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Communiqué n° 970 : Sur la querelle des boursiers

Communiqué n° 970, mercredi 6 janvier 2010
Sur la querelle des boursiers

Le parti de l'In-nocence, dans l'actuel débat — si déséquilibré qu'il soit médiatiquement — autour d'une très forte proportion de boursiers qui serait imposée dans les grandes écoles, voit mis à nu naïvement les mécanismes mêmes qui ont présidé à la grande déculturation de notre pays et à l'effondrement de son système éducatif. Ces mécanismes sont exposés avec la plus grande clarté par les champions autoproclamés de la démocratie sociale, qui n'ont manifestement rien appris du désastre pourtant criant de l'enseignement à tous ses niveaux. Les raisonnements de ces doctrinaires sont aberrants, mais il suffirait de les considérer dans un miroir intellectuel pour en tirer les plus justes et les plus précieuses conclusions. Ils soutiennent que le fonctionnement traditionnel des grandes écoles n'est pas compatible avec le type de démocratie qu'ils entendent promouvoir. Ils ont parfaitement raison. Ce n'est pas seulement avec le fonctionnement traditionnel des grandes écoles que le type de démocratie qu'ils veulent imposer est incompatible, c'est avec l'enseignement en général, avec la culture, avec toute la vie de l'esprit. Il faut choisir.
Le retournement par le jeu du miroir me semble pertinent et les deux dernières phrases foudroyantes. Merci et bravo aux rédacteurs.
D'accord avec Eric Veron, le couperet est tranchant.
Le désastre n'est pas criant pour tout le monde. Beaucoup croient fermement et sincèrement, au contraire, qu'un enfant de douze ans, au vint-et-unième siècle, en sait dix fois plus que Newton, a fortiori qu'Aristote. C'est bien là le drame : l'aveuglement des élites. Qu'y faire ? Régalons-nous du monde ancien, et partageons notre plaisir...
« Régalons-nous du monde ancien, et partageons notre plaisir... »

Je ne voudrais pas vous faire dire ce que vous ne dites pas, cher Bernard, mais comment se régaler d'un monde que nous saurions fini, achevé, disparu, éteint ? C'est le vivant qui est beau. Bien sûr vous pouvez, je peux m'alimenter, me régaler encore de l'héritage dont je bénéficie mais, outre que je ne tiens pas particulièrement à vivre dans la nostalgie, comment ce plaisir ne serait-il pas gâté si nous sommes convaincus que nous en goûtons les derniers fruits ?
Éric, je vais vous dire un grand secret : nous n'avons que le présent, et le monde est fini, dans tous les sens du terme. Si vous lisez Montaigne, Montaigne est un auteur vivant, il n'y a, à cet égard, aucune différence avec un auteur de notre époque. Si vous regardez le Narcisse noir sur Arte, c'est de la culture vivante, même si le film date de la moitié du siècle dernier – et surtout si nous en parlons entre nous, mais ce n'est même pas nécessaire (heureusement, car il semble que personne ne soit intéressé par cette idée).
« [ ... ] nous n'avons que le présent [ ... ] »

C'est entendu et c'est une part de ce que j'essayais de dire, Bernard, mais pouvez-vous réellement resté indifférent au fait de savoir que les suivants n'auront peut-être pas accès au Narcisse noir ? Pourquoi nous battons-nous, vous et moi, à notre place et avec nos moyens, pour que perdure cette culture ?
Il faut prendre au sérieux la boutade de Woody Allen : « La postérité, la postérité ! Qu'est-ce qu'elle a fait pour moi, la postérité ?? »

Si le fait de « vous battre » ne vous apporte rien, à vous, maintenant, croyez-moi, changez de métier... Le futur ne nous appartient pas. Si vous aimez Montaigne et que vous avez plaisir à partager ce qu'il vous donne, le travail de dissémination se fera tout seul, et sans même qu'on y pense. Il en a toujours été ainsi. Oui, je vous le dis : Montaigne est un de mes auteurs de chevet, mais peut me chaut qu'il soit oublié dans cinquante ans par des imbéciles, et retrouvé comme "trésor national" (ça me laisse rêveur...) dans un demi-millénaire.
Il faut prendre au sérieux la boutade de Woody Allen

Il faut prendre au sérieux toutes les boutades de Woody Allen.
Me battre m'apporte bien des choses mais ce que vous dites aussi, j'en prends bonne note.
Savez-vous que Montaigne, témoin des rapides changements de la langue française en son temps, était persuadé qu'on ne serait plus capable de le lire cinquante ans après sa mort ? Il n'avait que le présent, et pour interlocuteurs quelques parents et amis, comme il dit, et pourtant il a écrit son livre.
Chers amis, en quelle édition me conseilleriez-vous la lecture de Montaigne ? Il va sans dire que je ne recherche ni l'érudition ni la fidélité absolue à la langue de l'époque ni même l'exhaustivité, j'aimerais trouver un plaisir de lecture. De même, existe-t-il une introduction brève et simple à cette œuvre ? Merci.
L'édition du Club Français du Livre (1962) présentée par Samuel de Sacy, est celle dont je me sers. Le Journal de voyage en Italie la complète (même éditeur). Les spécialistes de Montaigne doivent avoir d'autres avis; je ne saurais en dire plus sinon que l'édition dont je parle est très agréable et pratique; pas besoin de s'agripper pour retenir les pages.
Si vous n'êtes pas accoutumé à la langue, si vous n'êtes pas bon latiniste et bon helléniste, il vous faut une édition annotée. En effet, quelques dizaines de mots ont un sens différent de celui qu'ils ont aujourd'hui (l'on est habitué après cinquante pages), et le texte est émaillé de citations latines et grecques. Il faut évidemment fuir les éditions en français moderne. Personnellement, j'aime bien l'édition du Seuil (collection l'Intégrale), en deux colonnes, avec les notes en bas de page. Seule la typographie a été modernisée, ce qui est légitime.
J'ajoute qu'il y a plusieurs éditions en ligne, à partir desquelles il vous est facile de construire un livre de poche électronique :
http://www.bribes.org/trismegiste/montable.htm
http://www.lib.uchicago.edu/efts/ARTFL/projects/montaigne/
Merci bien, cher Bernard, pour ces renseignements, notamment pour les liens avec les éditions en ligne. J'ai déjà tenté la lecture du Chapitre IV Comme l'âme descharge ses passions sur des objets faux, quand les vrais luy defaillent. Je vois bien qu'il y a là une substance qui m'intéresse et un tour plaisant pour le dire mais je bute beaucoup à la lecture, je vais m'efforcer de m'y tenir. Merci encore.
Utilisateur anonyme
08 janvier 2010, 10:04   Re : Communiqué n° 970 : Sur la querelle des boursiers
Cher Éric, la lecture des Pensées de Pascal, dont la langue est beaucoup plus proche de nous, peut être une propédeutique à la lecture de Montaigne : elle acclimate formidablement aux questionnements, aux arguments, à de nombreuses tournures d'esprit.

Mais peut-être vais-je me faire taper sur les doigts par Bernard Lombart.
J'ai numérisé pour mon compte le petit dictionnaire accompagnant l'édition susdite, utile au débutant, surtout pour éviter les mots "faux-amis". Si vous me le demandez en privé, je puis le rechercher dans la mémoire de mon ordinateur.
Moi ?? Sachez Môssieur, que Pascal a bercé toute mon adolescence, et n'est pas pour rien dans mes inclinations un peu jansénistes ! Mais je crois que c'est Montaigne qui intéresse Éric, et non point la langue ancienne. Notez d'ailleurs, à cet égard, que La Fontaine n'est pas mal non plus. (Les deux sont nés à deux ans d'intervalle.)
Merci de votre proposition. Je reprendrai contact avec vous en privé si ce petit dictionnaire me fait réellement défaut.
Utilisateur anonyme
08 janvier 2010, 10:44   Re : Communiqué n° 970 : Sur la querelle des boursiers
Cher Bernard,

je ne me suis pas fait comprendre : je ne conseille point Pascal pour l'ancienneté de la langue mais au contraire parce que la langue y est plus accessible telle quelle que celle du bordelais ; les nombreuses correspondances de matière entre Essais et Pensées permettent donc de se familliariser avec Montaigne par la bande.

Un peu comme la lecture du Journal de Renaud Camus nous permet de nous familiariser avec la pensée du Monde et de France Inter malgré la langue épouvantable qui y a cours.

En aparté : Comment faites-vous pour numériser à la maison ? Faut-il un équipement spécial (onéreux) ?
Il faut un numériseur (qui prend simplement une image du document), et un logiciel de reconnaissance optique de caractères (Adobe, Iris, etc. : il y en a plusieurs sur le marché).
Passer par Pascal pour aller à Montaigne ne me semble pas une bonne chose, même si les liens sont étroits entre les deux auteurs. Si l'on désire entrer, ou rentrer, dans le texte des Essais, certaines éditions scolaires d'extraits sont excellemment faites, et conduisent le lecteur au texte intégral : comme on a l'embarras du choix, je vous conseillerai l'édition des Petits Classiques Larousse établie par Jacques Vassevière. Elle contient trente extraits et six essais intégraux, et semble destinée à des étudiants plus qu'à des lycéens. Les questions, explications et introductions ne sont pas inutiles et servent bien le texte. Pour ce qui est des Essais dans leur intégralité, l'édition de la Pochothèque faite sur le texte de 1595 sous la direction de Jean Céard, est assez confortable à lire, modernise l'orthographe mais non la langue, respecte la ponctuation originale selon les règles du temps. En bref, elle serait devenue mon édition de référence si j'abordais les Essais au lycée, ce qui n'est plus possible. Evitez en revanche Folio classique, en trois volumes, car la modernisation nécessaire de l'orthographe s'accompagne parfois de fautes du correcteur, qui ne sait pas reconnaître certains futurs de la langue ancienne (lairrai, dorrai, pour laisserai, donnerai). Folio a publié très récemment une autre édition, dont chaque volume est bien épais et, j'imagine, très annoté Voyez ce que les critiques en disent. Les membres de la Société des Amis de Montaigne se feraient sûrement un plaisir de vous guider dans cette jungle éditoriale.
Je vois que personne ne soutient la Pléiade, première ni deuxième version...
Je ne me sens qu'à demi d'accord avec M. Lombart. Certes, il est hautement préférable de lire Montaigne dans la langue qui fut la sienne, plutôt qu'en français "modernisé". Mais une personne pour qui cette langue même serait un obstacle infranchissable, rédhibitoire, devrait-elle pour autant renoncer aux Essais ? Je ne le crois pas.

Et puis, je ne suis pas sûr qu'un Madrilène ou un Berlinois lisent Montaigne en allemand ou en espagnol du XVIe siècle...
Je ne la connais pas, cher Renaud Camus, même si je choisis souvent cette collection pour d'autres auteurs. Dans la Pléiade, les notes sont ordinairement reportées en fin de volume, ce qui peut être incommode quand il y en a plusieurs à chaque page...

J'approuve évidemment l'intervention d'Henri Bès.

Mais je désapprouve totalement celle de Didier Goux. Je prétends que Montaigne écrit en français, et que tout le monde peut le lire, moyennant un tout petit effort, à la portée de n'importe qui, j'en suis intimement persuadé, qui veut lire le texte (et non simplement l'avoir lu).

Concernant les livres de poche, je crois, moi aussi, qu'il faut beaucoup s'en méfier. L'édition de Proust, par exemple, est bourrée de fautes, rendant parfois la phrase incompréhensible. Si l'on se reporte à l'édition de la Pléiade, impeccable, tout s'éclaire...
Cher monsieur Véron,
je pratique Montaigne dans l'édition de Pierre Villey, un des grands universitaires humanistes de la Troisième République. Cette édition a été rééditée il y une vingtaine d'années par les Presses Universitaires de France dans la collection semi-poche "Quadrige", je ne sais si on la trouve toujours. Villey distingue trois couches successives d'écriture, ce qui ajoute aux idées et à la langue le plaisir ( peut-être illusoire, car j'ai cru comprendre que la nouvelle édition de la Pléiade remettait en cause le découpage de Villey) d'assister au développement organique d'une pensée toujours vivante et ouverte, qui revient sur elle-même, nuance, approfondit ses vues et ses jugements, les contredit parfois à des années de distance, raturant peu (Montaigne est, avec Proust, autre bonheur de lire la langue française dans l'original, l'un des rares écrivains qui ajoutent toujours), préférant laisser deux formulations même lorsque la première lui semble désormais approximative. Mais je suis déjà trop long, je m'arrête, je parlerais de Montaigne pendant des heures, oui, quel bonheur!
Voulez- vous toutefois un élément de comparaison? Voici, dans l'"Intégrale" au Seuil, le début du chapitre I4 que vous avez lu :
"Un gentihomme des nôtres, merveilleusement sujet à la goutte, étant pressé par les médecins... ": orthographe modernisée, absence de notes sur ce fragment.
Même fragment en collection "Quadrige": "[A] Un gentil-homme des nostres merveilleusement subject à la goutte, estant pressé par les medecins ..." . La lettre A entre crochets indique un texte présent dès l'édition de 1580; et, en bas de page, une note signale le sens de "merveilleusement": étrangement, extrêmement. Semblables notes sont répétées quelques pages plus loin à l'identique si le même mot est à nouveau utilisé par l'auteur, ce qui donne un grand confort de lecture pour un texte qu'on peut lire à peu près dans n'importe quel ordre, et qu'on a laissé parfois de côté pendant quelques semaines.
Un peu plus bas, la citation de Lucain est traduite en note, en bas de page, dans les deux éditions mais, dans le texte, la collection "Quadrige" précise , pour informer le lecteur qu'il s'agit d'un ajout de 1588.
J'utilise l'"Intégrale" pour le "Journal de voyage en Italie" ... mais que la typographie serrée est fatigante!
Dernière précision, pour reprendre la proposition de Guillaume Audrige, Pascal comme propédeutique à la lecture de Montaigne: lisez aussi Saint-Evremond, dont quelques courts traités ont été réédités récemment chez Desjonquères.
... en revanche, j'ai une édition complète de Rabelais en livre de poche qui est vraiment bien : langue originale, non modernisée, sur la page de droite, et une multitude de notes sur la page de gauche...
08 janvier 2010, 13:02   Pléiade
Pour ma part, je conseillerais la Pléiade (et c'est un conseil valable pour tous les textes et tous les auteurs).

