Le site du parti de l'In-nocence

Orthographisme

Envoyé par Jean-Marc du Masnau 
22 avril 2008, 09:19   Orthographisme
Un des points qui revient assez souvent sur ce forum est la question de l'orthographisme, c'est à dire le problème posé par la prononciation des mots tels qu'ils s'écrivent et non tels qu'ils se prononcent en réalité.


En espagnol, la règle est claire, la prononciation colle à l'orthographe, la réciproque n'étant pas vraie (on mot peut commencer par ha- ou a-, il se prononcera pareil).

En allemand, me semble-t-il, la règle est aussi simple.

En anglais, c'est plus complexe. Il me semble cependant qu'il y a des règles avec quelques exceptions, du style "le y en fin de mot se prononce "i" s'il s'agit d'un substantif ou d'un adjectif , "aï" s'il s'agit d'un verbe ou d'un adverbe bref".

Est-ce que je me trompe tout à fait ? le français est-il vraiment la seule langue qui pratique à ce point les "non-orthographismes" ?
22 avril 2008, 09:33   Re : Orthographisme
Les "non-orthographismes" sont innombrables en anglais, surtout pour les noms propres, ils sont entourés de beaucoup d'amour et jouent un rôle considérable dans la comédie sociale.
22 avril 2008, 10:15   Noms propres
Pour les noms propres (ou, plutôt, pour les noms de famille), vous avez évidemment raison (c'est aussi le seul cas, en espagnol, où il y a parfois divergence entre graphie et prononciation).

Je pensais en réalité aux noms communs. L'exemple de "l'orthographisme", qui marqua longtemps la différence entre français du sud et français du nord est la consonne redoublée, qui ne se prononce pas en français du nord mais se prononce en français du sud (Pour Anne, on dit a-n-e dans le nord, a-n-n-e dans le sud). Il y a un grand nombre de thèses sur les raisons de cela, notamment celle qui prétend que les classes instruites du sud avaient en réalité la langue d'oc comme langue d'usage, et que leur approche du français se faisait par les textes littéraires.


Pour l'anglais, je me demandais si vous aviez des lumières sur la problématique de l'"y" final, qui m'a toujours semblé confuse, et aussi sur celle du "i" au sein des mots. Je me demandais en fait s'il y avait une règle avec des esceptions, ou bien pas de règle du tout...
22 avril 2008, 10:15   Lullaby in Birdland
"Il me semble cependant qu'il y a des règles avec quelques exceptions, du style "le y en fin de mot se prononce "i" s'il s'agit d'un substantif ou d'un adjectif , "aï" s'il s'agit d'un verbe ou d'un adverbe ".

