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Regards croisés sur Sarkozy

Envoyé par Gérard Rogemi 
Article paru le 2 mai dans l'Opinion Indépendante de Toulouse

Regards croisés sur Sarkozy

Parmi tant d’autres, les livres de l’académicien Jean-Marie Rouart, de l’écrivain et journaliste au Figaro Sébastien Lapaque et du journaliste du Monde Philippe Ridet se penchent sur le premier des Français.


Voici trois ouvrages qui en disent presque autant sur leurs auteurs que sur leur sujet, comme si Sarkozy agissait en révélateur de passions françaises, mais aussi intimes. C’est d’ailleurs sous la forme du journal intime que Jean-Marie Rouart dresse le bilan d’ «une année de sarkozysme absolu», comme l’annonce le bandeau ornant Devoir d’insolence. De l’insolence, il y en a sous la plume de l’écrivain. Il la distille à sa manière : un sourire charmeur et une dague cachée dans le dos, le mot qui tue derrière le geste enjôleur. Pour autant, Rouart réserve ses plus cruelles flèches à d’autres que le Président. Comme il le souligne dans sa préface, il ne s’est pas imité à l’observation de Sarkozy et ne peut à son encontre se «départir d’un mouvement de sympathie, celui qu’on a envers un personnage d’envergure dont l’envie de bien faire est incontestable, même si la manière est discutable.»
Ce sont donc les humeurs et les considérations de Rouart sur l’actualité d’une année que l’on découvre ici. De Jospin à Ségolène Royal (esprit «chichiteux» et «nunuche») en passant par Giscard, Harry Potter, Obama, Cécilia, Carla, Chabal, Le Pen, le Quid, l’Albanie, Besancenot («bébé Cadum de la révolution» et « Che Guevara sans les poils »), Beigbeder, Laure Manaudou ou l’interdiction de fumer, l’académicien virevolte en mêlant suavité et vitriol. Si Sarkozy se sort donc plutôt bien de l’entreprise, certains sont froidement exécutés. Ainsi, Yasmina Reza («degré zéro du racolage»), Fadela Amara («créature vociférante»), Jacques Attali («vieille potiche chinoise du mitterrandisme») ou les ministres dits d’ouverture («Sarkozy était leur bête noire, il est devenu leur idole. Il a suffi qu’il arrive comme une fermière dans la basse-cour, son tablier rempli de grain en disant « Petits petits ! » pour que la volaille se précipite.»). Dominique de Villepin obtient le bénéfice du doute («Il est deux sortes d’hommes qui s’identifient à Napoléon : les amoureux de la grandeur et les esprits un peu égarés que l’on croise au pavillon des grands agités de Charenton.») tandis que François Bayrou se voit plus franchement rangé du côté des cas «psychiatriques» : «se prendre pour de Gaulle quand on est démocrate chrétien, européiste, supranational, favorable à la proportionnelle, ça prouve qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.»

Le drame d’Henri Guaino est parfaitement vu («ce sont des idées qui ont le charme d’une abeille voletant dans un champ d’OGM et de pesticides Monsato. La pauvre a peu de chance de s’en sortir vivante»), mais la charge la plus savoureuse vise Bernard Kouchner : «D’accord, il était plus ou moins favorable à la guerre avec l’Irak et même s’il ne se léchait pas déjà les babines à l’idée d’une bonne petite guerre avec l’Iran, il était prêt à l’envisager. Ce bon docteur Kouchner n’est pas un pacifiste. Peut-être aime-t-il soigner les plaies qu’il n’a pas hésité à causer ? Parfois, on a l’impression qu’il a une bombe de napalm dans une main et une bouteille de mercurochrome dans l’autre.»

Conserver ou disparaître

«Il faut aimer son époque, sinon on risque de ne pas s’aimer soi-même. Devenir étranger à son temps, c’est le pire des exils», peut-on lire dans Devoir d’insolence. Nul doute que Jean-Marie Rouart s’aime autant qu’il aime l’époque. On ne peut en dire autant de Sébastien Lapaque. Autre génération, autre ton. Sébastien Lapaque pourrait être le fils de Jean-Marie Rouart qui fut son patron au Figaro littéraire. Son libelle, Il faut qu’il parte, dresse entre les lignes le portrait d’un trentenaire portant le front plissé et la moue boudeuse d’un enfant contrarié qui promène son «regard de chien battu» face aux visages épanouis de la servitude volontaire. Né en 1972, après la mort de De Gaulle, Lapaque est de cette génération qui a grandi avec les années Mitterrand et qui en a conservé un dégoût certain pour le spectacle, le cynisme, le matérialisme le plus étroit marié aux bons sentiments. L’époque resservant les mêmes plats, mais toujours plus épicés (Guerre du Golfe I & II, Chirac I & II), les temps où nous sommes ne doivent guère surprendre l’auteur qui connaît sans doute le mot de Jacques Bainville : «Il ne faut pas oublier que dans l’ensemble, tout a plutôt mal tourné».

Pour une fois, la couverture du livre dit beaucoup de son contenu. Sur ce pastiche de la photo officielle du Président, Sarkozy a disparu. En quatrième, une célèbre citation du général de Gaulle suffit à cerner le projet : «Je n’aime pas les communistes parce qu’ils sont communistes ; je n’aime pas les socialistes parce qu’ils ne sont pas socialistes ; et je n’aime pas les miens parce qu’ils aiment trop l’argent.» On aura compris que la fin de cette profession de foi pourrait s’appliquer à celui dont le nom n’apparaîtra jamais dans ces pages habitées d’une colère sèche et implacable. À travers les attitudes du Président et la politique qu’il mène, c’est à la «Grande Machine» techno-marchande qu’Il faut qu’il parte s’attaque. Convoquant Bossuet, Marx, Dostoïevski, Orwell ou Balzac, Lapaque décrypte la révolution libérale-libertaire et le nouveau capitalisme à l’œuvre depuis un quart de siècle. Derrière les valeurs promues (individualisme, hédonisme, consumérisme, infantilisme, narcissisme…) par le temps présent, la mise à bas de vieux réflexes et de conditions de vie anciennes («liens de filiation, dettes à l’égard du passé, mémoires populaires, pudeurs et même tabous») met en place un vaste processus de déshumanisation. Ce mouvement global qui voit droite et gauche professant de concert le culte du taux de croissance et du progrès perpétuel «nous expose à devenir à notre tour les victimes du cycle démoralisation, fatalisme, nihilisme», souligne l’auteur. À cela, ce bernanosien oppose les vertus de la lenteur, du silence et du secret tout en se refusant de désespérer jusqu’au bout.


À l’angle politico-philosophique de Lapaque, Philippe Ridet préfère le profil psychologique de celui dont il dit qu’«il ramène tout à lui, donc à sa psychologie». Dans Le Président et moi, titre évidemment ironique, l’auteur (qui «couvre» l’actualité sarkozyenne depuis une quinzaine d’années et qui a suivi la campagne présidentielle du candidat de l’UMP pour Le Monde) livre aussi beaucoup de lui et de ce qui peut le rapprocher de l’homme Sarkozy (l’âge, le divorce, la famille recomposée…). Ce sont donc des scènes vécues, parfois dans l’intimité de Sarkozy, qui sont relatées ici sans occulter les liens de connivence (tutoiement, conversations privées…) établis au cours d’une longue campagne baignant dans une «atmosphère finalement heureuse». Pas d’indulgence cependant dans la description d’une méthode («une succession de truismes et de demi-vérités assenées comme des évidences») et d’une personnalité («Sarkozy est le produit idéal de son époque dominée par la dictature du moi. L’intime est son terrain de jeu. Je jubile, je le montre. Je souffre, je le montre. J’aime, je le montre»). On aperçoit encore le conseiller Henri Guaino qui essaya de faire passer son champion de Calogero à Péguy ou Sarkozy envisageant son destin avec des mots d’enfant : «D’abord, je fais président, puis je fais avocat.»
Il flotte sur les pages de cette chronique au plus près de son sujet un mélange de déception, de mélancolie et de nostalgie. La campagne électorale vécue par Ridet ressemble à une année scolaire ou une saison sportive au terme de laquelle on quitte ses partenaires à regret, mais la politique n’est pas oubliée même si elle se niche dans les détails. Ainsi, cette tirade du futur Président : «Le Grand Restaurant, de Funès ! Mon film préféré ! Quand je serai élu, je serai comme lui : ignoble avec les faibles et servile avec les puissants. » La version soft et politiquement correcte de la boutade (?) est donnée à un autre moment par la conseillère Emmanuelle Mignon qui livre une définition terriblement juste et assez terrifiante du sarkozysme : «C’est la droite d’aujourd’hui, jeune, moderne, décomplexée et qui découvre que l’idée de progrès est aussi voire plus intéressante que celle de la conservation.» Qu’on se le dise, cette droite ne conservera rien.

Christian Authier

Devoir d’insolence, Grasset, 265 p, 17,50 €
Il faut qu’il parte, Stock, 135 p, 12 €
Le Président et moi, Albin Michel, 235 p, 17 €
Utilisateur anonyme
05 mai 2008, 16:51   Re : Regards croisés sur Sarkozy
"Qu’on se le dise, cette droite ne conservera rien. "


Oui, et il s'agit... non, il s'agissait de la question capitale de l'acquisition et de la conservation de la puissance nationale, de son prestige - bref, l'euphorie dura peu.
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