Musée de l’Erotisme !
Entretien avec Alain Plumey, conservateur du Musée de l’Erotisme, 72 boulevard de Clichy, Paris 18e.
• Comment est née l’idée d’un Musée de l’Erotisme ?
- Elle est née dans deux têtes malades d’érotomanes obsédés qui collectionnaient des érotiques. Les collections, ça déborde, c’est une vraie maladie. Pour s’en soigner il faut les donner, les offrir au public et c’est ce qu’on a fait. On a visité les musées homonymes, ou homologues d’Europe, on s’est enquis de la marche de ces établissements. On a fait ensuite ce qu’on appelle une « étude de marché » et l’entreprise nous a parue viable. On a été dynamisés par le succès de l’exposition de Beaubourg, « Féminin Masculin le sexe de l’Art ». Ca nous a vraiment encouragés à tenter l’aventure et mon pote et moi on a donc cherché un financement et on a créé ce musée. Sans être prospères on est viables, l’accroissement de la notoriété se fait doucement mais sûrement. Donc on va pouvoir accroître les fonds permanents du musée, disposer de plus de moyens pour la communication et continuer à se développer.
• Qui visite le Musée de l’Erotisme ?
- On reçoit environ 150000 visiteurs par an et parmi eux il y a une majorité de femmes, ce qui n’est pas étonnant ! 60% de touristes étrangers et 40% en hexagonal, francilien, parisien. Mais bien sûr les parisiens boudent un peu parce que comme on est à Pigalle il y a des a priori : quartier pas convenable, donc un établissement, même à prétention culturelle… Ca c’est l’un des freins du lieu, que l’on dépasse par les retombées médiatiques, les commentaires sur notre travail, la qualité et l’intérêt qu’il suscite et la reconnaissance en bout de chemin de notre travail.
• Arrive-t-il que certains visiteurs se disent choqués par les œuvres exposées ?
- Oui c’est arrivé. On avait fait une expo avec un infographiste qui montrait les images les pires du Web – et tu peux imaginer ce qu’est le pire du Web – c’était une exposition ponctuelle qui se voulait vraiment dérangeante et trash. Oui c’était très trash. J’ai vu des visiteurs partir incommodés après avoir vu quelques planches de cet artiste. Enfin, en temps normal, excepté des expositions aussi choc, je n’ai jamais vu quelqu’un d’incommodé. Pour la prochaine expo on va présenter des cires anatomiques d’organes génitaux atteints de MST. Cela va sans doute provoquer des malaises, des dégoûts et des nausées, ça j’en suis sûr. Ce sont des pièces qui étaient présentées dans des fêtes foraines et qui ont déplacé des foules considérables. Les gens veulent tout voir et tout savoir, le pire comme le meilleur. Et le pire parfois, ils le reçoivent mal.
• Tu crois donc quand même que l’on peut tout montrer, du moment qu’on le fait avec humour et esthétisme ?
- Oui, c’est évident. Quand quelque chose est esthétique et rigolo, cela devient grand public.
• On peut donc vulgariser l’art érotique ?
- On peut tout vulgariser. Il suffit de communiquer à travers les médias destinés à un très vaste public et l’on peut vulgariser, dans le sens où l’on fait partager au plus grand nombre, pas seulement à des intellos ou au gratin parisien, c’est évident. « Vulgariser » n’est peut-être pas le terme approprié. Je poserais plutôt la question : est-ce que l’on peut sensibiliser à l’art érotique ? Oui, on le sait. Le succès des érotiques de Picasso est une vulgarisation de l’art érotique. Ca montre aux gens qu’on peut figurer des émotions sensuelles et que ce n’est pas réservé aux seules personnes dites autorisées autour du thème. Tu sais que le musée de Naples n’a pas été accessible au grand public pendant plusieurs siècles alors que tout homme a droit à l’information et à l’émotion. Et c’est là que la vulgarisation m’intéresse.
• Dans ce cas, l’emplacement du musée à Pigalle n’est plus un frein comme tu le disais tout à l’heure mais plutôt un atout ?
- C’est de toute façon un vecteur de vulgarisation puisque c’est un quartier qui draine une population touristique importante et il vient dans ce musée des gens qui ne sont jamais allés dans aucun musée auparavant. Et dans ce sens je suis très fier d’être à l’origine de ces premières visites de ces gens qui apprennent à découvrir et à regarder des sculptures et des tableaux. C’est une espèce d’initiation à la figuration muséologique et à l’histoire de l’art. Le thème est un peu monomaniaque il est vrai mais en même temps il ouvre sur toute forme d’art.
• Les gens confondent souvent « vulgarisation » et « vulgarité ». Peut-on parler de vulgarité en matière d’art ?
- Oui, absolument. Cela dit la vulgarité à mes yeux ne réside pas dans la figuration de l’intimité de l’espèce. La vulgarité, elle figure dans la prétention, elle figure dans la marchandisation de l’art, dans la prise d’otage faite par les officiels de l’art et du regard qu’on doit en avoir… Elle est là la vulgarité - et c’est même de l’obscénité – dans l’escroquerie de certaines formes d’art conceptuel. La vulgarité, on en a partout. Moi je dis qu’une grosse part du travail de César est vulgaire. Quand tu ne traites plus l’art avec émotion, avec authenticité et sincérité, et que cela devient simplement un produit à travers lequel se reconnaît une pseudo élite d’oisifs branleurs, à ce moment-là on peut parler de vulgarité. S’il s’agit de montrer une bite, des couilles ou une chatte, c’est pas là que se situe la vulgarité. Tous ces détails anatomiques mis en scène peuvent être traités avec humour et peuvent devenir des œuvres d’art à part entière. La vulgarité elle est bien dans la sottise, dans l’orgueil et dans la cupidité.
• Et la perversité, elle commence où ?
- La perversité, elle commence au seul sentiment de culpabilité. Elle est là. Dès qu’il y a culpabilité, où que ce soit, on peut dire qu’on a mis un pied dans la perversité.
• Pour toi il n’y a donc pas de définition objective de la perversité ?
- Si, il y en a une, elle est relative aux us et coutumes de chaque époque, aux interdits de chacun, aux interdits de la loi uniquement ou sinon de la religion, mais là on tombe dans des choses pas sérieuses… Donc aux interdits des autorités en place effectivement définis par là, par le cadre des lois. Pour le reste, d’un point de vue individuel et pervers, une personne dont les actes sont condamnables… en vertu de quoi ? En vertu de la loi et de la conscience individuelle. Si on franchit l’interdit « ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse » on a là aussi une forme de perversité.
• Quels sont les tabous d’aujourd’hui ?
- En France, parler de son salaire.
• Et la pédophilie ?
- C’est effectivement le grand tabou en ce moment, parce qu’on a remué la boue à ce sujet. On a fait figurer au musée une œuvre que les gens ont regardée comme connotée de pédophilie et on l’a retirée immédiatement. Parce que on ne peut pas faire figurer d’enfants. On occulte l’érotisme des enfants, la sexualité des enfants, on veut les regarder comme des anges. Bien sûr cela contredit toutes les études faites à ce sujet. La sexualité concerne pourtant l’individu dès sa naissance.
• A côté de cela le SM passe plutôt bien ?
- Pas dans les extrêmes. Mais le SM est un fait de société, c’est une fashion attitude. C’est aussi un moyen d’entretenir des relations intimes avec une sexualité safe, il n’y a pas de pénétration d’organes génitaux, pas nécessairement, rarement. C’est une espèce de substrat de sexualité. Mais comme l’image du SM a été exaltée avec les canons californiens ou que sais-je, on retrouve et on retourne aux us et coutumes tribales et le port d’insignes symbolise l’appartenance à des clans ou à d’autres. C’est très grégaire, c’est très humain, donc ça appartient à l’espèce.
• L’art peut-il être une réponse aux problèmes tels que l’homophobie, le sida ou l’excision ?
- L’art n’est une réponse à rien.
• Une question alors ?
- L’art n’a d’existence que s’il est vendu. Donc c’est un produit, avec des techniques de vente et de promotion. Est-ce que l’art est utile ? Est-ce qu’il doit l’être ? S’il a une fonction, laquelle ? C’est une très vaste question. Je ne me souviens plus de qui disait que la fonction de l’art, c’est de rendre la vie plus intéressante que l’art, j’aime bien. Souvent l’art est une expression des goûts hypertrophiés, une revendication d’honneur, de reconnaissance. Les artistes sont de grands gosses qui sont toujours à la quête de la reconnaissance de leur maman. Ca commence par un petit dessin, ça se prolonge à la maternelle avec des cadeaux faits avec des boîtes de camembert. Il y a une attitude mégalomaniaque, égocentrique et très souvent pathologique chez les artistes. Donc à voir avec beaucoup de réserve. C’est le même phénomène que les top models ou que les stars du football. Et bien souvent les artistes qui accèdent au succès de leur vivant sont de bons marchands. Dali a décliné le multiple, Picasso s’est largement foutu de la gueule du monde, on l’encense et quand on pense que c’est prétendument l’artiste, et le seul, qui laissera son nom dans l’histoire du vingtième siècle, moi je m’interroge. Maintenant tu vois la déclinaison qui en est faite par les héritiers…
• C’est une question de business.
- Est-ce que l’art doit être gratuit ? L’art a besoin de mécènes, c’est très ambigu. Dès que l’argent atteint quoi que ce soit, l’argent pourrit. Est-ce qu’on doit pour autant s’attendrir sur les artistes maudits, sur des Van Gogh qui finissent dans la misère et dont on revend les œuvres quelques décennies après pour une fortune ? Je n’en sais rien, je n’en sais strictement rien.
• Est-ce que l’art reflète les pratiques d’aujourd’hui ?
- L’art reflète ce qu’il a envie de refléter à travers la volonté de l’artiste. Si l’artiste prétend vouloir passer des messages de situations, d’états contemporains ou imaginaires. L’art a souvent été aussi un vecteur d’onirique. Est-ce qu’il y a un onirisme d’aujourd’hui, un onirisme d’hier ? Très certainement.
• En disant cela je pensais à Wilde qui disait, contrairement à Aristote, que l’art ne devait pas imiter la nature mais que la vie devait imiter l’art.
- Oui mais en même temps il dit ce qu’il veut ! Et souvent, on fait des belles phrases pour faire l’intéressant. Ca c’est un des trucs des auteurs. Imiter la nature, c’est l’académisme.
• Mais si l’art n’est qu’une reproduction…
- De toute façon l’art ne peut qu’imiter la nature puisque l’homme est un animal et qu’il appartient à la faune planétaire, il ne fera rien d’autre que des choses très naturelles. Après reste à savoir ce que l’on définit comme naturel et comme non naturel, figurer la nature ou pas la nature. Les rêves de l’homme appartiennent à la nature. Ses fantaisies, ses fantasmes, ses délires appartiennent à la nature. Ils sont générés par des organes, par des viscères, c’est de la viande tout ça. C’est pas évanescent, c’est pas ectoplasmisque, c’est de la chair. Donc l’homme ne pourra jamais rien faire d’autre que des choses très naturelles.
• L’artiste est-il sadique ou masochiste ?
- Selon les sensibilités de chacun d’être dominant ou d’être soumis, il y a dans la population artistique des tempéraments et des dispositions sadiques et masochistes, comme dans tout humain. Il y a des artistes masochistes, on en voit qui font des performances et qui souffrent et qui se réclament de l’art. Mais ça c’est l’extrême. Il y a une expression masochiste dans l’art contemporain, il y a également une expression sadique dans l’art contemporain. L’artiste est l’un ou l’autre selon que ça le chatouille ou que ça le gratouille !
• Et la beauté, elle est forcément dans l’outrance ?
- Ca c’est une grande question, ça a été le grand débat de Duchamp. Est-ce que l’art doit figurer la beauté ? Duchamp disait que le bon goût est le plus grand dégoût de l’art. Certains artistes ont exposé des merdes et ils se sont trouvés très malins. D’autres, des tas de gravas ou des déchets de la société de consommation et toutes ses dérives. C’est le temps qui nous donnera la réponse à ces manifestations. Est-ce que dans 200 ans, les fonds des musées d’art moderne n’auront pas foutu tout ça à la poubelle ? On verra à ce moment-là. Tu vois le regard que j’ai sur l’art contemporain…
• Oui je vois, c’est une arnaque.
- Escroquerie ! C’est une totale escroquerie ! C’est la porte ouverte à tous les branleurs de l’univers. Art, c’est savoir faire. C’est un apprentissage, une persévérance, une application, une démarche d’acquisition, de perfection technique, du regard, de réflexion. Une réflexion artistique, qui est nourrie par une réflexion philosophique, littéraire, sociologique. Les artistes qui n’ont pas cette démarche disons, spirituelle, auront une production égale aux efforts qu’ils produisent. Sans plus. Les grands artistes du temps passé étaient des gens qui réfléchissaient leur œuvre. Lis la correspondance de Van Gogh avec son frère. Là on comprend quel est l’investissement sincère de l’artiste, et c’est pour moi ce qui le définit. Si l’artiste n’est pas vraiment investi de partage, d’échange et de communication, s’il fait de l’art pour gagner des sous, c’est un artiste à la mode d’aujourd’hui. Escroquerie, c’est une escroquerie ! Je te dis, chaque fois que l’argent atteint quoi que ce soit, il pourrit.
• Mais en même temps il y a tout un jeu subversif avec les codes…
- Bien sûr, c’est une vieille histoire. Les codes sont là, ils sont sous-jacents, ils sont ceux de la séduction et du pouvoir. C’est pour cela que tout art est érotique. De toute façon on n’invente rien. On a besoin d’un support, on a besoin d’un médium, d’un outil… Aucun artiste n’est vierge de référence ou d’influence. En dehors des déments ou des authentiques naïfs il n’y a pas de création. C’est le « truc » qui prend valeur d’art, c’est un savoir faire et l’émotion qu’il suscite.
• De l’art, de l’amour ou de l’érotisme, quelle est pour toi la meilleure réponse à l’Absurde ?
- Le maître-mot c’est l’amour. Amour, ça comprend l’art, ça comprend l’érotisme, l’émotion, l’empathie, le partage, la communication, le don…
• Mais l’amour déçoit souvent. Est-ce qu’on peut être déçu par l’art ?
- Oui bien sûr. Tu vas voir une exposition de merde, tu te demandes pourquoi tu t’es déplacé. T’as fait l’effort de venir jusque là pour que des escrocs te montrent des prétentions mégalomaniaques ou égocentriques. Bien sûr que l’on peut être déçu par l’art. Ca dépend de tes attentes, du registre sur lequel tu vibres. T’as des mecs qui écrivent des chansonnettes et tu en as d’autres qui écrivent des opéras.
• Et l’art, il se situe où ?
- L’art, c’est avant tout ressentir une émotion.
Mars 2002.