La liste des exceptions à cette répartition est si longue qu'elle annule la règle: "aï" en substantif (lullaby, sty, ply, etc. ) sans compter que tous les adverbes en -lly se prononcent "i": le plus drôle étant sans conteste "comically", qui a collé en Irak au personnage de "Chemic Ali", platement rendu par les journaux français en "Ali le Chimique" - ce personnage s'étant rendu comique en niant devant les caméras les progrès de l'armée américaine dans Bagdad quand un char américain est apparu en contre-champ.
22 avril 2008, 10:17   Re : Orthographisme
Les langues non sémitiques de peuples qui ont adopté l'islam, se sont notées au moyen de l'alphabet arabe, qui est souvent incompatible avec leur génie. C'est ce qui a poussé Mustapha Kemal à faire écrire la langue turque au moyen de lettres latines légèrement modifiées, au prix d'une catastrophe culturelle sans précédent, la plongée dans l'oubli de sept siècles de culture et de littérature ottomanes raffinées. Il existe un livre érudit et spirituellement écrit de Geoffrey Lewis, publié à l'Oxford University Press, The Turkish language reform, a catastrophic success. Le persan, comme le turc, ne s'est jamais écrit au moyen d'un alphabet adéquat à son système linguistique, mais a conservé au XX°s l'alphabet arabe augmenté de quatre lettres pour les sons qui n'existent qu'en persan, et la moitié du vocabulaire persan est d'origine arabe, donnant lieu à des situations de diglossie intéressantes. Dans le système phonétique persan, cependant, les mots arabes deviennent méconnaissables, et certaines lettres, distinctes à l'oreille en arabe, ont la même prononciation en persan: l'arabe, par exemple, note deux sons différents au moyen de deux lettres distinctes, prononcées identiquement par les Iraniens. De même pour le son [z], qui recouvre trois phonèmes et consonnes arabes très différents. Il faudrait parler aussi du problème de la notation des voyelles, qui se fait en arabe selon leur quantité (notion étrangère au vocalisme iranien, qui les oppose entre elles selon leur timbre) et selon des contraintes morphologiques propres à la grammaire arabe. C'est pourquoi toute grammaire persane contient une partie indispensable d'initiation à la grammaire de l'arabe. Si un étranger prononce à l'arabe, comme c'est écrit, une inscription persane, il se fait vertement reprendre par tout le monde: j'ai été plusieurs fois témoin de ces réactions outragées, et le mieux est de demander humblement à quelqu'un: "Pardon, mais comment prononce-t-on ceci ?" On vous répondra parfois d'une manière un peu hautaine et agacée, mais on vous saura gré de votre courtoisie, qui est encore une valeur essentielle en Iran. Vous savez d'autre part à quels prodiges artistiques et poétiques cette écriture inadaptée a donné naissance, et avec quelles erreurs de transcription, ces orthographismes que vous signalez, les grands classiques persans sont publiés en Occident: le Boustan, le Goulistan, les Roubayat et autres Hassan-i Sabah, transcrits selon une lecture arabe du mot persan (il faudrait dire Bostân, Golestân, Robâ'iyât, Hassan-é Sabbâ).
Bien cher Henri,


Votre exemple est en effet très intéressant, mais il concerne une langue avec un alphabet importé.

Une question me préoccupe. Je connais bien une langue romane, l'espagnol, et ai quelques notions de portugais et d'italien.

Ces trois langues, à ma connaissance, ont une quasi-parfaite adéquation de la prononciation et de l'orthographe. Le français, autre langue romane majeure, a, de mon point de vue, une orthographe erratique.

Y a-t-il une explication à ces différences, sachant que les trois autres pays méditerranéens sont des terres de grande culture, et que la simplification de leur orthographe n'est pas récente ?
22 avril 2008, 14:13   Anglais
En ce qui concerne la remarque de Renaud Camus à propos du rôle du "non-orthographisme" dans la comédie sociale, cela me paraît très vrai pour l'Angleterre, pays que je connais mal, mais où les déterminants de classe me semblent majeurs.

Je n'ai pas l'impression que ce soit le cas en anglais américain, où il me semble que, parfois, plusieurs prononciations sont admises. Je prends l'exemple de "fidelity", prononcé aussi bien "fidelity" que "faïdelity", comme dans High Fidelity (HiFi) et, par effet sympathique, WiFi.
(Et pour d'autres interessés par le sujet).


Si on doit faire la comparaison de l'anglais "britannique" et du français, pensez-vous que l'anglais a autant d'étrangetés orthographiques que le français ?

Par "étrangetés" je veux signaler la présence de lettres non prononcées sans règle précise (par exemple le second l de tranquillité) et non des formes orthographiques figées (par exemple le -ough de l'anglais qui se prononce toujours pareil en fin de mot).


Pour revenir sur le cas du y, le problème n'est que dans un sens, il me semble :

Quand on lit "lullaby", on hésite et on fait la faute, comme moi (j'aurais prononcé lullabee). Quand on entend "lullabaï", il n'y a qu'une façon de l'écrire.
Utilisateur anonyme
22 avril 2008, 14:47   Re : Once in a lullaby
Et moi, jmarc qui croyait que vous aimiez les comédies musicales !

"Somewhere over the rainbow
Way up high
There's a land that I heard of
Once in a lullaby

Somewhere over the rainbow
Skies are blue
And the dreams that you dare to dream
Really do come true

Some day I'll wish upon a star
And wake up where the clouds are far behind me
Where troubles melt like lemondrops
Away above the chimney tops
That's where you'll find me

Somewhere over the rainbow
Bluebirds fly
Birds fly over the rainbow
Why then, oh why can't I?
Some day I'll wish upon a star
And wake up where the clouds are far behind me
Where troubles melt like lemondrops
Away above the chimney tops
That's where you'll find me

Somewhere over the rainbow
Bluebirds fly
Birds fly over the rainbow
Why then, oh why can't I?

If happy little bluebirds fly
Beyond the rainbow
Why, oh why can't I?"
"par exemple le -ough de l'anglais qui se prononce toujours pareil en fin de mot".

Alas! Jmarc, methink ce n'est pas votre jour, le mercredi, un peu comme pour moi.

Il se trouve que le -ough montre un penchant versatile prononcé: "plough" (la charrue, soit plow en américain, se prononce "a-o"), "enough" (se prononce "neuf"), "bough" (a main branch of a tree, se prononce "a-o"), "though" (o-ou) mais "tough" (se prononce "tof"), et puis il y a le terrifiant SLOUGH, toponyme du Middlesex qui pour le natif se prononce "slof" mais pour le Londonien a peu près tout ce qu'on voudra sauf ce qu'en dit le natif: "slow", "sla-ou", etc. Bref, un peu comme le Gersssse quoi!
22 avril 2008, 15:21   Pan sur le bec
Effectivement...

Déjà, avec l'incident d'hier, je sentais que mon périmètre d'intervention se restreignait...

Pour -ough, je pensais en effet au seul "enough", alors qu'il y a foule de contre-exemples (through...)...

Ceci dit, quelle est votre idée sur les "bizarreries", c'est à dire à dire les "lettres non prononcées" ?

Et pour l'américain, avez-vous une opinion sur la pluralité des prononciations admises ?
22 avril 2008, 17:50   Re : Orthographisme
Vos questions sont très stimulantes, en tous cas. L'orthographe anglaise moderne a pu se constituer en mêlant des traditions issues de la graphie anglo-saxonne (cette langue a une riche littérature qui commence à s'écrire dès le VII°s) et du français. Ce qui paraît une curiosité orthographique anglaise peut s'expliquer peut-être par l'anglo-saxon, comme nos graphies par le latin (le double L de tranquille se justifie par le latin, tandis que learning garde peut-être sa double voyelle de la forme ancienne leorning). Pour ce qui est de votre remarque sur les langues romanes, vous savez que le phonétisme italien et espagnol, et même portugais, a gardé de nombreuses caractéristiques latines, tandis que le français a posé de réels problèmes aux scribes médiévaux latinistes, avec ses nasales, ses consonnes inédites, etc. Ceci expliquerait d'une part la multiplicité des graphies médiévales, chaque province élaborant son propre code, et aussi leur complication. Hélas, je viens à peine de recevoir le livre de Bernard Cerquiglini, La genèse de l'orthographe française (Champion), et comme je ne l'ai pas encore tout à fait ouvert, je ne sais que vous dire.
23 avril 2008, 05:40   Re : Pan sur le bec
Cher Jmarc, nulle idée en moi de vous faire un pan-sur-le-bec, seulement je ne suis pas sûr de ce que vous entendez par "bizarrerie" de la langue anglaise et "lettres qui ne se prononcent pas". Pouvez-vous me donner des exemples sur lesquels je pourrais hasarder une opinion ?
23 avril 2008, 07:44   Le français vu par Erasme
La belle maison d'Erasme que l'on voit sur un autre fil m'a rappelé ceci, extrait d'un traité de 1526, De la tenue des enfants : " En ce qui concerne les langues, la facilité est si grande à cet âge qu'un jeune Allemand apprend le français en quelques mois à son insu et tout en s'occupant d'autres choses, et le résultat n'est jamais si heureux que dans les toutes premières années. Si l'on obtient ce succès avec une langue barbare et anormale, qui s'écrit autrement qu'elle ne se prononce et qui possède des sons stridents qui lui sont propres et des accents qui n'ont presque rien d'humain, combien sera-t-il plus facile d'obtenir ce même succès avec la langue grecque ou avec la langue latine? " (Opera omnia, Tome 1, col. 501 EF).

Dans son introduction de La genèse de l'orthographe française, Bernard Cerquiglini analyse un mythe présent dans les travaux de linguistes érudits du XIX°s et de la première moitié du XX°s, celui d'une orthographe française qui aurait été à l'origine phonétique, et qui aurait dégénéré à partir du XIV°s vers l'étymologisme et la complication inutiles. C'est vers cet exemple imaginaire d'une orthographe phonétique originelle, que se tournent tous les réformateurs "progressistes" de l'orthographe, de Louis Meigret en 1542 au comité d'experts réformateurs de 1990.
23 avril 2008, 10:08   Pan sur le bec bis
En fait, bien cher Francis, le "pan sur le bec" est le châtiment que le Canard enchaîné s'auto-administre quand il s'est trompé, vous n'y êtes donc pour rien !


Voici quelques exemples en français de lettres qui, écrites dans un mot, n'apportent rien et même induisent une faute de prononciation si on utilise la règle courante.

On dit et on écrit "imbécile", on écrit "imbecillité" en la prononçant "l" et non "y". De même, le second "l" de "tranquille" ne donne pas de son "y".



On écrit "envie" qu'on prononce "envi" sauf en poésie classique où on prononce envi-e.

On écrit "bizarre", on prononce "bizare", alors que cela vient de l'italien "bizzaro".

On écrit "chariot" et "charrette".

On érit "prolixe" et on prononce "prolikse", on écrit "dixième" et on prononce "dizième", alors qu'on écrit "dizaine".

Je n'entrerai pas sur le terrain des traits d'union, et sur celui des mots composés, où on trouve tout et n'importe quoi.
23 avril 2008, 16:30   Re : Pan sur le bec bis
Vous avez opté pour relever les bizarreries dans la langue française au lieu de l'anglais, c'est probablement plus sage. L'orthographe française ayant toujours été pour moi un motif de vexation intime, je me garderai de commenter ces bizarreries - pour des raisons qu'il serait intéressant d'explorer, je ne fais presque jamais, vraiment, et sans que je ne puisse expliquer tout à fait pourquoi, de fautes d'orthographe en anglais, que j'ai appris à écrire à l'extrême fin de l'adolescence. Je suis toujours surpris de ces professeurs anglais qui enragent et désespèrent de voir des adultes ou des jeunes écrire "I beleive" et qui leur cornent aux oreilles que le "i" vient toujours avant le "e". Je n'ai jamais fait cette faute, alors qu'en français, il n'est pas extraordinaire que j'écrive encore "acceuil".

Le cerveau humain est bien mieux doté à 20 ans et mieux encore à 25 ans qu'à 12 ans. Si bien que celui qui apprendra à écrire une langue à ces âges, l'apprendra plus sûrement qu'au sortir de l'enfance, et l'orthographe ne lui posera jamais les mêmes problèmes, au lieu que l'enfant qui, à 10 ou 12 ans, a mal épelé un mot risque de garder ce "bogue" toute sa vie, ce qui est mon cas pour la ceuillette des cerises.

A l'oral en revanche, l'enfant acquerra une prononciation plus exacte et plus classique que le jeune adulte qui aura presque toujours le plus grand mal à se débarrasser de l'accent qui trahit sa langue maternelle.

Autre bizarrerie: ma prononciation des sons du chinois est jugée excellente, alors que ma maîtrise du vocabulaire et des expressions est catastrophique; c'est que ma mémoire auditive pour les mots chinois est cruellement défaillante, elle laisse la belle impression que peux produire ma maîtrise de la phonétique toute seule loin dans les lignes ennemies, sans support aucun. En revanche, m'étant fait au chinois sur le tard, je suis un petit champion pour la reconnaissance sémantique des idéogrammes, ce qui correspond à ma bonne orthographe de l'anglais (mémoire visuelle solide car acquise à un âge où les sémantèmes pouvaient la soutenir).

Les meilleurs professeurs de phonétique chinoise sont les enfants des écoles primaires, je peux vous l'affirmer en connaissance de cause. Ils sont intraitables, vous corrigeront avec rudesse, moquerie, en véritables petits "fascistes", jusqu'à ce que votre prononciation soit impeccable et qu'ils en soient satisfaits. Si vous n'y parvenez pas, ils vous lâcheront en vous accablant de lazzis.
23 avril 2008, 17:26   Enfants
Ce que vous me dites là, sur les enfants, me semble d'un grand bon sens.

Ils ont très probablement le "son de la langue" dans l'oreille.
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter