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Le Liban a perdu Beyrouth

Envoyé par Gérard Rogemi 
Nouvelle dépêche de la Mena

Le Liban a perdu Beyrouth (info # 011005/8) [Analyse]


Par Michaël Béhé à Beyrouth © Metula News Agency

Le Hezbollah a gagné la guerre de Beyrouth au terme de 48 heures de combats seulement. Au milieu des palabres et des menaces d’intervention occidentales, c’est d’abord ce qu’il faut froidement retenir de la situation.

Dans les faits, les miliciens de Nasrallah ont pris d’assaut et enlevé toutes les régions sunnites, situées principalement à l’ouest de la capitale. La plus grande résistance des partisans armés de Saad Hariri a été opposée à Hamra, Al Mazraa et Ras El Nabeh. Ces derniers n’ont toutefois pas fait le poids face aux combattants chiites de l’organisation Amal et du Hezbollah, puissamment armés par la Syrie et l’Iran. Les quelques centaines de miliciens sunnites, uniquement dotés d’armes automatiques, ont été submergés par environ 5 000 ennemis, disposant de grenades antichars, de jeeps surmontées de mitrailleuses lourdes et d’artillerie légère.

Ce samedi matin, en plus de leurs fiefs de la périphérie sud, les prosyriens occupent tout l’ouest de Beyrouth, jusqu’au Grand Sérail, siège du gouvernement, où se sont retranchés le 1er ministre Fouad Siniora ainsi qu’un certain nombre de ses ministres.

Le chef de la communauté druze, Walid Joumblatt, qui a refusé de quitter Beyrouth pour se réfugier dans sa montagne, se trouve encerclé par les miliciens chiites dans le secteur de Clemenceau, de même que le chef de la majorité parlementaire, Saad Hariri, qui est assiégé au château de Koraytem.

L’armée libanaise s’est, en outre, disposée en ordre de défense autour de Tarik Jedideh, la seule poche sunnite de Beyrouth qui n’ait pas été prise par les prosyriens.

De sources proches de l’armée et des ambassades occidentales, nous avons appris que le Sérail et les résidences de Joumblatt et d’Hariri étaient considérés comme des sanctuaires protégés par une "ligne rouge" virtuelle. Dans le désastre ambiant, on ne sait pas exactement ce que cela signifie, ni jusqu’à quel point il s’agit d’une garantie fiable.

Il est important de signaler aux non Libanais que les combats n’ont, jusqu’à maintenant, opposé que les miliciens musulmans – chiites-sunnites – entre eux et que les supplétifs de Damas et de Téhéran ne se sont pas attaqués aux quartiers chrétiens de la capitale, situés à l’est et au nord de celle-ci. Le Hezbollah n’a pas non plus agressé frontalement les miliciens druzes du PSP de M. Joumblatt. Des combats ont cependant été signalés, ce matin encore, dans la région de la ville druze de Aley, entre des combattants du PSP et ceux d’un mouvement druze prosyrien, allié du Hezbollah, aux ordres de l’émir Talal Arslan. Ces affrontements ont fait plusieurs morts dans les deux camps.

Les miliciens chiites ont par ailleurs saccagé, pillé et incendié le siège de la Télévision du Futur de la famille Hariri. Ils se sont également emparés des autres media de la communauté sunnite, enjoignant aux journalistes d’abandonner leurs postes.

A Ramlet El Baïda, les miliciens du Parti Syrien National Social ont pillé et saccagé la Fondation Hariri. Dans toutes les zones qu’ils ont occupées, les combattants chiites ont déchiré les posters du 1er ministre Rafic Hariri, assassiné sur l’ordre de Damas, et ont déployé à leur place des portraits du président syrien Béchar Al Assad et de feu son père Hafez. En fin d’après-midi d’hier (vendredi), les prosyriens ont fêté leur victoire en organisant des défilés militaires improvisés en plusieurs points de Beyrouth. Le plus important a été vu dans l’artère principale de Hamra, où les miliciens ont défilé sur leurs jeeps, à contresens de la circulation habituelle et en tirant en l’air.

La défaite des Haririens est consommée et il convient de tirer rapidement les premières conclusions de la nouvelle situation. L’élément le plus marquant réside en ce que les Libanais non chiites – environ 65% de la population – sont désormais encerclés et coupés du monde extérieur. Le seul moyen de transport qu’il leur reste est constitué par les bateaux faisant la liaison avec Chypre depuis les ports chrétiens.

