Le site du parti de l'In-nocence

Retour sur "m'est connue". Cf fin du fil "Gouguenheim au Mont Adolf"

Envoyé par Henri Rebeyrol 
Il m'a été donné de consulter de J-F Féraud le Dictionnaire critique de la langue française, entrée connaître (1788).
Il y a un peu plus de deux siècles, ce lexicographe et grammairien a traité la question abordée à la fin du fil "Gouguenheim au Mont Saint-Adolf" ("Saint Adolf" est conforme à la reduction ad Hitlerum qui régit les discours contemporains). C'est la seule référence que j'aie trouvée pour le moment.
Voici le paragraphe dans lequel Féraud traite de la question du pronom personnel représentant le complément d'agent du passif introduit par "de" (de moi) et placé devant l'auxiliaire, en violation, semble-t-il, des règles de syntaxe (Féraud suit une orthographe nouvelle qu'il jugeait "moderne", et plus conforme que celle qui était alors en usage (l'usage, il est vrai, était flottant) à laquelle ont renoncé les typographes au début du XIXe siècle : j'ai adapté ce paragraphe aux normes actuelles d'orthographe et de typographie).

"V. Pour les noms, faire connaître régit à et être connu gouverne de : « Je le ferai connaître au prélat : il est connu du ministre ».
Plusieurs auteurs ont employé un régime pour l’autre : "M. du Terron le fit connaître de (à) M. de Seignelay » (Fontenelle) ; « Cette égalité si judicieuse est peu connue aux Historiens » (Père Rapin) ; « Ils verront des choses qui n'étaient connues qu’aux Dieux Immortels » (Père Bouhours) ; « On lui fait dire à ses soldats que bientôt ils verraient des choses, qui n'étaient connues qu’aux Dieux Immortels » (Linguet). C'est la même phrase que celle de Bouhours
Je crois que des, dans ces phrases, aurait mieux valu que aux. L’usage fait dire inconnu à et connu de. Cependant, avec les pronoms personnels, ce datif fait fort bien : « Cela m'est connu, ce nom ne m'est pas connu » ; « D'où savez-vous, Monsieur, que ce mot leur ait été connu du temps de Saül, et comment une idée si bizarre vous est-elle venue à l'esprit ? » (L’abbé Guénée à M. de Voltaire)".


Féraud constate des faits, il ne les explique pas. Après réflexion, il semble que cette syntaxe objectivement fautive, mais entrée dans l'usage au point que la faute ne se remarque plus, soit due au passif. Que je m'explique. Il existe des usages qui semblent aujourd'hui incongrus, au risque de disparaître : le passé simple et le passé intérieur (aux première et deuxième personnes), le subjonctif (imparfait et plus-que-parfait, mais aussi les deux autres formes), le passif. Le passif, dans certains de ses emplois, est affaibli : en particulier quand le sujet désigne une chose ou une réalité inanimée (l'affaire) et le complément d'agent une personne : moi, lui... L'ordre imposé par le passif est alors : réalité inanimée (sujet) + V + personne (complément d'agent). La hiérarchie exprimée par l'ordre syntaxique (choses / êtres humains) est perçue comme contraire au sens commun, qui exige que la priorité, à la fois syntaxique et "idéologique", soit donnée aux humains. Qu'observe-t-on dans ces cas ? Ou bien l'actif est préféré au passif : la phrase "l'affaire est jugée par moi ou par lui inacceptable", correcte sur le plan de la syntaxe, est rendue impossible par la vision que nous avons du monde, si bien que l'on dira toujours "il juge l'affaire inacceptable". Ou bien le complément d'agent n'est pas exprimé : "l'affaire est jugée scandaleuse, l'affaire est connue depuis longtemps". Ou bien le complément d'agent est pronominalisé en "m" ou "lui" et déplacé devant l'auxiliaire, ce qui est rendu possible par un idiotisme syntaxique nommé "montée du clitique" : on connait les causes de l'affaire, on en connaît les causes (le complément du nom se retrouve devant le verbe) : d'où "l'affaire m'est connue depuis longtemps".
Il semble donc que l'on puisse résumer l'affaire dans le sens de mon intuition première, savoir que nous serions en présence d'une corruption "elliptique" de la voix passive du verbe "faire connaître" qui accepte "à" pour régime, ainsi que nous le rappelle Féraud.

Je crois sage d'admettre que l'approche par parties du discours nous conduirait à une impasse: s'il est vrai que "inconnu" est adjectif (absence de verbe *inconnaître), "connu" l'est souvent tout autant.

En effet, on ne voit pas ce qui distingue les structures grammaticales des deux phrases suivantes:

A/ Il est connu comme le loup blanc.
B/ Il est innocent comme l'agneau.

S'agissant de "connu" et de "innocent": tous deux occupent les mêmes fonctions d'attribut.

A noter toutefois que si "faire connaître à" justifierait par les tolérances et corruptions syntaxiques que vous décrivez la forme "nous est bien connu", il n'en est pas de même de "faire savoir à", qui n'admet guère (ou pas du tout?) "nous est su". Ce qui pourrait nous ramener indirectement aux fameux rapports hiérarchiques que vous évoquez: le supérieur hiérarchique "fait savoir" aux échelons inférieurs, lesquels "font connaître" au chef, c'est du moins ce que l'on enseignait dans les cours de diplomatie (voir les plaisanteries de Paul Morand à ce sujet).
Je suis bien aise, Monsieur, que vous légitimiez un peu, a posteriori, une faute que j'ai commise toute ma vie et que, n'eût été l'instinct de la langue tel qu'il est vif comme tout le reste chez la princesse Cassandre, je n'eusse jamais soupçonnée d'en être une.
Certes, vous avez raison pour "nous est su"; mais je serais étonné que les diplomates aient écrit "cette affaire est sue de nous depuis longtemps".
Bien cher JGL,


Renaud Camus vous a écrit :


"Une faute que j'ai commise".


N'y a-t-il pas une notion spécifique pour distinguer la faute (par exemple : "si j'aurais su, je serais venu") de l'usage communément accepté (je veux dire par là accepté par un public de bon aloi, exemple : "Je souhaitais qu'elle vienne") ?

Plus généralement, y a-t-il une façon spécifique de désigner les formes "en train" d'évoluer et qui passent donc de l'incorrect au correct ?

Un dernier exemple : l'emploi de "où" à la fois au sens de lieu mais aussi au sens temporel. On ne doit pas dire "où" quand on se réfère à un moment, mais je ne puis éviter de le dire, car je trouve la phrase plus claire et plus souple.


Y a-t-il un nom pour tout cela ?
30 avril 2008, 11:49   Tantum ergo
Bien cher JGL,


Vous vous souvenez sans doute du Tantum ergo :


Et antiquum documentum
Novo cedat ritui




Que les vieilles cérémonies
Fassent place au nouveau rite
Cher Jean-Marc,

Votre dernier exemple est intéressant. Les prépositions de sens locatif (dans, en, après (près), etc.), sinon toutes, du moins beaucoup parmi elles, servent aussi à exprimer des rapports temporels (dans un an, en un instant, après un mois); et inversement, comme "depuis" par exemple. De fait, vouloir que le relatif "où" n'exprime que le lieu ou réserver "où" à la seule expression du lieu, c'est aller à l'encontre d'une force, d'un éventail de possibles qui sont dans la langue et que les sujets parlants (nous, en l'occurrence) ne se privent pas d'exploiter, d'autant plus que, philosophiquement ou scientifiquement, ce que nous nommons le "temps" est d'abord de l'espace ou des mouvements dans l'espace - ne serait-ce que quand le temps est mesuré. Qu'est-ce qui est le plus "juste" ? La fidélité à l'étymologie d'un mot (où) ou la volonté d'activer toutes les possibles ou les potentialités de la langue ? Personnellement, je penche pour le second terme de l'alternative, mais je conçois que l'on reste attaché (cela m'arrive souvent) à une sorte de cratylisme étymologique.

Je porte un vif intérêt aux questions de syntaxe et de langue - non pas pour repérer les "fautes" et les corriger, mais pour comprendre la "logique" de la langue. Ainsi Cassandre dans son message a écrit "tous ceux acquis" et "m'est connue", corrigé en "est connue de moi". Tous les grammairiens relèvent la première construction comme une faute (le démonstratif ne peut pas être suivi d'un adjectif ou d'un participe passé), qui, selon moi, est en train d'entrer dans l'usage (c'est une syntaxe empruntée de l'anglais), mais ils ne traitent nulle part (à ma connaissance) de la seconde. C'est ce qui a attiré mon attention. Objectivement, la seconde est bien plus intéressante, pour ce qui est de la compréhension de la langue, que la première.
La question des fautes, qui obsède de nombreux linguistes, soit qu'ils les épinglent, soit qu'ils les tiennent pour de nouveaux usages ou d'autres usages qui deviendront peut-être un jour la règle, ne me semble pas centrale. Nous faisons tous des "fautes" en parlant ou en écrivant : c'est une question de degrés, de plus ou de moins, ce qui n'implique pas que je sois relativiste. Il est important que soient enseignées les "règles", mais il n'est pas possible de passer toute sa vie de locuteur sur les bancs de l'école, d'autant plus que de nombreux faits de langue qui étaient jugés fautifs il ya quelques siècles sont devenus la norme, ou inversement et que, comme vous le dîtes, nous, les hommes, nous mettons des degrés dans les "fautes" : impropriétés, amphigouris, infractions à l'usage, non observation d'une régle fondamantale de la syntaxe. Qu'est-ce qui est le plus dommageable pour la langue : les clercs qui écrivent comme des pieds dans une langue impropre ou le brave prolo qui accorde mal le verbe à son sujet ? La disparition du subjonctif et son emploi contraint, la désuètude du passé simple ou une syntaxe évidemment fautive et qui saute aux yeux, mais que tous corrigent, peu ou prou, du type : si hypothétique suivi d'un conditionnel ? Pour moi, ce sont le charabia de faux instruits ou les lents effacements, presque imperceptibles, de ce qui fut naguère le coeur de la langue qui sont plus inquiétants que les "fautes" : les secondes se corrigent éventuellement ou bien elles deviennent l'usage; les premiers disparaissent et vont peupler les cimetières de la langue.
30 avril 2008, 14:58   Re : Cassandre au Sénat
" Ainsi Cassandre dans son message a écrit "tous ceux acquis" et "m'est connue", corrigé en "est connue de moi". Tous les grammairiens relèvent la première construction comme une faute (le démonstratif ne peut pas être suivi d'un adjectif ou d'un participe passé), qui, selon moi, est en train d'entrer dans l'usage (c'est une syntaxe empruntée de l'anglais), "

Extrait du site du Sénat:
"3. L'Assemblée exprime sa plus profonde sympathie aux familles des victimes et à tous ceux blessés ou autrement atteints par les récents attentats terroristes en Russie et en Turquie et exprime également sa plus profonde sympathie aux familles des victimes et à tous ceux blessés ou autrement atteints par tout attentat terroriste."

Dans les énumérations, il est impossible de ne pas recourir à "ceux +adj.":

"Les malades admis en priorité dans les services sont ceux atteints de polynévrite aïgue, ceux transférés d'un autre service, ceux qui ne peuvent prétendre à un traitement palliatif, et tous ceux comme Corto convaincus qu'une fin rapide et indolore est préférable à tout séjour en ces lieux."

Ecririez-vous "Les malades admis en priorité... sont les malades...., les malades..., les malades..", cher JGL pour ne pas risquer d'être condamné par les grammairiens ?
Cher JGL, je suis entièrement d'accord avec votre texte.
Cher Francis,
En théorie, c'est "ceux qui sont blessés" (en anglais : those wounded, n'est-ce pas ?) ou "ceux qui sont atteints". La séquence : pronom démonstratif + adjectif est "incorrecte" en français. Essayez de dire : celui noir ou celui rouge. Cette impossibilité s'étend, pensent les grammairiens (on est dans la cadre de la norme théorique), aux participes passés : celui blessé ou ceux atteints. Mais elle est entrée dans l'usage, comme le prouvent les deux exemples que vous citez.
30 avril 2008, 16:01   Ceux atteints
Elle est peut-être entrée dans l'usage mais elle continue d'écorcher les oreilles et les yeux. J'espère que M. Marche ne réclame pas sa "régularisation". Dans l'exemple cité par lui il suffit de dire « les malades admis en priorité sont ceux qui..., ceux qui..., ceux qui... ».
30 avril 2008, 16:29   Les et ceux
Bien cher JGL, bien cher Francis et bien cher Maître,


La séquence :

"Les malades admis en priorité dans les services sont ceux qui sont atteints de polynévrite aïgue, les transférés d'un autre service, ceux qui ne peuvent prétendre à un traitement palliatif, et tous ceux comme Corto qui sont convaincus qu'une fin rapide et indolore est préférable à tout séjour en ces lieux."

Serait-elle correcte et aurait-elle le même sens ? la répétion des "ceux qui sont" est la plus correcte, mais je la crains un peu lourde... ne peut-on alors"varier les approches" ?
La Documentation française, émanation du gouvernement français, réclame sa régularisation (page mise à jour le 8 décembre 2006):

"Principe
Les visas de court séjour sont communs à tous les Etats parties à la convention de Schengen.
Il existe plusieurs types de visas uniformes, délivrés par les autorités consulaires d'un de ces Etats et valables pour l'ensemble de l'Espace Schengen.
Ils concernent tous les étrangers non communautaires, sauf ceux dispensés de visas ou titulaires d'un titre de séjour dans l'un des Etats parties."[www.servicepubliclocal.com]

Pour éviter cette tournure, il faudrait écrire, en suivant M. Camus, "..., sauf ceux qui sont dispensés de visas ou titulaires d'un titre de séjour...", ce qui peut paraître peu économique (soit à mon sens manquer d'élégance, voire de clarté dans ce type de texte), légèrement redondant et malencontreusement allitératif.

Il est vrai que "ceux rouge (de honte, de colère)" passe mal fort mal à l'oreille car rouge est adjectif épithète, mais lorsqu'il s'agit d'un participe passé comme dans "ceux atteints", "ceux abandonnés", "ceux meurtris", dispensés, aguerris, autorisés ou connus, etc.. la forme paraît adéquate: p. ex.: "ceux connus pour leur penchant à la controverse n'hésiteront pas à s'opposer à ses vues, etc...".

A JGL: "those wounded" en sujet ne (me) convient pas, j'aurais du mal à expliquer au pied levé pourquoi. En sujet, on dirait "THE wounded", comme on parle, dans les bilans d'accident des "walking wounded" (les blessés capables de se déplacer par leurs propres moyens, autrement dit les blessés légers). p.ex. : "The walking wounded were taken care of my first aid workers".

On écrit sinon "the wounded" pour les blessés, "the dead" pour les morts (et non *those dead)
« Pour éviter cette tournure, il faudrait écrire, en suivant M. Camus, "..., sauf ceux qui sont dispensés de visas ou titulaires d'un titre de séjour...", ce qui peut paraître peu économique (soit à mon sens manquer d'élégance, voire de clarté dans ce type de texte), légèrement redondant et malencontreusement allitératif. »

Eh bien, ça ne fera jamais qu'un divergence de plus entre nous : « ceux dispensés de visas » me semble une monstruosité, et je ne vois pas du tout ce que vous reprochez à « ceux qui sont dispensés de visa ». À mon avis votre commission ne réclame rien du tout. Elle a seulement des rédacteurs qui ne savent pas écrire en français, et eux ni elle ne sont probablement même pas conscients du problème. « Ceux dispensés » ne passera pas (or over my ded body) !
30 avril 2008, 17:07   Compromis
Et si on déterminait une ded line pour la régularisation ?
30 avril 2008, 17:22   L'envie du Code pénal
Article 131-36-2
...certaines personnes ou certaines catégories de personnes, et notamment des mineurs, à l'exception, le cas échéant, de ceux désignés par la juridiction ;

Article 222-15
...suivant les distinctions prévues par ces articles. Les deux premiers alinéas de l'article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables à cette infraction dans les mêmes cas que ceux prévus par ces articles.

Article 433-14
...professionnelle ou d'un insigne réglementés par l'autorité publique ; 3° D'utiliser un véhicule dont les signes extérieurs sont identiques à ceux utilisés par les fonctionnaires de la police nationale ou les militaires.

Article 436-1
...conflit armé, ni membre des forces armées de cet Etat, ni n'a été envoyée en mission par un Etat autre que l'un de ceux parties au conflit en tant que membre des forces armées dudit Etat, de prendre ou tenter de prendre une part directe aux hostilités...

Article R131-24
Le juge de l'application des peines choisit un travail d'intérêt général parmi ceux inscrits sur la liste de son ressort ou, avec l'accord du juge de l'application des peines territorialement compétent, sur la liste d'un autre ressort.

Article R131-35
...commise avec la circonstance aggravante prévue par l'article 132-76, il rappelle en outre à l'intéressé l'existence des crimes contre l'humanité, notamment ceux commis pendant la Seconde Guerre mondiale.
Ce Francis, quand même, il ne lâche rien comme dirait Thierry Roland.
Il peut bien multiplier les exemples, il ne fera qu'accroître mon horreur. Et dans le Code civil en V. O., il aurait quelque chose ?
30 avril 2008, 20:30   Code Napoléon
On trouve, à l'article 331 du Code Napoléon, la tournure suivante :

"Les enfants nés hors mariage, autres que ceux nés d'un commerce incestueux ou adultérin...".


[books.google.fr]
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter