait confondre langue et langage.
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter