L'enfant qui dit aujourd'hui "ça n'existe pas" à "nous aimâmes" n'est pas à blâmer; l'enfant est généralement plein de bonne volonté, prêt à se plier, comme chacun sait, à la langue dominante qui le séduit toujours. L'enfant rebelle montre une remarquable propension à se plier au verbe dominant; il parlera verlan ou "téci" parce que tel est dans son milieu le verbe dominant, tel est le parler, le mot d'ordre langagier du chef. Ces petites brutes de cailleras sont infiniment dociles, en un sens, s'agissant du langage et amener le petit sauvage à une plus grande docilité, politesse ou civilité, en exploitant la sienne propension à calquer le dominant langagier pourrait constituer une voie propice à sa recivilisation, mais passons.
Saviez-vous que les services linguistiques de l'ONU proscrivent, très officiellement, l'emploi du passé simple dans les traductions françaises comme jadis les écoles de la Troisième république le patois provençal ou alsacien ? si vous employez le passé simple dans une traduction de texte officiel de l'ONU ("en 1976, le Directeur général convoqua le Conseil économique et social en novembre"), on vous le renfoncera dans la gorge, on vous biffera rageusement "convoqua" pour un "a convoqué", même si la date est 1946. L'ancien forum a publié un billet édifiant sur une intervention radiophonique de Paul-Marie Couteaux relative à l'usage du français dans les instances internationales qui sonnait l'alarme.
Le passé simple a disparu de la télévision bien sûr, mais aussi semble-t-il de la radio; son emploi anodin a disparu, ce qui n'exclut pas qu'on le ressorte à l'occasion pour produire un effet quelconque, généralement comique; comme le patois savoyard ou normand ou provençal qui dans les années 60 était toléré jusqu'aux portes des villages mais qui ne devait jamais accéder à la radiophonie, sauf pour s'en moquer.
Le massacre de la langue française la plus simple, la plus anodine, n'epargne personne: nous en sommes tous victimes, et celui qui vous écrit ces lignes le premier, et tous coupables. La modeste limpidité, l'admirable économie de ces quelques phrases citées plus haut par Orimont, lequel d'entre nous en est aujourd'hui
spontanément capable ?
Circonstance aggravante: nous ne pouvons nous consoler en nous disant que "c'est pareil chez nos voisins". Hélas non! L'anglais a conservé naturellement son prétérite et les Espagnols conjuguent fièrement, modestement, anodinement leurs verbes à tous les temps dans tous les modes ou presque. Même chose je crois, Orimont confirmera, chez les Transalpins.