Je ne suis pas de l'avis de Bernard Lombart quant aux notes : le fait qu'elles soient reportées en fin d'ouvrage permet, à mon sens, une lecture suivie. Sinon, la tentation est grande de sauter du texte à la note, et ainsi existe le risque de perdre le fil.

Je vais par ailleurs essayer de me procurer cette édition Villey, dont j'ignorais l'existence.
[homepage.mac.com]

Je vous conseille cette édition sur le net ou papier de Montaigne en français moderne. Cela a été la seule façon pour moi de lire les Essais.
Bien à vous
Didier, votre intervention me rappelle cette remarque de M. Molho, dans sa note sur la traduction des Romans picaresques espagnols, dans la Pléiade, où il déplore la perte de saveur des romans espagnols du Siècle d'Or traduits en français moderne. J. Cassou d'ailleurs, en 1949, avait publié une version de Don Quichotte adaptée des traductions de César Oudin (1614) et F. Rosset, afin de rendre en français le parfum ancien du texte espagnol, et à l'intérieur de ce texte, les archaïsmes qu'utilise ridiculement le héros quand il parle à la façon des romans de chevalerie. A propos de Montaigne, sa langue est difficile (moins à cause du veillissement que du travail stylistique), mais surtout sa pensée : on a donc besoin d'une paraphrase à certains endroits, mais non à tous, et lire Montaigne entièrement "translaté", comme on dit, c'est vraiment le perdre. Mais le lire "dans le texte" sans aide, c'est se décourager. D'où le recours aux éditions scolaires : après tout, Montaigne lui-même ne dédaignait pas les recueils de sentences à l'usage des écoliers.

Je ne citais pas la Pléiade parce qu'Eric Veron cherchait, dans sa question, le plaisir de la lecture, et je trouve pénible la lecture les volumes de cette collection, si admirables de science philologique soient-ils.
Version originale :

« Il faut croire que le coeur leur fremit d'effroy, que le son de nos mots blesse la pureté de leurs oreilles, qu'elles nous en haissent et s'accordent à nostre importunité d'une force forcée. » (Livre II, chapitre XV, Que Nostre Desir S’accroit par la Malaisance)

Modernisation orthographique :

« Il faut croire que le cœur leur frémit d’effroi, que le son de nos mots blesse la pureté de leurs oreilles, qu’elle nous en haïssent et s’accordent à notre importunité d’une force forcée. »

Un charme est rompu, une musicalité disparaît.*

Traduction contemporaine :

« Il faut croire que leur cœur en frémit d’effroi, que le son de nos mots blesse la pureté de leur oreille, qu’elles en ressentent de la haine envers nous, et qu’elles ne cèdent à notre insistance que par la force. »

La langue est profanée. Même le bel effet de « force forcée » est perdu, lamentablement sacrifié par les "savanteaux" sur l’autel de leur populisme, ou peut-être pire encore : de leur mercantilisme.
A qui s’adressent de tels travaux ? A des gens pressés, qui n’ont pas le temps de goûter aux finesses de la langue, ni l’envie de produire le moindre effort pour s’approprier une œuvre dans toute sa complexité. Pourquoi ces gens-là liraient-ils Montaigne ?

* Extrait de l'édition des Essais dans la Collection "Classiques modernes" (La Pochothèque), Livre de Poche, 2001. C'est par là que je suis entré dans l'oeuvre de Montaigne et je la recommanderais à qui n'est pas encore prêt à la seule lecture de Montaigne digne de ce nom, c'est-à-dire dans sa langue d'origine. Chaque essai est introduit par un texte court, les difficultés de langage font l'objet d'une note en bas de page (et non à la fin du livre, quelle horreur), et les citations sont immédiatement suivies de leur traduction entre crochets. Beau travail. (Et l'on se rend compte, au fil de la lecture, que la moitié des notes n'étaient pas indispensables à la compréhension.)
« Pourquoi ces gens-là liraient-ils Montaigne ? »

Tout est dit. Traduire Montaigne, c'est accepter l'idée que la langue française est morte. Le traduire en quoi d'ailleurs ? Dans la langue des journalistes ? Et pourquoi pas dans celle des faubourgs de la diversitude ? Au moins la traduction des fables de La Fontaine en argot avait-elle naguère le mérite d'être drôle. Traduire Montaigne dans "la" langue du jour, c'est se condamner à être versé, demain, dans les poubelles de l'histoire.
09 janvier 2010, 13:27   Notes en bas de page
Bien cher Olivier,


Je suis en total désaccord avec vous quant aux notes en bas de page.

Il se trouve qu'en ce moment je lis, dans la Pléiade, les Ecrits apocryphes chrétiens. Cette édition comporte des notes de bas de page.

Prenons l'exemple de la page 198, Histoire de l'enfance de Jésus, quand Zachée s'adresse à Joseph. Pour trois lignes de texte, il y a huit lignes de note de bas de page. Or, ces notes sont tellement intéressantes (l'histoire d'alpha et bêta) qu'on en perd le fil.
Merci à Olivier pour cette petite compilation, très éclairante. Qu'on me dise, maintenant, que la première version (ou à la rigueur la seconde) n'était pas compréhensible ! J'ai, moi aussi, connu des gens qui prétendaient ne pouvoir entrer dans Montaigne que par des traductions modernes. Comme par hasard, ils l'ont vite abandonné ! Je ne veux pas faire le malin, mais il me semble que, même pour quelqu'un qui ne serait pas philologue ou spécialiste de la langue du 16e siècle, l'effort à fournir pour entrer dans le texte authentique est si mince par rapport au bénéfice ! Je crois que quelque chose comme la confiance en soi intervient : peut-être faut-il d'abord se persuader que Montaigne parle bien notre langue...
Cher Jean-Marc, voulez-vous dire que, si les notes n'étaient pas en bas de page, mais à la fin du livre, vous ne seriez pas du tout tenté de vous y reporter ?

Rien n'est plus pénible que ces notes introuvables, entre l'index et la table des matières, qui ne vous apportent finalement rien de ce que vous espériez y trouver.
"peut-être faut-il d'abord se persuader que Montaigne parle bien notre langue..."

Bien sûr !

Ce que tout un chacun considère comme une évidence, c'est-à-dire qu'il vaut mieux lire Shakespeare, Dante ou Goethe dans le texte anglais, italien ou allemand, ne semble pas du tout souhaitable pour Montaigne, alors que l'effort de lecture que cela implique, pour un Français, est évidemment bien moindre.
09 janvier 2010, 13:57   Notes
Bien cher Olivier,

C'est une question de volume, pour ces notes. Si elles sont abondantes, il vaut mieux qu'elles soient en fin de volume, c'est un point de vue. Pour ma part, je préfère une lecture suivie.
La maquette de la Pléiade est ce qu'elle est, loin de moi l'idée de la dénigrer. Les notes en bas de page casseraient cette belle présentation. Mais lorsqu'il y a beaucoup de notes, j'avoue qu'il est fatigant de jongler avec les signets, et que c'est bien cela qui est propice à faire perdre le fil, comme vous dites. Dans le cas d'une première lecture de Montaigne, avoir la petite explication sous le regard est certainement appréciable.
Dans le volume de 1800 pages des Essais que je possède, il eût été criminel de reporter toutes les "traductions" de mots tels que "d'aucuns" (pour "certains") en fin d'ouvrage.
09 janvier 2010, 14:30   Etapes de l'écriture
Je vous comprends, mais comment faites-vous avec des notes qui explicitent les différentes étapes de l'écriture, les variantes ?
Je les survole la plupart du temps, sauf si elles sont particulièrement intéressantes ; mais il est vrai que le fil de la lecture en est affecté. Le mieux serait de reporter uniquement ces notes longues et ardues en fin d'ouvrage (elles seraient donc réservées aux "lecteurs motivés").
Sans compter que, le pli pris de la lecture d'une langue si forte, si inventive, si bellement tournée, etc., on s'accoutume, installé dans son chant, à cette parole de haute facture, et qu'il en est presque difficile de revenir au français contemporain !... Impression d'une perte, ou d'une chute, à chaque fois.
» difficile de revenir au français contemporain

C'est aussi mon sentiment.
A ceux qui ne parviennent pas (encore) à lire Montaigne "dans le texte": quelle chance vous avez!
Car vous allez vous y mettre, n'est-ce pas? et vous serez obligés de lire ... lentement.
Oui, quelle chance la moindre occasion de guérir, fût-ce momentanément, de la maladie contemporaine de la vitesse!
09 janvier 2010, 21:52   Vitesse de lecture
Je ne suis pas sûr, bien cher Johannus, que ce soit une question d'époque : quand on lit Montaigne, on le lit lentement, parce que le texte, qu'il soit d'époque ou remis au goût du jour, est très dense.

Prenez Pascal, qui est plus proche par l'écriture : vous ne pourrez pas, non plus, le lire vite.

Imaginez Balzac ou Flaubert lus au rythme qu'on a pour lire Montaigne : on n'en finirait pas !
Utilisateur anonyme
09 janvier 2010, 22:23   Re : Vitesse de lecture
D'accord avec vous bien cher Jean-Marcus !
Me voilà bien embarrassé. Chaque point de vue est solidement fondé, chaque intervenant est redoutablement persuasif. Un point est déjà acquis : vous m’avez convaincu d'aborder Montaigne.
Vous avez raison, cher Jean-Marc, chaque auteur digne de ce nom attend de son lecteur, c'est-à-dire de l'interprète de sa partition, qu'il prenne le bon tempo. Flaubert, dont les harmoniques sont plus fines (l'ironie), me semble devoir se lire plus lentement que Balzac ; le lecteur de Stendhal, au contraire, et malgré la finesse, gagne peut-être à galoper. Il me revient que Marivaux voulait qu'on enchaînât ses répliques avec promptitude, souhaitant qu'une forme de griserie happât le spectateur, lui interdisant, au moins pendant la durée de la représentation, le dédoublement critique.
Vous avez raison et je devais orienter mon petit paradoxe apparent sur le bonheur de devoir fournir un effort.

PS: me relisant, je m'interroge quant à l'opportunité des imparfaits du subjonctif. Que vaut-il mieux, paraître pédant ou se résigner à une perte? Ou: doit-on considérer que toute évolution est nécessairement un affaiblissement? Point de détail, me direz-vous, mais en lien direct avec les questions de société abordées sur ce forum.
Quant à moi, je préfèrerais que l'on ne se résignât pas à une perte aussi cruelle.
Surtout ne touchez à rien cher Johannus: emporté par le rythme, j'ai même lu "Il me revient que Malraux voulait qu'on enchaînât ses répliques avec promptitude, souhaitant qu'une forme de griserie happât le spectateur", en opinant du chef, avec enthousiasme et parfaite griserie, avant de passer sans reprendre mon souffle à la phrase suivante. Une phrase qui attaque avec "il me revient que" mérite son imparfait du subjonctif, qui se gobe sans y penser en espérant la suite. Bonne continuation.
10 janvier 2010, 18:28   Imparfait du subjonctif
N'est-ce pas aussi pour une raison d'euphonie ?

La troisième personne du singulier est belle à entendre, les première et seconde du pluriel m'écorchent les oreilles.
Quel rythme en effet ! Quelle griserie ! Bondir de Marivaux à Malraux sans reprendre son souffle ! Sacré Francis.
Certains subjonctifs imparfaits produisent un effet grotesque, il faut les sacrifier à l'euphonie de la phrase. Dans tout autre cas, je ne vois pas de raison de ne pas appliquer la règle. Votre phrase, M. Marcus, est très jolie, bien rythmée, et les subjonctifs participent à son élan.
Votre phrase, M. Marcus, est très jolie, bien rythmée, et les subjonctifs participent à son élan


J'espère que M. Marcus n'aura pas donné à mon commentaire d'autre sens que celui-là.
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