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Envoyé par Henri Rebeyrol 
18 février 2008, 06:37   Absence de commentaires
L'affaire dite Kerviel, du nom de ce courtier qui a fait perdre près de cinq milliards d'euros à la banque qui l'employait, n'a suscité que des commentaires attendus : laxisme ou complaisance du système, absence de contrôle de la hiérarchie, "stress" des courtiers des salles de marché, cupidité de tous les "acteurs", PDG incompétents, etc.

A ma connaissance, aucun commentateur ne s'est étonné de l'étrangeté des activités de la Société générale (et d'autres banques). Depuis le XIXe siècle, il va de soi que l'activité d'une banque consiste à prêter de l'argent (l'argent déposé dans ses "livres") à ses clients (entreprises ou ménages) à un taux donné ou à rendre des services divers : gestion de comptes, change, transferts, etc. Les banques ont une fonction économique de première importance : "accompagner" (comme on dit quand on parle moderne) les entreprises nationales ou étrangères qui produisent, exportent, importent, vendent, etc.

Or, l'affaire Kerviel a révélé qu'une banque, naguère nationalisée et réputée pour son sérieux ou sa rigueur, engageait des sommes très importantes (le seul Kerviel : 50 milliards d'euros dans des opérations clandestines) sur le marché des "produits dérivés" (le MATIF, qui a changé de nom, a été créé, si je me souviens, sous la présidence de Mitterrand et sous la responsabilité de Beregovoy - du moins, celui s'en vantait), c'est-à-dire sur des fictions ou des jeux spéculatifs, à savoir les indices d'indices de diverses bourses européennes - un peu comme au loto sportif, des joueurs parient sur le résultat des matches de football.

Aucun commentateur (toujours à ma connaissance) ne s'est étonné de ces dérives, sinon d'un point de vue moral, pour s'en indigner (l'argent pour l'argent ou l'argent corrupteur). Personne ne s'est demandé pourquoi une banque française délaissait ses activités dites "traditionnelles" (ce pour quoi elle a été établie) au profit d'une pure spéculation sur des "réalités" variables et en grande partie fictives; pourquoi elle préférait engager des milliards d'euros dans la spéculation sur de la spéculation plutôt que d'aider les industriels à accroître leur production ou à améliorer leurs services, etc. Personne n'a mis en parallèle ces activités de pure spéculation avec la lente disparition du tissu industriel de la France, comme si investir de l'argent dans l'industrie ou les services ne rapportait plus rien. Personne n'a comparé les activités de la Société générale (et autres banques européennes) à celles des banques chinoises ou arabo-islamiques. Les premières s'égarent (pour se perdre ?) dans la pure abstraction ou dans le gain immédiat; les secondes gèrent des "fonds souverains" qui rachètent les entreprises les plus rentables du monde et à (moyen) terme, elles risquent de faire main basse sur l'économie mondiale.
18 février 2008, 08:11   Re : Absence de commentaires
C'est vrai, Cher JGL , qu'il y a une dérive inquiétante des instituts bancaires et cela dans le monde entier mais je voudrais rappeller qu'en raison de taux d'intérêt très bas (depuis plus d'une décennie) les banques furent contraintes ou se crurent contraintes pour gagner de l'argent de chercher d'autres champs d'activité plus rentables que le prêt aux particuliers ou aux entreprises.

Mais ce qui est le plus étonnant c'est de voir le comportement moutonnier de ces banques qui toutes ou presque toutes - comme un seul homme - se sont lancées dans ces activités spéculatives.

Le cours de l'action en bourse, où les fonds font la loi, étant devenu le critère n°1 pour juger du travail des équipes dirigeantes, celles-ci concentrent toutes leurs forces dans des activités avec lesquelles ils pensent obtenir des bénéfices juteux à court terme.

Or, prêter de l'argent est une affaire de longue haleine qui demande de la patience cad une vertu qui a plus ou moins disparue du monde bancaire.
18 février 2008, 13:17   Re : Absence de commentaires
Cher ami, l'affaire"Kerviel" est venu opportunément faire oublier l'autre scandale que constitue, à mon sens, la "titrisation" des créances par les organismes hypothécaires américains et l'achat par de grandes banques de titres pourris ( à une époque les spécialistes parlaient de "junk bonds") fondés sur des prêts immobiliers consentis à des familles pauvres et à des taux usuraires. La Société Générale y a perdu 2,5 milliards d'euros (cinq fois le PNB du Sénégal). Bien fait. Aux Etats-Unis, pendant ce temps, des millions de familles sont expulsées de "leur" logement. Je demande que Jérôme Kerviel soit libéré immédiatement et que le parti anti-capitaliste, à venir, lui offre une carte de membre honoraire.
18 février 2008, 14:18   Re : Absence de commentaires
Pour une meilleure compréhension de cette dite "titrisation" des créances par les organismes hypothécaires américains on doit bien se dire que dans ces créances il n' y avait pas que du mauvais mais aussi des créances tout à fait valables et le coup de génie de ceux qui les offraient aux banques fut justement de mélanger le mauvais avec le bon et en même temps d'attirer les acheteurs en leur proposant des rabais importants entre 10 et 30%.

C'était gros comme une montagne mais trés peu de banques ont pu y résister. Pourquoi?: tout d'abord par goût du lucre mais aussi par emballement mimétique comme le dirait René Girard, de peur que les autres acteurs sur le marché bancaire gagnent plus qu'eux.
18 février 2008, 17:08   Re : Absence de commentaires
La "titrisation" des créances (on les transforme en "titres" échangeables) est, du point de vue de la transformation d'une réalité marchande ou financière en signes, le même phénomène d'abstraction spéculative que les produits dérivés (fonds alignés sur les d'indices, etc.) : on s'abstrait du réel, on s'en éloigne, on le met à distance, pour mieux jouer des signes et sur les signes ou sur les représentations que l'on fabrique.
18 février 2008, 17:38   Re : Absence de commentaires
Citation
on s'abstrait du réel, on s'en éloigne, on le met à distance, pour mieux jouer des signes et sur les signes ou sur les représentations que l'on fabrique.

Non, Cher JGL, on ne peut pas aller aussi loin car autrement les banques ne seraient pas contraintes de se mettre en faillite ou d'assainir leurs bilans ou d'injecter de l'argent frais pour éviter le dépot de bilan. Ces créances sont bien réelles et leur dévaluation l'est aussi.
19 février 2008, 10:53   JGL marxiste
Je pense que JGL a raison de parler d'un processus d'abstraction s'agissant du capital financier. Ce faisant, il est d'ailleurs dans la grande lignée de Marx, qui évoquait déjà en son temps, dans le livre III du "Capital" notamment, les formes de plus en plus abstraites que prenait la valeur avec le développement de l'économie de crédit. De l'économie monétaire fondée sur le métal à la monnaie fiduciaire en papier ; de la lettre de change phénicienne aux prêts hypothécaires titrisés et aux marchés à terme (aujourd'hui s'échangent quotidiennement sur les marchés financiers des millions de barils de pétrole virtuels ; des centaines de millions de quintaux de blé qui n'ont pas encore été produits, etc.), le processus d'abstraction, favorisé par des instruments de plus en plus sophistiqués, ne cesse de s'approfondir. Le capitalisme contemporain vogue sur un immence océan de dettes, de créances, de capital "fictif" (Marx). Le moment de la crise vient quand tout cet amas de papier se dévalorise et que les prêteurs affolés exigent le paiement au comptant. C'est le fameux passage de l'économie de crédit à l'économie monétaire (le "credit crunch") qui provoque la crise avec la chute de la production. Nous y sommes presque. Il est difficile en revanche de prédire son ampleur.
19 février 2008, 11:05   Re : Absence de commentaires
Vous avez raison, cher Rogemi, le réel finit toujours par avoir le dernier mot, au détriment de tous ceux qui pensent que les signes peuvent remplacer les choses. C'est d'ailleurs ce qui se passe dans l'affaire des "subprimes".
Mais cela n'invalide pas le raisonnement. Lorsqu'une banque prête de l'argent à un client, elle prend une hypothèque sur le bien acheté : autrement dit, un lien est maintenu - et un lien très fort - entre l'argent (les signes) et les choses (la maison). A partir du moment où la banque transforme ses créances en titres - sans doute dans un fonds spécial - et qu'elle met ce fonds sur le marché (les "titres" sont achetés par d'autres; le "titre" de propriété s'efface sous le "titre" financier ou boursier), le laissant fluctuer en fonction de règles ou de critères qui sont propres aux marchés financiers -, elle tend à effacer le lien concret qui a été établi à l'origine entre l'argent prêté et le bien réel acheté, ne serait-ce que pour faire supporter par d'autres (banques gogos, spéculateurs, épargnants, etc.) les risques qu'elle a pris.
Evidemment, ce "jeu" a des limites. Il suffit d'un retournement des prix de l'immobilier ou de l'augmentation des emprunteurs défaillants pour que les choses retrouvent leur primauté sur les signes et que le réel se venge sur ceux qui ont cru qu'ils pouvaient s'en passer. Sur ce point, je suis totalement d'accord avec vous.
19 février 2008, 13:11   Re : Absence de commentaires
Cher JGL,

Bien sûr la titrisation des créances est d'une "certaine manière" une forme de capital fictif.

C'est une dérive grave car les établissements financiers préférent abandonner le métier traditionnel du banquier cad le prêt à intérêt pour se lancer dans des combinaisons financières dont ils ne comprennent en rien les ressorts.

Le malheur de trop nombreux banquiers c'est d'avoir la conviction erronée que les services de fusions-acquisitions et autres activités boursières leur font gagner plus d'argent que le métier traditionnel du banquier.

Comme on dit en allemand "kleinvieh macht auch Mist".

Traduira qui voudra.
19 février 2008, 15:28   Non-absence de commentaires
Bof vous savez cher JGL, d'aucuns vous objecteraient que la "titrisation" de tout, de l'indice de l'indice et du pari sur le pari, reste du fiat de fiat, de la médiation de médiation, et donc le comble du détour et de la civilisation. Que spéculer sur "le réel" ne serait que "brutalité", que la médiation civilisée appelle le fiat au cube, etc.

L'argent est lui aussi un signe, et il n'y a de valeur négociable que de promesse signée, comme le sont la plupart des billets de banque. Il faudrait pour être sûr d'éliminer toute médiation et de faire affleurer le matériel sous-jacent afin de ne traiter que lui, revenir à l'étalon-or. Roland Barthes a écrit des pages pertinentes sur la question, au sujet de De Gaulle, il me semble.

"Les banques se sont dévoyées" ai-je lancé outré et en raisonnant comme vous le faites quand je me suis vu remisé dans le rang de leurs gogos lessivés par leur jeu spéculatif en 2000. "Comme tu dis, Francis, les banques, ce sont des voyous" me suis-je entendu répondre par un aussi gogo que moi.

Le jeu des banquiers à l'ancienne, consistant à prêter et à "accompagner" l'industrie, n'était pas moins spéculatif ni casse-cou que celui de nos cow-boys de la spéculation déchaînée d'aujourd'hui, il suffit pour s'en convaincre de songer aux crises bancaires (les bank-runs à l'américaine) qui ont émaillé l'histoire du capitalisme entre 1872 et 1939 et déclenché des crises économiques en des cycles caractéristiques quand la bourse se donnait encore des airs de ne pas être un casino pour tocards prétentieux.
19 février 2008, 17:21   Re : Absence de commentaires
Citation

un casino pour tocards prétentieux.

J'aime bien cette expression car elle correspond très exactement à ce que sont la plupart des intervenants sur les places boursières.
21 février 2008, 09:34   Re : Absence de commentaires
Chers amis,

Je me suis interrogé sur le silence des commentateurs à propos des "dérives" ou des "fuites en avant", boursières ou spéculatives, des banques françaises (surtout des banques qui furent jadis de "dépôt") - fuites en avant qui ne me semblent pas conformes à leur raison d'être (ou à ce qui fut leur raison d'être : investir dans l'industrie, le commerce et l'agriculture). Ce silence (ou cet aveuglement) semble signifier que chacun s'accommode de la lente disparition en France des activités, somme toute nobles et civilisatrices, de production, auxquelles se substituent des activités spéculatives, toutes immatérielles, portant sur les signes ou les signes de signes (projets, concepts, idées, images, indices et indices d'indices, etc.).

Certes, le processus de civilisation suppose toujours plus contrats, de formes, de signes; mais il se nourrit aussi de confiance. Quand les signes n'ont plus de valeur, plus rien n'en a et tout devient possible : mensonges, duperies, crimes... L'argent papier est un ensemble de signes, mais 80% (ou plus) de la monnaie résultent de simples jeux d'écriture - des signes de signes : le mot "jeux" en dit long sur la nature du phénomène. "Créance" a aussi un double sens. A partir du moment où les desservants de la créance spéculent sur l'objet même du culte dans les temples consacrés à la créance, c'est qu'ils ne croient plus dans ce qui est leur raison d'être et que leurs "engagements" (autre terme à double sens) ne sont guère solides - pas plus que les positions qu'ils prennent. Les choses réelles s'effaçant sous les cascades de signes et les créances devenant des mécréances, on peut se demander si le processus de civilisation n'est pas en train de muer en "régressus" de décivilisation.

De Marx, j'ai lu - avec plaisir - son essai ironique et parfois insolent sur la lutte des classes en France entre 1848 et 1850. Je ne connais son oeuvre que de seconde main - par Aron, Revel et "La littérature oubliée du socialisme" (1999, Nil éditions), etc. Ce qui m'amuse, ce sont les retournements que subit sa pensée. Ainsi, Marx tient (semble-t-il) l'Etat pour une superstructure mise en place par la bourgeoisie afin de défendre ses propres intérêts de classe et les fonctionnaires pour des parasites profitant de la plus-value que les capitalistes tirent du travail de ceux qu'ils exploitent. Le comique de l'affaire est que les marxistes une fois qu'ils sont parvenus au pouvoir ont fait de l'Etat, lequel, en bonne théorie, aurait dû dépérir, un Léviathan monstrueux qui, en matière d'exploitation de l'homme par l'homme, fait mieux que le capitalisme, puisqu'il a rétabli l'esclavage. Le comique de l'affaire est que, dans notre pays, les marxistes (oui, il en reste) sont tous fonctionnaires ou assimilés et ils ont tous, comme un seul homme, déserté la classe ouvrière ou ce qui en reste. Autres sources d'amusement : l'idéologie. Là encore, les marxistes (ou léninistes, maoïstes, etc.) se gardent bien d'appliquer à l'idéologie (la leur d'abord) la conception que Marx s'en faisait : il suffit de la retourner ou d'en prendre l'exact contre-pîed pour avoir une représentation assez juste et conforme de la réalité.
Quant à la "crise" (est-ce la crise finale ?), il semble que Marx et les marxistes s'en fassent une idée mécaniciste. De même que la crise cardiaque entraîne la mort, de même la prétendue crise du capitalisme entraînerait sa mort ou sa disparition. Les crises, dites du capitalisme, n'ont rien en commun avec les crises cardiaques. Le "capitalisme" n'est pas un organe vital, mais un immense désordre à configurations sans cesse changeantes et multiples. Le "concept" de "bordel ambiant" est, à mon sens, mieux adapté pour rendre compte du "capitalisme" que celui de "l'organe central". Les hommes ont fait au XXe siècle l'expérience du "grand désordre" et celle du "Grand Ordre". Leurs conclusions sont sans ambiguïté : ils préfèrent le grand désordre à "l'ordre", unique et uniforme : en bref, l'ordre tunique.
21 février 2008, 10:26   Re : Absence de commentaires
Cher JGL, vous écrivez dans votre passionnante réponse, "Créance" a aussi un double sens. A partir du moment où les desservants de la créance spéculent sur l'objet même du culte dans les temples consacrés à la créance, c'est qu'ils ne croient plus dans ce qui est leur raison d'être et que leurs "engagements" (autre terme à double sens) ne sont guère solides - pas plus que les positions qu'ils prennent.

Cette idée que la bourse serait un "temple" (du capitalisme, etc.) se trouve partout chez les critiques du capitalisme. Pourtant, à mon sens, la spéculation exclut le culte. Le culte, étant absolu, ce qui se rapprocherait de lui serait plutôt de l'amour du gisement (terme de finance qui désigne "le réel" ou "le sous-jacent). Le dépouillement des créances et du jeu spéculatif dont elles fournissent la matière conduirait, poussé dans l'absolu, à ne plus croire en rien qu'à l'étalon-or, qui lui, est libre de signe.

On l'aura compris: c'est dans le retour à l'étalon-or que loge le plus brutal des cultes, celui, absolu, lavé de tout signe-doute, du Veau d'or. Les jeux de signes sur-articulés, les jeux de doute, d'incertitude et de spéculation sont du côté de la civilisation.
21 février 2008, 10:42   Re : Absence de commentaires
» à ne plus croire en rien qu'à l'étalon-or, qui lui, est libre de signe (...)
c'est dans le retour à l'étalon-or que loge le plus brutal des cultes, celui, absolu, lavé de tout signe-doute, du Veau d'or


Thèse élégante, mais enfin, est-ce si sûr ? Ne peut-on pas concevoir que l'or est, lui aussi, une richesse conventionnelle ? Sa valeur n'est fixée que par l'échange et la spéculation, tout de même, je n'en veut pour preuve que sa hausse artificielle relativement récente. Sauf à considérer la petite partie utile de sa valeur, par exemple en électronique... Ou vous ai-je mal compris ?
21 février 2008, 10:51   Re : Absence de commentaires
Cher JGL,
vous connaissez probablement la célèbre boutade de Marx, "Tout ce que je sais c'est que ne suis pas marxiste", prononcé après sa lecture, effarée, du projet de programme de la social-démocratie allemande rédigé par Bébel (auteur d'une autre boutade célèbre : "L'antisémitisme est le socialisme des imbéciles"). La fétichisation de l'Etat par le mouvement ouvrier allemand de son époque, qui devait plus à Lassalle qu'à lui-même, l'horrifiait. Et effectivement, il voyait l'Etat comme une sorte de grand corps parasitaire incarné par la bureaucratie. Entre Marx et les marxistes, le malentendu a donc souvent été gigantesque.
En revanche des hommes comme Raymond Aron ("Le marxisme de Marx", réédité il y a quelques années constitue une excellente introduction à la théorie de Marx) et Kostas Papaioannou ont dit des choses très intelligentes et justes, et beaucoup plus pertinentes en tout cas qu'un Althusser. Je vous conseille vivement de lire le petit pamphlet de Kostas Papaioannou, "L'idéologie froide" , qui montre bien le fossé abyssal séparant Marx de ses épigones et notamment staliniens. Les Mao, Staline, Castro (dont le départ ne m'inspire aucun regret) ont fait du marxisme un corpus ossifié, un catéchisme destiné aux masses, afin de justifier des politiques forcenées d'"accumulation primitive", d'industrialisation forcenée (pillage de la paysannerie pour importer les techniques américaines tel fut la politique de Staline).
S'agissant de la crise, vous avez parfaitement raison. On ne trouve chez Marx nulle trâce d'une théorie de l'effondrement du capitalisme. La fameuse loi de la baisse tendancielle du taux de profit est sans cesse contrecarrée par des tendances contraires ; et les crises, qui sont pour Marx cycliques, sont un moyen pour le système de restaurer une dynamique en éliminant ou en restructurant les secteurs de l'économie les moins rentables. La prochaine crise cyclique approche à grand pas et, en l'absence de révolution sociale, le système en sortira plus vigoureux et plus fort.
21 février 2008, 11:55   Re : Absence de commentaires
Cher Bernard,

La hausse récente et "somme toute artificielle" de l'or fait pendant et est concomitante à l'effondrement des jeux spéculatifs, lequel semble la motiver; elle signale le retour symbolique du gisement, du minerai et bientôt celui de l'immobile pierre immobilière.

D'aucuns vous diront que ce n'est pas l'or qui remonte mais l'argent qui baisse.

La titrisation des valeurs mobilières permet la fongibilité des actifs, des richesses; elle est l'arme du nouveau riche par excellence. L'aristocrate ne l'aime pas et pour cause: elle est synonyme de mobilité et de fuite. Le signe fuit, par sa dynamique fluide et fuyante, il est tout l'opposé d'un temple et déjoue tous les cultes.