Quant aux organisations prosyriennes, au contraire, elles disposent désormais de l’aéroport international, pourtant déclaré "zone frontière" dans la résolution 1701 du Conseil de Sécurité, et contrôlent également la route Beyrouth-Damas, ce qui leur assure un approvisionnement illimité en renforts et en armes. D’autre part, Amal et le Hezb trônent sur toute la région s’étendant, par le bord de mer, de la capitale au contingent de l’ONU, à une quinzaine de kilomètres de la frontière israélienne. Dans ce secteur, pour bien faire voir leur domination, ils ont pris d’assaut la résidence du dirigent spirituel chiite de la ville de Tyr, qui s’opposait à la ligne suivie par le Hezbollah, l’ont démis de son autorité et l’ont remplacé par un cheikh acquis à leur cause.

Autre sujet d’inquiétude : l’armée. Au prétexte de ne pas se désintégrer en factions ethniques, elle n’est nulle part intervenue dans les combats, se contentant de marquer sa présence passive dans le sillon du Hezbollah. Plusieurs dirigeants du mouvement du 14 mars, réunis d’urgence chez le chef des Forces Libanaises chrétiennes Samir Geagea, à Maarab, ont dénoncé la collusion évidente entre l’armée et les prosyriens, soulignant que les militaires n’avaient pas rempli leur fonction consistant à préserver la paix intérieure ainsi que les minorités agressées.

Force nous est, ce samedi, de constater de visu que l’état major de l’armée fait très bon ménage avec les miliciens chiites, et qu’ils se partagent harmonieusement l’occupation des zones conquises par les barbus, armés jusqu’aux dents, vêtus de noir, le front ceint d’un turban jaune, de Hassan Nasrallah.

La population libanaise ne peut donc plus compter sur ses soldats pour la défendre et pour protéger son indépendance et sa souveraineté nationale. Elle doit même prendre en compte la possibilité que l’armée serve fidèlement les intérêts du Hezbollah et de la Syrie, au cas où les chiites iraient jusqu’au bout de leur prise de pouvoir.

Il n’existe, en ce moment, aucune force libanaise au Liban capable de remettre les séides des Al Assad à leur place, c’est une autre constatation. Face à l’armement supérieur des prosyriens, tout ce que les miliciens des FL, des Phalanges chrétiennes et du PSP peuvent songer à faire, c’est résister, depuis des positions retranchées, à un éventuel assaut dirigé contre leurs quartiers, leurs villages et leurs régions. Même dans cette situation, s’il ne recevaient pas d’aide étrangère, on voit mal comment ils pourraient s’opposer longtemps à la déferlante chiite.

Qu’en est-il alors d’une éventuelle intervention occidentale ? Beaucoup de bruits stériles jusqu’à l’heure actuelle, avec une Ligue Arabe qui en est – rien de très étonnant - à se demander s’il convient de “condamner” le coup de force du Hezbollah ou juste de le "déplorer".

Aux Etats-Unis, on condamne fermement, on accuse nommément l’Iran et la Syrie, on menace même les "responsables de l’agression" et on a engagé des discussions avec les membres permanents du Conseil de Sécurité. Au Caire, Moubarak juge la nouvelle situation "inacceptable". A Paris, Sarkozy et Kouchner lancent des menaces voilées à l’encontre des mentors de Nasrallah, mais pas de quoi provoquer chez eux de véritables tremblements de peur.

Au sein du 14 mars, on évoque la possibilité d’une intervention conjointe américano-arabe. Quelqu’un a même annoncé que le contingent de l’UNIFIL, stationné à la frontière israélienne, verrait son mandat amendé et serait instruit de fondre sur Beyrouth. S’agit-il des rêves mouillés du camp des défaits, craignant pour son avenir, ou existe-t-il un fond de vérité quant aux intentions de sauvetage des amis traditionnels du Liban ? Personne, à part ceux qui sont dans le secret des dieux à Washington, n’est en mesure de le dire.

Reste que si les Occidentaux interviennent, ce ne sera pas pour nos beaux yeux, mais pour empêcher qu’Ahmadinejad ne puisse, très bientôt, disposer, en toute légalité, ses missiles balistiques, pointés sur l’Europe, sur notre Corniche. Entre-temps, et c’est la seule bonne nouvelle que je peux vous distiller en ce samedi noir pour mon pays, le gouvernement, recroquevillé, menacé physiquement, sans armée qui l’écoute, sans personne pour faire appliquer ses décrets, a décidé de rester ferme et de continuer à exiger le démantèlement du réseau de communications illégal du Hezbollah et la restitution à l’Etat du contrôle de notre aéroport international.
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