Le site du parti de l'In-nocence

Bouguereau, grand peintre oublié.

Envoyé par Philippe Versini 
"La Campagne de France", de Meissonier, que je citais, est au musée d'Orsay, tout comme "L'Angélus" ou "Les Glaneuses".
Oui, mais Dali disait aimer Millet par provocation, par allusion à l'Angélus, qui passait pour la pire des croûtes. Or il existe un tout autre Millet, qui n'aurait été d'aucune utilité dans les stratégies daliennes.
08 mai 2010, 18:55   Dali
Bien cher Maître,


Il se trouve que je déteste Dali, pour des raisons autres que les vôtres, je pense, et que je me suis interdit de lire ses productions imprimées.

En conséquence, je suis "court" quant à ses stratégies.

Pour ce qui est de "L'Angélus", je le trouve fort beau, et très bien peint. Je conçois cependant que je puisse être influencé par le sujet même du tableau.


Par ailleurs, j'apprécie de façon générale cette peinture académique du XIXème siècle (influencé sans doute par les pages en noir et blanc des grands dictionnaires Larousse : je pense tout d'un coup aux "Énervés de Jumièges").
Evariste Vital Luminais, grand illustrateur de nos livres de classes. C'est une des raisons pour lesquelles on ne peut détester certains peintres fort décriés, parfois à juste titre, parfois sans raison, des peintres qui nous rappellent de bons vieux souvenirs du temps où on ne connaissait rien à la peinture.
08 mai 2010, 20:01   E privatif
"Les Enervés de Jummièges" est une de mes premières émotions... lexicales ! (concuremment avec le verbe "se tapir")
Bouguereau, serait de l'école de peinture érotique sulpicienne si j'avais à le caractériser... .
Chère Ostinato, autant prendre les Préraphaëlites, vous serez servie en pulsions refoulées, sublimées, avortées, pré-sulpiciennes, para-sulpiciennes, pan-sulpiciennes, érotico-supliciennes, et j'en passe !
Resister au temps ne veut pas dire ne pas etre oublié par l'histoire mème si les génies méconnus sont rares, très rares. Résister au temps veut dire bien vieillir, avoir à 110 ans une belle gueule, une plus belle gueule qu'à 20 ans. Bouguereau était à la mode en son temps et il est resté à la mode de son temps. On peux l'aimer par nostalgie de la belle époque, des vieux messieurs cochons à moustaches...mais les grands peintres, ceux qui résistent au temps, sont toujours nos contemporains, beaucoup plus que nos artistes contemporains qui eux sont bien de leur temps.
08 mai 2010, 23:43   Předrahá malá Lou
Après tous ces efforts, savants ou physiques, un peu de relaxation...




Utilisateur anonyme
10 mai 2010, 22:06   Re : Bouguereau, grand peintre oublié.
Mais c"est un faune ou un bouc ? ? ? ah bon , un satyre ? et les filles 4 vierges alors , puisqu'impénétrables !
Sors de ce corps, Isidore isou !!!
En guise de conclusion à ce fil, je vous propose un texte de Maxime Laguerre extrait de son livre " Le progrès ", sur l'évolution de l'art. Ce texte résume bien mon point de vue sur cette question.
Voici une illustration concrète de cet article.
[www.lemonde.fr]

Évolution de l'art

« Des goûts et des couleurs il ne faut pas discuter », dit la sagesse populaire.
Personne ne peut en effet se poser objectivement en critère du bon goût, que ce soit
pour la gastronomie, la musique ou les beaux-arts (peinture, sculpture, architecture).
Cependant si la renommée et la fortune d'un grand cuisinier dépendent toujours du
plaisir que procure la dégustation de ses plats, cela est de moins en moins vrai pour
les autres formes de création artistique. Beaucoup d'artistes vivent de nos jours de
subventions, et non du succès qu'ils obtiennent auprès des amateurs d'art. Aussi, pour
vivre et prospérer, doivent-ils chercher à plaire à ceux qui détiennent les cordons de
la bourse et qui considèrent que leur jugement a valeur de critère du beau et du laid.

Or, la plupart des personnes qui appartiennent à ce cénacle estiment que seule la «
culture » est susceptible de former le goût. Le Petit Robert, d'ailleurs, ne définit-
il pas ainsi la culture : « Ensemble des connaissances acquises permettant de
développer le sens critique, le goût, le jugement» ? Mais si tel est le cas, comment
a-t-on pu assister jusqu'à la fin du XVIIIe siècle à une telle floraison de créations
artistiques de toutes sortes, alors que les artisans d'art n'avaient pour toute
culture qu'un savoir-faire ?

L'émotion que procure une œuvre d'art, la capacité d'en créer de nouvelles, sont-elles
dues à des connaissances acquises ou à une sensibilité innée ? Voilà le fond du
problème.

L'art d'autrefois, qui venait du cœur, était spontanément compris et apprécié par
toute la population, qui n'avait pas de mal à s'y reconnaître. Les cathédrales,
entièrement réalisées par des centaines d'artisans, tous pratiquement illettrés, sont
le symbole et l'exemple le plus accompli de cet art ancien. Mais de nos jours, le
peuple reste largement insensible à l'art moderne, dit aussi « contemporain ». Cet art
moderne, qui n'a plus avec les valeurs esthétiques que des rapports lointains, s'est
intellectualisé et n'est plus compris que d'une élite cultivée.

La Technique


Jusqu'au XIXe siècle, on considérait que la technique était au service de la création
artistique : elle permettait à l'artiste de mieux traduire sa sensibilité. Apprendre
la technique pendant de longues années était indispensable, mais la technique seule
n'était rien. Elle n'était que l'une des conditions nécessaires à la réalisation d'une
œuvre.

De nos jours, nous assistons à une double dérive. Dans la peinture, la technique tend
à disparaître au profit de la seule imagination. A défaut d'avoir pris le temps de se
familiariser avec les techniques de son art, l'artiste produit toute une série de «
créations » arbitraires, en s'appuyant sur des principes qui varient selon son bon
vouloir.


L'artiste est un créatif

Tout comme l'inventeur, l'artiste est un créatif, et créer est un besoin inné. Lorsque
Mozart commença à composer de la musique à l'âge de cinq ans, il est évident qu'il
n'était motivé ni par la gloire ni par l'argent. Son père et son entourage y pensèrent
à sa place. Mais il obéissait à sa nature, qui avait placé en lui un irrépressible
besoin de créer — et, surtout, les capacités innées permettant d'y satisfaire.

Jusqu'au milieu du XIXe siècle, la peinture était un moyen d'exprimer une émotion
devant un paysage, un visage, une nature morte, un événement historique. Le peintre
tentait de fixer pour l'éternité ce qu'il avait ressenti, afin que d'autres que lui
puissent éprouver la même émotion. Sans la peinture, nous ne connaîtrions pas le
visage et l'apparence de bien des personnages célèbres, ainsi que les manières de
s'habiller, de manger et de vivre propres aux différentes classes sociales.

Chaque peintre apprenait pendant des années une technique qui, comme dans tous les
arts, n'était pas pour lui une fin en soi, mais un moyen de mieux exprimer ce qu'il
ressentait. Il avait aussi un style qui, après les inévitables tâtonnements des
débuts, restait le même toute sa vie durant. Seule la sensibilité, la maîtrise de son
art, certains événements de sa vie pouvaient faire évoluer ses créations. Sa clientèle
était formée d'aristocrates et de grands bourgeois, pour lesquels un tableau n'était
pas un objet de spéculation, une possible source de profit, mais un plaisir en soi, en
même temps qu'un bien familial transmis de génération en génération.

S'il existait un éventuel intermédiaire entre le peintre et son client, celui-ci
n'organisait pas la promotion de l'artiste. Il n'était pas un commerçant ou un «
impresario », mais un simple courtier. La clientèle était d'ailleurs constituée de
connaisseurs qui ne cherchaient pas la bonne affaire, et n'évaluaient pas les plus-
values possibles. L'idée d'acheter un bien pour le revendre avec profit n'existait
tout simplement pas. Seul comptait le plaisir procuré par la possession du tableau.

L'art pictural allait beaucoup changer à la fin du XIXe siècle. Naturellement, on
pourrait croire que ces changements résultèrent de la seule évolution intellectuelle
des artistes. Mais là encore, la cause véritable est à rechercher dans des innovations
techniques, assorties des évolutions sociologiques qu'elles engendrèrent.

Jusqu'à la fin du Moyen Âge, l'art était essentiellement sacré, et l'artiste
s'effaçait à ce point derrière son œuvre qu'il n'éprouvait pas le besoin de la signer
: seul comptait le message spirituel qu'il entendait faire passer. Puis, à la
Renaissance, l'individualisation des comportements prit le pas sur l'ineffable
expression du message métaphysique. L'humanisme et la Réforme placèrent l'individu au
premier plan. Les sculpteurs, les peintres, les écrivains s'affranchirent des règles
établies, pour donner leur propre interprétation du monde. Ainsi apparurent les
prémisses de l'art moderne, avec toutes ses dérives.

L'innovation qui bouleversa le plus les arts graphiques fut l'invention de la
photographie. Celle-ci fascina très vite les artistes peintres et dessinateurs.
Beaucoup pensèrent qu'elle pouvait leur apporter une aide précieuse en leur permettant
d'obtenir une première esquisse de ce qu'ils voulaient peindre. En réalité, la
photographie était un nouveau moyen de communiquer la représentation du monde
sensible, alors que jusque-là seuls le dessin et la peinture l'avaient permis. Ce
nouveau procédé ne transmettait plus ni impression ni émotion, mais il était bien plus
exact, plus rapide et infiniment moins cher que ne l'étaient les techniques
antérieures. Certains artistes renoncèrent alors à la peinture et au dessin pour se
consacrer à ce nouveau moyen d'expression. D'autres persistèrent dans leur voie, mais
l'art figuratif des peintres et des dessinateurs perdit de son intérêt et, surtout, de
son audience.

Dans le même temps, un bouleversement social se produisit avec l'apparition d'une
grande quantité de nouveaux riches ayant fait fortune dans le commerce et l'industrie.
Ceux-ci remplacèrent peu à peu les aristocrates et les grands bourgeois. Or, beaucoup
d'entre eux, qui ne rêvaient que de promotion sociale, pensaient pouvoir obtenir avec
leur argent le style de vie et le statut des aristocrates.

Ils étaient les héritiers de ces « bourgeois gentilshommes », de ces « Monsieur
Jourdain » que Molière a si justement décrits. Des œuvres d'art, acquises à grand prix
pour être exposés dans de belles demeures, ne pouvaient que contribuer à leur donner
l'illusion qu'ils étaient désormais des « hommes de qualité ». Monsieur Jourdain
peinait à apprendre les bonnes manières. Il était plus facile d'acquérir des tableaux
ou des sculptures en suivant les conseils de personnes éclairées. Ainsi vit-on
apparaître de multiples marchands d'art, dont l'objectif principal était le profit.

Art moderne

Jusqu'à la fin du XIXe siècle, la presque totalité des tableaux et des sculptures
représentaient le réel. C'était un art figuratif compréhensible par tous. Tous les
grands peintres, dessinateurs, sculpteurs de l'Europe classique furent d'ailleurs
unanimement reconnus de leur vivant. Mais avec l'avènement de l'art non figuratif ou «
informel », de bien surprenants changements s'opérèrent. C'est ainsi que Van Gogh —
dont ni la passion pour la peinture ni le talent ne peuvent être mis en doute — laissa
ses contemporains de marbre. Il ne put vendre un seul tableau, alors que ses œuvres
sont aujourd'hui de celles qui ont la plus grande valeur marchande. Est-ce à dire que
tous les critiques d'art de son temps étaient stupides ou incapables, et que leur
auraient succédé par la suite d'excellents experts capables de reconnaître la valeur
de ses œuvres ?

La vérité est qu'à l'époque de Van Gogh nous sommes entrés dans l'ère de la peinture «
bizness ». Autrefois, c'était l'admiration que suscitait une œuvre d'art qui en
faisait la valeur. Désormais, c'est surtout la cote de l'artiste — qui peut d'ailleurs
être manipulée par d'habiles opérations commerciales. Si l'on retrouve aujourd'hui
dans le grenier d'une vieille demeure un tableau qui pourrait avoir été peint par
Rembrandt, il sera aussitôt soumis à expertise dans un laboratoire spécialisé. Si
c'est bien un Rembrandt, la fortune de celui qui l'a découvert sera faite. Dans le cas
contraire, malgré sa beauté, le tableau ne vaudra plus rien. Dans le cas de Van Gogh,
le hasard a simplement voulu que pas un marchand de tableaux n'ait cru aux plus-values
possibles à réaliser sur ses œuvres.

La peinture surréaliste, qui parvenait encore à provoquer une émotion, un sentiment de
bonheur, a elle-même pratiquement disparu. L'art est devenu un domaine complètement
intellectualisé, compréhensible seulement par une minorité d'initiés, selon des
critères d'eux seuls connus. Dans deux de ses pièces, Molière mettait déjà en scène
des poètes médiocres qui tentaient de valoriser leurs vers par de longues explications
destinées à l'auditoire. L'art moderne, qui ne recherche plus la beauté, est lui aussi
un art qui a besoin d'être expliqué pour être compris.

Naguère, il allait de soi que c'était de naissance qu'on avait du goût pour la
gastronomie, la peinture, la musique, l'architecture, le mobilier. De nos jours, on
cherche à nous faire croire que tout est affaire de formation et de culture acquise,
que tout doit être expliqué pour être compris. En réalité, de même qu'on peut toujours
mémoriser ce qu'il convient de dire en buvant tel vin ou en dégustant tel plat, toute
personne peut aussi mémoriser ce qu'il faut dire d'une œuvre d'art pour paraître «
cultivé ». Intérieurement, personne ne sera dupe.

Changements technologiques

Picasso fut le symbole de cette nouvelle ère. Peintre de grand talent aux
personnalités multiples, il comprit parfaitement le système de la peinture « bizness
». Quel était son style de peinture ? Difficile à dire. Les ouvrages qui lui ont été
consacrés indiquent que sa manière se modifia suivant les époques :

— Périodes bleue et rose : 1901-1905
- Cubisme: 1906-1907
— Néo-classicisme : 1920
— Époque surréaliste et abstraite: 1925-1936
— Expressionnisme : 1937

Le génie de Picasso fut également d'utiliser la politique pour se promouvoir. Au
moment où le Parti communiste avait le vent en poupe chez les intellectuels, il
s'inscrivit au parti, invitant le peuple à partager ses idées — mais non sa fortune,
qui était déjà considérable. Au moment de la guerre d'Espagne, à laquelle il s'abstint
de participer, il réalisa un coup de maître en produisant un grand tableau appelé
Guernica, du nom d'un village du Pays Basque bombardé par les nazis. Il devint ainsi
la figure de proue des antifascistes.

Chose curieuse, lorsque la France fut envahie par les Allemands en 1940, Picasso se
trouvait sur la Côte d'Azur, d'où il aurait très bien pu partir pour les États-Unis.
Il n'en fit rien, et ne resta même pas dans cette partie de la France privilégiée,
dont le climat convenait à son tempérament méditerranéen. Il décida d'aller
s'installer à Paris, où régnaient les nationaux-socialistes, ennemis de l'« art
dégénéré ». Pourquoi cette décision ? Peut-être croyait-il, comme un grand nombre de
Français, que l'Allemagne gagnerait la guerre. Il n'était donc pas mauvais pour lui de
se faire de nouvelles relations parmi les officiers allemands chargés des questions
artistiques dans la France occupée.

Citons, pour terminer, une lettre que Picasso écrivit en 1952 à son ami Giovanni
Papini :

« Dans l'art, le peuple ne cherche plus consolation et exaltation, mais les raffinés,
les riches, les oisifs, les distillateurs de quintessence cherchent le nouveau,
l'étrange, l'original, l'extravagant, le scandaleux. Et moi-même, depuis le cubisme,
et au-delà, j'ai contenté ces maîtres et ces critiques avec toutes les bizarreries
changeantes qui me sont passées en tête. Et moins ils comprenaient, plus ils
m'admiraient. À force de m'amuser à ces jeux, à toutes ces fariboles, à tous ces
casse-tête, rébus et arabesques, je suis devenu célèbre et très rapidement. Et la
célébrité signifie pour un peintre : vente, gains, fortune, richesse. Et aujourd'hui,
comme vous savez, je suis célèbre, je suis riche. Mais quand je suis seul avec moi-
même, je n'ai pas le courage de me considérer comme un artiste dans le sens grand et
antique du mot. Ce furent de grands peintres que Giotto, le Titien, Rembrandt ou Goya.
Je suis seulement un amuseur public qui a compris son temps et épuisé le mieux qu'il a
pu l'imbécillité, la vanité, la cupidité de ses contemporains
... »

Rendons tout de même hommage à ce grand peintre que son génie du commerce et son amour
de l'argent empêchèrent d'exprimer son véritable talent. Mais comparons-le aussi au
pauvre Vincent Van Gogh, qui s'acharnait à produire des tableaux qui n'étaient pas au
goût du jour, et dont la vie fut aussi misérable qu'admirable.
En cessant d'être avant tout des sources d'émotion pour devenir de simples valeurs
marchandes, définies par le calcul spéculatif et la stratégie commerciale, la peinture
et la sculpture, comme de façon plus générale tous les beaux-arts, ont complètement
changé de sens. Elles sont devenues des articles de mode —qui se démodent —, alors que
seule la beauté est éternelle.
"Sur le cadran de la peinture européenne les aiguilles marquaient minuit." M. Kundera. Minuit a passé, mais toujours pas de réveil. le sommeil risque d'étre long , très long. Se réveillera -t-on un jour de ce cauchemar confortable appelé modernité ?
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter