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Pascal Sevran, la vie sans lui

Envoyé par Gérard Rogemi 
Trés bel hommage à Pascal Sevran paru dans l'édition du 16 mai de l'Opinion Indépendante.


Le parolier, écrivain et homme de télévision a disparu le 9 mai.

Retour sur une vie et une œuvre atypiques.

De Pascal Sevran, beaucoup retiendront d’abord les clichés télévisuels, ceux égrenés par plus d’un quart de siècle de présence dans le petit écran et en particulier à travers La chance aux chansons. Les costumes colorés du présentateur, ses apostrophes à «Tintin», les vieux chanteurs et chanteuses exhumés de l’oubli sur fond de décor kitsch : tout cela fit le bonheur des caricaturistes et des bêtisiers. Gloria Lasso y croisait les Rita Mitsouko, Patrick Bruel et Patricia Kaas y accomplirent leur baptême du feu à la télévision et beaucoup d’autres leur come-back. La passion de la chanson n’était pas feinte chez celui qui fit ses premiers pas, au milieu des années soixante, au Petit conservatoire de Mireille et qui, plus tard, en écrira une centaine – essentiellement pour les autres – .

De Berl à Dalida

Mais, bien avant cela, en 1964, c’est auprès de Mireille que Sevran fait une rencontre déterminante en la personne du mari de celle-ci : Emmanuel Berl, écrivain et essayiste, l’une des grandes figures intellectuelles de l’entre-deux-guerres, l’ami de Breton, Aragon ou Drieu. Entre le vieil érudit, qui côtoya Bergson et Proust, et le jeune homme, qui avait arrêté ses études pour devenir apprenti coiffeur tout en rêvant de chanson, se noue pendant des années une relation de maître à élève teintée d’amitié. Chez Berl, Sevran voit passer Clara Malraux, Jean d’Ormesson, Pascal Jardin ou Patrick Modiano et surtout écoute les confessions de ce juif, engagé à gauche, qui pourtant rédigea en 1940 deux discours pour Pétain… Il en retient une fascination pour cette période troublée que l’on retrouvera dans ses futurs romans et surtout l’idée que l’Histoire ne s’écrit pas en noir et blanc. Une formation accélérée qui vaut celle de bien des universités. Le soir, à cette même époque, Pascal Sevran court les cabarets, écrit ses premières chansons et passe à la télévision dans ce fameux Petit conservatoire où débute une certaine Françoise Hardy. À vingt-cinq ans, après deux premiers disques passés inaperçus, Sevran se lance dans le journalisme à Ici Paris où il travaillera durant dix-sept ans tout en collaborant de 1978 à 1982 au Quotidien de Paris de Philippe Tesson.

Les années soixante-dix sont surtout celles des chansons écrites pour Dalida et de l’entrée en littérature. Son premier roman, Le Passé supplémentaire, influencé par Pascal Jardin, obtient le Prix Nimier 1979. Suivront Vichy Dancing, Un Garçon de France et Souvenirs particuliers. On retrouve là une prose sèche, des phrases tranchantes et rapides qui distillent les nuances de la mélancolie et du désenchantement. La critique les encense, mais le Sevran animateur de La chance aux chansons va effacer aux yeux du public l’écrivain. Il fait chanter et chante lui-même, monte sur scène et rejoint enfin ses rêves de gosse. Il faudra attendre la parution de La Vie sans lui, en janvier 2000, pour que l’auteur fasse son retour avec ce bouleversant journal intime écrit après la disparition de Stéphane Chomont qui avait partagé sa vie pendant près de vingt ans. On redécouvre que derrière l’histrion blond des écrans de télévision et le fervent mitterrandiste se cache un styliste hors pair. Après cette œuvre de deuil et de survie paraîtra chaque début d’année un nouveau volume de ce journal qui crée une comédie humaine dont les scènes se trouvent à Morterolles, petit village du Limousin, et l’île Saint-Louis – les deux lieux où Sevran partageait son temps. Comme il le disait lui-même, c’est dans ses livres qu’il faut aller chercher Jean-Claude Jouhaud (son vrai nom), né en 1945 à Antony d’un père chauffeur de taxi et d’une mère couturière aux sympathies communistes.

Le temps de nos fêtes anciennes

De La Mélancolie des fanfares aux Lendemains de fêtes, on voit se dessiner le portrait d’un homme public et solitaire, parisien et provincial, fidèle à Mitterrand et profondément réactionnaire, pessimiste et joyeux, pudique et exposé aux feux de la rampe, agnostique et attaché à la messe en latin comme aux curés en soutane. Lecteur passionné de Jouhandeau et de Chardonne, mais aussi de certains contemporains comme Renaud Camus et Jean-Claude Pirotte, il aurait pu faire sienne la phrase d’Antoine Blondin : «Je me suis habitué à vivre au seuil de moi-même parce qu’à l’intérieur il y fait trop sombre.»

Une stupide polémique éclata fin 2006 transformant cinq lignes de son dernier journal sur la famine et la surpopulation en Afrique en une diatribe raciste et eugéniste. Était-ce l’œuvre de la bêtise des temps modernes ou la volonté de faire payer à celui qui avait soutenu Sarkozy une liberté de parole anachronique ? On ne tranchera pas. Encore une fois, pour savoir qui était Pascal Sevran, on se reportera à ses livres et notamment à cette confession de Manuel Mercadier, le héros de Souvenirs particuliers : «Depuis ces jours anciens, j’ai ri bien sûr, j’ai chanté aussi. Et j’en connais même qui sont prêts à parier sur ma bonne mine que j’ai tout pour être heureux ! Je ne les crois pas mais cela me rassure parfois. Je sauve les apparences de mon mieux. Je suis bavard mais je ne dis rien. À quoi bon déranger les fantômes quand la fête tourne rond ? La musique d’aujourd’hui fait tant de bruit que personne ne l’écoute, alors par politesse je fais semblant d’être là, attentif et capricieux, comme les enfants au pied du manège, et qui voudraient bien monter et qui ont peur.» La prose de Pascal Sevran atteignait le précis de l’artiste. Elle possédait cette distance poétique qui a le don de «saisir notre sourire à la seconde même où il entrouvre nos lèvres, juste avant de nous paraître idiots, juste avant nos larmes.» Avec lui, nous restera le souvenir ému du temps de «nos fêtes anciennes quand nos amis n’étaient pas morts», «quand l’air était plus léger et les espoirs permis».

Christian Authier
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