Cher monsieur Véron,
je pratique Montaigne dans l'édition de Pierre Villey, un des grands universitaires humanistes de la Troisième République. Cette édition a été rééditée il y une vingtaine d'années par les Presses Universitaires de France dans la collection semi-poche "Quadrige", je ne sais si on la trouve toujours. Villey distingue trois couches successives d'écriture, ce qui ajoute aux idées et à la langue le plaisir ( peut-être illusoire, car j'ai cru comprendre que la nouvelle édition de la Pléiade remettait en cause le découpage de Villey) d'assister au développement organique d'une pensée toujours vivante et ouverte, qui revient sur elle-même, nuance, approfondit ses vues et ses jugements, les contredit parfois à des années de distance, raturant peu (Montaigne est, avec Proust, autre bonheur de lire la langue française dans l'original, l'un des rares écrivains qui ajoutent toujours), préférant laisser deux formulations même lorsque la première lui semble désormais approximative. Mais je suis déjà trop long, je m'arrête, je parlerais de Montaigne pendant des heures, oui, quel bonheur!
Voulez- vous toutefois un élément de comparaison? Voici, dans l'"Intégrale" au Seuil, le début du chapitre I4 que vous avez lu :
"Un gentihomme des nôtres, merveilleusement sujet à la goutte, étant pressé par les médecins... ": orthographe modernisée, absence de notes sur ce fragment.
Même fragment en collection "Quadrige": "[A] Un gentil-homme des nostres merveilleusement subject à la goutte, estant pressé par les medecins ..." . La lettre A entre crochets indique un texte présent dès l'édition de 1580; et, en bas de page, une note signale le sens de "merveilleusement": étrangement, extrêmement. Semblables notes sont répétées quelques pages plus loin à l'identique si le même mot est à nouveau utilisé par l'auteur, ce qui donne un grand confort de lecture pour un texte qu'on peut lire à peu près dans n'importe quel ordre, et qu'on a laissé parfois de côté pendant quelques semaines.
Un peu plus bas, la citation de Lucain est traduite en note, en bas de page, dans les deux éditions mais, dans le texte, la collection "Quadrige" précise
, pour informer le lecteur qu'il s'agit d'un ajout de 1588.
J'utilise l'"Intégrale" pour le "Journal de voyage en Italie" ... mais que la typographie serrée est fatigante!
Dernière précision, pour reprendre la proposition de Guillaume Audrige, Pascal comme propédeutique à la lecture de Montaigne: lisez aussi Saint-Evremond, dont quelques courts traités ont été réédités récemment chez Desjonquères.