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Le français littéraire n'est pas le français courant.

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
12 mai 2008, 11:05   Le français littéraire n'est pas le français courant.
"Parmi tant de crises de toute espèce qui désolent notre pays, malheureux et angoissé jusque dans sa victoire, il en est une déjà ancienne, aujourd'hui parvenue à son maximum d'intensité, crise douloureuse pour les vrais patriotes, alarmante pour tous les amis des belles-lettres et du clair bon sens, la crise du français.
Sauf quelques rares exceptions, nos élèves écrivent mal notre langue. C'est un fait incontestable et incontesté.
Pourquoi ? Que leur manque-t-il ? Il leur manque la notion exacte du français littéraire.
Est-ce donc une langue à part ? Oui, dans une certaine mesure. Le français littéraire n'est pas le français courant."

E. Legrand - Méthode de stylistique française à l'usage des élèves (1951)
"il en est une déjà ancienne, aujourd'hui parvenue à son maximum d'intensité"...
Evidemment, il ne pouvait pas savoir, pauvre cher homme...
D'ailleurs, on pourrait presque ajouter aujourd'hui (que, n'est-ce pas, la crise du français est à son maximum d'intensité) que le français n'est pas le français courant.
Utilisateur anonyme
12 mai 2008, 16:19   Re : Le français littéraire n'est pas le français courant.
"le français n'est pas le français courant"

Oui, à conserver !
N'y aurait-il pas un « effet pervers » de ce texte ? Il remonte à plus d'un demi-siècle et les Amis du désastre pourraient alors avoir beau jeu de dire : « Vous voyez, on vous le disait bien : les grincheux se plaignent toujours, quelle que soit l'époque, c'est dans leur tête que le niveau baisse ! » Etc., etc.
La nostalgie du bon vieux temps existait-elle déjà avant le 19e ?
La nostalgie du bon vieux temps est aussi vieille que le bon vieux temps.
Certes, cher Monsieur Goux, mais c'est là, à son tour, une vieille antienne! De sorte que, un partout, la balle au centre...
Il conviendrait de s'arrêter un instant sur ce millésime: 1951, année où Claudel avait encore quatre ans à vivre en réécrivant ses pièces, au sommet de son art; Simenon, Colette, et Alain Robbe-Grillet, et Breton, et Jacques Audiberti, Cendrars et des centaines d'autres des écuries Gallimard et Grasset qui produisaient encore ou déjà des chefs-d'oeuvre d'une phénoménale diversité. Et on en vient même à s'interroger sur la langue française parlée "par les gens bien" (les "gens bien" valent bien la "gentry" après tout), dans les ministères, chez les ingénieurs, voire chez ces auteurs eux-mêmes: pouvait-elle d'une part être aussi diverse que cette galaxie de langues littéraires et pouvait-elle tout simplement l'égaler en qualité, ou tout au moins ne pas pâlir en comparaison ?
Utilisateur anonyme
12 mai 2008, 18:36   La crise de la crise
« N'y aurait-il pas un "effet pervers" de ce texte ? »

Ah oui, alors Chut !
Tout dépend du sens que ce professeur donne à "savoir écrire le français".
A la fin des années 1950, l'ambition des maîtres était d'initier les élèves au haut langage ou à la grande langue littéraire ou de leur enseigner le (beau) style. Que ce professeur prenne conscience que cette ambition reconnue était loin d'avoir une réalité est dans l'ordre des choses, d'autant plus que le constat qu'il fait doit être replacé, en tant que "discours", dans le cadre dans lequel il prend un sens : "justifier" ce qu'il a entrepris, à savoir écrire un manuel de stylistique à l'intention des élèves (aujourd'hui, le seul fait d'envisager d'écrire un tel ouvrage serait totalement incongru; en 1951, il ne l'était pas).
Aujourd'hui, il en va tout autrement : ce n'est pas seulement le français littéraire qui est ignoré ou que les élèves ne savent plus écrire (et qu'ils sont incapables de lire), c'est le français courant qui est atteint, et parfois le français élémentaire - ainsi le seul découpage d'une phrase en mots (cf. une étude publiée en 2005 ou 2006 dans Le Débat). Toutes les enquêtes attestent cela.
Le constat de M. Legrand en 1951 ne peut pas être, sauf à faire un contresens, porté sur l'école d'aujourd'hui ou les compétences des élèves actuels.
« Les chênes ont eu bien du mal à feuiller » disait mon père hier, le regard fixé vers les ancêtres qui ferment une partie de l’horizon de la maison familiale (dans cette Ardenne où l’hiver s’attarde un mois de plus qu’ailleurs). J’ai pris conscience que ces mots, il les prononce tous les ans, que ces mots, je ne les entends jamais prononcer ailleurs et aussi… que l’expression est bien jolie. Est-ce un idiotisme, un belgicisme ? Selon l’expression consacrée, quelqu’un a-t-il des lumières à ce sujet ?
À propos d’idiotisme, il me revient que Renaud Camus, dans Corée l’absente (p.34), s’étonne d’une expression utilisée par un journaliste de France Culture et dont il se demande quelle en pourrait être l’origine, à savoir « rester en province » dans le sens de demeurer, être domicilié. Il note que du côté de Clermont-Ferrand, on dit par exemple « Il reste du côté de Saint-Jacques ? » Et d’imaginer le cheminement éventuel d’un idiotisme de la langue populaire auvergnate jusqu’à France Culture. Ou la possibilité d’un anglicisme (« Where do you rest ? »). Il écarte cette dernière par une autre hypothèse : « Le passage de rester à habiter pourrait s’être opéré par le truchement de demeurer, qui est un synonyme de l’un et l’autre mot. Il n’en demeure pas moins que… » conclut-il.
Il se fait que cette expression m’est familière car dans ma région natale on l’emploie aussi très couramment.
Retrouve-t-on ces mots dans d’autres régions ?
Utilisateur anonyme
12 mai 2008, 22:04   Re : Le français littéraire n'est pas le français courant.
"Le constat de M. Legrand en 1951 ne peut pas être, sauf à faire un contresens, porté sur l'école d'aujourd'hui ou les compétences des élèves actuels"



Le respect, l'amour de la grande langue littéraire n'était pas encore, à cette époque, complètement écrasé par le social.

Deux époques très différentes, assurément, et qui représentent surtout deux univers mentaux totalement différents, possédant chacun sa psychologie, ses goûts, sa métaphysique (si j'ose dire), son éthique, et même sa philosophie de l'histoire, si bien qu'on ne peut passer d'une époque à une autre sans une conversion radicale de toute la pensée.
Un peu comme on est passé du franc à l'euro?...
Utilisateur anonyme
12 mai 2008, 22:11   Re : Le français littéraire n'est pas le français courant.
"Un peu comme on est passé du franc à l'euro?..."

Oui, si vous voulez... Je parlais donc, sans même le deviner, d'une véritable révolution.
Utilisateur anonyme
12 mai 2008, 22:14   Re : Le français littéraire n'est pas le français courant.
M. Legrand, dans son introduction, examine (c'est son mot) comment la jeunesse française arriverait à apprendre ce qu'il appelle le "français littéraire". Il écrit d'abord ceci :

"Serait-ce par la conversation ?
Il fut un temps où, dans les familles instruites, les parents s'étudiaient à bien causer, à parler dans un langage élégant et châtié.
Aujourd'hui les milieux aristocratiques eux-mêmes, loin de surveiller leur diction, cèdent parfois à la contagion de l'argot."

Cet extrait pour noter qu'en 1951 un agrégé de l'Université peut évoquer le langage des "milieux aristocratiques" !

Nous aura-t-on bassinés avec l'accélération des choses ! Depuis le temps que "tout fout le camp" ! Comme c'est long, la fin d'un monde ! Aussi long, peut-être, que du temps des Romains (à propos, à combien d'années estime-t-on généralement la durée de la Décadence romaine ?)

Pour en revenir à M. Legrand, voici un autre extrait, qui donnera une idée de ses vues :

"A la différence du latin, notre langue tend à faire prédominer sur le verbe et son groupe le substantif et son groupe.
Pour en donner un exemple frappant, il nous suffira d'un parallèle entre deux petites phrases.
On parle d'accusés qui d'abord s'étaient refusés à tout aveu...
Ils cédèrent parce qu'on leur promit formellement qu'ils ne seraient pas punis.
Style écolier. C'est lourd et peu français.

Autre rédaction :
Ils cédèrent à une promesse formelle d'impunité.
Progrès incontestable. C'est ferme, élégant, définitif. Que s'est-il donc passé ? D'où provient l'amélioration ?
La première formule comprend trois verbes : cédèrent, promit, seraient punis.
La seconde n'en comprend qu'un : cédèrent.

[...]

Qu'en est-il résulté ? Une tournure vraiment française."
"L"évacuation de la dimension littéraire de la langue [dans l'enseignement public] au profit de sa démocratisation utilitaire a eu lieu en grande partie pour ne pas désespérer les enfants d'immigrés."
(Richard Millet, L'opprobre).
Utilisateur anonyme
12 mai 2008, 22:19   Re : Le français littéraire n'est pas le français courant.
"L"évacuation de la dimension littéraire de la langue [dans l'enseignement public] au profit de sa démocratisation utilitaire a eu lieu en grande partie pour ne pas désespérer les enfants d'immigrés."
(Richard Millet, L'opprobre).

En 1950 ? Hum...
Oh non, pas en 1950, pardonnez-moi, j'étais entretemps revenu au vingt-et-unième siècle!
Utilisateur anonyme
12 mai 2008, 22:34   Re : Le français littéraire n'est pas le français courant.
"E. Legrand - Méthode de stylistique française à l'usage des élèves (1951)"

Peut-on encore se procurer cet ouvrage ?

............................
"Oh non, pas en 1950, pardonnez-moi, j'étais entretemps revenu au vingt-et-unième siècle!"

Du franc à l'euro en un tournemain !
Utilisateur anonyme
12 mai 2008, 22:45   Re : Le français littéraire n'est pas le français courant.
"(...) j'étais entretemps revenu au vingt-et-unième siècle !"

Il n'empêche que, d'après l'analyse de M. Millet, la "démocratisation utilitaire" aurait eu lieu, mettons, puisqu'il fait référence aux enfants d'immigrés, à l'époque où ceux-ci ont fréquenté les écoles françaises, soit quelques années après les mesures de regroupement familial des années 70, ce qui nous amène vers le début des années 80. Il me semble que c'est une chronologie bien approximative. La "démocratisation utilitaire" de la langue française, selon moi, s'est amorcée bien avant la présence d'enfants d'immigrés et se serait poursuivie sans eux.
Utilisateur anonyme
12 mai 2008, 22:53   Re : Le français littéraire n'est pas le français courant.
"Il me semble que c'est une chronologie bien approximative. La "démocratisation utilitaire" de la langue française, selon moi, s'est amorcée bien avant la présence d'enfants d'immigrés et se serait poursuivie sans eux."

Non mais là M. Bolacre je vous trouve plutôt du genre pinailleur, vraiment... R. Millet est écrivain et non pas statisticien, sociologue, ou encore chercheur au CNRS...
À Aline : ce n'est pas tout à fait la même chose, mais je sais que les Espagnols disent couramment, par exemple : Donde queda la carretera de Madrid ? Ce qui, littéralement, signifie : Où reste la route de Madrid ?
Utilisateur anonyme
13 mai 2008, 09:53   Re : Le français littéraire n'est pas le français courant.
Cher M. Orsoni,

Il ne me semble pas avoir placé M. Millet en compétition avec des statisticien ou autre mais simplement cherché à mesurer la pertinence d'une assertion extraite, non pas d'un roman, mais d'un ouvrage qu'on peut ranger dans la catégorie des essais, où des analyses sont faites, argumentées. Les discuter, c'est leur rendre hommage.

L'idée selon laquelle "L'évacuation de la dimension littéraire de la langue [dans l'enseignement public] au profit de sa démocratisation utilitaire a eu lieu en grande partie pour ne pas désespérer les enfants d'immigrés." est une opinion qui, bien sûr, peut se défendre mais que son auteur présente moins comme une hypothèse que comme l'explication majeure ("en grande partie") au phénomène de dégradation de la langue.

Pour M. Millet, le "début de la fin" par la "démocratisation utilitaire" de la langue a commencé par la volonté de ne pas "désespérer les enfants d'immigrés". Cela laisse entendre qu'en l'absence des-dits enfants dans les écoles françaises, c'est-à-dire jusqu'au début des années 80, un tel phénomène ne pouvait s'observer, ou de façon bien moindre. Or il me semble que la "démocratisation utilitaire" s'observait bel et bien et depuis longtemps.

Si j'insiste là-dessus, ce n'est pas pour pinailler mais avancer l'idée que la présence des enfants d'immigrés a été, sans doute, un élément aggravant mais non déclenchant dans la dégradation de la langue française déjà largement battue en brèche par les mœurs du temps.

Beaucoup plus largement, d'ailleurs, si l'immigration a dégénéré comme elle l'a fait, c'est principalement, à mon avis, parce qu'au préalable les prétendues "trente glorieuses" ont saboté les "défenses immunitaires" des Européens quant à leur attachement à leurs mœurs, leurs manières, leurs tournures d'esprit.

On ne doit nullement aux immigrés le "soi-mêmisme", le jeunisme, le débraillage, le pédagogisme, le psychologisme, le marketing de tout et l'ensemble des tournures d'esprit, de façons d'habiter le monde, qu'ont adoptées les Européens après la seconde guerre mondiale et qui les ont gravement affaiblis - en particulier, plus qu'aucun autre peuple, les Français.
D'après mon dictionnaire étymologique, il y aurait là une sorte d'archaïsme puisque rester vient, tout comme ester, état, établir, étage, arrêter, constater, stationner, circonstance, obstacle, stabiliser, assister, constituer, prostituer, instaurer, restaurant, stade, estaminet, etc. de la racine indo-européenne "sta" qui signifie "être debout" (to stand en anglais, stehen en allemand).
Utilisateur anonyme
13 mai 2008, 11:10   Re : Le français littéraire n'est pas le français courant.
Cher M. Bolacre je n'étais pas très sérieux (l'humour, de plus teinté d'une légère ironie (trop légère peut-être), à parfois bien du mal à circuler via le Net...).

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"On ne doit nullement aux immigrés le "soi-mêmisme", le jeunisme, le débraillage, le pédagogisme, le psychologisme, le marketing de tout et l'ensemble des tournures d'esprit, de façons d'habiter le monde, qu'ont adoptées les Européens après la seconde guerre mondiale et qui les ont gravement affaiblis - en particulier, plus qu'aucun autre peuple, les Français."

D'accord avec l'ensemble de votre message sauf que certains comportements, certaines "tournures d'esprit" et autres façons de s'exprimer (voir sabir marseillais, sabir du 93) sont bel et bien le résultat, au sein d'un même établissement scolaire, et, à plus forte raison, au sein d'une même nation, d'une très/trop forte présence de jeunes immigrés.
Il n'est pas faux de dire que l'"intégration", à part qu'elle ne fonctionne plus, ou si mal, se fait désormais aussi en sens inverse.
Ce que vous dites est très juste, Pascal Orsoni. Savez-vous que Renaud Camus lui-même, dont j’ai lu dernièrement la Guerre de Transylvanie, note quelque part dans son journal que l'inflexion des phrases propre au baragouin des banlieues (qui est tout aussi bien parlé par des français de souche) s’apparente de fort près à l'intonation arabe (chose qui, naguère, m’avait moi-même effleuré l’esprit). Il est, je vous l’accorde, frappant de voir à quel point, dans les écoles, les collèges et les lycées publics de la banlieue parisienne (et je parle en connaissance de cause, en étant moi-même issu et — par quel miracle ! — étant parvenu à m’en échapper sans conséquences fâcheuses), l’intégration s’effectue de manière inversée, les petits chefs craints de tous s’avérant être, dans leur grande majorité, des enfants issus de l’immigration. Les conséquences de la « démocratisation utilitaire » dont se fait l’écho Richard Millet sur les manières d’être, de se tenir et de s’exprimer, sont la plupart du temps irrémédiables, et il n’est pas rare de rencontrer des adultes de trente ans ou plus dont les manières adolescentes laissent pantois d'autres gens guère plus âgés, mais dont l’éducation fut de tout autre nature. Mais Orimont Bolacre, dont le point de vue est si raisonnable, a raison, bien entendu. Pour ce qui est du français et, disons, de sa prononciation par les jeunes gens, l’influence de l’arabe ne me semble pas négligeable dans ces milieux-là.
"Sta" a pour homologue chinois li (立), qui entre dans la composition de tous les mots qui transcrivent toutes ces notions et celles aussi de l'installation d'une saison (p. ex. 立春 "li chun" pour le printemps), d'une situation ou d'un état, l'implantation, l'établissement d'une configuration, d'un camp, la plantation d'un cadre, d'un décor, la mise en place d'installations, etc.

L'irradiation vers l'est (le Japon) de cet élément fondamental pour le langage et la pensée apparaît comme symétrique à l'irradation de l'indo-européen "Sta" vers l'Occident.
Utilisateur anonyme
13 mai 2008, 13:38   Re : Le français littéraire n'est pas le français courant.
Cher M. Bily vous exprimez mieux que moi (et plus brillamment aussi) le fond de ma pensée. Merci.
Voici sur quoi je tombe dans Un roi sans divertissement de Giono :

- Dites, cette maison là-bas (ils font quelques pas de côté pour bien la voir), la cinquième, celle qui a deux fenêtres ; vous savez qui est-ce qui y reste ?


Et ceci qui n'a rien à voir. Lisant du Giono pour la première fois depuis des décennies, ce qui me frappe le plus chez lui, c'est le sens de l'élégance : l'élégance d'un sentiment, d'une façon de penser, l'élégance vestimentaire, de comportement, d'une tournure de phrase qu'il rapporte, l'élégance d'un geste qu'il décrit ou encore, celle toute naturelle, d'un arbre. Et toute cette élégance est placée dans l'environnement le plus rude, le moins luxueux, le moins policé qui se puisse trouver en France.
Utilisateur anonyme
15 mai 2008, 14:48   Rester
Chez moi aussi, en Haute-Savoie, on dit assez facilement "y rester", dans ce sens-là.
Utilisateur anonyme
15 mai 2008, 17:22   Re : Le français littéraire n'est pas le français courant.
Pascal Orsoni écrivait:
-------------------------------------------------------
> "E. Legrand - Méthode de stylistique française à
> l'usage des élèves (1951)"
>
> Peut-on encore se procurer cet ouvrage ?

Chez les bouquinistes uniquement, car il n'est plus réédité.
À la lecture de cette discussion, je me suis précipité sur amazon.fr et j'en ai trouvé un exemplaire aux pages délicieusement jaunies et merveilleusement parfumées par le temps. Le vendeur, belge, possède une boutique et un site web : www.grenierdulivre.net.
Peut-être peut-il s'en procurer un autre exemplaire.
Utilisateur anonyme
15 mai 2008, 21:00   Re : Le français littéraire n'est pas le français courant.
Merci !, cher Phix. Je commencais vraiment de désespérer...
D'après mon dictionnaire étymologique, il y aurait là une sorte d'archaïsme puisque rester vient, tout comme ester, état, établir, étage, arrêter, constater, stationner, circonstance, obstacle, stabiliser, assister, constituer, prostituer, instaurer, restaurant, stade, estaminet, etc. de la racine indo-européenne "sta" qui signifie "être debout" (to stand en anglais, stehen en allemand).

Merci cher Marcel (seule une insomnie me permet en ce moment de passer sur ce forum et d’éviter d’être impolie à votre égard). « To stand en anglais, stehen en allemand devient « staan » en néerlandais.
(Je pensais qu’estaminet était un belgicisme. Mais je sais que beaucoup d'écrivains français passant par la Belgique l'ont emprunté).
16 mai 2008, 07:44   Estaminet
Chère Aline, estaminet est bien de chez vous, si j'en juge par l'article que lui consacre mon dictionnaire étymologique : il le fait venir du wallon staminé, salle de réunions (XVII°s), issu de stamon, poteau, pilier, associé à l'allemand Stamm, tronc d'arbre. Un staminé est donc une salle à poteaux. Du picard, ce mot est entré en français et est attesté pour la première fois par le dictionnaire de Trévoux en 1771.
Ceci dit, le mot Stamm et son proche cousin l'anglais stem dérivent, d'après le Webster, d'une base indo-européenne stebh-, qui désignerait le tronc d'arbre, le poteau, le pilier, et qui serait aussi à l'origine de step et de staff. Il est curieux de voir qu'en persan, le pilier, la colonne, se disent sotun, mot qui contient les mêmes consonnes de la racine ST. Quand à l'action de se tenir debout, de se lever, elle est exprimée par le verbe istâdan, et le maître se nomme ostâd.
Pourquoi curieux, cher Henri : le persan n'est-il pas, lui aussi, une langue indo-européenne ?

Pour estaminet, nos dictionnaires ne semblent pas tout à fait d'accord. La généalogie récente est à peu près la même :

Estaminet (pop.) XVIIe S. : wallon staminé "travée d'étable entre deux poteaux" et "bâtiment rustique, mauvais cabaret" emprunté par le picard (pour le sens BORDEL, CABOULOT) ; dérivé de stamon "poteau" (apparenté à l'allemand Stamm ,"tronc", "souche" ; ...

En revanche, l'origine de l'allemand Stamm diffère :

... du germanique stamna, élargissement en -mn- de la racine -sta-.

J'utilise l'ouvrage de Jacqueline Picoche publié en 1983 dans les usuels du Robert. Et vous ?
Dans la liste etymologique donnée par Marcel Meyer, que je remercie aussi comme pense à le faire Aline, se trouve « prostituer », ce qui est fabuleux : l'étymologie apporte une couche de sens supplémentaire : station debout , une partie de ce métier y est consacrée. Dans un premier temps j'avais réagi en pensant que c'était un "intrus" (comme dans les jeux : chercher l'intrus) mais non en réfléchissant deux secondes...il fallait se rendre à l'évidence. Pour illustrer ce sens je me permets de raconter un souvenir savoureux : assez ancien. J'attendais un ami au pied de son immeuble , il faisait déjà nuit, et je regardais sans voir ; un jeune homme plutôt timide sort de sa voiture et s'approche de moi en me disant gentiment : "Tu travailles ?", ce tutoiement me fait penser que c'est une connaissance, et interloquée par sa question, tirée de ma rêverie, je le regarde sans comprendre pourquoi tout d'un coup fallait-il que je lui parle de mon métier, un fou-rire m'a prise quand ma méprise m'est apparue. Devant son air étonné c'est moi qui me suis excusée, et, voulant le taquiner lui ai dit que je faisais ce qu'il voulait dire mais gratuitement. Il est descendu du trottoir en s'excusant tant et plus, c'en était touchant (non non je suis loin d'idéaliser ce triste métier).
Merci pour cette savoureuse anecdote, chère Anna : vous vous êtes admirablement bien tirée d'une situation qui aurait pu être très gênante (mais pourquoi écrire en si petits caractères ?).

En voici une autre, canadienne, mais de seconde main celle-là. Un journaliste allemand fait un reportage à Yellowknife, la capitale des Territoires du Nord-Ouest, cette région qui a pour climat habituel deux mois de mauvais temps et dix mois d'hiver (les chevaux ont tendance à devenir fous pendant les deux mois de mauvais temps parce qu'ils sont alors poursuivis par des nuages extraordinairement denses de moustiques). Yellowknife donc, lui plaît : c'est une ville propre, moderne, agréable et verdoyante. Mais, écrit-il, il y a là une chose extraordinaire : ce lieu compte un nombre incalculable de prostituées ! Le brave homme avait tout simplement pris pour des péripatéticienne les employées de bureau descendues dans la rue pour fumer une cigarette. L'intediction du tabac au travail ayant gagné depuis lors nos contrées, ce spactacle lui paraîtrait aujourd'hui moins saugrenu.
Oui, Monsieur Mayer : bientôt, le client devra tenter de repérer, sur les trottoirs, les jeunes femmes qui ne fument pas, s'il veut éviter les impairs.
Utilisateur anonyme
16 mai 2008, 13:09   En manque
Mais pourquoi éviter les impers ?
Je ne sais pas, cher Boris. en fait, je n'en ai rien à ciré...
Pour le français, cher Marcel Meyer, j'ai le dictionnaire étymologique de Larousse, signé Jean Dubois, Albert Dauzat et Henri Mitterand. Et je me suis servi pour l'anglais des notices du Webster's New World Dictionary, qui n'est pas spécialisé dans l'étymologie. Vous avez bien sûr raison pour le persan, mais je tombe toujours en admiration quand une théorie se vérifie, en comprenant soudain que sotun procédait de la racine ST. En Iran, les palais les plus courants s'appellent tchehel sotun, "les quarante colonnes": un portique de vingt colonnes s'ouvre sur un jardin et une large pièce d'eau qui les reflète. Il est beau de compter la chose et son reflet. Voilà les rêveries où je suis tombé grâce à ce fil.
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