Le site du parti de l'In-nocence

Aveuglement

Envoyé par Henri Rebeyrol 
03 mai 2008, 11:30   Aveuglement
A Répliques ce matin, AF s'est entretenu avec Jean Daniel pendant près d'une heure. JD, en sa qualité de journaliste, directeur de rédaction, éditorialiste, essayiste et même d'observateur engagé, façonne depuis plus de 50 ans une partie de l'opinion française et même celle de pays situés sur les bords de la Méditerranée : disons pour faire court, celle des miltants et intellectuels de gauche. L'homme a des qualités : il est bienveillant, cultivé, ouvert et il adopte, depuis une vingtaine d'années, la posture du Sage - donnant volontiers des leçons au monde entier.

Or, cette posture (car, c'en est une) cache beaucoup de choses : manque de lucidité, esprit critique en veilleuse, ressassement de vieilles analyses démenties par les faits, incapacité d'ajuster ses analyses ou ses croyances aux faits, fidélité à ses plus anciens engagements de jeunesse (dont l'utopie socialiste). En vain, AF a tenté d'amener JD à redresser ses convictions.
Sur trois points au moins, elles n'ont pas varié d'un iota depuis soixante ans.

1. Son attachement au nationalisme dit arabe ou à la révolution dite arabe. On sait que l'adjectif "arabe" et l'arabité ou l'arabisme sont des inventions idéologiques, dont le but est de masquer des réalités historiques massives : ni les Egyptiens, ni les Africains du Nord, ni les syriaques, ni les araméens, ni les chaldéens, ni les Libanais ne sont arabes, mais ils ont été conquis et colonisé par les Arabes. JD a parlé comme si l'adjectif "arabe" était pur de toute ambiguïté.

2. Au sujet de Nasser, il n'a pas compris ou pas voulu comprendre (sans doute, à cause de l'admiration qu'il a longtemps vouée à ce chef d'Etat) que Nasser a mis fin à la première (et quasiment la seule) tentative de constituer au Sud de la Méditerranée un régime authentiquement démocratique (1920-52), qui ne se définisse ni par l'ethnie, ni par la religion et qui soit spécifiquement égyptien (les nationalistes égyptiens avaient pour ennemis les nationalistes arabes) et lié à plusieurs millénaires d'une longue histoire, avec laquelle les nationalistes égyptiens (dont ceux du Wafd et Saad Zaghloul) voulaient renouer, etc.

3. Il n'a pas compris non plus la nature xénophobe du nationalisme arabe, qui a contribué à "purifier" presque totalement les pays dits "arabes", en en chassant les populations exogènes, en Algérie, en Lybie, en Egypte, etc. Il n'a pas compris non plus ou pas voulu comprendre que le cosi-detto nationalisme arabe (sauf chez quelques intellectuels) n'est que l'habit, neuf il y a siècle, mais désormais démodé, de l'islam et que, une fois que ce nationalisme arabe s'est épuisé, il a laissé la place au seul islam.

Qu'un homme ressasse depuis plus de 50 ans les mêmes erreurs, déformations, contrevérités, est dans la nature des choses : cela se rencontre tous les jours. Avec JD, cette normalité prend un tour à la fois hallucinant et grotesque. Ce n'est plus l'homme de la rue qui parle, mais une sorte de pythie dont les avis sont écoutés, parfois suivis, par des dirigeants politiques et contribuent à former la doxa.
Utilisateur anonyme
03 mai 2008, 11:48   Remerciements à JGL
Le forum de l'In-nocence, pour moi, c'est cela, avant tout.

Le portrait que vous nous donnez de Jean Daniel est celui qui me vient à l'esprit, depuis une dizaine d'années ; mais mon croquis à moi n'est qu'une esquisse floue et mal dessinée, alors que le vôtre est précis, clair et facilement compréhensible.

Merci.
Utilisateur anonyme
03 mai 2008, 13:53   C'est normal !
"cette normalité prend un tour à la fois hallucinant et grotesque"

Oui, cher JGL, cette sotte et policière normalité qui est "dans l'air" et à laquelle tous tentent de se conformer, sachant que souvent, c'est en croyant s'y dérober qu'on s'y conforme le mieux. (Me souviens que Roland Barthes parlait du "naturel", de l'insupportable naturel de la doxa.)
Utilisateur anonyme
03 mai 2008, 16:56   Re : Aveuglement
Ce qui m'agace particulièrement chez Jean Daniel, c'est que sa lucidité (réelle sur bien des points) ne l'amène jamais à des prises de position courageuses ou à contre-courant. En définitive, c'est toujours le besoin de conformisme en lui qui l'emporte, et les réticences qu'il a pu manifester dans un premier temps ne lui servent finalement que d'alibi.
Pendant la guerre d'Algérie, par exemple, il ne se faisait pas d'illusions excessives sur la nature exacte de l'idéologie FLN (en témoigne son livre "La blessure"). Pourtant, pas un instant il ne songe à suivre la voie d'un Camus (Albert) par exemple.
En mai 68, il était parfaitement conscient de tout ce que la complaisance des Sartre et Cie vis-à-vis des étudiants, et le mouvement lui-même, charriaient d'ambiguités ("La blessure" encore); pas un instant pourtant, il n'est question pour lui de prendre la moindre distance.
Sur l'immigration, enfin, dernier exemple, celà fait bien 15 ans maintenant qu'il voit et clairement les risques que comporte l'intauration progressive d'une société multi-culturelle; pas question pourtant de prendre la moindre distance avec la gauche, intellectuelle et politique, et son pro-immigrationnisme enflammé.
Tout celà me fatigue et me dissuade finalement d'accorder de l'intérêt à ce qu'il raconte.
Ce matin, pour la première fois depuis bien longtemps, je n'ai pas écouté Finkielkraut.
03 mai 2008, 17:26   Re : Aveuglement
L'emission était en effet assez faible. Il a sans doute manqué une autre interlocuteur qui bouleversât un peu le côté convenu du dialogue.
Celle qu'il fit en compagnie d'Elisabeth de Fontenay et de Roger-Pol Droit eut raison de ma patience. Chose très rare !
Utilisateur anonyme
03 mai 2008, 17:39   Re : Aveuglement
Oui, face à lui, Finkielkraut est en général totalement empesé, pétrifié, comme s'il s'adressait à Bouddah soi-même.
C'est assez gonflant.
03 mai 2008, 18:17   Répliques
Citation
Ce matin, pour la première fois depuis bien longtemps, je n'ai pas écouté Finkielkraut.
C'est triste à constater mais après presque une décennies d'écoute fidéle j'ai ces derniers mois lâché prise.

En 2008 seules deux émissions sur 18 ont vraiment retenu mon attention; d'une part celle avec Jean Clair sur le malaise dans les musées et d'autre part celle sur le Dieu des chrétiens et Dieu des musulmans avec le père François Jourdan.

Pour les émissions restantes on perd très vite pied et on se détourne parce que les débats se révélent peu féconds.

Il me semble que les événement de ces derniéres années ont marqué assez profondément Alain Finkielkraut qui a été contraint de se défendre comme un beau diable contre des attaques quasi permanentes venant de la classe politico-médiatique et qu'elles l'ont en partie démoralisé.

Bien sûr il ne s'agit ici que d'impressions complétement subjectives car je n'ai aucune information précise sur les états d'âme de notre champion.
Utilisateur anonyme
03 mai 2008, 18:23   Re : Répliques
Sans prétendre le moins du monde être exemplaire ou représentatif des auditeurs de Répliques, je suis un peu comme vous, je m'ennuie de plus en plus souvent. Je me demande s'il n'est pas temps pour Alain Finkielkraut de passer à autre chose. Je dis cela avec la plus grande admiration pour le philosophe, et en sachant que cette émission nous manquera cruellement, aussitôt qu'elle aura disparu.
Utilisateur anonyme
03 mai 2008, 18:53   Re : Répliques
Oui, Annie Ernaux il y a deux semaines et Jean Daniel aujourd'hui, il faut reconnaître que le coup fut assez rude. Et la semaine prochaine, il sera question de l'héritage de Mai 68 avec une journaliste des Inrockuptibles.
03 mai 2008, 19:18   Re : Répliques
Je voudrais bien qu'A.F. reste encore le plus longtemps possible sur France-Culture avec ses "Répliques". Ce matin, à mon avis bien sûr, il était poli envers un homme âgé (à l'élocution difficile), et par exemple l'intérêt pour le problème exposé par J.D. au sujet de Mammoud Abbas (en danger et abandonné par tout le monde) ne m'a pas paru empesé.
Quant à la semaine prochaine si une journaliste des Inroks est invitée, je pense qu'elle n'aura pas la partie facile. J'ai entendu une fois Finky se défendre contre Bégaudau (un "écrivain" ) et un autre du même genre, c'était une épreuve d'écouter ces échanges, mais si A.F. a le courage de le faire, il faut , je pense le féliciter.
post-scriptum : correction de mon subjonctif.

04 mai 2008, 03:20   Re : Aveuglement
Deux choses m'ont frappé :
tout d'abord, l'américanisation alléguée de la société israélienne, comme si le monde ne "s'américanisait" pas, et comme s'il fallait à tout prix imputer à l'Amérique la modernisation et l'affaiblissement de la démocratie par l'hégémonie techno-marchande (pour évoquer le fil "Debord").
Deuxième chose : Jean Daniel ne peut à la fois déplorer l'affaiblissment d'Abbas, et louer Carter d'aller parler au Hamas. Parler au Hamas, c'est aggraver l'affaiblissemnt de l'Autorité Palestinienne...
04 mai 2008, 10:50   Re : Répliques
» Je voudrai bien qu'A.F. reste encore le plus longtemps possible sur France-Culture avec ses "Répliques".

D'accord avec Anna Ruperti. Faut harrêter de cracher dans la soupe. C'est tout de même mieux que « Bonjour Ali bonjour Hatous », non ?
Utilisateur anonyme
04 mai 2008, 12:48   Re : Répliques
Je ne dis pas que Répliques est une mauvaise émission, qu'Alain Finkielkraut est devenu ennuyeux, mais je pense en effet qu'il devrait passer à autre chose, surtout pour lui, qu'il a énormément donné de lui-même avec ce travail de radio et qu'il va finir par se répéter et s'encroûter.

Il ne s'agit pas de féliciter encore et encore Alain Finkielkraut, nous l'avons assez fait ici-même, et je crois qu'il est des manières plus utiles de le louer ou de le soutenir.
04 mai 2008, 13:15   Re : Répliques
Mais "autre chose", ce serait quoi ? Il bénéficie d'une plage horaire, dont il peut faire pratiquement ce qu'il veut, sur ce qui devrait être une belle chaîne culturelle. Il écrit, collabore à d'autres chaînes, participe à des débats parfois agressifs sur des plateaux de télévision... Je continue de croire que Répliques est sa meilleure chaire...
Utilisateur anonyme
04 mai 2008, 13:28   Re : Répliques
Mais "autre chose", Cher Bernard, c'est à lui d'en décider (comme de continuer Répliques, bien entendu…) ! Je ne fais que dire ce que je ressens (et que d'autres ressentent aussi, je crois) à propos d'une émission, passionnante, certes, mais qui n'est pas non plus un but en soi, j'imagine, j'espère, dans la vie d'un Finkielkraut.

Je continue de croire que Répliques est sa meilleure chaîne…
04 mai 2008, 13:43   Re : Répliques
... tribune.
04 mai 2008, 22:52   Re : Aveuglement
Citation
dont il peut faire pratiquement ce qu'il veut

Sincérement, cher Bernard, je ne suis "plus" certain qu'il dispose encore entièrement de cette liberté. On est bien obligé de constater qu'il invite trop souvent des universitaires qui visiblement sont loin d'être de premier plan.

Je crains que la direction de France-Culture ne l'oblige à respecter un quota dans le choix de ses invités. Mais bien sûr je n'exprime ici qu'une intuition, un pressentiment car je ne suis pas dans les petits papiers de notre champion.

Quoiqu'il en soit il semble évident qu'Alain Finkielkraut n'est plus tout à fait à l'aise dans son rôle de maître des cérémonies et qu'il est, ces derniers temps, bien moins incisif dans son émission qu'à la télévision par exemple.

La question est de savoir combien de temps il acceptera d'agir dans cette camisole de force qui, apparemment, lui a été passé après le soi-disant scandale provoqué par l'interview publié dans le quotidien israélien Ha'aretz en novembre 2005.
05 mai 2008, 08:59   Re : Aveuglement
Il est plus incisif dans les émissions de télévision parce qu'il ne choisit pas les invités, et que, bien entendu, ce qu'il doit entendre le fait bouillir. Je pense qu'il s'efforce de participer à ces émissions, un peu par devoir, comme philosophe dans la cité grecque. Dans son émission Répliques, même, éventuellement, avec la nuance d'autocensure que vous apportez, il choisit ses interlocuteurs, ce qui, évidemment, donne un style tout différent. Même dans le cas où l'interlocuteur choisi est un contradicteur caractérisé, puisqu'il est invité. (Il faut vraiment un BHL pour inverser impudemment les rôles d'hôte.) Je crois même qu'il invite des gens moyennement intéressant parce qu'il veut, pour lui-même et devant un "grand Autre", traiter des questions qui l'intéressent, sans toujours savoir ce que cela peut donner.

Peut-être Renaud Camus peut-il nous dire laquelle de nos intuitions lui semble la plus juste...
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter