Le site du parti de l'In-nocence

L'apport du couvent de Saint-Gall à la transmission du savoir...

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
13 mai 2008, 12:59   L'apport du couvent de Saint-Gall à la transmission du savoir...
Paru dans le quotidien suisse le Temps du 10 mai 2008, cet article vient apporter un éclairage helvétique au débat animé qui s'est tenu sur ce site, il y a peu (mais Beat Kappeler n'est pas un spécialiste et, tout en continuant à privilégier les avis érudits de Virgil sur les travaux de SG, je souhaite simplement souligner, loin des clichés sur la Suisse qui s'étaient exprimés sur le forum englouti, l'apport des moines de Saint-Gall à la transmission de la culture et de la science au moyen-âge).

"Voir Saint-Gall et comprendre l'Europe

Beat Kappeler
Samedi 10 mai 2008
Rubrique: Eclairages

A qui l'Europe doit-elle sa culture et sa science précoce, qui se basait sur l'Antiquité? Aux moines du couvent de Saint-Gall des années 750 et suivantes, par exemple. Le débat fait rage de savoir si l'Europe a dépendu de la transmission de ce savoir par le détour des traductions dans le monde islamique. Des intellectuels politiquement corrects se précipitent pour l'affirmer et pour contrer la thèse de l'indépendance intellectuelle européenne, publiée par Sylvain Gouguenheim.

Et bien, il ne faut pas ergoter longuement - les témoignages matériels d'une transmission autochtone et indépendante en Europe même reposent dans la fameuse bibliothèque du couvent de Saint-Gall. Je les ai vus de mes propres yeux lors des expositions bisannuelles de ses trésors, au cours des quarante dernières années. Il s'agit, par exemple, de pratiquement tous les écrits de Saint-Augustin, né en 354 dans l'Afrique du Nord romaine, et du catalogue de toutes ses œuvres. Les traductions d'Aristote par le romain Boèce, né en 480, se trouvent à Saint-Gall. Mieux, elles ont été traduites en un allemand ancien par le fameux moine Notker dit «l'Allemand», né en 950. La synthèse du savoir antique en sciences, réalisée par l'anglais Beda Venerabilis, né en 672, a été collectionnée par Saint-Gall à partir de l'an 750. Et l'œuvre d'Isidore de Séville (http://www.cesg.unifr.ch), né en 560, une somme du savoir scientifique antique, se trouve à Saint-Gall en des versions datant de l'an 650 environ. Ces écrits d'Isidore, sous le titre grec d'Ethymologiae, ont été cités dans pratiquement chaque œuvre scientifique du Moyen Age. La très riche abbaye de Saint-Gall les copiait à tour de bras pour les envoyer et les troquer partout. Elle en conserve un exemplaire magnifique réalisé en 760 par le moine Winithar.

Ce nom, comme celui de Notker, symbolise bien la soif des Alémaniques de l'époque pour le savoir antique. Faut-il rappeler que pendant ces temps lointains, les Arabes ne traduisaient pas Aristote, Boèce, Isidore, Beda, mais avaient tout juste conquis et détruit les trésors en or et en écrits du royaume chrétien wisigoth d'Espagne, la patrie d'Isidore, dont ils héritaient.

Le couvent de Saint-Gall n'était pas un îlot d'érudition refermé sur lui-même, mais il rayonnait à travers toute l'Europe mérovingienne et carolingienne. Ses moines étaient des conseillers à la cour de Charlemagne, plusieurs aussi étaient chargés de l'éducation des princes impériaux. Le couvent, puis la principauté impériale de Saint-Gall, partageait cette position de plaque tournante du savoir avec les autres centres comme Saint-Martin de Tours, Fulda, Reichenau, Saint Albans, Saint-Denis et les couvents d'Irlande, en contact constants.

Si je m'arrête si longuement sur cette question, c'est que l'ignorance de la tradition culturelle européenne est tellement patente chez certains intellectuels qu'ils croient que ce qu'ils méconnaissent n'existe pas. En plus j'ai fait la Klosterschule à Saint-Gall, dans une salle de classe située directement au-dessus de la bibliothèque du couvent, une des plus vieilles du monde et la plus fournie.

Certains intellectuels français feraient donc mieux de s'incliner devant les vitrines de la bibliothèque de Saint-Gall dans sa salle baroque splendide. L'exposition actuelle traite des écrits scientifiques antiques et du haut Moyen Age et de leur présentation graphique et en énigmes. On y peut voir et toucher les témoins physiques de ce qu'énonce le savant Sylvain Gouguenheim. "
Dans cette histoire de la transmission de l'héritage antique on finit par escamoter, politiquement-correctement, le principal, à savoir : si cet héritage est important c'est en proportion des avancées et innovations décisives dans les domaines, entre autres, de la géométrie, de la physique, des mathématiques, de la géographie et de la philosophie, faites à une certaine époque par les Grecs lesquels n'étaient ni arabes, ni musulmans. Que les Arabes islamisés, favorisés par la conjonture, en aient pris connaissance, qu'ils les aient transmises ou non à l'occident, est secondaire par rapport à ce fait essentiel . Or à écouter la rumeur de la pensée dominante, on en retire l'impression contraire : le sytème de transmission du savoir antique apparaît comme plus méritoire, plus important que sa production et les "passeurs" (involontaires) plus dignes d'admiration et de gratitude que les savants et les penseurs qui ont créé ce savoir. Tour de passe-passe qui ne me semble pas innocent. D'autre part, comme l'a rappelé l'auteur suisse, allant dans le même sens que JGL : s'il faut être, à l'évidence, un connaisseur de la civilisation arabo-musulmane pour connaître la réception et l'influence de la pensée grecque sur cette civilisation, de même, pour connaître l'état de l'héritage antique en occident, au moyen-âge, et mesurer son influence, il faut d'abord connaître, à l'évidence, l'histoire occidentale. La supériorité de S.G. est qu'il est un spécialiste de l'histoire médiévale occidentale, ce que ne sont pas ses détracteurs.
Je note , enfin, que, en occident, ce sont essentiellement des religieux qui ont travaillé à sauvegarder la pensée antique, alors que dans le monde musulman, ce sont les religieux qui se sont acharnés à la faire disparaître.
C'est le moment de relire (ou de revoir) le Nom de la Rose...
Ah oui : la destruction du traité d'Aristote sur le rire. Certains ne s'en sont pas remis !
": le sytème de transmission du savoir antique apparaît comme plus méritoire, plus important que sa production et les "passeurs" (involontaires) plus dignes d'admiration et de gratitude que les savants et les penseurs qui ont créé ce savoir"


Oui, admirablement résumé, et c'est malheureusement ce message-là qui restera dans les esprits. Et d'ailleurs, combien iront se renseigner ?
» Ah oui : la destruction du traité d'Aristote sur le rire. Certains ne s'en sont pas remis !

Il paraît que ce traité existe réellement à la Bibliothèque du Vatican...
Citation
C'est le moment de relire (ou de revoir) le Nom de la Rose...
On peut dire que le film Le Nom de la Rose est l'archetype du film anti-chrétien dans lequel on nous présente les pires clichés sur le Moyen-Age. Tous les moines sans exception sont des tarés. Ils s'engraissent sur le dos des pauvres paysans qui viennent apporter leur maigre récolte, tandis que ceux -ci vivent dans la fange et les ordures que veulent bien leur jeter les moines. L'Eglise catholique tout entiére n'est que perversion: elle maintient les esprits dans l'asservissement et dans la peur du diable: elle garde précieusement cachées toutes les merveilles contenues dans les livres grecs qui risquent de destabiliser son pouvoir.

Guillaume de Baskerville , le moine franciscain, d'ailleurs magistralement interprété par Sean Connery, parviendra finalement à dénouer l'énigme et à récuperer quelques uns des ouvrages interdits qu'il sauvera des flammes. Bien sûr tout cà finit, of course, par la torture et le bûcher.

Un bel exemple de l'histoire réécrite par les marxistes et les progressistes de diverses obédiences. On se demande comment des esclaves et des miséreux affamés ont pu bâtir des cathédrales ...
Utilisateur anonyme
14 mai 2008, 10:07   Re : Le Nom de la Rose
Distinguons bien dans ce cas précis le film et le livre, qui est tout de même beaucoup plus subtil.
Je crois, chère Cassadre, que la rage des détracteurs de SG est nourrie en partie par la présentation du Mont Saint-Michel (et d'autres monastères) comme lieu de curiosité encyclopédique et de recherche intellectuelle libre. Le seul titre "Aristote au Mont Saint-Michel" est en soi une provocation : il va à l'encontre de toutes les idées reçues relatives au christianisme et à la religion qui ont cours dans l'université depuis un siècle et demi; il fait apparaître la (quasi) destruction du scriptorium, la dispersion de la bibliothèque du monastère (en 1792-95 ?), puis la transformation du monastère en prison (jusqu'en 1880 ?), comme un crime contre le patrimoine culturel et intellectuel de la France, mais aussi contre la vie de l'esprit : crime qu'il faut cacher ou ne jamais dire.
Quand les talibans ont détruit à l'arme lourde les Bouddhas de Bamyan, tout le monde s'est indigné à juste titre, mais aucun de ceux qui s'indignaient n'a eu le courage de rappeler (étrange suspension à sens unique du relativisme et de l'esprit critique) que ce sont les "révolutionnaires" de France (et pas les nazis) qui ont pratiqué à une large échelle la destruction volontaire, consciente des oeuvres d'art du passé (vite imités par les Soviétiques, les Chinois et même les "bourgeois" au XIXe siècle amateurs de moderne et de confort) et que le mot "vandalisme" a été fabriqué à cette occasion (par l'Abbé Grégoire effrayé). De fait, qu'un historien rappelle toute cette histoire oubliée, froidement, objectivement, sans mauvaise conscience est, sans doute, pour l'intelligentsia "progressiste", le crime impardonnable.
Utilisateur anonyme
14 mai 2008, 10:34   Film et livre
Vous faites bien de le dire, j'avais eu l'impression qu'ils étaient aussi nuls l'un que l'autre.
14 mai 2008, 20:29   Re : Film et livre
Je crois que vous avez tort, cher Boris : à mon humble avis, le film est excellent, et le livre mieux encore. Pour une fois, je ne suis pas d'accord avec l'ami Rogemi : le propos n'est pas de faire un film (ou un livre) idéologique à la louange de l'Église, mais de créer une œuvre d'art historique et vraisemblable. Car l'Église, au Moyen Âge, nonobstant quelques merveilles, c'était cela, il ne faut pas un Gouguenheim pour le faire voir... Et enlevez l'Inquisition, il n'y a plus de film...

Le grand reproche que je fais au film est d'amener la clé de l'énigme (le manuscrit d'une œuvre perdue d'Aristote) de façon très banale, alors qu'elle est valorisée avec grand art dans le livre...

Je rappelle la phrase paradoxale d'Umberto Eco, que j'ai déjà rapportée ici, et que je trouve remarquable : « je n'ai qu'un rapport médiatique avec notre époque, mais j'ai un rapport direct avec le Moyen Âge ».

Je dois dire que c'est le seul roman d'Umberto Eco qui m'a vraiment enthousiasmé. Les autres me sont tombés des mains, malgré les recherches approfondies et intelligentes dont ils sont les fruits...

Franchement, si l'on jette Umberto Eco aussi...
Utilisateur anonyme
14 mai 2008, 20:32   Re : Film et livre
"Franchement, si l'on jette Umberto Eco aussi..." Bah ! Du moment qu'on garde Brasillach...
Utilisateur anonyme
14 mai 2008, 20:39   Re : Film et livre
« Je n'ai qu'un rapport médiatique avec notre époque, mais j'ai un rapport direct avec le Moyen Âge »

Ah, ça vous enthousiasme, ça ? Pour moi c'est de l'Éco-système à 300 %, en effet, mais ça ne dit rien, ou à peu près.
Si vous gardez l'anthologie de poésie grecque de Brasillach, je vous suis !

Sinon, pardonnez-moi de m'introduire dans votre débat, je trouve au film quelques mérites, notamment le décor de la bibliothèque qui rend très bien la dimension borgesienne du livre (où le bibliothécaire est aveugle, s'appelle Jorge, est espagnol et spécialiste de l'Apocalypse et où la bibliothèque est un labyrinthe). Ce qui ne va pas dans le film, c'est que passe à la trappe toute la subtilité des raisonnements de Guillaume de Baskerville, souvent appuyés sur Roger Bacon, sur Aristote, sur Conan Doyle (sans le dire), etc.
Je recommande aux lecteurs de ce forum le délicieux "Apostille au Nom de la rose" du même Eco où il s'explique sur son livre. On y apprend beaucoup de choses.
14 mai 2008, 22:04   Bernard Guy
Si vous aimez les livres traitant de cette période, rendez-vous à la bibliothèque de Castres qui dispose de l'édition "fin du XIXème siècle" de la "Pratique de l'inquisition", due au travail de l'abbé Douais qui retrouva les travaux de Bernard Guy.

Bernard Guy, dit aussi Bernardo Guidoni, fut prieur des dominicains de Castres, et grand persécuteur d'hérétiques de tout poil.


Comme on dit dans "Le nom de la rose" : "Penitenziagite" !
14 mai 2008, 22:10   Guy bis
Voici un lien avec la fiche de Bernard Guy telle que publiée par l'encyclopédie catholique :

[oce.catholic.com]


Notez que Bernard Guy naquit à Royères (ou Royère) et fut prieur de Castres puis évêque de Lodève, et que Jean-Marc de Royère fut le dernier évêque de Castres.
14 mai 2008, 23:15   Re : Film et livre
» Ah, ça vous enthousiasme, ça ? Pour moi c'est de l'Éco-système à 300 %, en effet, mais ça ne dit rien, ou à peu près.

Oui, Boris, j'ai cette faiblesse, et pour moi, cela dit beaucoup, et donne à penser. Et je ne dédaigne pas un bon petit paradoxe de temps en temps. En effet, presque toute l'apparence de notre époque, presque toute la lecture que nous en avons d'ordinaire passe par les médias. Au contraire, les gens comme Eco ou Gouguenheim travaillent (ou il leur arrive de travailler) sur des documents datant du Moyen Âge, ils ont cette époque au bout des doigt, au bout des yeux. Avouez que c'est tout de même autre chose que leurs détracteurs...
Il me semble que le roman d'Eco et le film qu'Annaud en a tiré ne procèdent pas des mêmes intentions et, de ce point de vue, se situent à l'opposé l'un de l'autre.

Le film reprend tous les poncifs anti-chrétiens : moines paillards et cupides, ignorance crasse, moines exploiteurs du bon peuple, Inquisition tatillonne et brutale, etc.
Le roman d'Eco est un admirable exercice "culturel" et très savant de pastiche, réécriture, parodie des modes d'expression, communs et littéraires, des processus intellectuels, de l'esprit encyclopédique (fondé sur les ressemblances et l'analogie), de la sémiologie "moderne" par déduction, celle de Guillaume (cf. le début du roman), du savoir médiéval.

Annaud a un point de vue d'athée moderne, anticlérical et naturaliste qui ramène le passé au présent ou prétend l'expliquer par sa propre idéologie ; Eco réécrit savamment l'encyclopédie des XII-XIVe siècles pour mettre en garde ses contemporains contre les dérives criminelles de l'idéologie et de la politique : les conflits entre courants chrétiens et les conflits politiques (Empereur v Papauté v Roi de France) annoncent les délires politico-idéologiques qui ont ensanglanté l'Italie dans les années 1970-80 (Brigades rouges, communisme radical, Macchiochi, Negri, etc.).
Cher JGL, vous dites ce que je n'arrivais pas à exprimer et qui s'est ramassé, dans mon message, dans le regret concernant la part faite à l'œuvre perdue d'Aristote. C'était le sommet, dans le livre, ce n'est qu'une résolution technique de l'intrigue, dans le film. En effet, c'est le résultat d'une intention très différente. Il est cependant des points positifs qu'Annaud n'a pas pu gommer : le héros, Basquerville, n'est pas athée, son disciple est sincère, les bibliothèques étaient considérées comme une richesse immense, et même le bibliothécaire, incarnation de la bien pensance de l'époque, était extraordinairement cultivé...
15 mai 2008, 10:36   Point gommé
Bien cher Bernard,


Un point est gommé : le héros, dans le roman, a des orientations assez nettes en direction de la jeunesse.
Je partage tout à fait le point de vue de JGL. Je contesterais seulement la présence de Macciocchi dans la liste finale : à la différence des autres noms cités, je ne pense pas que l'on puisse dire qu'elle a des morts sur la conscience, si ce n'est peut-être celles de quelques lecteurs imprudents qui auraient pu s'étrangler de rire à la lecture de l'un de ses ouvrages.
15 mai 2008, 16:58   Mort de la conscience
Si ce n'est la mort de la conscience à laquelle Antonietta a beaucoup contribué... Tout le monde n'a pas ri, hélas, à la lecture de ses élucubrations sur la Chine parues au moment très opportun où celles de Han Suyn garnissaient les rayonnages des librairies bobos, et ce n'est qu'à la mort de Mao et à la purge de la Bande des Quatre que l'on doit le fait que les livres d'Antonietta n'aient pas eu le temps de faire plus de dégâts, pour susciter plus tard, bien plus tard, l'hilarité.
Utilisateur anonyme
15 mai 2008, 19:27   Re : Les Habits neufs de Maria-Antonietta
Vous avez raison, et je crois que je n'oublierai jamais cette émission d'Apostrophes au cours de laquelle Simon Leys dit à Macciocchi ce qu'il pensait de sa vision idyllique de la Révolution culturelle...
Utilisateur anonyme
15 mai 2008, 21:33   Re : Les Habits neufs de Maria-Antonietta
Quel dommage qu'on ne puisse voir la suite…
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter