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Le Figaro, la culture et la langue

Envoyé par Marcel Meyer 
Dans un article du Figaro intitulé, de façon ô combien spirituelle et originale « Jules César sauvé des eaux du Rhône », César est qualifié deux fois d’empereur (« Un marbre de l'empereur » et « un buste, peut-être même réalisé du vivant de l'empereur romain »). Qu’une telle bourde, qui eut naguère été considérée comme indigne d’un élève de cinquième, soit commise par une journaliste qui écrit un article consacré à ce personnage dans les pages « Culture » du Figaro, cela dit tout de l’état de la culture en France en général et au sein de la rédaction de ce journal en particulier.

Dans le même article figure aussi une phrase parfaitement incohérente (« Par 8 à 14 mètres de profondeur, sous des pierres, ils ont aussi découvert un très beau Neptune en marbre de 1,80 mètre, en morceaux, et qui a pu être reconstitué, d'un bronze de 70 centimètres qui pourrait représenter le satyre phrygien Marsyas, sans doute d'origine grecque hellénistique, ou encore d'une Victoire de bronze de 70 centimètres également. ») : comme toujours, l’état de la langue reflète fidèlement celui de la culture.

Eric Zemmour se gausse parfois des jeunes femmes, journalistes et semi-analphabètes, qui peuplent de plus en plus densément les rédactions de nos médias : en tant que journaliste au Figaro, il sait manifestement de quoi il parle.
Citation
en tant que journaliste au Figaro, il sait manifestement de quoi il parle.

Vous saviez, cher Marcel, qu'il y a quelques années la direction du journal Le Figaro avait annulé une invitation à la fête du Figaro envoyée à Bernard Lugan (L'africaniste).

Les raisons avancées pour cette désinvitation étaient fallacieuses.

B. Lugan (universitaire de la droite nationaliste) était un habitué de cette fête à laquelle il avait été convié dans le passé plus d'une quinzaine de fois.

Lugan ayant officiellement protesté contre cette brusquerie une pétition signée par 135 journalistes sur les 150 que comptent le journal fut rendue publique.

Bien sûr il s'agissait d'une requête Reductio ad Hitlerum !
Bien cher Marcel,

Cette affaire est moins nette que ce qu'on peut bien penser de prime abord.

En effet, si on dit,usuellement, qu'Auguste fut le premier empereur romain, c'est un abus de langage. Le principat se proclamait une forme de république, et ce n'est que sous le dominat que les symboles externes de la république furent très limités.

La limite entre empereurs et non-empereurs est donc floue, encore accentuée par l'usage du mot "imperator". C'était une sorte de titre de courtoisie pour les "empereurs non militaires", alors que César le reçut à titre militaire.
Oui, certes, vous avez raison, mais dans l'autre sens : le régime instauré par Octave reste formellement une république. Cependant, une rupture fondamentale a eu lieu et tous les contemporains l'ont senti. Et c'est bien parce que César s'était déjà engagé dans cette direction qu'il fut assassiné. Le point clé est là : l'assassinat de César par une conspiration républicaine pour empêcher la destruction de la république (ou plus exactement du pouvoir sénatorial, mais peu importe ici), voilà qui faisait partie de ces faits de base, de ces jalons qui formaient le savoir commun. Qu'il faille, dans bien des cas, revisiter ces images à la lumière de connaissances affinées est une chose, leur abolition au profit d'une bouillie invertébrée en est une autre. La journaliste du Figaro ne qualifie pas César d'empereur parce qu'elle en sait davantage que les connaissances carrées et imagées du savoir de base de jadis, mais tout simplement parce qu'elle en sait moins.
15 mai 2008, 20:56   Suétone
Certes, bien cher Marcel, mais Suétone ne commence-t-il pas la vie des douze Césars à Jules César ? où mettre la césure ?
Utilisateur anonyme
16 mai 2008, 13:37   La femme
Extrait de Le journalisme appris en 18 leçons d'Albert Rival (Albin Michel 1931) :


«4 – La femme peut-elle aspirer à cette carrière ?

C'est la question que beaucoup se posent.
Nous répondons : Eh ! pourquoi pas ? Aurait-elle moins de qualités que l'homme pour accomplir cette tâche ? Certes non, et les femmes qui honorent déjà la Corporation prouvent éloquemment que là comme ailleurs elles peuvent fort bien réussir.
[...]
Ne semble-t-il pas que la femme journaliste est bien dans son rôle ?
Simone Levy a dit fort justement que le chemin de fer et l'auto avaient tué le salon et que les journaux n'étaient autres que les derniers salons où l'on cause.
Or, le journalisme n'est-il pas cet art de dire avec esprit, pour faire passer le temps, des choses inutiles ?
Et ne serait-ce même que d'exposer avec agrément des sujets désagréables, de faire digérer aux ignorants des mets indigestes et d'enduire du miel de la parole les pilules les plus amères ? Qui mieux que la femme excellerait dans cet art délicat ?
Reconnaissons d'ailleurs que les femmes sont des enfants et qu'elles gardent la vivacité et la fraîcheur d'impression des premières années.
Elles sont promptes à l'enthousiasme, à la douleur, à la colère et le monde leur demeure le plus prodigieux spectacle.
Ne voilà-t-il pas autant de qualités pour devenir un excellent journaliste ?
[...]
Et remarquons encore que la femme, qui a cependant moins de personnalité que l'homme, peut néanmoins plus facilement que lui éprouver de la sympathie pour ce qui ne lui ressemble pas, plus facilement comprendre et aimer l'âme étrangère.
Et c'est pourquoi nous disons que la femme peut fort bien accéder au journalisme dans lequel elle est appelée à jouer un rôle salutaire. »
16 mai 2008, 16:05   Re : La femme
Ce type de texte montre s'il en était besoin que la langue et la pensée évoluèrent moins entre Chateaubriand et 1931 qu'entre, disons, 1978 et 2008.

En 1931, cet Albert Rival devait être assez vieux pour se souvenir des funérailles de Victor Hugo ou peut sans faut; toujours est-il qu'il écrivait et pensait comme si tel eût été le cas. Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, la manière de percevoir et d'exprimer ses perceptions et celle d'exposer son opinion demeura celle du XIXe siècle. Beau prodige de stabilité, quand on y songe, que ce "parler Troisième république", resté dominant jusqu'à la mort de ladite République.
On peut élargir, cher Francis.

366 ans séparent la chute de l’Empire romain des serments de Strasbourg . Pendant ce temps, le latin parlé dans la moitié septentrionale de la Gaule s’est complètement transformé et a donné naissance à une langue nouvelle, l’ancêtre direct du français. 366 ans, c'est aussi le laps de temps qui sépare la publication du Cid de l'an 2000.

Or la langue qu'on nous a apprise à l'école était, à très peu de choses près, la même que celle de Corneille et nous le lisons en tout cas sans difficulté. Quant nous avons étudié Le Cid au lycée, nous n’avions besoin qu’on nous explique que quelques rimes incompréhensibles si l’on ne sait pas que Louis XIV prononçait le roué c’est moué, quelques mots vieillis, quelques sens devenus obsolètes ou qui ont été affaiblis par l’inflation langagière.

Au cours de l’été 2000, j’ai fait une série de vidéogrammes pour une exposition sur la langue dont Benoît Peeters était le commissaire ("Le Français dans tous ses états") . Dans l’un d’eux, un montage consacré à l’apprentissage de la langue à l’école, nous avons repris une scène tournée dans un collège de la banlieue parisienne. On y voyait un garçon et une fille, très certainement en troisième, étudier ensemble la conjugaison du verbe aimer au passé simple. Le garçon, lisant :

« - J’aimai, tu aimas, il aima, nous … nous ai… nous aimâmes ? [Rire étonné] Non, c’est pas possible ça, ça existe pas !? »

Cet adolescent paraissait gentil, on ne peut plus normal, pas du tout sauvageon-caillera.

Nous sommes revenus au rythme d'évolution de la langue qui était celui du haut Moyen Âge, du temps des barbares.
du haut Moyen Âge, du temps des barbares.
Ignorez-vous, cher Marcel, qu'en ces temps que vous semblez mépriser Aristote était traduit du grec dans maintes chaumières de notre France ?
L'enfant qui dit aujourd'hui "ça n'existe pas" à "nous aimâmes" n'est pas à blâmer; l'enfant est généralement plein de bonne volonté, prêt à se plier, comme chacun sait, à la langue dominante qui le séduit toujours. L'enfant rebelle montre une remarquable propension à se plier au verbe dominant; il parlera verlan ou "téci" parce que tel est dans son milieu le verbe dominant, tel est le parler, le mot d'ordre langagier du chef. Ces petites brutes de cailleras sont infiniment dociles, en un sens, s'agissant du langage et amener le petit sauvage à une plus grande docilité, politesse ou civilité, en exploitant la sienne propension à calquer le dominant langagier pourrait constituer une voie propice à sa recivilisation, mais passons.

Saviez-vous que les services linguistiques de l'ONU proscrivent, très officiellement, l'emploi du passé simple dans les traductions françaises comme jadis les écoles de la Troisième république le patois provençal ou alsacien ? si vous employez le passé simple dans une traduction de texte officiel de l'ONU ("en 1976, le Directeur général convoqua le Conseil économique et social en novembre"), on vous le renfoncera dans la gorge, on vous biffera rageusement "convoqua" pour un "a convoqué", même si la date est 1946. L'ancien forum a publié un billet édifiant sur une intervention radiophonique de Paul-Marie Couteaux relative à l'usage du français dans les instances internationales qui sonnait l'alarme.

Le passé simple a disparu de la télévision bien sûr, mais aussi semble-t-il de la radio; son emploi anodin a disparu, ce qui n'exclut pas qu'on le ressorte à l'occasion pour produire un effet quelconque, généralement comique; comme le patois savoyard ou normand ou provençal qui dans les années 60 était toléré jusqu'aux portes des villages mais qui ne devait jamais accéder à la radiophonie, sauf pour s'en moquer.

Le massacre de la langue française la plus simple, la plus anodine, n'epargne personne: nous en sommes tous victimes, et celui qui vous écrit ces lignes le premier, et tous coupables. La modeste limpidité, l'admirable économie de ces quelques phrases citées plus haut par Orimont, lequel d'entre nous en est aujourd'hui spontanément capable ?

Circonstance aggravante: nous ne pouvons nous consoler en nous disant que "c'est pareil chez nos voisins". Hélas non! L'anglais a conservé naturellement son prétérite et les Espagnols conjuguent fièrement, modestement, anodinement leurs verbes à tous les temps dans tous les modes ou presque. Même chose je crois, Orimont confirmera, chez les Transalpins.
Toujours dans le sens de mon précédent message: savez-vous qu'en anglais international, on n'emploie plus guère le terme "translation" pour désigner la traduction mais celui de "localization", qui signifie effectivement ... ce que je vous dit plus haut: on ne traduit plus en français; on produit un "rendu local", savoir que le monde considère désormais le français, l'espagnol, le hindi ou le slovaque comme le Français instruit sous la Troisième république considérait le provençal, le basque, le breton: il y voit des parlers locaux, des patois dont l'éradication à terme est ouvertement souhaitable comme peut l'être l'élimination d'un chiendent sur une pelouse de criquet.
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