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Le Divers du Château de Grignan

Envoyé par Francis Marche 
28 décembre 2009, 22:20   Le Divers du Château de Grignan
C'est la saison de la discrimination positive. On le savait. L'Etat, le plus fort des états, le Tiers-Etat des Régions, la surpuissance territoriale, départements, régions, communautés de communes, entre les doigts de qui coulent les milliards, rachètent les châteaux que leurs propriétaires à particule seraient prêts à vendre à l'encan ou pire, comme carrière de pierre à bâtir pour payer leurs impôts locaux.

Ainsi la Drôme, département pourtant oublié de la collectivité nationale, en 1978, racheta la demeure de Mme Sévigné, château dressé sur son vieil entablement de 5000 mètres carrés, site d'un ancien oppidium romain, qui faisait plus que menacer ruine quand les ayant-droit de Mme Fontaine qui avait racheté la bâtisse en 1913, menaçaient, les ayant-droit, cette dernière, la bâtisse remise sur pied, du plus funeste des sorts. Plus funeste encore que celui que le comité révolutionnaire de Montélimar, organe inspiré et fortement déterminé à mener l'entreprise robespierriste jusqu'au bout, avait ordonné, en 1793, en décrétant la vengeance populaire sur la façade et les aîtres du château, et leur saignante déconstruction. Les révolutionnaires des bourgs marseillais et rhodaniens, en France, furent, 150 ans avant l'heure, les vrais précurseurs, inspirateurs, suprêmes modèles, des garde-rouges de Lin Piao et Mao. Zélés, capables, pénétrants dévorateurs de symboles, sublimes éradicateurs, fins débusqueurs du privilège indu, déduisant leur cible, l'isolant à l'issu de compliqués et irréfutables calculs, le comité des Sans-culotte de Montélimar s'arrêta sur le château de Grignan. Le Comité fit du très bon boulot.

La visite du château de Grignan où la vieille Mme de Sévigné, qui détestait la Provence venteuse et parfaitement glacée, et ses gens chaleureux entre eux mais méfiants et froids envers les visiteurs du grand nord qui commence à Lyon, n'eut d'autre choix qu'y mourir, est accompagnée. Un guide est désigné. Il est Arabe. Ce guide, qui est un type à vrai dire formidable, est le seul Arabe que l'on puisse trouver à 25 km à la ronde. Jamais guide de château ne fut plus prolixe. Sur la grande terrasse, de la superficie d'un bon demi-terrain de football, dans l'âpre mistral qui caresse le Ventoux, dans la grande froidure générale de tous les vents coulis qui descendent des Alpes, le voilà qui nous retient, nous comptant trente-cinq longue minutes quand nous nous tenons au garde-à-vous les pieds gelés comme des soldats à la revue, les fortunes et infortunes de la famille Adhémar en Provence, à qui l'on doit la première formule, quinziémiste, du château, les heurs et malheurs des divers corps de bâtiment, etc.

La discrimination positive est zélée. Elle donne sa chance au zèle parfait. Jamais, de toutes mes visites de châteaux depuis mon enfance dans une famille de grands visiteurs de château devant l'éternel, je ne connus guide plus exact, plus exhaustif, acharné au détail, à la date, à la récitation parfaite, au débit fluvial, qui ne s'interrompt pas. L'homme débite: "ce lit fut crié à l'occasion du séjour au Château de la comtesse polonaise Mme ..., qui demeura au château du 12 juillet au 21 septembre 1704". On traduit "ce lit fut créé", mais le reste est irréprochable. On remplace mentalement cet Arabe trentenaire par un bon guide chauve, un rien égrillard, un rien ventripotent, comme on les faisait autrefois et l'on entend déjà les "vannes" sur le lit, les passages secrets derrière les lambris, etc.: pas un quart des "données" que nous débite à la serpette notre guide Arabe, furieusement engagé dans la défense de sa discrimination positive, ne nous seraient livrées par l'autre débonnaire, son concurrent imaginé, qui serait évasif, qui nous prendrait avec des "entre nous, hein, on se comprend".

Je suis contre la discrimination positive, et je n'ignore pas que cet homme, compétent, irréprochable, savant et scrupuleux, prend la place d'un jeune Français tout aussi compétent, irréprochable, savant et scrupuleux que lui; pourtant qui blâmer et qui récuser ? le château de Grignan ("Versailles de la Provence") fut détruit par des petits hobereaux locaux en alliance avec la pègre et la basse plèbe qui ne juraient que par Saint-Just et Robespierre; il fut vendu, transformé en carrières, par des nobles et nobliaux du Royaume; il est là aujourd'hui grâce au Département et au Ministère et ses pierres continuent d'être agencées savamment par la collaboration de tous - bourgeois mécènes (Mme Fontaine de 1913 à 1937, date de sa mort) et compagnons.

Un Arabe, le seul que l'on ait vu ici, se met corps et âme au service de l'entreprise parce que le gouvernement local, enfin sage (?) le permet. Qu'en dire ?
"On remplace mentalement cet Arabe trentenaire par un bon guide chauve, un rien égrillard, un rien ventripotent, comme on les faisait autrefois et l'on entend déjà les "vannes" sur le lit, les passages secrets derrière les lambris, etc.: pas un quart des "données" que nous débite à la serpette notre guide Arabe, furieusement engagé dans la défense de sa discrimination positive, ne nous seraient livrées par l'autre débonnaire, son concurrent imaginé, qui serait évasif, qui nous prendrait avec des "entre nous, hein, on se comprend". "

Sans doute, mais il faut ajouter bien d'autres types humains que cet Arabe trentenaire, qui ont remplacé le "bon guide chauve, un rien égrillard". Le jeune "communicant" bombardé guide, par exemple, tout d'antique souche fût-il, est lui aussi foutrement "Divers" !
Utilisateur anonyme
29 décembre 2009, 23:52   Re : Le Divers du Château de Grignan
"[cet] homme, compétent, irréprochable, savant et scrupuleux, prend la place d'un jeune Français tout aussi compétent, irréprochable, savant et scrupuleux que lui"

La discrimation posivite ne serait-elle pas plutôt qu'il prît la place d'un français plus compétent, irréprochable, savant et scrupuleux que lui ?

S'il y a bien un cas où accorder le bénéfice du doute, il me semble que ce soit celui-là, en l'absence d'autres informations sur le recrutement de cette personne. Il y a un côté : "si ce n'est toi, c'est donc ton frère" que je ne comprends pas dans cette déploration.
Sans doute, il n'est pas couleur locale, mais comme le suggère M. Bolacre, il y a lieu de se méfier de ce que produirait l'époque en version de souche.
Pour ma part, lors de ma dernière visite cet été, ses "Msieurs dames" à tout bout de champ m'ont exaspéré; mon fils aîné s'était même amusé à les compter (plus d'une centaine, je crois)...
S'agit-il du même, ou sont-ils finalement deux dans la région ?
Non, c'est bien lui, M. "M'sieurs dames". Ce tic n'est pas exaspérant en soi, il est commun aux guides de monuments historiques, y compris et surtout aux "guides à l'ancienne", ceux qui tendaient la casquette, ou presque, avec leur "n'oubliez pas le guide" quand on franchissait la porte de sortie. Ce qui est exaspérant, ne craignons pas de le dire, c'est l'accent d'outre-méditerranée qui se révèle dans ce "M'sieurs dames". Il est très difficile de visiter un fleuron du patrimoine en emboîtant le pas à un cicerone accentué de la sorte. Il y a un pli, indiscutablement, chez le visiteur, qui tolère cet accent chez le garagiste, le fleuriste si l'on veut, mais qui le fait s'irriter ou se hérisser quand il doit le subir durant une visite patrimoniale. Je ne crois pas, à priori, que ce pli soit à défendre comme on défendrait son patrimoine. C'est un pli arbitraire et sans valeur, que l'on devrait passer outre. Il est certaines gênes qui doivent être tolérées quand celui qui les cause n'est pas nocent, ne désire pas ostensiblement s'imposer ou prévaloir.
30 décembre 2009, 02:18   M'sieurs dames
Je souscris tout à fait à ce que dit Francis : le M'sieur dames est une tournure du français populaire, qui ne me choque en rien dans certains professions (un médecin qui dirait à un couple "bonjour M'sieur dame" me choquerait).

Par ailleurs, ce guide fait son travail de façon consciencieuse : entre un guide maghrébin appliqué et un desouche du même âge branleur, je choisis le maghrébin. Entre le desouche branleur et le maghrébin ejusdem farinae, je choisis le desouche.

Le "desouche standard" est peut être plus éloigné de ce que fut Grignan que ne l'est en définitive le maghrébin.
Précisons d'emblée que je n'appartiens pas à une "famille de grands visiteurs de châteaux devant l'éternel".
Mais enfin, pour l'essentiel, je n'avais pas trouvé ce guide particulièrement "compétent, irréprochable, savant et scrupuleux". Il m'avait semblé qu'il manquait parfois de finesse, d'élégance et de raffinement.

(autre chose : j'ai reparlé de cette visite ce matin au petit-déjeuner avec mon fils, qui ne se souvenait même plus de l'origine ethnique du guide)


Par ailleurs, même à la relecture, j'ai du mal à bien comprendre la phrase de Jean-Marc : /Le "desouche standard" est peut être plus éloigné de ce que fut Grignan que ne l'est en définitive le maghrébin./

Mais sans doute dois-je apprendre moi aussi à "déconstruire" mon racisme latent et je vais commander sans attendre le dernier livre de Thuram.
30 décembre 2009, 11:16   Eloignement
Bien cher Jlchambon,

Point n'est besoin de relire Thuram ni de chercher midi à quatorze heures, ni de déconstruire votre racisme latent.

Il se trouve que, d'après le rapport que nous en fait Francis, ce maghrébin-là connaît son sujet, connaît Grignan et sait en parler, d'une manière qui paraît peut être agaçante, mais il s'est appliqué et a cherché à savoir.

Prenons maintenant le cas d'un jeune (Provençal ? Dauphinois ? que doit-on dire pour Grignan ?). Nourri aux dessins animés, abruti par les Pokémon, il ne doit rien savoir ni de Grignan, ni de la marquise. Il en a peut-être entendu parler, mais elle doit être, dans son esprit, une Garde des sceaux du Général de Gaulle, autre personnage de l'antiquité. Je le nommerai le desouche standard.

C'est en cela que le maghrébin en cause est plus proche de Mme de Sévigné que le desouche, car le maghrébin en question s'est élevé, et le desouche a végété.
Pour Grignan, le terme un peu pompeux de /Drôme provençale/ semble s'imposer aujourd'hui.
Je comprends mieux votre première réponse, lorsque s'y ajoute la notion d'évolution temporelle : dans les années 1970, j'ai effectué ma première visite de Grignan dans le cadre du cours moyen deuxième année dirigé par mon institutrice de mère et j'avais fait à cette occasion la connaissance d'un guide /desouche du coin/ qui m'avait impressionné au plus haut point et donné envie de lire Mme de Sévigné.
30 décembre 2009, 11:41   Re : Eloignement
Merci Jean-Marc. Vous me reposez, comme la main secourante qui vient pousser dans le dos, ou sous la selle, le cycliste vers le bout du col, le cycliste à bout.
30 décembre 2009, 16:39   Re : Le Divers du Château de Grignan
J'ai horreur des poussettes et des visites guidées; pour moi, la diversité, c'est des huîtres de Marenne, des moules, des bulots, des crevettes, des praires et des palourdes, avec des coques et des chapeaux chinois; un sylvaner et basta!
Nourri aux dessins animés, abruti par les Pokémon, il ne doit rien savoir ni de Grignan, ni de la marquise.

Dites donc, Jean-Marc, un peu de respect pour les dessins animés. Dois-je vous rappeler que l'homme moderne commence avec le dessin animé. Vous avez vu des images de la grotte Chauvet, récemment ? Des formes animales partiellement superposées. La superposition (et aussi le fait que le support n'est pas plan) amène une vision en relief. Comme la lueur de la lampe flageole, cela bouge. Et cela bouge d'autant mieux qu'on est en train de tourner de l'œil, au fond de grottes où les lampes à graisse de bison épuisent l'oxygène en dix à quinze minutes.
Vous voulez dire que les Hommes de la grotte Chauvet, au tréfonds, jouaient, en maniant la lampe à graisse de bison, au jeu du foulard, Chatterton? Ca ne m'étonnerait pas de vous.
Ben oui. C'est l'ilinx, quoi.
Les mesures prises récemment pour imposer dans les entreprises l'embauche de "seniors" - faute de quoi, on reçoit une amende - appartiennent-elles, selon vous, à cette nébuleuse de "discrimination positive" ?
02 janvier 2010, 11:10   Les innommables
Les mesures prises pour imposer les "seniors" devront être renforcées par des mesures complémentaires visant à stimuler l'embauche de jeunes sans formation, jusqu'à ce que l'on parvienne au constat que cette politique catégorielle arbitraire a laissé de côté une frange oublié de la population: les ni jeunes ni vieux, ni handicapés, ni divers, pour l'intégration desquels devra être "mis en chantier" un plan audacieux de promotion sociale et d'accompagnement, afin qu'eux aussi, citoyens à part entière, puissent trouver leur place dans une société qui a trop longtemps nié leur particularité, savoir leur ordinarité, qui les rejette au fond des listes d'attente d'emploi, de logement, qui les prive irrémédiablement d'accès à la reconnaissance de leur condition obscure, celle d'humains innommables sans qualité ni trait qui puisse les particulariser en un groupe catégoriel.

Il est temps de faire pour eux, les sans catégorie, ces humains qui n'ont pas de moignon à brandir sous les caméras, pas de couleur de peau qui les rendrait fiers ou vergognieux, d'orientation sexuelle chic, oui, il est temps que sonne le tocsin de la réparation que nous leur devons, que dans chaque mairie, chaque pôle emploi, chaque antenne d'écoute sociale de chaque conseil général départemental, leur liste donnant leur absence de particularités, et leur aspiration à la faire reconnaître, soit dressée, au terme d'un recensement qui en dira le nombre exact et leurs besoins de soutien, d'aide en tout genre, de considération et d'amour les plus prioritaires.
02 janvier 2010, 11:20   Seniors
Bien cher Francis,


Pour une fois, je suis en désaccord avec vous : la problématique des seniors, comme on dit, est très spécifique ; dans les entreprises sévit le "jeunisme" et, autant il sera considéré comme normal d'avoir des cadres dirigeants de plus de cinquante ans, autant, à partir de cet âge, les professions intermédiaires sont en difficulté.

A cela, plusieurs raisons, dont la moindre n'est pas que le senior, dans notre structure de rémunération, soit mieux payé.

Cela est d'autant plus extraordinaire que, quand j'ai commencé à travailler, la retraite était à soixante-cinq ans, avec des personnes en moins bon état physique, et que nul ne trouvait à redire à cela.
Utilisateur anonyme
03 janvier 2010, 11:06   Re : Le Divers du Château de Grignan
Mon fils, qui va depuis trois ans en vacances dans la région, me communique ceci : "Par contre "le seul Arabe que l'on puisse trouver à 25 km à la ronde", c'est hélas faux. Vingt-cinq km c'est pourtant peu mais c'est encore de trop car la petite dame qui travaillait à la cave du Domaine des (...), à Chantemerle-lès-Grignan était intarissable sur ses problèmes et ses inquiétudes avec les arabes. Elle habite Saint-Paul-Trois-Châteaux, à moins de 20km de Grignan ...
Les Arabes, ce n'est pas nouveau Obi, voyagent.
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