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Extrait du "Discours de Flaran"

Envoyé par Aline 
21 avril 2008, 22:27   Extrait du "Discours de Flaran"
Le fil sur Jan Fabre au Louvre a disparu dans la page suivante. Sans vouloir relancer la polémique (j’ai tellement peu de temps pour y contribuer), je souhaite pourtant mettre en évidence ce fragment de l’admirable « Discours de Flaran » (prononcé par Renaud Camus le 13 juillet 1997, en l'église abbatiale de Flaran , lors de l'inauguration de l'exposition PLIEUX À FLARAN (collection du château de Plieux)). J’aurais aimé produire cet extrait vendredi dernier mais étant donné l’heure tardive à laquelle j’ai essayé de répondre aux différents commentaires, la fatigue a eu raison de moi.
Ce regard amoureux sur la peinture et l’angle particulier sous lequel il l’aborde devrait être une aide précieuse aux néophytes désireux d’entrer dans les arcanes de l’art contemporain.

[www.renaud-camus.org]


« L'art contemporain, tel du moins qu'il est représenté à Plieux, a tendance à désarçonner à tel point certains de nos visiteurs, pour peu qu'ils aient omis de suivre l'un ou l'autre des épisodes précédents de l'histoire de l'art, depuis Cézanne ou Mondrian, mettons, Schwitters ou Malevitch, Duchamp ou Beuys, qu'ils croient facilement à une plaisanterie – autant dire une mauvaise plaisanterie. Faute de s'être vu offrir plus tôt d'autres occasions d'établir avec lui une certaine familiarité, peut-être ; faute d'intérêt, de désir ou de curiosité de leur part dans le passé, sans doute ; faute, surtout, d'avoir entretenu avec assez de soin leur système personnel d'information, ces personnes sont tellement surprises par ce qui leur est montré qu'elles crieraient facilement au scandale, et croiraient volontiers, comme la fameuse Mme de Pourtalès à la première audition du Sacre, en 1913, qu'on a décidé de se moquer d'elles. C'est l'art contemporain dans son ensemble, parce qu'elles ne lui trouvent pas d'autre explication, souvent, qui est assimilé par elles à la farce, quand ce n'est pas aux farces et attrapes, à la provocation, voire à l'escroquerie.
Il arrive qu'elles n'y voient rien du tout. Or cette impression n'est pas complètement fausse. Je souhaiterais montrer que, si elle n'est pas non plus complètement vraie, bien entendu, sa part de vérité est non seulement précieuse, mais essentielle – par quoi je veux dire qu'elle touche véritablement à l'essence.
Il me souvient de visiteurs de l'exposition Kounellis à Plieux, il y a quelques années, qui avaient acheté leur billet, qui avaient fait le tour de toutes les salles de l'exposition, et qui étaient revenus au bureau de l'accueil pour demander : « Mais elle commence où, votre exposition ? On a traversé un tas de salles, mais on n'a pas trouvé l'entrée… »
En fait ils avaient tout vu, tout ce qu'il y avait à voir, mais ils n'avaient rien vu. Ils avaient vu, ou croyaient avoir vu, qu'il n'y avait rien. Je souhaiterais montrer qu'ils n'avaient pas tout à fait tort – pas tout à fait raison, bien sûr, mais pas tout à fait tort.
L'art contemporain – tel du moins, encore une fois, qu'il est représenté à Plieux, et aujourd'hui à Flaran, donc, mais plus généralement en l'une de ses expressions, ou de ses tendances, que je crois compter parmi les plus hautes –, l'art contemporain, autant ne pas le cacher, a quelque chose à voir avec le rien, voilà ce que je pense. Par la même occasion, il a quelque chose à voir avec le sacré.
Giorgio Agamben, le grand philosophe italien, vient de ressortir des limbes où Michel Foucault lui-même ne l'avait pas repérée la figure infiniment complexe, et tragique, et belle, de l'homo sacer, ce maudit, ce paria, cet homme qui était si peu de chose, tellement personne, tellement rien, dans la Rome la plus antique, qu'on pouvait le tuer sans qu'il y eût homicide1. C'est de sacer, bien entendu, que vient notre sacré.
C'est parce que l'art contemporain a quelque chose à voir avec le rien ; c'est parce que l'artiste, comme l'écrivain – on le sait au moins depuis Ulysse, depuis le cyclope et l'épisode de la caverne – a quelque chose à voir avec Personne, avec Ce qui n'a pas de nom, autant dire avec Dieu, mais aussi avec l'Innommable ; c'est parce que Personne et le rien ont quelque chose à voir – mais qu'y a-t-il à voir, justement ? –, avec le sacré ; c'est pour toutes ces raisons, qui bien entendu n'en font qu'une, qu'il me semblait particulièrement désirable, et opportun, que la collection de Plieux fût accrochée ici, dans cette église aux volumes admirables, à la spiritualité presque intacte, pleine de beaux abîmes pour l'espace, pour le vide, pour l'œil et pour le pas.
Si cette exposition avait un thème secret, bien peu secret, ce serait à peu près celui-ci : que serait pour nous un art sacré, aujourd'hui ?
[…]
Utilisateur anonyme
22 avril 2008, 14:38   Re : Extrait du "Discours de Flaran"
"Il arrive qu'elles n'y voient rien du tout. Or cette impression n'est pas complètement fausse. Je souhaiterais montrer que, si elle n'est pas non plus complètement vraie, bien entendu, sa part de vérité est non seulement précieuse, mais essentielle – par quoi je veux dire qu'elle touche véritablement à l'essence. "

Ce discours, admirable en effet, chère Aline, n'a pas pour moindre vertu d'être susceptible de mettre tout le monde d'accord (?).
En effet et comme ce n'était vraisemblablement pas son but, du coup, je me sens vaguement coupable de ce silence...
La discussion peut toujours reprendre dans la maison Renaissance du " défenseur de l’élégance latine" et le silence, on peut s’en aller le savourer dans ses jardins du savoir et des plaisirs…



22 avril 2008, 22:48   Re : Anatomie des vanités
Oui, c’est la maison d’Erasme, un bijou patrimonial qui accueille en ce moment une exposition intitulée :

« Anatomie des Vanités »
À l’occasion des 75 ans de la fondation
du musée, la Maison d’Érasme
organise une exposition autour d’une
Ève anatomique du XVIIe siècle et un
ensemble d’objets de Vanités appartenant
à une collection privée, avec des
interventions contemporaines
de Jan Fabre*, Marie-Jo Lafontaine
et Aïda Kazarian.)


[www.erasmushouse.museum]

* (c’est pas ma faute !)
Puisque le fil est toujours vivant, je fusionne.
Utilisateur anonyme
11 avril 2008, 10:48   Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
Jan Fabre a trouvé ses maîtres

Le commissaire de l'expo, Marie-Laure Bernadac, le parcours réserve de nombreuses surprises, dont certaines conforteront la réputation de provocateur chic de l'artiste. C'est notamment le cas de l'armada de pigeons en verre de Murano qu'il a alignés sur les rebords du grand escalier comme autant d'intrus venus souiller les lieux.

C'est aussi le cas du gigantesque champ de tombes qu'il a installé dans la salle des Rubens. Des dizaines de tombes noires surmontées d'un énorme ver de terre se terminant par le visage de l'artiste. Un contraste violent avec les grandes toiles colorées de Rubens. « Son but à lui, c'était d'être le plus grand peintre du monde. Moi, je suis le plus grand ver de terre du monde. Mais si on supprime les vers de terre, la terre sera malade. Comme la société sans artiste. Je crée un monde souterrain en opposition à celui de Rubens. Mon copain, ce n'est pas Dieu, le ciel, etc. Moi, c'est le noir, les pierres tombales… »

Dans une salle où sont rassemblés de nombreux portraits de calvinistes, on découvre une vitrine contenant une série de membres constellés de globes oculaires. « Pour les calvinistes, le regard est important. On doit tout montrer, contrairement aux catholiques qui cachent beaucoup de choses. Quant aux membres, ce sont des ex-voto en cire. C'est aussi un hommage au dieu de l'insomnie, une sorte d'autoportrait en tant qu'insomniaque. »

De salle en salle, les rencontres sont souvent fortes, évidentes comme avec cette pièce de viande constituée de multiples carapaces de scarabées, suspendue à côté des tableaux sombres de Rembrandt. Plus loin, les grandes peintures de batailles entourent les armées de scarabées de Fabre, évoluant sur des maquettes guerrières.
« Acts of poetical terrorism »

On redécouvre de la sorte tout l'univers de l'artiste, son parcours depuis 1978 avec, notamment, de nombreuses œuvres prêtées par des collections privées et invisibles depuis des années : dessins, collages, sculptures, installations… Réorganisant les collections du Louvre, il a élaboré un dialogue souvent fort et subtil avec son propre travail, comme dans cet étroit couloir où des portraits de philosophes du passé font face à une série de grands dessins au bic de la fin des années 80.

Un univers varié et cohérent résumé par le titre de l'exposition : « Jan Fabre – L'ange de la métamorphose ». Et trouvant son slogan sur ce torchon traversé de trois lignes noir, jaune, rouge sur lequel il a écrit : « Only acts of poetical terrorism ». Un résumé de tout son parcours.
Lien

Au secours ! A l'aide !
Attention, voilà Aline.
Pourquoi "hélas", vous avez déjà vu l'exposition?
Utilisateur anonyme
12 avril 2008, 20:10   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
Cela s'appelle une pirouette. Mais encore, faites-nous aimez Jan Fabre !
Utilisateur anonyme
12 avril 2008, 20:48   Jan Fabre
Écoutez-le, en ce moment-même, à la radio…
Vous ne manquez pas de toupet, Obi Wan ! Pirouette, dites-vous. Mais à quoi voulez-vous que je me dérobe, il n’y avait pas que je sache de question posée ! Juste un sarcasme !
Il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton du genre « haro sur l’art contemporain » pour me voir sortir de ma boîte comme une guerrière toute armée, vous savez !
Je suis d’accord d’entrer dans une conversation mais à condition de me trouver face à des personnes disponibles, même désireuses de me contredire. Mais de tels arguments (ou absence d’argument) me découragent complètement.
Utilisateur anonyme
14 avril 2008, 11:23   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
La question était implicite il me semble : qu'alliez-vous trouver dans ce texte ironique sur Jan Fabre pour le défendre ou y aurait-il un côté intéressant de sa "création" et occulté par ses bizarreries spectaculaires que vous auriez déniché et que vous auriez aimé faire connaître ?
J'avoue que suis taquin, ce qui n'est pas du Liégeois le moindre défaut !
Et que ce n'était pas loin d'être une question piège car Jan Fabre, pour moi, représente la quintessence de la fumisterie, de l'attrappe-nigaud, du mauvais canular, d'une originalité qui n'est qu'outrance, le tout rendu impardonnable par la vulgarité. On pisse sur la scène, on se masturbe : et le caca ?
Mais je ne suis pas l'étalon or ! En on peut trouver dans le grotesque, dans l'orgie brueghélienne, dans l'éructation de "ma mère" par Arno un charme, une fascination, une force primitive et grossière agréablement tourneboulante.
Et comme vous me l'avez fait remarquer je n'ai pas vu en réalité quoi que ce soit de lui, ce que j'estime également être une faute avant d'émettre un jugement.
L'article du Monde ne m'encourage pas du tout à réparer ! Mais comme tout se passe dans notre cerveau, et que le vôtre excelle à décrire et à s'enthousiasmer je m'en suis allé, chère Aline, vous titiller ! Vous savez bien qu'il y a, dans pas mal d'échanges ici, une bonne part de jeu.

Enthousiasme ou exaspération : Jan Fabre enflamme le public du Louvre

Jan Fabre au Louvre, on aime ou on déteste. On s'extasie ou on ricane. Mais "L'Ange de la métamorphose", titre de l'exposition de l'artiste flamand qui ouvrait ses portes vendredi 11 avril, ne laisse personne indifférent. D'autant que les oeuvres du dessinateur, plasticien, chorégraphe, vidéaste, performer, souvent grinçantes - ses mises en scène ont ouvert une énorme polémique au Festival d'Avignon en 2005 -, occupent jusqu'au 7 juillet les prestigieuses salles dédiées aux peintures des écoles du Nord.

Des dessins au stylo bille bleu, des sculptures en ossements humains, des toiles portant la trace de son sang, de son sperme, des vidéos de guerriers tout en armure voisinent avec des chefs-d'oeuvre de Bosch, Rubens, Van Eyck, Rembrandt, etc.

Jan Fabre, Anversois de 50 ans, avait déjà fait son show au Musée Royal des Beaux-Arts d'Anvers. Le Louvre, pour sa part, invite, depuis quatre ans, des artistes à se confronter aux maîtres anciens. "On a déjà confié de grands espaces à des sculpteurs comme Anselm Kiefer, Anish Kapoor. La différence est qu'un seul artiste investit les lieux", souligne le président du Louvre, Henri Loyrette. Mais jamais un artiste n'avait été aussi visible au Louvre : une trentaine d'oeuvres, parfois monumentales, dans plusieurs salles.

Plutôt que de confrontation entre le Flamand et ses maîtres, il vaut mieux parler de friction, tant les réactions sont électriques. Prenons Le Bousier (2001), installation démesurée de Jan Fabre : un matelas défraîchi et une sphère recouverte d'élytres de scarabées aux reflets bleu, vert et or. Posé à côté de deux tableaux de Frans II Pourbus, La Sainte Cène (1618) et un portrait de Marie de Médicis, Le Bousier fait l'attraction. "Quelle magnifique note d'humour !", sourient deux trentenaires, tandis qu'un couple de Néerlandais estime que "l'oeuvre dialogue bien avec la robe gonflée de Médicis". Mais un homme s'exaspère : "S'il est hanté par les scarabées, qu'il en fasse un élevage !" "Je crois qu'il n'y a rien à comprendre", lui répond la jeune fille qui l'accompagne.

RENCONTRE CRUELLE

Chez Jan Fabre, le passage entre la vie et la mort, l'espoir d'une résurrection, mais aussi l'argent, le jeu, les plaisirs terrestres, reviennent comme des motifs et tentent un dialogue avec les toiles du Louvre. Pour certains visiteurs, l'expérience "nettoie le regard" et redonne envie de "s'attarder sur les peintures anciennes" ; pour d'autres, le travail est "superficiel" et "prétentieux". Voire "autocentré".

Les critiques les plus vives émanent du public régulier du musée. Une femme, qui suit des cours d'histoire de l'art, vient par curiosité. "Le côté positif, c'est que j'ai discuté avec plein de gens. Mais cette exposition est une erreur. Fabre a choisi certaines oeuvres comme référence à son travail, sans dialoguer. Je ne suis pas sûre que ça donne envie de découvrir l'art contemporain."

Pour cette exposition, Jan Fabre a obtenu que certains tableaux du Louvre soient raccrochés, d'autres déplacés. Il a fixé sa Pièce de Viande (1997) à la place du Boeuf écorché (1655) de Rembrandt - en hommage à cette toile qui l'a inspiré et se trouve désormais sur le mur d'en face. "Il s'impose aux oeuvres et leur fait violence. Il intervient sur des pièces maîtresses, et la rencontre est cruelle... pour lui", juge un habitué.

Jan Fabre répond qu'il n'entend pas se mesurer aux plus grands. En visite, en fin d'après-midi, avec des collectionneurs, il en veut pour preuve l'Autoportrait en plus grand ver du monde (2008) qui trône dans la galerie Rubens - un lombric de quatre mètres de long, agonisant, rampe entre des pierres tombales et répète, en flamand : "Je veux sortir ma tête du noeud coulant de l'histoire." On peut y voir, dit-il, la métaphore de l'artiste écrasé par le poids du passé. Le ver symbolise la putréfaction mais aussi la fertilité, puisqu'il régénère la terre. "Si on enlève l'artiste, la société se porte moins bien !", lance, en anglais, Jan Fabre. Autre signe d'humilité, dans Je me vide de moi-même (2007), il se représente en nain, le visage plaqué contre la copie d'un tableau de Rogier van der Weyden. Il se heurte au mur de l'histoire et du sang coule sur ses vêtements, formant une flaque au sol. Une source inépuisable de rires adolescents, de déclenchements d'appareils photos, et de discussions animées.

Polémique ? "J'ai l'habitude. On dit que je suis génie ou charlatan", confie-t-il. Il préfère parler du bonheur qu'il a eu à préparer l'exposition pendant trois ans : "Ces journées à arpenter les salles, ces nuits passées seul, au milieu des toiles, m'ont rendu heureux comme un enfant dans un bac à sable." Il lève les yeux vers les tableaux : "A côté, je suis tout petit. Je dois prouver que mon oeuvre vivra dans quelques siècles."
Clarisse Fabre
14 avril 2008, 14:53   Re : d'ardente flamme
«Enthousiasme ou exaspération : Jan Fabre enflamme le public du Louvre »

Oui c’est bien ce qu’ils font tous, ces flamboyants Flamands, adeptes de la démesure ! Voyez Hugo Claus, voyez Gérard Mortier.

« Fumisterie, attrape-nigaud, canular ».

Il ne s’agit pas de parler « graaavement » d’une œuvre, cher Obi Wan et surtout de celle-là mais elle mérite mieux que ces épithètes méprisantes. Mais que vous dire ?
Qu’en tout premier lieu, une œuvre, une manifestation artistique ne sort pas de terre comme ça, toute seule, de façon isolée. Je ne savais pas par quoi commencer pour tenter de vous répondre, mais se présentent parfois des circonstances « facilitantes ». Ainsi, j’ai beaucoup apprécié le fil « Mystique de la chair » où, ensemble à plusieurs participants, nous avons fait des voyages étonnants à travers les œuvres et à travers les âges, des rapprochements, des confrontations inédites. La « confrontation » est à la mode, soit, mais il faut reconnaître qu’elle entraîne souvent des réactions excitantes pour l’œil et pour l’esprit. J’étais, fin de la semaine dernière, à la Tate Modern, avec mes étudiants. On aime ou on n’aime pas le parti pris muséographique mais, au lieu de présenter chronologiquement les œuvres (uniquement du XXe siècle), le conservateur a choisi le concept très défendable de l’exposition thématique (ainsi, à tel niveau « le paysage », à tel autre « le geste », à tel autre « l’objet », et enfin « l’être humain »). Dans notre groupe de professeurs, il y avait une dame pas du tout au fait de l’art contemporain mais très avide d’en déchiffrer quelques bribes. Le premier pas dans la première salle nous place entre deux géants, un « colorfield » de Barnett Newman dans des rouges intenses et une sculpture d’Anish Kapoor, un volume épuré comme il sait en faire, une espèce de grande coque à demi-fermée, métal gris mat à l’extérieur, laissant voir par l’échancrure une surface laquée noir profond à l’intérieur. Et cette surface concave réfléchissait en le déformant le Barnett Newman d’en face(et nous avec). Troublante situation où l’on ne sait plus trop si l’on a affaire à deux œuvres ou à une seule. Le moyen de faire l’économie d’un petit cours d’histoire de l’art pour répondre à l’étonnement teinté d’incompréhension de notre collègue ! Nous nous y sommes donc tous mis (les étudiants, convaincus d’avance de toute façon, nous suivant ou non) et, pas à pas, salle après salle, avons démêlé pour elle, - et pour nous -, les racines, les influences, les prémisses, rhizomes circonstances, enchaînements, aller et retour entre continents, réponses, oppositions, règlements de compte, théorie, pratique et « tout le brol » comme on dit en Belgique. Dans une autre salle, un « Nymphéas » de Monet répondait à un Rothko peint exactement dans les mêmes harmonies colorées. La beauté pure : ravissement pour tous, moment de lévitation… Je vous passe le reste mais la journée fut excellente et la dame, décoiffée mais ravie.
Celui que je voyais, tel un peintre ou un poète, dans le tableau de Kaspar Friedrich dont parlait le fil évoqué tout à l’heure, je ne vois pas en quoi Jan Fabre ne pourrait en occuper la place aujourd’hui. Les nuages laiteux et tourmentés seraient peut-être remplacés par les fuligineuses vapeurs des enfers bruegéliens. Mais la Question est la même, éternellement. Que ce soit par le truchement d’un paysage dans la brume ou d’une « petite camionnette verte vue d’un avion » ou d’une descente dans les entrailles du métro toulousain. Un artiste, un écrivain nous donne à voir une façon d’être au monde. Et pas n’importe quel monde, le nôtre, celui d’aujourd’hui. Chaque époque a eu ses princes, une architecture pour ces princes, un mobilier, des moyens de transports, une peinture, une statuaire particulières, une sensibilité particulière. Ne croyez pas que « Le cri » ait été applaudi par les contemporains de Munch, rappelez-vous que Van Gogh a été rejeté par beaucoup de ses amis peintres et que la séduisante peinture de Whistler (à nos yeux d’aujourd’hui) fut moquée par Oscar Wilde.
D’autre part, vous ne liriez sans doute pas Nietzche en surveillant la cuisson de votre steak. Alors, vouloir appréhender l’entièreté de la démarche protéiforme de Jan Fabre par la lecture de quelques articles ou critiques, aller voir cette confrontation au Louvre sans s’être un peu documenté me paraît une entreprise à déconseiller.
Pour terminer, je ne suis pas une fanatique de cet artiste, loin de là. Mais je peux comprendre l’attirance pour l’alliage de l’obscénité et du sublime et en cela il est bien dans la lignée de Bosch et de Breughel et surtout de cette Flandre mystique et picturale qui, personnellement m’a toujours fascinée. C’est un homme (de chair, de sang, d’organes, d’excrétions) un ogre, (comme le terrifiant Gilles de Rai d’Hugo Claus), un « sauvage distingué ». Il vocifère « picturalement », et il est possible qu’il postillonne) mais comme notre grand Jacques, il a une tendresse infinie pour l’homme et ses misères. Je le crois un artiste sincère.
(À propos : le « caca » (Cloaca ?) c’est Wim Delvoye !)
Utilisateur anonyme
14 avril 2008, 16:35   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
J'ai même trouvé chez un antiquaire de Liège une boîte de conserve contenant le même "produit". Il n'y avait pas de date de conservation (alors je ne l'ai pas achetée, évidemment.)
Je vous admire et vous envie d'aborder tout cela avec gaité. Andy Warhol disait "L'art c'est la santé".
Hélas pour moi c'est plutôt la maison de santé où il faudra m'enfermer si je dois encore supporter des jets de spermes séchés et autres régurgitations distinguées.
A mon sens, c'est le cas de le dire, il y a une force qui vient d'une grande authenticité chez les Rothko, Van Gogh, Munch que vous citiez, chez tous les vrais artistes sincères qui n'ont pas besoin de mises en scène, commentaires, attitudes scandaleuses, pornographie, mouvements de mode ou d'affairisme pour exister totalement.
Jan Fabre au Louvre, cela me peine.
Et même cela me met en colère parce que je trouve cela facile, malhonnête, vulgaire, morne, déraisonnable, laid, immoralement coûteux. J'entends bien vos raisons mais il y a une limite à la bonne volonté, c'est quand il n'y a plus d'art, que du fabriqué ou du tordu, du débile.
Je pense aussi à tous les vrais artistes qui n'arrivent pas montrer leur art et qui en crèvent.
Merci beaucoup d'avoir pris toute cette peine pour répondre, ce n'est pas inutile, je compte et dois encore beaucoup en apprendre, ça c'est sûr !
Citation

Je pense aussi à tous les vrais artistes qui n'arrivent pas montrer leur art et qui en crèvent.

Vous en connaissez beaucoup, vous, des vrais artistes qui n'arrivent pas à montrer leur art ?
Utilisateur anonyme
14 avril 2008, 17:11   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
C'est en musique, à dire vrai, que cela me touche. Il suffit d'écouter la radio un peu tard pour s'apercevoir qu'il y a une quantité extraordinaire de talents qu'on n'entend jamais, dont on ne soupçonnerait même pas l'existence. Je suppose qu'en peinture il faut louer une galerie, faire de la publicité. Voulez-vous dire qu'un véritable artiste sera toujours reconnu parce qu'il y en a vraiment très peu ?
"Voulez-vous dire qu'un véritable artiste sera toujours reconnu parce qu'il y en a vraiment très peu ?"

Non, pas vraiment. A certaines époques, le nombre de grands artistes par rapport à la population de leur "lieu d'éclosion" a pu être énorme comparé à l'état des choses actuel. Voyez Florence à la grande époque de sa peinture (quelques dizaines de milliers d'habitants), Athènes au Vème siècle (la population du Luxembourg actuel, en comptant les esclaves), l'Allemagne musicale au XVIIIe.

Surtout, je me méfie beaucoup du mythe - créé par Murger - du grand artiste maudit, comdamné à la famine et reconnu génial après sa mort. Les grands artistes qui ont jalonné l'histoire de l'art occidental depuis le XIVe siècle au moins étaient célèbres dans toute l'Europe de leur vivant. Les deux exemples qu'on cite toujours, Van Gogh et Modigliani, sont absurdes. Vincent, lit-on presque partout, n’a jamais vendu de tableau ; évidemment, puisqu’il refusait de les vendre ! Toulouse-Lautrec, Gauguin et bien sûr son frère Théo l’ont poussé à vendre, mais il ne le voulait pas. Par ailleurs, lorsqu’il est mort, cela faisait moins de cinq ans qu’il avait commencé à peindre et malgré cela, il était reconnu par ses pairs et s’il avait tenu le coup quelques années de plus avant de se suicider, à trente-sept ans et pour des raisons qui ne sont certainement pas réductibles à son insuccès très provisoire, il aurait connu la gloire. Quant à Modigliani, il est mort de tuberculose et d’alcoolisme à peu près au même âge, au moment même où il commençait à être connu et à vendre. Et du reste, en quoi est-il anormal ou étonnant que, dans une période de révolution artistique permanente, d’inflation avant-gardiste, que l’avant-garde mette quelque temps à être reconnue ? Non, ce qui est étonnant, c'est au contraire l'extraordinaire rapidité, la déconcertante facilité avec laquelle les grands de l'art moderne sont devenus célèbres.
« Je pense aussi à tous les vrais artistes qui n'arrivent pas montrer leur art et qui en crèvent. »

Marcel Meyer a raison. Les artistes doués juste bons à crever, cela n’existe plus. Un artiste talentueux est assez facilement repéré par les galeristes, du moins en Belgique. Et, contrairement à ce que vous pensez, ce n’est pas lui qui assume les frais d’exposition (louer les murs comme on dit). C’est une règle absolue à moins que vous soyez un peintre du dimanche, auquel cas, vous irez sonner aux portes d’une galerie pour peintre du dimanche. La critique vous dédaignera et vous pleurerez parce que c’est injuste, vous vous aigrirez et vous racrapoterez ... Le bon galeriste observe une ligne de conduite, vous choisit parce que vous correspondez à cette ligne et « s’avance », règle les frais d’exposition, de publicité, vous présente dans les foires d’art actuel et ménage des contrats éventuels avec des galeries étrangères. Il se paiera sur les ventes desquelles il retirera un courtage sur lequel l’artiste et lui se seront mis d’accord, par contrat oral ou écrit. En échange, l’artiste s’engagera à ne pas exposer ailleurs dans un temps déterminé par le contrat ou selon certaines clauses et s’engagera aussi (sur l’honneur, oui, cela existe encore!) à demander le même prix à l’atelier qu’en galerie afin de ne pas faire de concurrence déloyale envers celui qui le défend comme on dit. Certains galeristes s’engagent à accorder des émoluments mensuels, moyennant quoi l’artiste lui laissera l’entièreté de sa production et refusera la moindre vente en atelier. Chacun a intérêt à se conformer au code d’honneur établi par les deux parties, dans le cas contraire l’un des deux, l’artiste le plus souvent est « grillé », le monde de l’art étant très petit. Voilà comment cela se passe du moins en Belgique.
"(...)chez tous les vrais artistes sincères qui n'ont pas besoin de mises en scène, commentaires, attitudes scandaleuses, pornographie, mouvements de mode ou d'affairisme pour exister totalement."

Quant à l’affairisme de certains artistes et même grands artistes, ce n’est ni un secret ni une nouveauté. Chacun sait que Picasso avait un grand sens des affaires ce qui ne remet pas en cause son œuvre. Giotto paraît-il était un homme d’affaires très dur, Rembrandt également qui revendait ses œuvres pour en faire monter la cote. (Je préfère me taire sur les vivants…)
Quant à vos larmes amères sur l’argent gaspillé (mais, aïe, ici le Colonel va me taper sur les doigts !) réservez-les à ce scandale qu’est le « cadeau » offert par la Belgique à la Chine à l’occasion des JO, je veux parler de ce gigantesque « machin » commandé à Olivier Strebelle qui coûte la peau des fesses et est une vraie offense pour le regard. Mais j’ai dit tout ce que j’en pensais il y a un an déjà...
Le scepticisme de M. Meyer et Aline face à l'artiste maudit me semble bienvenu. Cependant (étant de mauvaise foi, je resterai bref) certains essayistes autorisés, parmi lesquels Jean-Philippe Domeck ou Jean Clair qui devraient en toute logique avoir leurs entrées à l'In-nocence, vous démontreront que l'Art Contemporain, en tous cas en France, est un business soigneusement vérouillé par un tout petit monde, collusion des pouvoirs publics (incidemment, de gauche), la presse (évidemment, de gauche) et certaines "élites" (de gauche pour les intellectuelles, peu importe pour les financières). Je ne suis pas sûr que la démonstration soit sans mérite. Cela étant, il ne s'agit plus ici de "crever", plutôt de ne pas accéder à une certaine notoriété, ce qui est certes moins tragique.
Utilisateur anonyme
15 avril 2008, 21:07   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
« Je pense aussi à tous les vrais artistes qui n'arrivent pas montrer leur art et qui en crèvent. » J'aurais dû ajouter "moralement".
"Quant à l’affairisme de certains artistes et même grands artistes, ce n’est ni un secret ni une nouveauté." Je faisais allusion à l'affairisme du milieu.
Et au fond, pourquoi me gênerais-je pour le dire : comme l'écrasante majorité des gens de son temps et de son éducation, mon père aurait traité un Jan Fabre de trou du cul.
Mon père avait un talent très sûr pour trouver le mot qui résumait un individu.
Utilisateur anonyme
15 avril 2008, 21:59   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
Mon père avait un talent très sûr pour trouver le mot qui résumait un individu.

Toutefois, après avoir lu l'exemple que vous nous livrez, je me demande si l'expression de ce talent ne gagnerait pas à rester dans le cercle familial.
Utilisateur anonyme
16 avril 2008, 11:18   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
Notez, cher Alexis, que bien qu'il soit principalement placé au même niveau de l'anatomie, l'expression du talent de ce Fabre se propage lui dans le cercle mondial.
J'attendais, ici, un peu moins de Bienpensance, de formalisme (attention, tel peintre resté inconnu, Mozart enterré solitaire etc.), plus de bon sens et d'humour vis-à-vis de ce pitre et de ses suiveurs. Déception.
Il y a dans la page "Débats" du Figaro d'aujourd'hui un article écrit par Jean-Louis Harouel dont le titre, La vampirisation du Louvre par l'« art contemporain », dit assez bien ce qu'il pense de M. Fabre et de son art.

Curieusement, cette contribution n'est pas reprise par le journal en ligne.
Utilisateur anonyme
16 avril 2008, 12:22   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
Obi, Obi, le sens des valeurs, s'il vous plaît !
Notez, cher Alexis, que bien qu'il soit principalement placé au même niveau de l'anatomie, l'expression du talent de ce Fabre se propage lui dans le cercle mondial.
J'attendais, ici, un peu moins de Bienpensance, de formalisme (attention, tel peintre resté inconnu, Mozart enterré solitaire etc.), de bon sens et d'humour vis-à-vis de ce pitre et de ses suiveurs. Déception.


La remarque finement ironique d’Alexis aurait dû vous suffire et vous retenir d’insister lourdement, Obi Wan et de fournir encore et encore des justifications à vos excès et à vos propos filant en tous sens. Le manque d’empathie sur ce forum à vos aigreurs « fabriennes », quoi qu’en aient les autres intervenants (et même si en fin de compte vous aviez raison - mais pour de mauvaises raisons), ne justifie aucunement cette grossièreté dont vous semblez fier. La grossièreté n’est pas un signe d’indépendance vis-à-vis de la bienpensance. La bienpensance et les lieux communs, du moins en matière d’art sont de votre côté et l’on m’y reprendra à répondre à ce genre de mauvaise foi. Aussi, je termine cette conversation en vous disant : vous avez bien raison, Fabre est un imbécile et vous, à qui on ne la fait pas, le phénix des hôtes de ce bois.
Et comme disait un de nos illustres compatriotes, très bon peintre très mal pensant : « les suffisances matamoresques entraînent la finale crevaison grenouillère ».

(Voyez, cher Corto, les aimables compliments que vous m’adressiez hier soir sur un autre fil ne sont guère mérités !)
Utilisateur anonyme
16 avril 2008, 13:24   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
« La grossièreté n’est pas un signe d’indépendance vis-à-vis de la bienpensance. »

Bien sûr que non. Cependant, les trous du cul, ça existe. Et il n'est pas toujours besoin d'aller chercher dans les plis les plus fins de la plus haute pensée une saine réaction à un art qui n'en est pas. Parfois, même, et les exemples en sont très nombreux, une très haute pensée (pas si haute que ça, à dire le vrai) s'est entremise à défendre l'indéfendable.

(Je précise que je parle en général, et pas du tout de Jan Fabre.)
Utilisateur anonyme
16 avril 2008, 13:33   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
Je ne suis pas sûr de comprendre ce que vous voulez dire, Boris.
Toujours à mon avis qui n'engage que moi, cet étalage de bêtise ne vaut rien en tout cas aux valeurs morales. Que dire à un enfant, s'il vous plaît, de ça ? Comment lui inculquer, entre autres mérites, ceux de la retenue, du goût du beau, de la valeur de l'effort, du travail, du respect et de la pudeur (je ne dis pas pudibonderie) ?. Comment lui demander de respecter une société qui glorifie (la consécration par l'entrée au Louvre) cette conduite, cette imposture ? Il y aura sans doute visites massives des écoles. N'est-ce pas l'exemple d'un sommet de la déculturation ?
Je crois toujours qu'on a touché le fond, mais non, cela n'en finit pas.
Et je me sens bien seul pour le faire remarquer.

Dommage Marcel, cela aurait donné un peu d'air sur ce fil.
Utilisateur anonyme
16 avril 2008, 13:40   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
La grossièreté n’est pas un signe d’indépendance vis-à-vis de la bienpensance. La bienpensance et les lieux communs, du moins en matière d’art sont de votre côté et l’on m’y reprendra à répondre à ce genre de mauvaise foi. Aussi, je termine cette conversation en vous disant : vous avez bien raison, Fabre est un imbécile et vous, à qui on ne la fait pas, le phénix des hôtes de ce bois.

Là vous êtes petite Aline.
Utilisateur anonyme
16 avril 2008, 13:46   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
« Je ne suis pas sûr de comprendre ce que vous voulez dire, Boris.
Toujours à mon avis qui n'engage que moi, cet étalage de bêtise ne vaut rien en tout cas aux valeurs morales. »

Je suis désolé que vous ne me compreniez pas, Obi.

Mais je ne vous suivrai pas, si vous voulez à tout prix que l'art soit là pour être intelligent, et pour défendre les valeurs morales.
Le rapport entre art et morale n'est certes pas simple à cerner mais il y en a sûrement un. C'est du reste ce que pensaient quelques beaux esprits :

"Le bon n’est que le beau mis en action." (Rousseau)
"Deux qualités essentielles à l’artiste : la morale et la perspective." (Diderot)
"La peinture n’est que de la morale construite." (Stendhal)
"L’art d’à présent ne doit plus chercher seulement le beau mais encore le bien." (Victor Hugo)
"La puérile utopie de l’art pour l’art, en excluant la morale et souvent même la passion, était nécessairement stérile." "Le beau est fait d’un élément éternel, invariable, dont la qualité est excessivement difficile à déterminer, et d’un élément relatif, circonstanciel, qui sera, si l’on veut, tour à tour ou tout ensemble, l’époque, la mode, la morale, la passion. Sans ce second élément, qui est comme l’enveloppe amusante, titillante, apéritive, du divin gâteau, le premier élément serait indigestible, inappréciable, non adapté à la nature humaine." (Baudelaire)
Utilisateur anonyme
16 avril 2008, 14:19   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
Marcel, je savais que quelqu'un me ferait cette objection. je n'ai pas dit qu'il n'y avait aucun rapport entre art et morale, j'ai dit « si vous voulez à tout prix que l'art soit là (…) pour défendre les valeurs morales ».

Qu'il y a un rapport entre les deux choses, je suis le premier à le soutenir. Mais c'est un rapport qui est tout sauf simple et univoque. L'art est avant tout du côté du négatif, me semble-t-il.

Quant à "L’art d’à présent ne doit plus chercher seulement le beau mais encore le bien.", j'espère que vous me concéderez que cette phrase d'Hugo n'est pas ce qu'il a écrit de mieux ?!

Vous rendez-vous compte que tout ce que nous détestons vous et moi (si j'ose ainsi me mettre avec légèreté de votre côté), est du côté de la morale et du Bien ?
"Vous rendez-vous compte que tout ce que nous détestons vous et moi (si j'ose ainsi me mettre avec légèreté de votre côté), est du côté de la morale et du Bien ?"

Bien sûr, bien sûr, Jérôme, à condition de réduire l'éthique au degré zéro de l'intelligence, ce qui donne la "moraline", que Nietzsche, par opposition à la morale des Grecs qui provient d'une éthique, d'une réflexion personnelle, d'exigences à l'égard de soi-même, définissait comme une forme dégradée de la première par le judéo-christianisme qui lui substitue une série de règles formelles et de système de culpabilité, remplaçant du même coup la responsabilité individuelle par l'observance de recettes. Il y aurait donc entre éthique et moraline à peu près le même rapport qu'entre l'art et la musique de supermarché - ou les installations de Fabre.
Utilisateur anonyme
16 avril 2008, 14:59   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
Je ne peux que vous approuver.

(Mais qu'a-t-il donc fait de si improbable, ce Fabre, pour qu'on en parle tant ? Ce sont les tranches de jambon de Parme qui ne passent pas ?)


Je l'ai dit déjà très souvent, mais, Marcel, au supermarché, on entend Wagner… (en tout cas à Intermarché) !
Je retire volontiers ce «phénix des hôtes de ce bois » qui, j’en conviens, dépassait ma pensée, je n’avais pas l’intention de vous blesser. Je retire aussi la phrase d’Ensor, qui pourrait être mal perçue et qui était une boutade, malvenue sans doute, de Belge à Belge, le Maître ostendais ponctuant tous ses discours de cet aphorisme jubilatoire.
Mais je ne retire pas le reste, à savoir qu’il est pénible de discuter avec quelqu’un qui, en place d’argument, se contente de lieux communs ou d’épithètes injurieuses à l’égard d’un créateur. Il faut avoir, au préalable, la modestie d’entrer dans sa démarche, d’étudier son parcours, de s’intéresser d’un peu près à son œuvre en ses différentes formes et manifestations et de replacer chacune dans sa philosophie générale, aussi loin soit-il de nos goûts esthétiques. N'aimez pas Fabre mais ne mélangez pas votre répulsion avec la morale ou l'éternel "c'est facile" qui, habituellement ne me fait même plus réagir mais qui me fait voir rouge sur un tel forum.
"Mais qu'a-t-il donc fait de si improbable, ce Fabre, pour qu'on en parle tant ? Ce sont les tranches de jambon de Parme qui ne passent pas ?)"


(C’est peut-être le « Le Ciel des délices » qui ne passe pas chez Obi Wan, le plafond de la salles des glaces du Palais commandé par la Reine Paola !)
Aline, j'en suis bien désolé, mais je vais vous faire tourner à l'écarlate. Organiser un vaste chaos de pierres tombales au milieu de la salle où sont exposés les Rubens peints à la gloire de Marie de Médicis (ces oeuvres ne sont pas parmi mes Rubens préférés mais c'est une autre affaire), je trouve cela facile, moche, sans aucun intérêt, banal, dérisoire - dérisoire, pas "exprimant la dérision" -, nul, crétin, etc. Et je n'éprouve absolument pas l'ombre d'un besoin de justification de ce jugement, tellement il me paraît relever de l'évidence. Il va de soi qu'il ne concerne que cette installation précise.

Je n'ai pas oublié le beau texte que vous aviez posté sur l'ancien forum à propos du monochrome mais il ne me paraît en rien s'appliquer dans ce cas.
Utilisateur anonyme
16 avril 2008, 17:46   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
"Mais je ne retire pas le reste, à savoir qu’il est pénible de discuter avec quelqu’un qui, en place d’argument, se contente de lieux communs ou d’épithètes injurieuses à l’égard d’un créateur. Il faut avoir, au préalable, la modestie d’entrer dans sa démarche, d’étudier son parcours, de s’intéresser d’un peu près à son œuvre en ses différentes formes et manifestations et de replacer chacune dans sa philosophie générale, aussi loin soit-il de nos goûts esthétiques. N'aimez pas Fabre mais ne mélangez pas votre répulsion avec la morale ou l'éternel "c'est facile" qui, habituellement ne me fait même plus réagir mais qui me fait voir rouge sur un tel forum."

Comme le dit Marcel Meyer, il n'y a plus à discuter, cela dépasse les limites admissibles pour quelqu'un de raisonnablement constitué. Et cela s'ajoute à une vaste entreprise qui consiste à snober l'esprit humain au nom de l'art qui devient sacré, n'est plus discutable justement. Une des phrases les plus dictatoriales de la pensée actuelle est : "Le goût et les couleurs ne se discutent pas". Au nom de cette "Loi" tout s'équivaut, il n'y a plus d'harmonie, d'équilibre, n'importe quoi est toujours bon, il est devenu intolérable de le critiquer au nom de cette liberté absolue d'avoir son choix. La surenchère à l'originalité, au nouveau excuse, explique, exalte les pires laideurs. En architecture c'est désastreux car tout le monde et pas seulement les adultes consentants visitant l'expo Fabre doivent le supporter et pour longtemps.
J'aurais envie de dire : "Madame, gardez vos nerfs" comme l'Autre qui a gagné le jackpot avec ça.
Enfin, il faudrait s'entendre sur le mot Morale et ce n'est pas facile. Personnellement, je suis guidé par "Le petit traité des grandes vertus" d'André Comte Sponville qui a le mérite d'exposer clairement ce qu'est la Morale philosophique (existe en poche).
Placer un pneu sur un vieux frigo (authentique) , exposer 3 portes de garages de couleurs un peu différentes, appeler ça installation 1, installation 2, et 3, Untel Londres Paris New York en quadrichromie de luxe dans Beaux Arts est-ce moral ? Et moi aussi je finis par voir rouge quand on me sert que je suis un nigaud, un prétentieux, un moralisant, enfin un pignouf sans nom parce que je vois que l'on se moque de moi.

Mais c'est surtout que ces mensonges sont finalement déstabilisants pour la Raison, puisqu'on les proclame sans cesse comme étant le vrai et que celui qui le discute se met au banc de l'intelligentsia, soit du monde. Muray parle beaucoup de cette nouvelle dictature, un devoir de la non-conformité systématique qui en devient la conformité, notamment dans "Roues carrées".
Nous comprenons-nous mieux ?
Utilisateur anonyme
16 avril 2008, 18:08   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
Oui, bon, je ne voudrais pas que ma prudence second degré à propos de Jan Fabre me passer à l'insu de mon plein gré dans le camp de ceux qui le soutiennent bien-névidemment. Je ne voulais pas en parler parce que le connaissant trop peu, et c'était la seule raison à cette prudence. Cela dit, ce que j'en ai entendu l'autre soir à la radio (parce qu'il est aussi écrivain) ne m'incite guère à l'adoration a priori.

Mais j'ai, je l'avoue, beaucoup de mal à gober tout cru ce que j'ai lu sous la plume d'Aline : « Il faut avoir, au préalable, la modestie d’entrer dans sa démarche, d’étudier son parcours, de s’intéresser d’un peu près à son œuvre en ses différentes formes et manifestations et de replacer chacune dans sa philosophie générale, aussi loin soit-il de nos goûts esthétiques.  »

Il ne faut non plus exagérer, il n'est pas besoin, à chaque fois que l'on veut porter un jugement sur une œuvre, ou sur un œuvre, de passer une thèse sur l'artiste qu'on a sous les yeux. C'est ridicule. À ce moment-là, vous vous doutez bien que pas un des goûts que nous portons, nous tous ici, à la connaissance des autres, ne serait recevable. S'il faut être un maître du contrepoint à l'égal de Bach pour pouvoir l'écouter, et juger de la qualité de son œuvre, on est mal parti ! Ce que vous prescrivez-là, Aline, le faites-vous seulement pour Peter Eötvös, Wagner, et même pour Bellini, quand vous allez écouter leurs œuvres ? Qu'il soit question de modestie, je veux bien, mais il faut dire aussi que les artistes contemporains ont tout fait pour décourager la bonne fois du public ! Qu'il y ait, en retour, un léger soupçon, à leur endroit, ne me paraît que très légitime. Avouez tout de même que la modestie et la prudence n'est pas la première qualité de l'Art contemporain.

Et puis oui, il y a un retour de bâton ! Quoi de plus naturel ? Le discours de ceux qui soutiennent par principe la création contemporaine a été si faible, si malhonnête, si dérisoire, qu'il est tout à fait logique que le balancier aille peut-être parfois trop loin dans le sens inverse.
Deux sentiments symétriques ont puissamment contribué au naufrage de l'art contemporain :
- chez les professionnels, le complexe du conservateur d'Aix (celui qui est entré dans l'histoire pour avoir refusé, à la mort de Cézanne, une donation d'oeuvres de l'artiste parce qu'il les jugeait indignes de son musée) ;
- dans le public, la bonne volonté culturelle qui a longtemps poussé les bonnes gens à regarder avec des yeux ronds en se disant que c'était sûrement très profond.

Dans les deux cas, cela a poussé les gens à abdiquer tout jugement parce qu'on ne sait jamais ce que la postérité décidera et que tout vaut mieux que de passer - dans le futur pour les premiers, hic et nunc pour les seconds - pour un béotien, un pignouf, un crétin, un péquenaud inculte.

Mais cela ne prend plus, pour une raison très simple (en plus de l'extrême indigence de la plus grande partie de la production) : on ne peut plus se dire ou suggérer que si l'on n'adhère pas, c'est parce que l'on ne comprend pas (faute de culture, de finesse ou d'entendement) puisque les oeuvres sont désormais accompagnées d'un discours explicatif qui, comme le souligne Renaud Camus dans Commande publique, tend à se substituer à l'oeuvre, laquelle est alors ravalée au rang de prétexte à ce discours. Ajoutez à cela que le plus souvent ce discours est d'une platitude, d'une banalité à pleurer...
Utilisateur anonyme
16 avril 2008, 18:17   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
Il me semble qu'il est important de juger, quitte à se tromper.
Utilisateur anonyme
16 avril 2008, 19:21   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
Bon Dieu Boris, mais c'est à ça qu'ils veulent en arriver, et c'est valable dans TOUS les domaines, à ne plus avoir la liberté d'esprit de juger, de se tromper, donc de réfléchir, puisque c'est ça réfléchir, suspendre le temps, mettre en doute, peser, juger, revenir sur son jugement, y retourner.
Regardez avec l'immigration c'est exactement ça.
La Morale est le fruit de la pensée humaine depuis les anciens grecs, elle n'est pas un catalogue de lois, mais le résultat de mille réflexions et propose, à travers de multiples philosophes, écrivains, artistes, empereurs, ministres tout ce que l'homme à pensé pour qu'il soit mieux avec lui-même et avec les autres. La morale n'est pas parole elle est action. Elle est une contrainte librement acceptée parce que le fruit d'un choix libre et réfléchi.
Rien à faire avec la moralisation qui veut imposer aux autres ce que l'un ou un groupe trouverait bon.
Utilisateur anonyme
16 avril 2008, 19:22   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
Mais je suis parfaitement d'accord, Bon Dieu !
Rien à faire avec la moralisation qui veut imposer aux autres ce que l'un ou un groupe trouverait bon.
Ah oui, ça c'est très nouveau dans l'histoire des civilisations. C'est, on va dire, l'essence de la modernité.
Utilisateur anonyme
16 avril 2008, 21:36   Acting
Ohhhhhhhhhhhhhhhhhhhh…

Jean-François ! Mange ta soupe !
Utilisateur anonyme
17 avril 2008, 10:11   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
Riez, riez, et riez encore plus en lisant ceci : les gens quand ils entendent le mot de morale pensent cul. Ils croient qu'on veut mettre des bâtons dans les roues de leur brouette cantonaise. Voir ici avec leçon de morale HARD
17 avril 2008, 12:02   Un fameux brouet
euh... pardon, je crois qu'on dit "brouette japonaise". Veuillez rectifier. Merci.
Utilisateur anonyme
17 avril 2008, 12:39   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
En fait de leçon de morale hard, voici ce que l'on me répond :

WAT est temporairement indisponible,

nous sommes désolés pour la gêne occasionnée
et travaillons actuellement à la remise en ordre du service

> Merci de retenter d'ici quelques minutes.
> Si le problème persiste, merci de nous contacter.

Merci de ta compréhension.

L'équipe de WAT
Utilisateur anonyme
17 avril 2008, 13:06   Poetical terrorism
« Merci de retenter d'ici quelques minutes.
Si le problème persiste, merci de nous contacter.
Merci de ta compréhension. »

Et vous ne trouvez pas ça hard ?
Utilisateur anonyme
17 avril 2008, 13:26   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
Je vous sens tout frétillants ! Essayez comme ceci : [www.wat.tv]
Utilisateur anonyme
17 avril 2008, 23:57   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
Citation

Il ne faut non plus exagérer, il n'est pas besoin, à chaque fois que l'on veut porter un jugement sur une œuvre, ou sur un œuvre, de passer une thèse sur l'artiste qu'on a sous les yeux. C'est ridicule. À ce moment-là, vous vous doutez bien que pas un des goûts que nous portons, nous tous ici, à la connaissance des autres, ne serait recevable. S'il faut être un maître du contrepoint à l'égal de Bach pour pouvoir l'écouter, et juger de la qualité de son œuvre, on est mal parti ! Ce que vous prescrivez-là, Aline, le faites-vous seulement pour Peter Eötvös, Wagner, et même pour Bellini, quand vous allez écouter leurs œuvres ? Qu'il soit question de modestie, je veux bien, mais il faut dire aussi que les artistes contemporains ont tout fait pour décourager la bonne fois du public ! Qu'il y ait, en retour, un léger soupçon, à leur endroit, ne me paraît que très légitime. Avouez tout de même que la modestie et la prudence n'est pas la première qualité de l'Art contemporain.

Et puis oui, il y a un retour de bâton ! Quoi de plus naturel ? Le discours de ceux qui soutiennent par principe la création contemporaine a été si faible, si malhonnête, si dérisoire, qu'il est tout à fait logique que le balancier aille peut-être parfois trop loin dans le sens inverse.

La, j'avoue que je peux adhérer à chaque mot de Boris.
18 avril 2008, 09:22   Mais justement...
Qu'a fait Renaud Camus dans Commande publique, cher Marcel Meyer ? S'il observe que le commentaire envahit tout et se substitue à l'oeuvre, il ne dit pas que le commentaire soit inutile. Si l'art contemporain rebute, c'est que nous ne savons pas le voir, que notre regard n'a pas été éduqué par une longue tradition, à voir les oeuvres. La durée des siècles nous manque, entre autres choses. Je n'oublierai jamais les moments que j'ai passés avec un ami peintre dans une galerie, où il m'expliqua "le travail" de Hantaï, de Buraglio et de Sam Francis, devant les oeuvres de qui je serais passé sans leur accorder un regard s'il n'avait pas été là. Je suis d'accord avec Aline sur la nécessité morale de suspendre son jugement et de donner un peu libre cours à sa curiosité de voir et de connaître, et d'écouter ceux qui font passer, donnent à entendre, quelque chose de l'oeuvre proposée (ce que Wordsworth proposait aux lecteurs de récits fantastiques et de poèmes: a willing suspension of disbelief ). J'aurai recours à un autre exemple littéraire: ouvrez Les Fleurs du Mal et faites la part de la provocation gratuite, des signes trop extérieurs, trop visibles, de romantisme gothique, de satanisme de pacotille, de romantisme très tardif, socio-hugolien, et celle du génie et de l'innovation. Les deux sont liées, intimement fondues l'une dans l'autre, comme si la poésie de Baudelaire mettait en place les conditions de sa propre réception et de son propre rejet éventuel, sélectionnait a priori les lecteurs selon leur capacité à dépasser leurs préjugés du moment (il avait songé à intituler son recueil, en plein Second Empire aussi hypocritement moralisateur que "coquin", Les Lesbiennes). C'est un peu à cela que l'exposition de Fabre me fait penser: elle donne à entendre ce qu'il est facile d'entendre, claironne la provocation facile et convenue, comme pour induire en erreur la majorité du public et la faire passer à côté de l'art véritable. Enfin, il y a morale et morale, si je puis dire: celle qui fait juger de l'extérieur, a priori, une oeuvre sans la connaître, au nom de principes et de préjugés sociaux qui lui sont extérieurs, et celle qui enseigne à résister, en soi-même, à la force du préjugé et de la réaction à chaud. Ce que j'ai lu ici de Fabre se prête bien à cette distinction : d'une part, le "piège à bourgeois", ce qui manifestement est destiné à faire hurler tout le monde, la sotte transgression, cet "hommage des esclaves à leur maître, des croyants au dieu qu'ils récusent et des anarchistes à la loi" ; de l'autre, l'art véritable, qu'il est nécessaire d'aller voir, au moins pour vérifier s'il est bien là, comme Aline nous y invite dans sa première réponse à Obi Wan.
18 avril 2008, 12:00   Re : Mais justement...
Cette démarche dont vous parlez, cher Henri, et Aline, et aussi, jusqu’à un certain point Renaud Camus, m’est tout à fait familière. C’est celle que j’ai appris à avoir dans les années soixante, lorsque, adolescent puis jeune adulte, je découvrais les œuvres de Bartók, Alban Berg, Picasso, Kandinsky, Giacometti, Moore, etc. Elle m’a permis de passer – assez aisément dois-je dire – de la découverte à la familiarité et, bien souvent, à l’émotion intense.

Je peux dater très précisément la rupture. Lors d’une visite à la Fondation Maeght, en 1969 me semble-t-il, je suis tombé en arrêt devant deux très grandes toiles de Miró, exposées face à face : parfaitement blanches (pas de fond, c’est la toile qui est blanche), avec seulement, sur chacune d’elles, un trait noir ondulant en diagonale. Je suis resté assez longtemps, j’y suis même revenu, d’autant que j’aimais bien Miró, et je l’aime toujours bien. Rien n’y a fait, je n’ai ressenti ni émotion esthétique (les deux traits ne me paraissaient même pas élégants), ni admiration devant le travail, pas l’ombre d’une titillation de mon imaginaire et pas la moindre élévation spirituelle ; et puis je ne comprenais pas très bien la démarche. Je pouvais certes imaginer plusieurs discours accompagnant et justifiant ces deux toiles mais un sentiment s’imposait à moi avec la force de l’évidence : à quoi bon ? Car si, pour reprendre vos belles phrases sur les Fleurs du Mal et Fabre, un tel discours permettait de faire la part de la provocation gratuite, des signes trop extérieurs, trop visibles, d’écarter le "piège à bourgeois", ce qui manifestement est destiné à faire hurler tout le monde, la sotte transgression, cet "hommage des esclaves à leur maître, des croyants au dieu qu'ils récusent et des anarchistes à la loi", que resterait-il de ces deux toiles ? Rien, absolument rien du tout.

Quelques mois plus tard, alors que je visitais un grand musée d’art contemporain, je vis, accroché à une cimaise, un lavabo. Un lavabo tout nu, sans aucune fioriture, sans aucun traitement. Il était simplement, bêtement accroché là, tout comme il l’avait été au mur d’une quelconque salle de bains du temps où il vivait sa vie de lavabo. Je venais de découvrir le ready-made. Cette fois, je n’eus aucun mal à décrypter la chose. J’imaginai immédiatement qu’il y avait là un message du genre : « Il convient de s’interroger sur la nature de l’art car tout objet peut acquérir le statut d’œuvre d’art dans une situation donnée et sous un regard donné ». Je n’étais pas content du tout : l’idée qu’en guise d’œuvre d’art on me serve ce genre de propos de comptoir (comptoir d’un bistro d’artistes peut-être, mais comptoir quand même) dans un grand musée me déplaisait profondément.

Un peu plus tard, j’appris que Marcel Duchamp avait dès 1917 inventé cette provocation canularesque en signant et exposant un entonnoir à cidre qu’il avait déniché dans une grange, puis avec le fameux urinoir qu’il avait intitulé Fontaine. Eh bien, cher Henri, dites-moi donc quel peut-être l’intérêt, lorsque ce « geste » a été fait, de le répéter indéfiniment avec toutes les vieilleries ramassée dans n’importe quel dépotoir ? Ou encore, lorsque vous avez vu le lavabo une fois, de le voir une deuxième puis une troisième fois ? Iriez-vous à New-York pour le revoir ? Aimeriez-vous l’avoir dans votre salon, en reproduction, ou même, Grands Dieux, en céramique et en métal ?

Moi qui n’ai pas eu d’éducation catholique, j’ai dû apprendre à lire les signes dont sont parsemées les annonciations, les crucifixions, etc. Mais cet alphabet des signes, cet apprentissage iconologique, s’il est indispensable, n’est que le moyen d’accéder à l’œuvre. C’est bien pourquoi, en voyant deux crucifixion présentant à peu près les mêmes signes, je peux rester indifférent à l’une et entrer en résonance profonde avec l’autre ; c’est bien pourquoi, après avoir vu une centaine de crucifixion, je peux avoir l’envie d’en découvrir d’autres (pas le même jour peut-être…) ; c’est bien pourquoi je peux ressentir le désir de retourner à Florence en pensant à celle de Cimabue.

L’art contemporain, Dieu merci, ne se réduit pas à ces simagrées. La flamme vacille mais elle n’est pas complètement éteinte. Et devant une œuvre d’Anselme Kiefer par exemple, je peux éventuellement ressentir le désir d’écouter également les mots de l’artiste, même si je n’en ai pas forcément besoin. Devant l’installation des pierres tombales de Fabre, la toute dernière chose qui me viendrait à l’esprit, ce serait de prier Fabre ou un quelconque médiateur de m’en parler. Renaud Camus écrit que le discours accompagnant l’art a toujours existé et a toujours été nécessaire (il écrit cependant cela en prologue au constat dont je faisais état dans mon précédent message selon lequel le discours a aujourd’hui tendance, parfois, à se substituer à l’œuvre). Soit. Encore faut-il s’entendre sur ce que cela signifie. Connaissez-vous la cathédrale de San Geminiano ? Les fresques peintes, bien visibles (contrairement à la grande frise des panathénées du Parthénon, invisible du public et destinée à la Déesse), y racontent les principaux épisodes de la Bible aux fidèles . Il s’agit sans doute d’un support que le prêtre ou l’évêque pouvaient utiliser lors du sermon : qu’est-ce qui, dans ce cas, soutient quoi ? Est-ce le discours qui éclaire l’œuvre ou celle-ci qui éclaire celui-là ? Et puis tout de même, je reste très impressionné par l’injonction de Goethe : « Schaffe, Künstler, rede nicht ! » (crée, artiste, ne parle pas) : des œuvres, crénom d’une pipe, pas de bavardage !
Utilisateur anonyme
18 avril 2008, 15:04   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
J’avais déjà écris ceci en réponse à Henri avant votre intervention que je fais tout à fait mienne Marcel Meyer. Il y a donc des redites entremêlées.

"...l'art véritable, qu'il est nécessaire d'aller voir, au moins pour vérifier s'il est bien là, comme Aline nous y invite dans sa première réponse à Obi Wan".

Et bien il doit pas être là, l'art véritable, puisqu'à part des généralités Aline n'a pas pu répondre à ma question du début : "y aurait-il un côté intéressant de sa "création" et occulté par ses bizarreries spectaculaires que vous auriez déniché et que vous auriez aimé faire connaître ?

Vous admettrez que si l'art est dans un tableau monochrome, c'est qu'il est donc partout. En complément j'ajoute l'anecdote suivante : j'ai entendu à la radio Magritte lui-même expliquer son tableau Ceci n'est pas une pipe : "Un enfant comprend immédiatement que c'est le dessin d'une pipe rigolait-il, pas une pipe". C'est donc un canular de bas étage destiné à se moquer des gogos, des « bourgeois ». Mais est-ce bien honnête ? Car combien de personnes se sont prises la tête pour trouver le message, parce qu'ils ne pouvaient pas croire que la raison de cette mise en scène était une blague idiote et méprisante pour celui qui s'y intéressait de bonne foi.
Passe une fois, 10 fois, cent fois, mais à la fin, on se lasse. Ce qui devient de l'art, c'est le commentaire en effet, qui justifie, glorifie le tableau blanc, il réussit en effet à donner un mérite à RIEN.
Il y aurait ici beaucoup à dire et matière à se faire fort mal voir en parlant des Spécialistes qui guident le public. Je me bornerai donc à affirmer sincèrement qu'il en existe d'admirables.
C'est aussi l'art du culot ou d’une folie particulière. L'art pour beaucoup d'en profiter pour en faire leur gagne pain, leur fortune, leur gloire. Parce qu'il n'y a Rien. Rien... et l’imaginaire.
Pourquoi ne pas faire remarquer la coïncidence amusante de ce thème avec cette pensée de Proust ? :
« Tant de fois au cours de ma vie, la réalité m’avait déçu parce qu’au moment où je la percevais, mon imagination, qui était mon seul organe pour jouir de la beauté, ne pouvait s’appliquer à elle, en vertu de la loi inévitable qui veut qu’on ne puisse imaginer que ce qui est absent »

Il y a autre chose : le besoin de mystère commun à beaucoup d’humains, de magie et donc d’espérance, qui fait qu’elles veulent croire (le désir mène à la croyance - M.P ) en quoi que ce soit et pourquoi pas, non pas en en un miracle de l’art mais en un art miraculeux.
Vous atteignez des sommets dans votre dernier message Obi Wan!
S'il faut EN PLUS vous expliquer les subtilités magrittiennes, nous ne sommes pas sortis de l'auberge...
Chers Henri et Marcel Meyer, merci pour ces beaux messages auxquels je tenterai de répondre ce soir (comme à celui de Boris qui les précédait) , sans être sûre de pouvoir, ce qui est frustrant car il y en a des choses à dire! (Je lis tout ceci depuis mon lieu de travail et n'ai pas eu accès à mon PC depuis deux jours, sinon j'aurais déjà réagi).
18 avril 2008, 23:00   Re : Mais justement...
Je ne pourrai plus intervenir avant lundi soir, je dois donc « compresser » au maximum mes réponses aux différents messages. Je remercie infiniment Marcel et Henri d’avoir élevé le débat par leurs interventions courtoises, mesurées, érudites et argumentées. Cher Henri, je vous suis particulièrement reconnaissante d’avoir évoqué « Commande publique » et d’avoir ainsi rappelé par votre lecture attentive cette utilité que trouve Renaud Camus à « certains » commentaires pour l’intelligibilité de « certaines » œuvres, celles qui valent la peine et, heureusement, il s’en trouve. J’ai en effet parfois l’impression de ne pas avoir lu le même livre que d’aucuns. Renaud Camus, dans tous ses journaux, sans parler des œuvres plus spécifiques dédiées à la peinture, apparaît comme un fervent amateur d’art, à l’ œil incroyablement averti et d’une rare compétence dans le tri du bon grain au sein de la production contemporaine.

Cher Marcel, vous ne me choquez pas car je connais depuis longtemps votre honnêteté intellectuelle et j’espère tout de même que de nombreuses discussions passées (sur le premier forum) vous ont permis de constater que je suis moi-même fort sélective en matière d’art actuel. Si on me lit bien, dès le début du fil, je n’ai pas loué outre mesure Fabre et surtout l’installation Louvre dont je me doute bien que, tout en ne remettant pas en cause la démarche et la sincérité « en général » de l’artiste, je ne l’aimerai pas. Cet après-midi, nous l’avons évoquée avec mon collègue professeur de gravure mais nous avons réservé notre avis, réservant celui-ci pour notre visite là-bas. J’irai jusqu’à vous faire une confidence. Il y a quelques années, j’ai vu un Tannhäuser dont il était le metteur en scène : spectacle fort et dérangeant comme de bien entendu. Nos quatre amis qui nous accompagnent toujours ont beaucoup aimé. J’étais la seule finalement à être rétive (et la seule plasticienne de la bande !). Mais ce spectacle m’a poursuivie pendant des jours, semant des doutes, des enthousiasmes et des repentirs. Bref, il ne ma pas laissée indifférente et, dès lors que mon entourage était touché par la grâce de cette sauvage beauté, cela me poussait à m’interroger, naturellement.

Cher Boris, j’espérais que cette prescription de modestie, vous en saisiriez plutôt l’«esprit ». Sachant que j’avais peu de temps l’autre jour, j’avais, dès le début de mes interventions sur ce fil, pesé mes mots et ce n’est pas du tout par hasard si j’ai commencé ma réponse à Obi Wan par le récit de ma visite à la Tate. Pour parler à ma collègue curieuse des œuvres de Newman et de Kapoor (ainsi que de Picabia, Man Ray et Duchamp plus loin, en exposition temporaire), il était OBLIGATOIRE de remonter le temps, de les replacer dans les courants successifs de l’art du XXe. Et pour répondre à la question de savoir si je lis et me renseigne avant d’aller écouter un concert ou un opéra, je vous réponds OUI EVIDEMMENT. Curieuse question que la vôtre, je ne vous reconnais pas, ou c’est vous qui faites mine de ne pas me reconnaître. (Il y a donc des gens qui vont voir un Wagner, ou un Ligeti - comme je me réjouis d’en voir un la saison prochaine, « Le Grand Macabre »- de Ghelderode ?) sans se renseigner, lire un peu sur le sujet ? Comment profiter de sa soirée alors ? Plutôt que de m’embarquer dans de longs commentaires si tard et dans mon état de fatigue, permettez-moi et pardonnez-moi de recopier ici un message vieux de 2 ans qui avait pour sujet la musique contemporaine et les questions que je me posais alors ainsi que d’autres intervenants. Il s’agit d’une question particulière à laquelle vous n’avez pas très longuement répondu (ce que je comprends, vous étiez en plein déménagement). Qui s’inscrivait en parallèle d’autres interrogations sur la peinture contemporaine et qui finalemnt retrouve bien sa place dans cette conversation.



" J’ai mis le temps mais j’ai tout de même bien envie de réagir, même si je crains un peu d’énoncer des platitudes ou d’enfoncer des portes ouvertes car ce terrain me paraît infiniment plus incertain que celui de la peinture contemporaine, aussi je requiers votre indulgence.
Ne pensez-vous pas que la plupart de ceux qui rejettent la musique contemporaine ne le font que parce qu’ils n’en conçoivent l’accès que sous l’angle de la cérébralité (un peu comme les terrifiés du monochrome…)? Et que peu sont prêts à s’abandonner à la pure sensualité des sonorités et des instruments (seul moyen d’accès me semble-t-il quand on ne possède pas les notions techniques) ? Cette musique me désempare, en désempare beaucoup mais je ne connais personne dans mon entourage proche, tout désarçonné soit-il, qui conçoive le moins du monde le soupçon que le compositeur de musique contemporaine se moque du public. Ridicule et égocentrique, cette attitude supérieurement prétentieuse consistant à croire qu’un artiste n’aurait rien de mieux à faire que de perdre sa vie à se moquer de ses congénères ! Personne ne doute qu’elle possède une architecture secrète mais il semble qu’elle soit perceptible par les seuls musiciens ou les auditeurs très avertis. En ce qui me concerne, même si mes goûts ne me portent pas naturellement vers elle, je serais assez contente qu’on m’en donne quelques clés d’accès mais je ne connais aucun spécialiste dans mes connaissances. Et je ne suis sans doute pas prête à trouver le temps nécessaire pour me lancer seule dans cette initiation. Aussi, je suis très heureuse que mon abonnement à la Monnaie m’oblige à aller voir des opéras contemporains. Je suis en général ravie de l’expérience. Il faut donc que je sois un peu poussée dans le dos ou que je me trouve un but. C’est un peu comme pour les voyages : je n’ai pas la bougeotte et pour me décider à partir, je dois me donner un but à l’intérieur de ce voyage (tel tableau dans telle ville par exemple) ; je trouve très séduisante l’idée camusienne du voyage « sur les traces de… ». Vous dites que vous écrivez « pour quelqu’un ». Moi, pour peindre, je me donne ce que j’appelle un « petit moteur » (et cela a assez souvent à voir avec « pour quelqu’un »), une espèce d’amorce qui constitue l’entame du tableau, qui en génère la dynamique mais dont toute trace aura disparu une fois le tableau terminé. Pour vous donner un exemple, permettez-moi
(…)
Curieusement, par la suite, je n’ai plus écouté ces musiques qui pourtant avaient exercé sur moi leur effet de « commotion ».
Pour en revenir à mon abonnement, j’ai vu il y a quelques années, « Tri sestry » d’Eötvös. Ce fut l’une de mes plus belles soirées d’opéra. Mais il faut dire que la conjonction de tous les langages : sonore, visuel, chorégraphique, était de taille à entraîner le spectateur dans un monde irréel, ralenti, aliénant. Le secret de mon ravissement était sans doute là : c’était un spectacle total. Beaucoup de choses concouraient à l’enchantement. Cet opéra, chanté en russe, mis en scène par un japonais dans la tradition du spectacle kabuki, d’après le drame de Tchékhov « Les trois sœurs » raconte les péripéties de l’histoire en trois séquences, chacune d’elles exposant le point de vue d’un personnage (Iréna, Andreï, Macha). Et met successivement en lumière les sensibilités dans cette relation triangulaire. L’idée la plus inspirée de ce spectacle selon moi était le parti pris de faire chanter les personnages, les « âmes » des Sœurs par des hommes, des haute-contre vêtus de lourds kimonos, d’une beauté à couper le souffle, aux déplacements lents, aux gestes stylisés et plein noblesse. Le tout dans un décor de panneaux de papiers transparents. Et la musique, me direz-vous ? Eh bien oui, la musique, c’est bien là que j’ai du mal à vous expliquer la fascination qu’elle a exercée sur moi. C’est là que je manque de mots car, avec le temps, elle m’a échappé. Me reste le souvenir de sonorités rares, raffinées, de lignes mélodiques extrêmement pures qui semblaient abstraites, éthérées, renforçant l’idée d’un temps irréel, comme « voilé ». Je me souviens que chaque personnage était caractérisé par un instrument mais qu’ils chantaient parfois la même mélodie accompagnée d’instruments différents en fonction de l’effet que cette mélodie était censée faire sur le destinataire. Il y avait deux orchestres : un orchestre de chambre élargi, dans la fosse. Et un autre, loin dans les coulisses, une formation énorme qui n’intervenait qu’à certains moments.
Mais peu importe qu’elle m’ait échappé, sa puissance de rêverie n’est pas épuisée. Elle se propage encore dans ma tête. Je n’ai pas acheté le disque pour la réécouter. Qui sait si la magie opérerait encore ?
Aimez-vous Eötvös, cher Jérôme ? A l’époque, j’ai lu ou on m’a dit que cette œuvre était unique dans sa production, très différente des autres en tous cas. Je sais qu’on peut trouver tous les renseignements possibles partout où on le souhaite. Sur ce forum, la parole subjective a son importance. Et moi, comme beaucoup, j’aime entrer dans les œuvres par les chemins de la subjectivité.
Au cas où Eötvös vous inspirerait, j’aimerais que vous nous en parliez."


Je n’ai pas votre réponse mais voici la suite de ma requête :


« Merci cher Jérôme de m’avoir répondu (…)
Je ne parle peut-être pas des artistes auxquels vous pensez ici. En musique contemporaine comme en peinture, il existe de vrais créateurs, des créateurs sincères et des « suiveurs », cela me paraît une évidence. Je ne nie pas que dans les deux domaines on assiste souvent à une mise en scène de la provocation. Et la fameuse rupture n’est bien souvent qu’une nouvelle convention. Oui, on entend (vous avez entendu et j’ai la chance apparemment d’y avoir échappé en musique) des discours sans fin sur l’acte et les moyens, l’exhibition des moyens, l’auto dénonciation et l’intention et la conséquence…et blablabla. « Le discours, mon cul », disait une certaine Zazie ! Mais il doit bien y avoir des compositeurs contemporains qui, tout en se nourrissant à leurs talentueux prédécesseurs, parviennent dans un langage nouveau à nous dévoiler un « audible » possible (en référence au « visible » de Klee), une présence, une beauté ? Dans la pulpe des sons (comme en peinture la pulpe de la matière colorée), faire jaillir tous les sentiments : la sérénité, l’affliction, la joie, la répulsion, l’amour, la colère etc. ?

« Une écriture presque classique et "un son" parfaitement neuf ».

Voyez, vous le dites vous-mêmes et c’est bien de ceux-là que je parle. Croyez-vous que je veuille faire l’apologie de tous les « artistes »contemporains, vrais et faux ? Je crois, j’espère (car je n’en connais à vrai dire pas beaucoup mais je m’essaie à la disponibilité comme vous pouvez le voir) que les compositeurs d’aujourd’hui ne sont pas dispensés d’une parfaite maîtrise du langage musical. Et qu’ils peuvent, à l’instar des peintres qui ont pu se passer d’un sujet identifiable pour peindre le sublime, atteindre, à l’aide de sonorités neuves, d’harmonies inhabituelles « la beauté qui a du sens ».
Mais je suis bien contente d’apprendre qu’Eötvös ne vous parait pas une confiture sans fruit ni sucre... »
Utilisateur anonyme
19 avril 2008, 00:02   Re : Mais justement...
Alors là, permettez-moi de sauvegarder tout ce fil, car il faudra que je le lise et le relise pour en apprécier toute la richesse. Quant à Eötvös, vous en parlez si bien, chère Aline, que je pars dès demain à sa découverte.

Il y a dans Commande public tous les aspects que vous avez évoqués. Mais le passage qui n'a le plus troublé est celui où Renaud Camus, parlant de l'art contemporain, dit que, parfois, si l'on ôte le discours qui commente certaines oeuvres, l'on s'aperçoit qu'il n'y a, en réalité, plus d'oeuvre du tout.
Je vous remercie à mon tour, chers Aline et Marcel, de vos réflexions. Pour moi, j'ai toujours eu besoin d'un commentaire qui s'adresse à mon imagination pour entrer dans certaines rares oeuvres contemporaines, et ce fut toujours au prix d'un effort. Je vais naturellement, d'une nature très très acquise bien sûr, à ce que je connais et à ce que j'aime, et ce n'est presque jamais moderne, ce qui ne me fait pas conclure à la nullité de l'art moderne, mais à ma paresse. Dans Le château de Seix, Renaud Camus relate un concert où le public retrouve avec bonheur une musique telle que " c'était comme si la modernité n'était jamais advenue, ou qu'elle était une parenthèse désormais soigneusement refermée, pour le vif soulagement de tous. " Et plus loin: " De quelle qualité intellectuelle est cette émotion qui n'est pas nouvelle, et qui nous est offerte par des moyens assez peu novateurs ? Je n'en sais rien. Ce qui est nouveau, c'est que pour en juger ceci nous est égal, cela ne nous semble même plus pertinent. Nous sommes sereinement installés dans une apesanteur spatieuse, où le temps n'a plus son mot à dire ; ou bien, s'il peut encore parler, puisqu'il est bien difficile de le faire taire tout à fait, mieux vaut pour lui qu'il n'étonne ni n'agresse, n'innove trop fort ni ne soit trop abscons. Ariane renoue le fil qu'elle avait cru rompu pour toujours. Ouf, nous voici loin du monstre. Nous n'irons plus au labyrinthe. Restauration générale. On n'est plus obligé d'être de gauche, on n'est plus obligé d'être moderne. " (p. 53). Ce qui est évoqué ici, d'ailleurs, c'est moins une critique de l'art moderne que du devoir que l'on a fait aux amateurs de s'y intéresser, et de la modernité comme impératif catégorique de tout jugement de valeur en matière d'art (j'en ai trouvé la première expression - il y en a sans doute de plus anciennes - dans le Racine et Shakespeare de Stendhal). Je crois que les textes d'Aline comme ceux de Renaud Camus font voir les oeuvres sans que leurs auteurs se croient contraints de les examiner pour la seule raison qu'elles sont récentes. " Serait moderne - non tant ce qui se distingue de l'ancien que ce qui cultive cette distinction et la poursuit pour elle-même, comme une valeur en soi, qui n'a pas à être discutée ni rapportée à quoi que ce soit d'autre. Ce ne serait pas tel ou tel contenu qui définirait la modernité ainsi conçue, que le soupçon jeté sur tout contenu stable ou hérité et la recherche incessante du nouveau. " (François Ricard, La génération lyrique, p. 159) Le récent débat a peut-être opposé ceux qui critiquaient la notion de modernité, et ceux qui parlaient d'art sans aucune référence à une idéologie moderniste.
Mais précisément, ce que je reproche le plus à l'art contemporain, c'est qu'il me frustre de modernité. Jusque dans les années 1840-1860, l'art et la littérature que lisait, regardait, écoutait le public étaient ceux du temps. Il n'y avait guère que les professionnels pour s'intéresser à la production du passé. Les plus célèbres compositeurs, coqueluches de l'Europe entière, tombaient dans l'oubli dès que leur manière, leur style étaient passés de mode. La Palatine se plaignait à son royal beau-frère parce que, trois mois après leur création, il chantait encore les airs d'opéras qu'on avait composés pour lui. Durant le même Grand Siècle, lorsque le général Vénitien Ludovic le Maure apprend d'un espion que les Turcs utilisaient le Parthénon comme poudrière, il n'hésite pas un instant à le bombarder bien qu'il soit conscient de ne pas pouvoir occuper Athènes durablement, et la terrifiante explosion du plus célèbre monument du monde, parvenu jusque-là à peu près intact après vingt-deux siècles d'existence, lui tire une réflexion vaguement mélancolique dans la lettre triomphale qu'il envoie au doge auquel il succédera bientôt, en grande partie grâce à cet exploit. Et combien de monuments magnifiques n'a-t-on pas détruits, déconstruits pierre à pierre pour les remplacer par des bâtiments modernes, à la mode du temps ?

Le romantisme, en s'intéressant au Moyen-Âge, a introduit l'habitude radicalement nouvelle, qui nous paraît la seule légitime, de révérence des oeuvres du passé. Fort bien, évidemment. Mais la fuite de l'art du XXe siècle et notamment de sa seconde moitié, non dans la modernité mais dans l'inflation avant-gardiste à brisé le lien entre lui et le public. M'entendez-vous Henri ? Je dis non dans la modernité, qui suppose accord entre l'art du temps et un public avide de nouveautés, mais dans un ailleurs pensé comme d'avant-garde mais qui se retrouve bientôt tout simplement ailleurs tout court. Et le résultat c'est que nous sommes frustrés de modernité (ou plutôt de contemporanéité, mais peu importe). Je ne m'en remets pas.
Il m'est arrivé récemment d'emprunter à trois reprises le métro de Toulouse (de Balma Grammont à Marengo, deux fois; et de l'autre terminus, dont j'ai oublié le nom, près du Mirail, à Marengo). Je m'étais promis, en entrant dans ces stations ou en en sortant ou en déambulant dans les couloirs (il faut se distraire !) que je comparerais ma propre expérience esthétique (ce que je voyais ou aurais vu de ces "oeuvres d'art") à ce qui en est dit dans Commande publique. Eh bien, j'ai eu beau ouvrir les yeux, et grand, chercher ici ou là (je n'ai pas osé me renseigner auprès de quelques employés rencontrés près des péages ou des voyageurs pressés ou égarés), je n'ai trouvé aucune de ces oeuvres d'art. Elles sont bien cachées. Je crois que si elles s'y trouvent encore (et je l'ose espérer), il faut savoir où elles se trouvent pour les voir - ce qui n'est pas le cas de statues érigées sur une place publique ou dans un jardin public, même si ce ne sont de modestes bustes de grands hommes ou de poètes.
En revanche, le commentaire ou l'analyse qui en fait dans Commande publique m'a semblé bien supérieur à ce que j'aurais pu en voir : "faute de la chose, mettez le mot". C'est ce que j'ai été contraint, malgré moi, de faire. Ce sont surtout les quatre dernières pages qui sont éblouissantes - là où le sens de ces oeuvres (invues ou invisibles) est révélé : une sorte de théâtre, sous la terre, de "notre désarroi scrutateur". Oui, l'art caché, qui nous est révélé par le commentaire d'un écrivain : je n'ai pas été déçu par ce que je n'ai pas vu, mais illuminé par ce que l'en ai lu. C'est un raccourci de l'expérience esthétique. Saurions-nous voir Vermeer sans Proust ? Ou la plaine du Pô immergée dans la nebbia sans les films italiens ?
Tout ça pour dire, comme le dit Jean Clair dans Malaise dans les musées, que l'art, pour être regardé et apprécié, suppose de vraies connaissances, lentes à acquérir ou à assimiler, une réflexion quasiment philosophique, une longue familiarité (comme la littérature d'ailleurs : il faut savoir la langue - et même le haut langage - dans laquelle sont écrites les grandes oeuvres littéraies) et que l'immédiateté, la "sensibilité", l'émotion ne sont invoquées que pour cacher le mépris de l'art.
Puisqu'il a été question de Ian Fabre, ce qu'il fait (et qui me fait hausser les épaules ou rigoler franchement) est incompréhensible si on ne le refère pas aux vieilles thèses de Schopenhauer, in Le monde comme volonté et comme représentation : l'homme n'est que barbaque; l'art que l'on expose dans les musées ne serait qu'un produit de la barbaque qu'il est. Enfin, Fabre, c'est de la sous-philosophie pour élèves de classes terminales qui manifestent dans la rue pour exiger "plus de profs", donc moins de savoir.
Utilisateur anonyme
19 avril 2008, 11:36   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
« Enfin, Fabre, c'est de la sous-philosophie pour élèves de classes terminales qui manifestent dans la rue pour exiger "plus de profs", donc moins de savoir. »

Oui, c'est bien ce qu'il m'avait semblé, à écouter ses écrits.
J'apprécie votre rectification, cher Marcel Meyer, sur le terme modernité. Et je lis avec inquiétude le message de M. JGL, car la lecture de Commande publique m'avait donné envie d'aller voir ce métro de Toulouse, et même d'y emmener des élèves! Mais bon, s'il n'y a rien à voir...
Utilisateur anonyme
19 avril 2008, 23:52   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
Mais, cher JGL, vous êtes sans doute le seul à n'avoir pas compris que "Commande publique" est un roman. Qui serait assez fou pour mettre des oeuvres d'art dans un métro ?

Quant à cette phrase magnifique :
Citation

En revanche, le commentaire ou l'analyse qui en fait dans Commande publique m'a semblé bien supérieur à ce que j'aurais pu en voir

n'est-elle pas extraite de Bouvard et Pécuchet ou du Journal des Goncourt ?
Utilisateur anonyme
20 avril 2008, 10:25   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
Dommage que dans ce fil passionnant qui s'en va doucement couler vers son destin on n'a pas abordé le thème de l'Art comme possible substitut au divin. Proust le laisse supposer mais sa discrétion au sujet de la croyance en Dieu ne me permets pas, mais je suis loin d'avoir tout lu, d'avoir son sentiment profond. Il y a je crois plus d'une trentaine de livres de sa correspondance.
Personnellement, je serais tenté d'étendre l'art à la nature, comme création par la vision de humaine. La nature me remplit, comme je me sens rempli, gratifié en sortant du musée d'Orsay ou d'un concert magnifique, par exemple. Peut-être comme le croyant qui sort de la messe.
Utilisateur anonyme
20 avril 2008, 16:29   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
Mais c'est très simple, cher Obi Wan. Il suffit de demander à M. Meyer de placer ce fil en tête de gondole...
Utilisateur anonyme
20 avril 2008, 16:42   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
Oui, mais il paraît que…/// / / ///// ////// /
Utilisateur anonyme
20 avril 2008, 17:51   Re : Acts of poetical terrorism au Louvres, hélas.
Non, je ne voudrais pas forcer le débat. Il y aura sûrement une autre occasion, merci.
Tout ça pour dire, comme le dit Jean Clair dans Malaise dans les musées, que l'art, pour être regardé et apprécié, suppose de vraies connaissances, lentes à acquérir ou à assimiler, une réflexion quasiment philosophique, une longue familiarité (comme la littérature d'ailleurs : il faut savoir la langue - et même le haut langage - dans laquelle sont écrites les grandes oeuvres littéraies) et que l'immédiateté, la "sensibilité", l'émotion ne sont invoquées que pour cacher le mépris de l'art.

Merci, cher JGL pour cette indispensable mise au point.

« L'art contemporain, tel du moins qu'il est représenté à Plieux, a tendance à désarçonner à tel point certains de nos visiteurs, pour peu qu'ils aient omis de suivre l'un ou l'autre des épisodes précédents de l'histoire de l'art, depuis Cézanne ou Mondrian, mettons, Schwitters ou Malevitch, Duchamp ou Beuys, qu'ils croient facilement à une plaisanterie – autant dire une mauvaise plaisanterie. Faute de s'être vu offrir plus tôt d'autres occasions d'établir avec lui une certaine familiarité, peut-être ; faute d'intérêt, de désir ou de curiosité de leur part dans le passé, sans doute ; faute, surtout, d'avoir entretenu avec assez de soin leur système personnel d'information, ces personnes sont tellement surprises par ce qui leur est montré qu'elles crieraient facilement au scandale, et croiraient volontiers, comme la fameuse Mme de Pourtalès à la première audition du Sacre, en 1913, qu'on a décidé de se moquer d'elles. C'est l'art contemporain dans son ensemble, parce qu'elles ne lui trouvent pas d'autre explication, souvent, qui est assimilé par elles à la farce, quand ce n'est pas aux farces et attrapes, à la provocation, voire à l'escroquerie. »
(Discours de Flaran, Renaud Camus)

« Dommage que dans ce fil passionnant qui s'en va doucement couler vers son destin on n'a pas abordé le thème de l'Art comme possible substitut au divin. »

La question (passionnante) de l’Art comme substitut au divin s’est posée jadis dans l’ « ancien forum ». J’ai eu le plaisir de participer à un fil de discussion qu’hélas je n’ai pas archivé. J’avais avancé pour ma part, - ce n’est pas très original dit de cette façon et sans les développements qui ont suivi - que le sacré était antérieur à la religion, aux religions qui l’ont confisqué à leur profit. Et, qu’in fine, l’art en tant qu’expression de cette quête éternelle, inassouvie, de ce qui nous dépasse, qui nous échappera indéfiniment serait un moyen élaboré par l’Homme pour échapper à la fatalité de la mort. Je ne parlais pas des ridicules simulacres de l’art officiel d’aujourd’hui, des petites pratiques de suiveurs incultes ou « semi-cultivés ». J’ai, peut-être à tort, une conception fort romantique de l’artiste. Car cette quête de vérités fondamentales, toujours réactivée par les artistes, je prétends quelle n’est pas éteinte. Qu’heureusement, des voix singulières en littérature et en arts continuent de se faire entendre, dont celle de Renaud Camus qui, loin des postures et des théories à la mode, nous réinventent sans cesse le monde.
Mais laissons parler l’auteur puisqu’en principe, sur ce site, nous sommes tous ses lecteurs. Et continuons, en ce qui concerne ce sujet, de lire ou relire le superbe « Discours de Flaran », le tout premier texte qu'il m’ait été donné à lire de lui. J’admirais déjà ces artistes dont il parle, la lecture de ce discours m’en a donné une perception plus fine et plus haute. (Je suis incapable de décrire l’effet bouleversant qu’il a eu sur moi).

[…] »C'est parce que l'art contemporain a quelque chose à voir avec le rien ; c'est parce que l'artiste, comme l'écrivain – on le sait au moins depuis Ulysse, depuis le cyclope et l'épisode de la caverne – a quelque chose à voir avec Personne, avec Ce qui n'a pas de nom, autant dire avec Dieu, mais aussi avec l'Innommable ; c'est parce que Personne et le rien ont quelque chose à voir – mais qu'y a-t-il à voir, justement ? –, avec le sacré ; c'est pour toutes ces raisons, qui bien entendu n'en font qu'une, qu'il me semblait particulièrement désirable, et opportun, que la collection de Plieux fût accrochée ici, dans cette église aux volumes admirables, à la spiritualité presque intacte, pleine de beaux abîmes pour l'espace, pour le vide, pour l'œil et pour le pas.
Si cette exposition avait un thème secret, bien peu secret, ce serait à peu près celui-ci : que serait pour nous un art sacré, aujourd'hui ?


La suite :

[www.renaud-camus.org]
21 avril 2008, 20:53   Re : Pour Corto: "Tri sestry"
Cher Corto,
Il existe un enregistrement de cette inoubliable soirée. Je croyais en avoir le DVD car il a été diffusé sur « la Deux RTBF » mais je ne l’ai pas en fin de compte. (Je me serais fait un plaisir de vous le faire parvenir). Voici un lien pour en découvrir la distribution :

[carmen.demunt.be]
Utilisateur anonyme
23 avril 2008, 08:12   Anatomie des vanités
"Il est inutile de parler ici de ceux qui font profession des arts : on peut les nommer les mignons de ma Philautie, les favoris de l'amour-propre. Ces gens-là ordinairement idolâtrent leur petit mérite, et ils cèderaient plutôt une terre de leur patrimoine, que d'avouer qu'ils manquent d'esprit. Les comédiens, les musiciens, les orateurs, les poètes, oui, voilà les meilleurs amis de Philautie ! Plus ils sont malhabiles, plus ils s'imaginent exceller dans leur art ; et prévenus ainsi en leur faveur, ils sont toujours sur leurs louanges. N'allez pas croire qu'ils manquent d'approbateurs : il n'y a point de sottise, quelque grossière qu'elle soit, qui n'en trouve. C'est dire trop peu : à proportion qu'une chose est opposée au bon sens, à proportion rencontre-t-elle des admirateurs ; ce qui est le plus contraire à la droite raison, c'est cela même après quoi on court le plus avidement. Demandez-vous pourquoi ? Je vous l'ai déjà dit, presque tous les hommes sont fous."

Erasme - L'éloge de la folie (Trad. de Gueudeville)
Utilisateur anonyme
23 avril 2008, 10:38   Au musée de l'Erotisme
Musée de l’Erotisme !

Entretien avec Alain Plumey, conservateur du Musée de l’Erotisme, 72 boulevard de Clichy, Paris 18e.
• Comment est née l’idée d’un Musée de l’Erotisme ?
- Elle est née dans deux têtes malades d’érotomanes obsédés qui collectionnaient des érotiques. Les collections, ça déborde, c’est une vraie maladie. Pour s’en soigner il faut les donner, les offrir au public et c’est ce qu’on a fait. On a visité les musées homonymes, ou homologues d’Europe, on s’est enquis de la marche de ces établissements. On a fait ensuite ce qu’on appelle une « étude de marché » et l’entreprise nous a parue viable. On a été dynamisés par le succès de l’exposition de Beaubourg, « Féminin Masculin le sexe de l’Art ». Ca nous a vraiment encouragés à tenter l’aventure et mon pote et moi on a donc cherché un financement et on a créé ce musée. Sans être prospères on est viables, l’accroissement de la notoriété se fait doucement mais sûrement. Donc on va pouvoir accroître les fonds permanents du musée, disposer de plus de moyens pour la communication et continuer à se développer.
• Qui visite le Musée de l’Erotisme ?
- On reçoit environ 150000 visiteurs par an et parmi eux il y a une majorité de femmes, ce qui n’est pas étonnant ! 60% de touristes étrangers et 40% en hexagonal, francilien, parisien. Mais bien sûr les parisiens boudent un peu parce que comme on est à Pigalle il y a des a priori : quartier pas convenable, donc un établissement, même à prétention culturelle… Ca c’est l’un des freins du lieu, que l’on dépasse par les retombées médiatiques, les commentaires sur notre travail, la qualité et l’intérêt qu’il suscite et la reconnaissance en bout de chemin de notre travail.
• Arrive-t-il que certains visiteurs se disent choqués par les œuvres exposées ?
- Oui c’est arrivé. On avait fait une expo avec un infographiste qui montrait les images les pires du Web – et tu peux imaginer ce qu’est le pire du Web – c’était une exposition ponctuelle qui se voulait vraiment dérangeante et trash. Oui c’était très trash. J’ai vu des visiteurs partir incommodés après avoir vu quelques planches de cet artiste. Enfin, en temps normal, excepté des expositions aussi choc, je n’ai jamais vu quelqu’un d’incommodé. Pour la prochaine expo on va présenter des cires anatomiques d’organes génitaux atteints de MST. Cela va sans doute provoquer des malaises, des dégoûts et des nausées, ça j’en suis sûr. Ce sont des pièces qui étaient présentées dans des fêtes foraines et qui ont déplacé des foules considérables. Les gens veulent tout voir et tout savoir, le pire comme le meilleur. Et le pire parfois, ils le reçoivent mal.
• Tu crois donc quand même que l’on peut tout montrer, du moment qu’on le fait avec humour et esthétisme ?
- Oui, c’est évident. Quand quelque chose est esthétique et rigolo, cela devient grand public.
• On peut donc vulgariser l’art érotique ?
- On peut tout vulgariser. Il suffit de communiquer à travers les médias destinés à un très vaste public et l’on peut vulgariser, dans le sens où l’on fait partager au plus grand nombre, pas seulement à des intellos ou au gratin parisien, c’est évident. « Vulgariser » n’est peut-être pas le terme approprié. Je poserais plutôt la question : est-ce que l’on peut sensibiliser à l’art érotique ? Oui, on le sait. Le succès des érotiques de Picasso est une vulgarisation de l’art érotique. Ca montre aux gens qu’on peut figurer des émotions sensuelles et que ce n’est pas réservé aux seules personnes dites autorisées autour du thème. Tu sais que le musée de Naples n’a pas été accessible au grand public pendant plusieurs siècles alors que tout homme a droit à l’information et à l’émotion. Et c’est là que la vulgarisation m’intéresse.
• Dans ce cas, l’emplacement du musée à Pigalle n’est plus un frein comme tu le disais tout à l’heure mais plutôt un atout ?
- C’est de toute façon un vecteur de vulgarisation puisque c’est un quartier qui draine une population touristique importante et il vient dans ce musée des gens qui ne sont jamais allés dans aucun musée auparavant. Et dans ce sens je suis très fier d’être à l’origine de ces premières visites de ces gens qui apprennent à découvrir et à regarder des sculptures et des tableaux. C’est une espèce d’initiation à la figuration muséologique et à l’histoire de l’art. Le thème est un peu monomaniaque il est vrai mais en même temps il ouvre sur toute forme d’art.
• Les gens confondent souvent « vulgarisation » et « vulgarité ». Peut-on parler de vulgarité en matière d’art ?
- Oui, absolument. Cela dit la vulgarité à mes yeux ne réside pas dans la figuration de l’intimité de l’espèce. La vulgarité, elle figure dans la prétention, elle figure dans la marchandisation de l’art, dans la prise d’otage faite par les officiels de l’art et du regard qu’on doit en avoir… Elle est là la vulgarité - et c’est même de l’obscénité – dans l’escroquerie de certaines formes d’art conceptuel. La vulgarité, on en a partout. Moi je dis qu’une grosse part du travail de César est vulgaire. Quand tu ne traites plus l’art avec émotion, avec authenticité et sincérité, et que cela devient simplement un produit à travers lequel se reconnaît une pseudo élite d’oisifs branleurs, à ce moment-là on peut parler de vulgarité. S’il s’agit de montrer une bite, des couilles ou une chatte, c’est pas là que se situe la vulgarité. Tous ces détails anatomiques mis en scène peuvent être traités avec humour et peuvent devenir des œuvres d’art à part entière. La vulgarité elle est bien dans la sottise, dans l’orgueil et dans la cupidité.
• Et la perversité, elle commence où ?
- La perversité, elle commence au seul sentiment de culpabilité. Elle est là. Dès qu’il y a culpabilité, où que ce soit, on peut dire qu’on a mis un pied dans la perversité.
• Pour toi il n’y a donc pas de définition objective de la perversité ?
- Si, il y en a une, elle est relative aux us et coutumes de chaque époque, aux interdits de chacun, aux interdits de la loi uniquement ou sinon de la religion, mais là on tombe dans des choses pas sérieuses… Donc aux interdits des autorités en place effectivement définis par là, par le cadre des lois. Pour le reste, d’un point de vue individuel et pervers, une personne dont les actes sont condamnables… en vertu de quoi ? En vertu de la loi et de la conscience individuelle. Si on franchit l’interdit « ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse » on a là aussi une forme de perversité.
• Quels sont les tabous d’aujourd’hui ?
- En France, parler de son salaire.
• Et la pédophilie ?
- C’est effectivement le grand tabou en ce moment, parce qu’on a remué la boue à ce sujet. On a fait figurer au musée une œuvre que les gens ont regardée comme connotée de pédophilie et on l’a retirée immédiatement. Parce que on ne peut pas faire figurer d’enfants. On occulte l’érotisme des enfants, la sexualité des enfants, on veut les regarder comme des anges. Bien sûr cela contredit toutes les études faites à ce sujet. La sexualité concerne pourtant l’individu dès sa naissance.
• A côté de cela le SM passe plutôt bien ?
- Pas dans les extrêmes. Mais le SM est un fait de société, c’est une fashion attitude. C’est aussi un moyen d’entretenir des relations intimes avec une sexualité safe, il n’y a pas de pénétration d’organes génitaux, pas nécessairement, rarement. C’est une espèce de substrat de sexualité. Mais comme l’image du SM a été exaltée avec les canons californiens ou que sais-je, on retrouve et on retourne aux us et coutumes tribales et le port d’insignes symbolise l’appartenance à des clans ou à d’autres. C’est très grégaire, c’est très humain, donc ça appartient à l’espèce.
• L’art peut-il être une réponse aux problèmes tels que l’homophobie, le sida ou l’excision ?
- L’art n’est une réponse à rien.
• Une question alors ?
- L’art n’a d’existence que s’il est vendu. Donc c’est un produit, avec des techniques de vente et de promotion. Est-ce que l’art est utile ? Est-ce qu’il doit l’être ? S’il a une fonction, laquelle ? C’est une très vaste question. Je ne me souviens plus de qui disait que la fonction de l’art, c’est de rendre la vie plus intéressante que l’art, j’aime bien. Souvent l’art est une expression des goûts hypertrophiés, une revendication d’honneur, de reconnaissance. Les artistes sont de grands gosses qui sont toujours à la quête de la reconnaissance de leur maman. Ca commence par un petit dessin, ça se prolonge à la maternelle avec des cadeaux faits avec des boîtes de camembert. Il y a une attitude mégalomaniaque, égocentrique et très souvent pathologique chez les artistes. Donc à voir avec beaucoup de réserve. C’est le même phénomène que les top models ou que les stars du football. Et bien souvent les artistes qui accèdent au succès de leur vivant sont de bons marchands. Dali a décliné le multiple, Picasso s’est largement foutu de la gueule du monde, on l’encense et quand on pense que c’est prétendument l’artiste, et le seul, qui laissera son nom dans l’histoire du vingtième siècle, moi je m’interroge. Maintenant tu vois la déclinaison qui en est faite par les héritiers…
• C’est une question de business.
- Est-ce que l’art doit être gratuit ? L’art a besoin de mécènes, c’est très ambigu. Dès que l’argent atteint quoi que ce soit, l’argent pourrit. Est-ce qu’on doit pour autant s’attendrir sur les artistes maudits, sur des Van Gogh qui finissent dans la misère et dont on revend les œuvres quelques décennies après pour une fortune ? Je n’en sais rien, je n’en sais strictement rien.
• Est-ce que l’art reflète les pratiques d’aujourd’hui ?
- L’art reflète ce qu’il a envie de refléter à travers la volonté de l’artiste. Si l’artiste prétend vouloir passer des messages de situations, d’états contemporains ou imaginaires. L’art a souvent été aussi un vecteur d’onirique. Est-ce qu’il y a un onirisme d’aujourd’hui, un onirisme d’hier ? Très certainement.
• En disant cela je pensais à Wilde qui disait, contrairement à Aristote, que l’art ne devait pas imiter la nature mais que la vie devait imiter l’art.
- Oui mais en même temps il dit ce qu’il veut ! Et souvent, on fait des belles phrases pour faire l’intéressant. Ca c’est un des trucs des auteurs. Imiter la nature, c’est l’académisme.
• Mais si l’art n’est qu’une reproduction…
- De toute façon l’art ne peut qu’imiter la nature puisque l’homme est un animal et qu’il appartient à la faune planétaire, il ne fera rien d’autre que des choses très naturelles. Après reste à savoir ce que l’on définit comme naturel et comme non naturel, figurer la nature ou pas la nature. Les rêves de l’homme appartiennent à la nature. Ses fantaisies, ses fantasmes, ses délires appartiennent à la nature. Ils sont générés par des organes, par des viscères, c’est de la viande tout ça. C’est pas évanescent, c’est pas ectoplasmisque, c’est de la chair. Donc l’homme ne pourra jamais rien faire d’autre que des choses très naturelles.
• L’artiste est-il sadique ou masochiste ?
- Selon les sensibilités de chacun d’être dominant ou d’être soumis, il y a dans la population artistique des tempéraments et des dispositions sadiques et masochistes, comme dans tout humain. Il y a des artistes masochistes, on en voit qui font des performances et qui souffrent et qui se réclament de l’art. Mais ça c’est l’extrême. Il y a une expression masochiste dans l’art contemporain, il y a également une expression sadique dans l’art contemporain. L’artiste est l’un ou l’autre selon que ça le chatouille ou que ça le gratouille !
• Et la beauté, elle est forcément dans l’outrance ?
- Ca c’est une grande question, ça a été le grand débat de Duchamp. Est-ce que l’art doit figurer la beauté ? Duchamp disait que le bon goût est le plus grand dégoût de l’art. Certains artistes ont exposé des merdes et ils se sont trouvés très malins. D’autres, des tas de gravas ou des déchets de la société de consommation et toutes ses dérives. C’est le temps qui nous donnera la réponse à ces manifestations. Est-ce que dans 200 ans, les fonds des musées d’art moderne n’auront pas foutu tout ça à la poubelle ? On verra à ce moment-là. Tu vois le regard que j’ai sur l’art contemporain…
• Oui je vois, c’est une arnaque.
- Escroquerie ! C’est une totale escroquerie ! C’est la porte ouverte à tous les branleurs de l’univers. Art, c’est savoir faire. C’est un apprentissage, une persévérance, une application, une démarche d’acquisition, de perfection technique, du regard, de réflexion. Une réflexion artistique, qui est nourrie par une réflexion philosophique, littéraire, sociologique. Les artistes qui n’ont pas cette démarche disons, spirituelle, auront une production égale aux efforts qu’ils produisent. Sans plus. Les grands artistes du temps passé étaient des gens qui réfléchissaient leur œuvre. Lis la correspondance de Van Gogh avec son frère. Là on comprend quel est l’investissement sincère de l’artiste, et c’est pour moi ce qui le définit. Si l’artiste n’est pas vraiment investi de partage, d’échange et de communication, s’il fait de l’art pour gagner des sous, c’est un artiste à la mode d’aujourd’hui. Escroquerie, c’est une escroquerie ! Je te dis, chaque fois que l’argent atteint quoi que ce soit, il pourrit.
• Mais en même temps il y a tout un jeu subversif avec les codes…
- Bien sûr, c’est une vieille histoire. Les codes sont là, ils sont sous-jacents, ils sont ceux de la séduction et du pouvoir. C’est pour cela que tout art est érotique. De toute façon on n’invente rien. On a besoin d’un support, on a besoin d’un médium, d’un outil… Aucun artiste n’est vierge de référence ou d’influence. En dehors des déments ou des authentiques naïfs il n’y a pas de création. C’est le « truc » qui prend valeur d’art, c’est un savoir faire et l’émotion qu’il suscite.
• De l’art, de l’amour ou de l’érotisme, quelle est pour toi la meilleure réponse à l’Absurde ?
- Le maître-mot c’est l’amour. Amour, ça comprend l’art, ça comprend l’érotisme, l’émotion, l’empathie, le partage, la communication, le don…
• Mais l’amour déçoit souvent. Est-ce qu’on peut être déçu par l’art ?
- Oui bien sûr. Tu vas voir une exposition de merde, tu te demandes pourquoi tu t’es déplacé. T’as fait l’effort de venir jusque là pour que des escrocs te montrent des prétentions mégalomaniaques ou égocentriques. Bien sûr que l’on peut être déçu par l’art. Ca dépend de tes attentes, du registre sur lequel tu vibres. T’as des mecs qui écrivent des chansonnettes et tu en as d’autres qui écrivent des opéras.
• Et l’art, il se situe où ?
- L’art, c’est avant tout ressentir une émotion.
Mars 2002.
« La vulgarité elle est bien dans la sottise »

Tu l’as dit bouffi !

« Quand quelque chose est esthétique et rigolo, cela devient grand public. »

« Si l’artiste n’est pas vraiment investi de partage, d’échange et de communication »

Y a pas à dire, à côté du discours de Flaran, à tous mes potes du forum, " moi je dis que " ça a une allure, comment dire, une allure quoi !
Utilisateur anonyme
23 avril 2008, 11:21   Re : La maison d'Erasme
Mais ou se trouve (se trouvait) précisément cette maison, chère Aline ? Je savais Erasme né à Rotterdam, passé par Louvain, puis accueilli et mort à Bâle. Il a certes beaucoup bougé dans ce coin d'Europe, mais où se trouvait donc sa maison ?
23 avril 2008, 11:43   Re : La maison d'Erasme
Cher Corto,
Érasme a peu occupé cette maison qui se trouve à Anderlecht, une des 19 communes bruxelloises, au 31, rue du Chapitre. Elle est fort bien préservée (et bien entretenue) et a obtenu en 1975 le statut de musée. Son jardin philosophique possède un grand charme.

Voici un passage extrait du site officiel :
« La Maison d'Érasme et le Béguinage sont deux des plus anciens musées communaux de Belgique. Avec la Collégiale des Saints Pierre et Guidon ils forment un ensemble historique de qualité qui rappelle le passé glorieux de la Commune d'Anderlecht qui connut un développement important au Moyen Age grâce au culte de Guidon, saint protecteur du bétail, et à sa situation sur la route du grand pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle. C'est en 1252, grâce à une donation d’un chanoine, qu'un petit béguinage de huit personnes s'implanta, à l'ombre de la Collégiale.
Alentour de la Collégiale on trouvait une série de maisons d'importance dans lesquelles résidaient les chanoines du chapitre d'Anderlecht (parmi lequel on compta un pape, Adrien VI en 1522).
C'est dans une de celles-ci que vint le grand humaniste Érasme de Rotterdam en 1521 rencontrer son ami le chanoine écolâtre (chargé de l'enseignement)
Pieter Wijchmans. Anderlecht était à l'époque un tout petit village, à la campagne, dans lequel habitaient seulement 300 âmes, c'est pourquoi Érasme écrivit à son ami français Guillaume Budé, qu' il avait suivi son conseil en venant à Anderlecht, car lui aussi voulait se mettre à jouer au paysan ! Bien que son séjour fut bref, il marqua profondément les esprits, puisque au XVIIe siècle, on venait déjà en "pèlerinage" voir la maison "où avait vécut le grand Érasme". Aujourd'hui, cette maison abrite à la fois un musée qui conserve des oeuvres anciennes (des tableaux de primitifs flamands, des sculptures, des meubles) et un centre d'études riche de milliers de livres précieux dans lequel de nombreux chercheurs y poursuivent l'œuvre scientifique d'Érasme. »
Utilisateur anonyme
23 avril 2008, 12:30   Re : Extrait du "Discours de Flaran"
C'est facile de vous moquer de lui Aline. Outre qu'y transparaît son amour, réel, passionné pour l'art, il y a des vérités dans son discours, et c'est d'ailleurs pourquoi je l'ai laissé en entier : pour avoir à la fois le contexte donné par l'expression complète du personnage, le meilleur et le pire. Le meilleur, c'est son franc parler. Exemple qu'on peut rêver retrouver un jour dans le discours sibyllin, pour ne pas dire faux-cul de bien des mangeurs de soupe.
L'art, c'est ressentir avant tout une émotion. Vous trouvez ça subversif, vraiment? Un auteur obscur, Heidegger, définissait l'émotion comme "la dissolution de tout ce qui est solide en un liquéfiant consentir."
Permettez-moi de revenir sur deux points, ma réflexion se poursuivant, un peu malgré moi, sur ce sujet qui me fait balancer entre passion et lassitude.

Le discours.
Dans la discussion ont été évoqués, sans qu'ils fussent distingués, deux types de discours accompagnant l'oeuvre d'art : celui de l'artiste et celui de l'exégète. Or ils sont très différents à tous points de vue. Le second peut être très savant, intelligent, sensible, utile, voire indispensable (notamment pour les novices), ou au contraire pompeux, importun, inutile, ou l'un et l'autre selon le moment, le lieu et la personne à qui il s'adresse ; peu importe car il est facultatif. Le discours de l'artiste en revanche, je veux dire de l'artiste contemporain, celui de ces artistes dont les oeuvres ne peuvent pas se est donc au contraire obligatoire. C'est de lui que Renaud Camus écrit : "ces trop étroits idiolectes d'artistes (...) font voir et croire qu'il y a quelque chose là où en fait il n'y a rien. Ils empêchent de voir qu'il n'y a rien." (Commande publique, page 101).
Nathalie Heinich constate quant à elle que l'art contemporain a instauré un nouveau paradigme : les objets (les oeuvres) ne sont pas l'objet du regard mais seulement le passeur entre des gens par l'intermédiaire d'un discours.
Ainsi, ce n'est plus l'art qui fait le discours (cas de l'exégèse) mais le discours qui fait l'art.

L'art et le public.
Il n'est pas vrai que le grand art ait toujours été l'affaire d'une élite très restreinte. Il faudrait s'entendre sur les termes, ou, en l'occurence, sur les quantités. Pour prendre un exemple littéraire : le public auquel s'adresse Mallarmé est évidemment celui d'une toute petite élité d'initiés, mais à la même époque ou à peu près, Victor Hugo, Dickens, Verdi, Puccini s'adressent à des foules considérables d'amateurs passionnés. Au siècle précédent, Bach compose, me semble-t-il, ses cantates entendues le dimanche dans la cathédrale de Leipzig par toute la population, en utilisant le même langage musical et le même degré de raffinement que dans ses oeuvres aristocratiques. Et tout Athènes commentait la dernière oeuvre de Phidias.
"L'art, c'est ressentir avant tout une émotion. Vous trouvez ça subversif, vraiment? Un auteur obscur, Heidegger, définissait l'émotion comme "la dissolution de tout ce qui est solide en un liquéfiant consentir."

Oui, la fameuse émotion comme définition de l’art !
Comme Proust a souvent été cité sur ce fil, je crois me souvenir-, mais que les lecteurs assidus me corrigent si ma mémoire est mauvaise -, de l’agacement éprouvé (dans un des premiers tomes de la Recherche) par le narrateur devant son impossibilité à mettre des mots sur l’émotion intense éprouvée à la vue d’une flaque d’eau. Et, crois-je me souvenir, des coups rageurs frappés du bout de son parapluie sur le sol mouillé pour convoquer en lui les mots capables de traduire au plus juste cette émotion qui l’avait submergé…
Utilisateur anonyme
23 avril 2008, 14:45   Re : Verdi
Pour prendre un exemple littéraire : le public auquel s'adresse Mallarmé est évidemment celui d'une toute petite élité d'initiés, mais à la même époque ou à peu près, Victor Hugo, Dickens, Verdi, Puccini s'adressent à des foules considérables d'amateurs passionnés.

Voici par exemple comment Pierre Milza raconte la première milanaise d’Otello (le 5 février 1887) dans son ouvrage Verdi et son temps (Perrin, 2001) :

"Dès les premières scènes, la salle fut emportée par un ouragan d’enthousiasme. Tamagno-Otello fut ovationné pour son Esultate ! et le chœur Fuoco di gioia déclencha un interminable tonnerre d’applaudissements. Lorsque le rideau tomba sur le finale du premier acte, Verdi dut monter sur la scène pour recueillir les vivats du public et il en fut ainsi à la fin de chaque acte. Plusieurs airs furent bissés ou triplés. Le dernier baisser de rideau fut suivi d’un véritable délire : applaudissements à n’en plus finir, cris, mouchoirs agités, bouquets et gerbes de fleurs lancés sur la scène, plusieurs dizaines de rappels pour le maestro qui voulut que Boito fût associé au moins une fois à son triomphe et descendît avec lui jusqu’à la rampe. On put croire un moment que l’assistance ne quitterait jamais la salle. Quand elle finit par s’y résoudre, des scènes tout aussi démentes eurent lieu à l’extérieur du théâtre. La foule entoura le carrosse du musicien. On détela les chevaux. On essaya de soulever le lourd véhicule pour le porter en triomphe avec ses occupants et, ne pouvant y parvenir, on se contenta de le tirer à la force des bras jusqu’au Grand Hôtel. Verdi eut toutes les peines du monde à se frayer un chemin dans la masse de ses admirateurs. On voulait le toucher, lui parler, lui arracher un morceau de son vêtement. Il finit par rejoindre son appartement, mais dut aussitôt se présenter au balcon pour recueillir d’autres applaudissements, d’autres vivats jusqu’à une heure avancée de la nuit. Pour que le maestro frigorifié pût enfin se mettre à l’abri, il fallut que le ténor Tamagno le relaie et entonne une nouvelle fois le Esultate ! du premier acte. On joua néanmoins de la musique sous les fenêtres du compositeur et de son interprète jusqu’à cinq heures du matin."
Cher Marcel, cette discussion que vous avez obligeamment sortie des limbes mériterait, il est vrai, d’être soutenue et d’aborder plus longuement les nombreux angles de vue qu’elle a sucités. Ici, on accable l’art contemporain dan son entièreté ; là, on ne distingue pas, - ainsi que vous le faites remarquer -, le discours du plasticien de celui du critique ni le discours nécessaire du discours superflu (qui tient souvent lieu d’œuvre, hélas). Mais je m’évertue depuis le début à demander la différenciation entre les fumistes et les véritables artistes (différenciation qui n’est pas toujours évidente pour qui n’a pas suivi le cours de l’histoire de l’art moderne puis contemporain) et aussi celle à faire entre une certaine reconnaissance portée au travail d’un artiste en général et la ferveur très modérée qu’il peut inspirer, voire son absence.
A propos des chefs-d’œuvre appréciés par tous en de certaines époques, il faut tout de même admettre que les différents niveaux de lecture ont toujours coexisté.
La délectation esthétique est une affaire d’éducation de l’œil, des capacités réflexives qui vont de pair. J’y reviendrai dès que je pourrai car à présent, je dois m’occuper d’autres yeux qu’il m’incombe d’aiguiser…
"je m’évertue depuis le début à demander la différenciation entre les fumistes et les véritables artistes (différenciation qui n’est pas toujours évidente pour qui n’a pas suivi le cours de l’histoire de l’art moderne puis contemporain)"

Chère Aline, en votre âme et conscience de professionnelle, devant une oeuvre d'art contemporain que vous découvrez, surtout si vous ne savez pas d'emblée de qui elle est, êtes-vous capable, à coup sûr et là, tout de go, de la ranger dans l'une des deux catégories que vous définissez ? Et même rétrospectivement, que faites vous des ready-made, à partir, mettons, du troisième cas historique ? Et des deux toiles de Miro que je décris plus haut ?

On rétorque souvent à cela que l'histoire a bien souvent bouleversé les hiérarchies artistiques les mieux établies de leur temps. Oui, soit, jusqu'à un certain point. Il est vrai que les échevins de Leipzig qui ont engagé Bach l'ont fait avec dépit car ils voulaient Telemann : "Puisque nous ne pouvons avoir le meilleur, prenons le moins bon" (des deux, s'entend) aurait déclaré l'un deux. Mais Telemann, même avec le recul, n'est pas considéré comme un tocard. Au pire, ces artistes ou écrivains tombés dans l'oubli et considérés comme grands à leur époque nous apparaîtront comme des petits maîtres et comme de bons professionnels. Ajoutez à cela que ces bouleversements sont parfois des effets de mode et par conséquent réversibles : déjà, Bouguereau, Couture ou Cabanel sont aujourd'hui considérés comme de grands professionnels, de vrais artistes et certainement pas des fumistes, alors qu'ils étaient naguère raillés comme tout juste bons à orner de leurs chromos les intérieurs de pompiers.

Qu'il y ait parmi les artistes d'aujourd'hui de grands professionnels, ou, si vous préférez, de vrais artistes, il serait absurde de le nier. Ce qui est en cause n'est pas leur talent (leur savoir-faire si, puisque rien ou à peu près ne leur a été transmis, mais passons) : personne ne met en cause le talent de Miro ou de Duchamp. Ce qui est en cause, c'est un art qui, entre autres caractéristiques extravagantes, ne permet plus guère de faire la différence entre les fumistes et les "vrais artistes".

Et puis, très chère Aline, vous terminez votre dernier message sur la "délectation esthétique" ; mais elle n'est pas plus un critère, en art contemporain, que l'émotion, ou l'élévation spirituelle ou l'admiration devant une performance exceptionnelle (au point de vue technique), elle est tout aussi obsolète.
Utilisateur anonyme
23 avril 2008, 18:46   Contribution
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Utilisateur anonyme
23 avril 2008, 20:25   Re : Extrait du "Discours de Flaran"
Aline écrivait:
-------------------------------------------------------
> "L'art, c'est ressentir avant tout une émotion.
> Vous trouvez ça subversif, vraiment? Un auteur
> obscur, Heidegger, définissait l'émotion comme "la
> dissolution de tout ce qui est solide en un
> liquéfiant consentir."
>
> Oui, la fameuse émotion comme définition de l’art
> !
> Comme Proust a souvent été cité sur ce fil, je
> crois me souvenir-, mais que les lecteurs assidus
> me corrigent si ma mémoire est mauvaise -, de
> l’agacement éprouvé (dans un des premiers tomes de
> la Recherche) par le narrateur devant son
> impossibilité à mettre des mots sur l’émotion
> intense éprouvée à la vue d’une flaque d’eau.
> Et, crois-je me souvenir, des coups rageurs
> frappés du bout de son parapluie sur le sol
> mouillé pour convoquer en lui les mots capables de
> traduire au plus juste cette émotion qui l’avait
> submergé…

Je vous renseigne trop brièvement : La mémoire involontaire, qui surgit à travers une sensation, une impression (Venise réapparait à la mémoire du Narrateur par l'effet d'un trébuchement sur un pavé trop haut, Combray par le goût du thé, et comme un tic-tac vous rappellera peut-être la cuisine vos grands parents) permet de retrouver le Temps Perdu avec une force, une amplitude (son, odeur, voix, touché des baisers...) qui dépasse en intérêt la réalité de ce qui a été vécu (et qu'on retrouve parfois dans un rêve). Pour lui ce sont ces images, et l'imagination et l'émotion qui les fabriquent et dans lesquelles on s'est mystérieusement investi, qui seules comptent dans une vie qui n'est qu'une ligne en fuite permanente entre le passé et l'avenir. Il s'impatiente quand il devine ces réminiscences mais n'arrive pas à voir ce qui se cache derrière ces signes. Il décide (dans le roman) de désormais se consacrer à décrire ces phénomènes par la littérature, devenue unique but et prédestination de sa vie, et d'apporter la révélation d'un monde à côté duquel aussi non nous serions passé. Ceci va enfin justifier et grandir sa vie. Proust établit donc une philosophie particulière qui mène, me semble-t-il, au substitut de la croyance au divin par l'art ou à travers l'art.
Mais pour moi, cette philosophie, qui est finalement le discours de l'artiste, n'a pas grande importance. L'essentiel est dans ce plaisir, cette émotion intime, cette vibration qu'il me procure et qui est double : une jouissance par le déploiement de l'intelligence (un raffinement intellectuel qui résonne en moi à un tel degré de profondeur et de façon si subtile que je ne me sens plus seul), et un éblouissement par la beauté de la forme.

La valeur de l'émotion (émerveillement, joie, vertige, empathie mystérieuse, plénitude, reconnaissance... ) est primordiale dans l'art en ce qui me concerne. Il y a aussi, comme devant le Sacre de Napoléon par David, par exemple , un émerveillement devant la technique du peintre (l'effort, la somme de travail, le merveilleux du talent) qui rend aussi bien la perspective tout en communiquant la grandeur (une impression) du moment.
Tout est loin d'être dit !
Chère Aline, en votre âme et conscience de professionnelle, devant une oeuvre d'art contemporain que vous découvrez, surtout si vous ne savez pas d'emblée de qui elle est, êtes-vous capable, à coup sûr et là, tout de go, de la ranger dans l'une des deux catégories que vous définissez ?

Cher Marcel, en mon âme et conscience de professionnelle, je vous réponds : bien sûr que non. Je suppose que vous parlez surtout de performance ou d’installation. (En peinture, je m’avancerais un peu plus facilement mais si j’ai fait un jour l’apologie de la faille et du doute, je ne vais pas modifier un discours toujours d’actualité et parfaitement sincère). Dans ce cas donc, j’examine le « dispositif » en question et me fais une idée de sa pertinence, de sa puissance d’évocation poétique ou de son potentiel réflexif en fonction de mon expérience de ces choses combinée à ma sensibilité personnelle. Et mon jugement, je ne le défendrais pas la tête sur le billot. Voyez comme je suis peu inspirée pour parler de ces pratiques ! Vous savez, et depuis longtemps, que je suis amoureuse de peinture et de matières et que les « procédures » artistiques postmodernes, pseudo-scientifiques, sociologiques, ethniques- immigrationniste et autres ready-made ne me touchent pas beaucoup. Je feuillette distraitement les revues « Beaux-arts » et autres, par conscience professionnelle mais les outrances d’un Damien Hirst, d’un Wim Delvoye ou d’un Jef Koons me dépriment. Mais convenez que ma position n’est pas facile dans cette discussion! Je ne tiens pas le même discours à un connaisseur/désapprobateur des pratiques pointues actuelles comme vous l’êtes qu’à un lecteur qu'on estime de mauvaise foi et à qui on est tenté d’appliquer les méthodes certes un peu professorales de mise en garde avant de porter un jugement.

Et puis, très chère Aline, vous terminez votre dernier message sur la "délectation esthétique" ; mais elle n'est pas plus un critère, en art contemporain, que l'émotion, ou l'élévation spirituelle ou l'admiration devant une performance exceptionnelle (au point de vue technique), elle est tout aussi obsolète.


C’est évidemment intentionnellement que j’ai parlé de « délectation esthétique » car, effectivement ce terme est frappé d’obsolescence. Je m’y tiens pourtant car il dit tellement bien ce lien entre la tête et les sens et le regard et la spéculation intellectuelle et le tactile. Ce ne sont pas mes études dans une école dite « d’avant-garde », où les peintres étaient rares parmi les conceptuels et les minimalistes qui purent modifier ce vocabulaire. Je déteste cet hédonisme généralisé très bien expliqué par Yves Michaud dans son livre « L’art à l’état gazeux ». Aussi, je me permets une fois de plus de recopier ici un ancien message dans lequel j’avais pris la peine de vous résumer, avec une ironie un peu désespérée cet ouvrage:


« C’est d’un autre point de vue, tout aussi sincère que je réponds à votre envoi du texte d’Yves Michaud et à la question qu’elle sous-entend. Avez-vous lu son livre « L’art à l’état gazeux » publié en 2003 chez Stock essais ? Il y décrit avec beaucoup d’ironie la « ghettoïsation de l’Art, orchestrée par tous, par les artistes eux-mêmes (certains artistes), les institutions muséales, les critiques d’art, les promoteurs de l’hédonisme et l’homogénéisation de la culture au niveau mondial. Je vous résume (très fort) ce qu’il y décrit :
Depuis que l’art est devenu « posture », « procédure » parce que les artistes (certains artistes, les « officiels » disons) eux-mêmes ne se reconnaissent plus aucune mission claire mais se considèrent plus comme des opérateurs, des médiateurs sociaux à « mi-chemin entre l’homme d’affaires, l’homme de communication, l’illusionniste et le chaman ».
Depuis que plus personne ne détient ni définition ni moyens d’évaluation des œuvres (mais soigneusement gardées entre les mains d’initiés, mais lesquels ?)
Depuis que le multiculturalisme et le politiquement correct ont investi le domaine de l’Art...

Après bien d’autres « depuis que » (je ne peux que vous conseiller de lire si ce n’est déjà fait), il met en évidence trois attitudes possibles pour l’amateur d’art :

1. Soit on considère que l’art avec un grand A est mort et comme il est sans mission, on le cherche avec fatalisme (ou bonheur pourquoi pas ?) dans le tout-venant de la culture commerciale. On n’attend donc plus de grandes œuvres.
2. Soit on accepte avec réalisme l’avènement d’un nouveau régime de l’art : avec la mondialisation et l’empire toujours croissant de la publicité et de la mode, on le considère comme un moyen de divertissement, de consommation culturelle, aidé en cela par les musées qui deviennent des entreprises commerciales de plus en plus proches du parc d’attraction.
Ce plaisir (ni intellectuel, ni sentiment du « sublime »), facile à saisir, lisse, sans angoisse, flou, c’est le bonheur contemporain, l’hédonisme contemporain.
3. Soit on applaudit des deux mains à la « mondialisation pluraliste » (quelle douce poésie dans cette expression, j’ai l’impression d’écrire des gros mots !), on supprime toute hiérarchie entre les œuvres et les cultures, entre le haut et le bas et tout le monde il est content et gentil.

Il termine son livre par cette phrase :
On pourra regretter que le temps n’ait plus assez de forme, plus assez de style, plus assez de projet, plus assez de ‘gestalt’, aurait dit Hegel, pour se saisir de manière solide et sculptée dans des œuvres d’art plus pérennes que l’airain. De quoi se plaindrait-on pourtant quand on voit que cette situation fluide et gazeuse est seulement la contrepartie du triomphe de l’esthétique ? De quoi pourrait-on se plaindre quand le monde est devenu tout entier si beau ? Il n’y a plus d’œuvres mais la beauté est illimitée et notre bonheur en elle s’illimite telle une fumée

C’est avec amertume que j’évoque cet ouvrage ; je suis sortie de cette lecture dégoûtée, désespérée. Mais cela n’a duré qu’un temps. Je me tourne vers Tapiés, vers Miguel Barcelo, vers Eugène Leroy, vers Anselm Kiefer, vers Gerard Richter et tant d’autres…Et vers tous ces artistes, ces peintres ou sculpteurs qui oeuvrent dans le silence de leur atelier, indifférents aux modes et au boucan du monde. C’est à eux que je pense, tant pis pour les autres, le temps décantera. »



J’aurais pu ajouter alors Cy Twombly, William Kentridge, pour ne parler que des vivants ou des très proches de nous.
Je suis allée à la Fondation Miro mais je ne connais pas ces œuvres dont vous parlez. Il est certain que je pourrais « baratiner » au sujet d’une seule ligne sur une toile blanche et que mon baratin ressemblerait assez bien aux discours fumeux que certains nous servent…On ne peut pourtant, cher Marcel, jeter le discrédit sur un peintre pour deux toiles.
Quant à Duchamp, chacun replace son acte subversif dans son contexte et puis je peux vous jurer qu’en me promenant dans l’exposition de la Tate (Duchamp, Man Ray, Picabia) j’entendais très distinctement, oui, oui, venant de derrière les tableaux, de doux ricanements…


(corrigé: Michaud et non Michaux)
Mais pour moi, cette philosophie, qui est finalement le discours de l'artiste, n'a pas grande importance. L'essentiel est dans ce plaisir, cette émotion intime, cette vibration qu'il me procure et qui est double : une jouissance par le déploiement de l'intelligence (un raffinement intellectuel qui résonne en moi à un tel degré de profondeur et de façon si subtile que je ne me sens plus seul), et un éblouissement par la beauté de la forme.

La forme et le fond sont inséparables. C’est ça le « discours de l’artiste ». Les mots pour rendre compte de cette émotion, voilà ce qu’il cherchait en frappant rageusement le sol ! Et ce sont ces mots qui vous rendent si heureux.
» Heidegger définissait l'émotion comme "la dissolution de tout ce qui est solide en un liquéfiant consentir."

Très joli, ça, Henri. Auriez-vous par hasard la référence sous la main ?
Utilisateur anonyme
24 avril 2008, 10:15   Re : Extrait du "Discours de Flaran"
mettre des mots sur l’émotion intense éprouvée à la vue d’une flaque d’eau. Et, crois-je me souvenir, des coups rageurs frappés du bout de son parapluie sur le sol mouillé pour convoquer en lui les mots capables de traduire au plus juste cette émotion qui l’avait submergé…



Voilà qui illustre à merveille le mérite de la mémoire involontaire et l'infidélité de la mémoire ordinaire : puisque vous y revenez, il n'y a pas de parapluie, de flaque d'eau, il ne tape sur rien, la scène se déroule non pas dans le premier tome mais dans le dernier (Le Temps Retrouvé page 866 ed. 3Vol.)

La forme et le fond sont inséparables. C’est ça le « discours de l’artiste ». Les mots pour rendre compte de cette émotion, voilà ce qu’il cherchait en frappant rageusement le sol ! Et ce sont ces mots qui vous rendent si heureux.

En fait de discours, je faisais allusion aux commentaires que peut faire en général l'artiste sur son œuvre et de son intérêt. Dans le cas de Proust, il se fait, en quelque sorte, à travers son exposé philosophique sur le Temps Perdu.
Grâce à vous, un peu comme Monsieur Jourdain, j'apprends que j'étais donc capable de lire deux choses en même temps sans le savoir ! Mais ce ne sont pas des mots qu'il cherche chère Aline, ce sont les images, les impressions de la mémoire involontaire qu'il traduira ensuite, dans son œuvre, en mots !
24 avril 2008, 13:27   "liquéfiant consentir"
La phrase de Heidegger vient du tome III des Exorcismes spirituels de Muray, p. 266, Muray qui, comme vous savez, ne donnait jamais la moindre référence de ses citations. Elle commente un aspect des relations de Nietzsche et de Wagner, ce qui ne sort pas du sujet de l'art. Peut-être faudrait-il la chercher dans Chemins qui ne mènent nulle part, mais je ne puis vous en dire plus.
Utilisateur anonyme
24 avril 2008, 14:36   Re : Extrait du "Discours de Flaran"
J'ai enfin trouvé Aline, dans votre dernière réponse à Marcel Meyer tout ce que j'espérais depuis le début de ce fil : votre pensée sur l'art moderne, claire, loyale et nuancée, et mieux, comment vous le vivez. Vous mesurerez, à mon agressivité, le malentendu, bien plus, le gouffre qui s'est installé entre le public, dont je suis, et l'art qui lui est, je le dis cette fois sans idée de provocation, puisque maintenant je vous comprends beaucoup mieux, administré. Je vous en remercie très sincèrement, et m'en vais placer ceci dans mon ordinateur à Art, sous-dossier "Pharmacie d'urgence". Merci aussi à Marcel Meyer qui vous posait mes questions comme un autre moi-même mais tellement mieux !

"je m’évertue depuis le début à demander la différenciation entre les fumistes et les véritables artistes (différenciation qui n’est pas toujours évidente pour qui n’a pas suivi le cours de l’histoire de l’art moderne puis contemporain)"

Si nous pouvions travailler à cela, et faire en sorte que le public, le peuple, qui se doute qu'on se fout de lui, qu'on le snobe, ne s'éloigne plus encore de ses élites, à ce sujet aussi. Et quand on parle de perte des repères....
Nous savons tous très bien à quoi aboutit un tel divorce.
J'ai pensé à vos citations et à vos réflexions sur l'art sacré, chère Aline, en tombant par hasard sur un passage de Proust, au détour d'un livre qui n'a rien à voir, sur la vie et l'oeuvre du Rabbi de Loubavitch. Voici le passage ( j'en ignore la référence, cela paraît venir d'une lettre, d'après l'auteur): "L'essence de la musique est de réveiller en nous ce fond mystérieux (et inexprimable à la littérature et en général à tous les modes d'expression finis, qui se servent ou de mots, et par conséquent d'idées, choses déterminées, ou d'objets déterminés - peinture, sculpture) de notre âme, qui commence où le fini et tous les arts qui ont pour objet le fini s'arrêtent, là où la science s'arrête, et qu'on peut appeler pour cela religieux. " Schlomoh Brodowicz, L'âme d'Israël, éditions du Rocher, p. 328.
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