La maison de tante Léonie

Classant de vieux papiers, je suis tombé sur une liasse de photocopies qu'un ami m'avait donnée, connaissant certaines de mes curiosités. Il s'agit d'une note du 8 septembre 1959, émanant du conservateur régional des bâtiments de France, adressée au ministre d'Etat chargé des affaires culturelles. En voici les premières lignes :

"Par lettre du 18 octobre 1958 vous m'avez demandé de vous faire parvenir un dossier relatif au classement éventuel parmi les monuments historiques de la maison dite "de tante Léonie" à Illiers, dans laquelle la société des Amis de Marcel Proust et des amis de Combray a installé un petit musée proustien. Je m'excuse de répondre avec un tel retard à votre demande, mais comme vous aviez précisé que je devais délimiter la place de cette maison dans la vie et l'œuvre de Marcel Proust, je me suis cru tenu, pour faire cette étude avec un minimum de sérieux, de relire tout Proust et de lire quelques biographes. Ce fut une tâche délicieuse, mais qui m'a pris longtemps."

Suivent plusieurs pages de considérations littéraires et de descriptif patrimonial, conclus par cet avis :

"Aussi ma conclusion sera-t-elle nette : nous avons la chance unique d'avoir, reconstitué quand c'était possible et quand il était encore temps, un des décors qui ont inspiré un écrivain de génie, un décor qui a été transposé entièrement dans son œuvre. [...] Cette maison est plus précieuse que toutes celles qui ont été classées au nom de la littérature. Je proposerais donc que le classement de la maison de tante Léonie soit prononcé, sans aucune restriction, classement englobant les dépendances et le petit jardin."

La salle à manger est toute petite et obscure, la cuisine où régnait Françoise, minuscule. On se rappelle comme, quand on était petit, tout était vaste, mystérieux, précieux. Comme quand on eut grandi, tout parut étriqué, vieillot, dérisoire. Un univers, encore plus proche de soi maintenant, s'est créé là, on est ému, la modestie des lieux serre le coeur.
Un merveilleux ministre du culte !

Cher Obi Wan, je suis heureux de vous entendre dire cela : j'ai eu exactement la même sensation lors de la visite que je fis à Illiers-Combray, il y a environ un quart de siècle. Que Proust ait réussi à recréer son enfance à ce degré-là, au point de susciter chez son lecteur ce phénomène bien connu d'agrandissement du réel, m'avait alors beaucoup impressionné.

J'y retournerai aussi après vingt ans, cher Didier, puisque cela sera un autre moi-même qui visitera (!). J'espère qu'ils auront enlevé la pancarte indiquant à l'aide d'une flèche "Pèlerinage Marcel Proust" vers la "Vivonne". Cela l'aurait stupéfié ou bien fait rire ! Je recommande le petit café juste en face de l'entrée du petit jardin: formica, foot de table, conversation avec tout le monde au bout de trois minutes. J'avais fait des photos et leur avais envoyées. Beau souvenir !

Je ne sais si j'ai déjà raconté cela ici (si oui, qu'on me pardonne ce radotage...). Lors de cette visite à Illiers-Combray, effectuée avec deux amis (en 1981 ou 82), nous nous étions installés au comptoir d'un café donnant sur la rue principale, étant arrivés trop tôt. Nous vîmes alors passer une très vieille dame, marchant lentement, entourée de cinq ou six hommes nettement plus jeunes, pleins d'attention pour elle.

Par le patron du café, nous apprîmes que se tenait, ce jour-là, dans l'école (ou le CES ?) d'Illiers, un quelconque mini-colloque concernant bien entendu Marcel Proust.

Et que la vieille dame que nous venions de voir passer n'était autre que Céleste Albaret, alors âgée de 90 ou 91 ans.