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Claude Lévi-Strauss et l'art contemporain : un regard

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
13 mai 2008, 13:10   Claude Lévi-Strauss et l'art contemporain : un regard
Ouh, ouh, Aline, Obi Wan ?

(article paru dans le quotidien suisse Le Temps du 10 mai 2008)

"La fragilité de l'art


Dès la fin des années 1950, Claude Lévi-Strauss a pris des positions hostiles aux développements de la peinture depuis la fin du XIXe siècle.


Laurent Wolf
Samedi 10 mai 2008
Rubrique: Samedi culturel

Dans des entretiens radiophoniques en 1959 et plus encore avec Le métier perdu en 1981, Claude Lévi-Strauss s'en prend à l'évolution de la peinture depuis la fin du XIXe siècle, notamment à l'abstraction et à Picasso chez qui il voit poindre, comme chez d'autres artistes, une dictature du discours, un «académisme du signifiant», une volonté de produire à tout prix des signes, quitte à les emprunter pour en surcharger l'œuvre d'art. «Après tout, dit-il en 1959, l'art n'a pas toujours joué un rôle aussi important dans les sociétés humaines.» Vu avec le «regard éloigné» de l'anthropologue, la fin de l'art ou son retrait n'est pas une tragédie. C'en est une, en revanche, pour un fils de peintre et un amateur d'art passionné. Même s'il paraît entaché de regrets, le point de vue de Claude Lévi-Strauss mérite d'être pris en considération. Il ne repose pas entièrement sur ses goûts personnels. Sa conception de l'art s'enchâsse dans ses observations ethnographiques et dans la construction théorique qu'il en a tirée.

Avec La Pensée sauvage (1962), il développe, parallèlement à une théorie des relations entre les mythes et la science, des instruments d'analyse de l'œuvre d'art. La construction des mythes et celle de la science obéissent à des logiques distinctes mobilisées dans le même but, déployer une explication cohérente du monde: celle du bricoleur qui organise les outils et les objets disponibles, celle du savant qui produit ses propres instruments. Et, écrit-il, «tout le monde sait que l'artiste tient à la fois du savant et du bricoleur: avec des moyens artisanaux, il confectionne un objet matériel qui est en même temps un objet de connaissance».

«Regardons [le Portrait d'Elisabeth d'Autriche par François Clouet (1571)], écrit Lévi-Strauss. Et interrogeons-nous sur les raisons de l'émotion esthétique très profonde que suscite inexplicablement, semble-t-il, la reproduction fil par fil, et dans un scrupuleux trompe-l'œil, d'une collerette de dentelles.» Cette émotion tient d'une part à la réduction de taille et s'appuie sur l'attraction des modèles réduits, d'autre part au fait qu'à la réduction de taille s'ajoute le passage de trois à deux dimensions, enfin à la qualité particulière d'un objet fait à la main. Ce qui engendre un renversement du processus de connaissance, car «pour connaître l'objet réel dans sa totalité, nous avons toujours tendance à opérer depuis les parties», alors qu'avec le modèle réduit «la connaissance du tout précède celle des parties».

A cela s'ajoute la maîtrise des moyens mis en œuvre, maîtrise qui permet à la collerette peinte de renvoyer à une collerette réelle bien que le peintre ne soit pas une dentellière. Il crée des signes reconnaissables avec un matériau qui lui résiste. Et la peinture naît de cette résistance. Claude Lévi-Strauss observe que les artistes de la fin du XIXe et du XXe siècle tentent de s'y soustraire. Bien qu'il n'en parle pas spécifiquement, nul doute que pour lui, la plupart des installations qui sont à la mode aujourd'hui représentent le point ultime de l'abandon des caractéristiques de l'art, puisqu'elles sont des objets réels qui évacuent l'élaboration d'un langage plastique pour laisser place au discours, à une hypertrophie du signifiant qui remplace l'art par ce qu'on en dit. "
Utilisateur anonyme
13 mai 2008, 13:24   Re : Claude Lévi-Strauss et l'art contemporain : un regard
Merci, Corto. Un des plus beaux livres de ma bibliothèque : "Regarder, écouter, lire ", aux éditions Plon.


     « Le temps du dégoût a remplacé l'âge du goût. » (Prière d'insérer de De Immundo, de Jean Clair)
Utilisateur anonyme
13 mai 2008, 14:49   Re : Claude Lévi-Strauss et l'art contemporain : un regard
Intéressant. Mais rien de très original dans ce constat déjà très ancien, et très au goût du jour, si j'ose dire...

Il y a évidemment une montée en puissance du signe ("hypertrophie du signifiant)" qui, perdant toute signification naturelle, reste comme suspendu dans le vide... Ainsi tous ces discours sur l'art (idées, signes, allusions, concepts) ne signifient plus rien du tout, mais signifient quand même, et ce que nous appelons aujourd'hui art semble porter témoignage d'un vide irrémédiable (plus qu'ailleurs ?). L'art est traversé par le discours (remplacé?), traversé par les signes vides de l'art, et particulièrement par les signes de sa disparition : on peut donc ne plus croire en l'art ; reste l'idée de l'art, qui n'exclut pas la jouissance esthétique (et ironique), jouissance qui serait comme le résultat heureux d'une desillusion radicale du monde (R. Millet, cité sur un fil précédent, parle (si je me souviens bien) d'une "ascèse du désenchantement").
Utilisateur anonyme
13 mai 2008, 14:59   Re : A propos de Roger Camus
Cher Boris, en allant vérifier sur le site de la FNAC que "Regarder, écouter, lire" était disponible (il l'est et, grâce à vous, fera bientôt aussi partie de ma bibliothèque), j'ai trouvé qu'un certain Roger Camus avait écrit un ouvrage intitulé "Demeures de l'esprit". Encore la maladie des pseudonymes ou la naissance d'un écrivain au prénom populaire ?
13 mai 2008, 15:28   Deutéro-Camus
Cher Corto : j'ai fait la même découverte, la semaine passée. J'ai tout de même passé commande, en espérant recevoir le livre espéré et non je ne sais quelle brochure tombée de la plume d'un épigone.
Chapitre.com et Amazon ont corrigé l'erreur : Renaud Camus y a récupéré ses deux derniers titres. Il n'y a que la FNAC qui persiste à attribuer La grande déculturation à R. Camus et Demeures de l'esprit à Roger Camus.

Comme les trois sites ont fait la même erreur, son origine doit, j'imagine, être cherchée dans les informations qui leur ont été fournies. Par l'éditeur ? Ce serait intéressant de le savoir. Et comment les deux premiers ont-ils su qu'il fallait rectifier ? Et pourquoi la FNAC n'a-t-elle pas été avertie ou tarde-t-elle à rectifier ?
Utilisateur anonyme
15 mai 2008, 15:25   Roger Camus, sa vie, son œuvre
Mais enfin, qu'avez-vous tous contre Roger ? Il a pas le droit d'exister, Roger ?
Il semble que cette oeuvre de Claude Levi-Strauss ne soit disponible ni sur Amazon ni sur le site de la Fnac. À moins qu'elle ne fasse partie d'un livre plus important et portant par conséquent un autre titre ?

Quelqu'un aurait-il des lumières à ce sujet ?
Utilisateur anonyme
15 mai 2008, 17:58   501, avec des boutons
Ah non, le livre existe bel et bien. En tout cas, il existe chez moi…
Cher Boris Joyce, regardez bien dans tous les coins : vous verrez que je ne suis pas chez vous (bonne nouvelle, non ?)...

Donc, si ce livre existe sous ce titre, cela signifierait qu'il n'est plus disponible, sauf d'occasion.
Utilisateur anonyme
15 mai 2008, 19:31   Re : Claude Lévi-Strauss et l'art contemporain : un regard
Donc, si ce livre existe sous ce titre, cela signifierait qu'il n'est plus disponible, sauf d'occasion.

Et pourtant...
Grand merci, Monsieur Alexis : la commande est partie !
Utilisateur anonyme
21 mai 2008, 13:01   Re : Claude Lévi-Strauss et l'art contemporain : un regard
Houps ! J'arrive juste à temps pour vous remercier d'avoir pensé à moi et à Aline cher Corto ! Je rentrais de voyage dimanche, raison de mon silence. J'ai bien aimé aussi "Il y a évidemment une montée en puissance du signe ("hypertrophie du signifiant)" qui, perdant toute signification naturelle, reste comme suspendu dans le vide... Ainsi tous ces discours sur l'art (idées, signes, allusions, concepts) ne signifient plus rien du tout..." comme bien vous le devinez ! A une prochaine occasion !
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