Ceux qui parlent du "temple du capitalisme" à propos de la Bourse prennent des vessies pour des lanternes et confondent les casinos et les églises.
21 février 2008, 12:08   Rente foncière
Cher Bernard,
le métal, en l'occurrence l'or, a une valeur en lui-même fondée sur le temps de travail social abstrait qu'il a fallu pour le produire. Il a donc une valeur intrinsèque, contrairement à la monnaie fiduciaire (du latin fiducia qui signifie "confiance") en papier, pure convention, qui n'en a aucune (si ce n'est le temps qu'il a fallu pour produire le papier qui supporte le signe). Voilà pourquoi en ces temps d'inflation, de baisse des actions, l'or constitue une valeur refuge.
21 février 2008, 13:14   Le mot de la fin
"L'aristocratie financière dans son mode de gain comme dans ses jouissances n'est pas autre chose que la résurrection du lumpenprolétariat dans les sommets de la société bourgeoise."

Karl Marx, Les luttes de classes en France 1848-1850
21 février 2008, 13:17   Re : Absence de commentaires
Pour résumer: la titrisation est répugnante à trois catégories sociales majeures: les marxistes, les fonctionnaires et les aristocrates; toutes trois sont pour l'inamovibilité des privilèges.

Le nouveau riche, notez bien, n'aime pas la richesse plus que vous et moi, souvent, il ne sait trop qu'en faire; ce qu'il goûte par dessus tout est l'enrichissement qui est de la richesse mobile et mobilisée. Le "culte" et le temple sont du côté des immobiles et des partisans de la pétrification des richesses et des statuts, bien représentés par les trois catégories susnommées.
21 février 2008, 13:43   Re : Rente foncière
» Le métal, en l'occurrence l'or, a une valeur en lui-même fondée sur le temps de travail social abstrait qu'il a fallu pour le produire. Il a donc une valeur intrinsèque, contrairement à la monnaie fiduciaire (du latin fiducia qui signifie "confiance") en papier, pure convention, qui n'en a aucune (si ce n'est le temps qu'il a fallu pour produire le papier qui supporte le signe). Voilà pourquoi en ces temps d'inflation, de baisse des actions, l'or constitue une valeur refuge.

Je vois bien le mécanisme, Petit-Détour, mais je me demande, justement, si cette explication est encore pertinente. Le travail, en soi ne produit pas toujours la richesse, bien entendu, puisque nombre d'usines ont fermé où les travailleurs travaillaient d'arrache-pied. La valeur d'usage non plus, puisque l'or ne sert pas à grand chose (sauf dans de rares secteurs de l'industrie). Tout comme les monnaies (comme l'euro), il est tout simplement soumis à la loi de l'offre et de la demande. Le bois sculpté peut valoir beaucoup plus que l'or sculpté, n'est-ce pas ? En réalité, nous n'avons pas plus « besoin » d'or qu'il y a cinq ans...

Je me demande si la thèse de Francis, que je comprends, je crois, n'est pas ruinée (pour rester dans sa symbolique), par cette simple remarque : les lingots d'or aussi portent l'estampille des banques...

Bref, rien, pas même l'or, n'a de valeur intrinsèque, et le « refuge » est toujours relatif... On peut acheter de l'or, et le revendre à perte dans deux ans...
21 février 2008, 14:03   Re : Absence de commentaires
Vous écrivez, Cher Petit-Détour, que Marx était horrifié « par la fétichisation de l'Etat par le mouvement ouvrier allemand de son époque, qui devait plus à Lassalle qu'à lui-même ». « Et effectivement, » ajoutez-vous, « il voyait l'Etat comme une sorte de grand corps parasitaire incarné par la bureaucratie. »

Sans doute, sans doute, mais quand c’est Bakounine qui formule cette critique contre le concept de « dictature du prolétariat », il se fait vertement ratatiner, notamment dans les Notes critiques à « Socialisme et anarchie » :

Bakounine : « Résultat : le gouvernement de l’immense majorité des masses populaires par une minorité de privilégiés. Mais cette minorité, disent les marxistes, se composera d’ouvriers. Oui, certes, d’anciens ouvriers, mais qui, dès qu’ils seront devenus des gouvernants ou des représentants du peuple, cesseront d’être des ouvriers. »
« Pas plus » note Marx, « qu’un fabricant cesse aujourd’hui d’être un capitaliste parce qu’il devient conseiller municipal. »

Bakounine : « Les termes socialisme savant, socialisme scientifique qui reviennent sans cesse dans les écrits des lassaliens et des marxistes, prouvent par eux-mêmes que le pseudo-Etat populaire ne sera rien d’autre que le gouvernement despotique des masses prolétaires par une nouvelle et très restreinte aristocratie de vrais ou de prétendus savants. (…) Les marxistes (…) se consolent à l’idée que cette dictature sera temporaire et de courte durée. »
Marx répond : « La domination de classe des travailleurs sur les couches du vieux monde qu’elle combat ne peut durer que tant que les fondements économiques de l’existence des classes n’auront pas été anéanties. (…) Comme le prolétariat emploie pour son affranchissement des moyens qui disparaîtront après cet affranchissement M. Bakounine conclut qu’il doit plutôt ne rien faire du tout…, qu’il doit attendre le jour de la liquidation générale, c’est-à-dire le jugement dernier. "

Bakounine : « Les marxistes prétendent que seule la dictature, bien entendu la leur, peut créer la liberté du peuple ; à cela nous répondons qu’aucune dictature ne peut avoir d’autre fin que de durer le plus longtemps possible et qu’elle est seulement capable d’engendrer l’esclavage dans le peuple qui la subit et d’éduquer ce dernier dans cet esclavage ; la liberté ne peut être créée que par la liberté. »

« S'agissant de la crise, » écrivez-vous ensuite, « on ne trouve chez Marx nulle trace d'une théorie de l'effondrement du capitalisme. » Hum… Marx décrit ce qu’il nomme la « loi générale de l’accumulation capitaliste » dans Le Capital (Livre premier, tome troisième, septième section, chapitre XXV, partie IV) :

« C’est cette loi qui établit une corrélation fatale entre l’accumulation du capital et l’accumulation de la misère, de telle sorte qu’accumulation de la richesse à un pôle, c’est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage, au pôle opposé, du côté de la classe qui produit le capital même [par constitution d’une armée croissante de miséreux, ce qu’il appelle l’inéluctable surpopulation relative qui sert aussi d’armée de réserve au capital]. »

Et il résume les conséquences de cette loi à la fin de l’ouvrage (Livre premier, tome troisième, huitième section, chapitre XXXII) :

« A mesure que diminue le nombre des potentats du capital qui usurpent et monopolisent tous les avantages de cette période d’évolution sociale [il s’agit de la période pendant laquelle a lieu l’accumulation capitaliste], s’accroissent la misère, l’oppression, l’esclavage, la dégradation, l’exploitation, mais aussi la résistance de la classe ouvrière sans cesse grossissante et de plus en plus disciplinée, unie et organisée par le mécanisme même de la production capitaliste. Le monopole du capital devient une entrave pour le mode de production qui a grandi et prospéré avec lui et sous ses auspices. La socialisation du travail et la centralisation de ses ressorts matériels arrivent à un point où elles ne peuvent plus tenir dans leur enveloppe capitaliste. Cette enveloppe se brise en éclats. L’heure de la propriété capitaliste a sonné. Les expropriateurs sont à leur tour expropriés. (…) La production capitaliste engendre elle-même sa propre négation avec la fatalité qui préside aux métamorphoses de la nature. »

L’histoire a évidemment invalidé les analyses de Marx sur ces deux points. Le capitalisme n’a pas multiplié les miséreux, il n’y a pas de « corrélation fatale » entre développement du capital et paupérisation. Et la prise du pouvoir par les marxistes a partout abouti à ce que décrivait, avec une lucidité étonnante, Bakounine. L’objection que Marx, qui traite souvent Bakounine d’âne dans ses notes avec un mépris écrasant, fait à l’argument selon lequel un ouvrier cesse de l’être quand il devient « dictateur » est sotte ou de mauvaise foi : un capitaliste continue de vivre des revenus de son capital pendant qu’il exerce ce mandat alors qu’un ouvrier devenu permanent ou fonctionnaire ou ministre cesse d’être un prolétaire, même s’il arrive en principe qu’il puisse le redevenir ; l’histoire montrera du reste que s’il perd ce statut, c’est bien plus souvent pour se retrouver au goulag que derrière une machine-outil.
21 février 2008, 14:05   Re : Absence de commentaires
Cher Bernard,
l'or, sous la forme du lingot, n'est rien d'autre qu'une cristallisation du travail social à un moment donné. Il a, je le répète, une valeur intrinsèque et non fictive comme une action de la Société Générale par exemple. C'est pourquoi dans les périodes de crise, l'argent reflue vers lui et quitte la Bourse ou les obligations d'Etat. L'exemple des actionnaires du "tunnel sous la Manche" le montre bien : leurs actions ne valent plus rien. Ils auraient dû acheter des lingots. Mais à l'époque, le rendement par action, le dividende, qu'on leur promettait était sans doute supérieur à celui de l'achat d'un lingot.
S'agissant du travail en usine, le marché ne reconnaît que le travail socialement nécessaire, c'est-à-dire celui qui correspond à un niveau de productivité donné. C'est pour cela qu'une usine qui n'y satisfait pas, dans le système tel qu'il est, et malgré tout l'acharnement mis au travail de ses salariées, est condamnée à disparaître. Le capitalisme est mouvement perpétuel, révolution permanente.
21 février 2008, 14:08   Re : Rente foncière
Marcel, une réunion m'attend. Mais je promets de répondre à votre passionnante intervention.
21 février 2008, 14:17   Re : Absence de commentaires
» le dividende, qu'on leur promettait était sans doute supérieur à celui de l'achat d'un lingot

Quel est le dividende d'un lingot d'or, cher Petit-Détour ? Qu'est-ce qu'une valeur intrinsèque-non-fictive soumise à variation ?
21 février 2008, 14:48   Re : Absence de commentaires
Concernant l'or et la monnaie, les analyses de Marx, qui sont d'ailleurs surtout une systématisation et une clarification de celles de l'économie politique anglaise de son temps, sont absolument limpides.

Quelques éléments, grossièrement résumés.
L'or n'a pu jouer le rôle de monnaie que parce qu'il est lui-même une marchandise et qu'il a joué le rôle de marchandise vis-à-vis des autres. En tant que marchandise, il a une valeur socialement reconnue, déterminée par la quantité de travail socialement nécessaire (c'est-à-dire la quantité de travail moyenne) à le produire (cette valeur n'est qu'imparfaitement exprimée par son prix car celui-ci peut varier autour de cette valeur en fonction de facteurs spéculatifs par exemple).
A partir du moment où émerge dans les échanges le besoin d'un instrument qui soit à la fois l'instrument de mesure de la valeur, un moyen de thésaurisation et un moyen de payement, en bref le besoin de la monnaie, l'or s'impose assez facilement et de façon rapidement universelle gràce à ses qualités intrinsèques : il ne s'altère pas ; à degré de pureté équivalent les exemplaires sont identiques ; il possède suffisamment de valeur intrinsèque pour que le payement d'une marchandise ne nécessite pas le transport, dans la poche de l'acheteur, de tonnes de monnaie, mais, en même temps, il est suffisamment répandu sur terre pour qu'on puisse en mettre en oeuvre une quantité suffisante ; enfin, il est facilement sécable et fusible à la fois. Comme on le voit, il n'y a guère d'autre matières réunissant ces qualités indispensables, même si l'argent a pu, lui aussi, être utilisé, parfois en même temps que l'or (bimétallisme, comme en France au XIXe siècle). Marx écrit que si l'or n'est pas, par nature de la monnaie, la monnaie est, par nature, l'or.
21 février 2008, 15:20   Re : Absence de commentaires
Les analyses de Marx sont limpides, en effet. Mais justement, pour reprendre les termes de votre résumé : « cette valeur n'est qu'imparfaitement exprimée par son prix car celui-ci peut varier autour de cette valeur en fonction de facteurs spéculatifs par exemple »... Étant donné la folie spéculative actuelle, cette variation accidentelle ne devient-elle pas essentielle, au point de dépasser la première en importance ? C'est là toute ma question. Ce que je contestais était la proposition de Francis : « à ne plus croire en rien qu'à l'étalon-or, qui lui, est libre de signe (...) » et : « c'est dans le retour à l'étalon-or que loge le plus brutal des cultes, celui, absolu, lavé de tout signe-doute, du Veau d'or »... Pour moi, l'or n'est pas libre de signe (ce qui est symbolisé par l'estampille de la banque sur les lingots). Il peut être une "mimesis" de l'absolu, mais non pas l'absolu, car cet absolu-là est encore diablement bancarisé et sujet à spéculation et à variation. En bref, dans ce système, l'or ne vaut plus que la différence entre son prix d'achat et son prix au cours du marché, et, pour une valeur refuge, on peut facilement y perdre sa chemise...
Utilisateur anonyme
21 février 2008, 16:44   Re : Absence de commentaires
(Message supprimé à la demande de son auteur)
21 février 2008, 16:46   Re : Absence de commentaires
Cher Bernard, qu'est-ce qui différencie une pièce d'or d'un billet de cent euros ? L'économie politique et sa critique répondent ainsi : l'une possède une valeur intrinsèque indépendamment de la loi de l'offre et de la demande ; l'autre aucune (hormis la valeur du papier et du travail incorporé qu'il a fallu pour produire ledit billet) car elle n'est qu'un pur signe. Bien sûr le prix de l'or va osciller en fonction de l'offre et de la demande, mais cette oscillation n'est pas arbitraire car elle est déterminée par la valeur de l'or (travail socialement nécessaire pour le produire dans les mines les poins productives (voir les lois de la rente foncière)).
Depuis l'émergence du capitalisme, on n'a jamais vu, de mémoire d'économistes, la valeur et le prix de l'or tomber à zéro. Ce qui n'est pas le cas d'une vulgaire action ou obligation, vous en conviendrez. Toute l'histoire du capitalisme est l'histoire de son émancipation vis-à-vis du métal jaune par la création de signes permettant de faire circuler la masse énorme de marchandises produites par ce mode de production. Le hic, c'est que dans les périodes de crise, les investisseurs inquiets se rassurent en plaçant une partie de leurs capitaux dans l'or plutôt que d'acheter du dollar, de l'euro ou du yen. On peut bien sûr spéculer sur l'or. En ce moment des tas de petits malins en achètent (hausse de la demande qqui fait monter son prix) dans le but de le revendre plus cher demain, spéculant ainsi sur le fait que la demande d'or, du fait de la crise, ne va cesser d'augmenter compte tenu de la faiblesse du rendement des actions. Ils ne font qu'arbitrer entre divers investissements possibles.
Le dernier prix nobel français d'économie, Maurice Allais, est je crois pour le retour à l'étalon-or.
21 février 2008, 22:08   Les enfants du bon dieu
IL y a une scène du film "Il ne faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages" (je viens de l'entrevoir par hasard) qui montre Bernard Blier assis sur une chaise et sanglotant. Il parle seul: "Je pleure de joie... je ne mange plus, je ne sors plus, je suis trop heureux..". La caméra fait un mouvement et l'on découvre dans un placard mural ouvert un empilement de lingots d'or, une bonne centaine sur lesquels le personnage a les yeux fixés. B. Blier: "C'est beau comme une crèche". Les lingots se constellent d'étoiles et l'on entend s'élever le chant "Il est né le divin enfant...".

Le personnage est immobilisé, pétrifié. L'or a tout arrêté chez lui (il ne sort plus, ne vit plus). L'or n'est pas une monnaie. La titrisation en revanche, qui est une "mobiliérisation" de la valeur, est un outil du signe monétaire qui fait pendant à ce culte immobile.

Je rappelle que dans certaines peuplades de Papouasie-Nouvelle-Guinée, comme chez les très anciens peuples du monde (en Asie et en Europe), c'est le cauris, certaines coquillages qui servent de monnaie d'échange, objets qui ne possèdent aucune des qualités (ductibilité, sécabilité, etc.) que Marcel Meyer prête comme vertus à l'or pour expliquer qu'il put servir de monnaie.
21 février 2008, 22:44   Re : Les enfants du bon dieu
Vous avez raison, Francis, de rappeler que d'autres matières ont servi de monnaie, et notamment certains coquillages, en Afrique et ailleurs. Mais jamais cet usage n'a dépassé une utilisation locale : l'extension de l'économie marchande n'a pas pu se faire avec un tel instrument.

Qu'entendez-vous par "l'or n'est pas une monnaie" ? Bien sûr que si : on a exprimé la valeur des marchandises en poids d'or, payé avec des pièces d'or et thésaurisé avec l'or depuis la haute Antiquité jusqu'au début du XXe siècle, c'est-à-dire pendant des millénaires. Il est vrai cependant que l'or n'est pas seulement de la monnaie : ne serait-ce que par le fait qu'il sert de moyen de thésaurisation, il acquiert ipso facto une dimension mythique. On peut sans doute ajouter que la dimension mythique naît en même temps ou même avant l'utilisation comme monnaie, car il sert aussi de matériau de base pour les parures, voire de matière première pour les idoles. Reste à démêler ce qui revient aux deux. Je vous sens plus à l'aise que moi là-dessus. Je me demande toutefois si votre scène de cinéma n'aurait pas pu être, dans une certaine mesure seulement mais quand même en partie, tournée avec un placard rempli de liasses de billets de banque.
Utilisateur anonyme
22 février 2008, 01:25   Récipient du culte
"Une quête a lieu ce jour-là au bénéfice d'une maison de retraite pour vieux loups de mer. Baudoin persuade ou défie son beau-frère de se placer avec lui des deux côtés du portail du temple, à l'heure du culte, un pot de chambre à la main, sûr que cette pitrerie égaiera les bons Hollandais et desserrera les cordons de leur bourse. Et, en effet, les sous de cuivre et même quelques florins emplissent jusqu'au bord les deux récipients."
Marguerite Yourcenar Archives du Nord
22 février 2008, 10:56   Re : Les enfants du bon dieu
Marcel Meyer a raison : l'or a constitué une monnaie internationale jusqu'en 1971. Jusqu'alors, tous les Etats pouvaient vendre leurs dollars et l'échanger contre l'or de Fort Knox. Ce système a éclaté avec la guerre du Vietnam, laquelle a provoqué une inflation forte dévalorisant le dollar. Certains pays comme la France de De Gaulle se sont mis à vendre leurs réserves de dollars contre de l'or. A l'époque, le dollar chutait, les stocks de Fort Knox fondait, c'est pourquoi Nixon a suspendu la convertibilité de celui-ci en or. Depuis l'or conserve au moins une des trois fonctions de la monnaie : il est réserve de valeur notamment en période de crise.
S'agissant de Marx, Bakounine et la question de l'Etat, on peut dire que les deux frères ennemis sont d'accord pour considérer que la société idéale, le communisme, est une société sans Etat donc sans classes. La divergence porte sur la manière d'y arriver. Pour Marx, contrairement à Bakounine, l'Etat ne pouvait être aboli immédiatement dans le feu de la révolution. Les prolétaires devaient constituer leur propre Etat, période dite de la dictature du prolétariat, afin de réprimer la bourgeoisie et entamer la transition économique vers la société sans classes. L'Etat, même prolétarien, devait donc dépérir progressivement à mesure que les bases objectives de son existence disparaissaient.
Sur la crise et Marx, la citation du "Capital" extraite par Marcel évoque la polarisation sociale entre deux grandes classes et non une mort du système, qui serait provoqué automatiquement par "la" crise finale. Ce genre de théories ont fleuri chez les marxistes dans les années 20 et 30 du siècle dernier du fait des deux guerrres mondiales et de la crise de 29. A l'époque même des économistes non marxistes comme Schumpeter ou Polanyi pensaient que le capitalisme ne s'en relèverait pas. Ils se sont trompés. Comme, ce matin je suis très pressé, je me permets de remettre sur le Forum une de mes interventions sur cette question :
"Il y a deux acceptions au mot "crise'. Une acception populaire et très répandue qui désigne la période de chômage de masse ouverte par la récession de 1974 et qui perdure encore aujourd'hui. Il y a aussi une seconde acception, qui relève de la science économique et qui désigne une chute brutale de la production, de la rentabilité des entreprises, de la productivité du travail. Dans l'histoire du système capitaliste, la crise est ponctuelle et bien évidemment jamais permanente. D'ailleurs, la théorie des crises de Marx est cyclique. Périodiquement, tous les dix ans au XIXe siècle, le système connaît des périodes de crise brutale marquée par des chutes de la production dont les causes, pour Marx, sont liées à la fois à la surproduction de marchandises et la suraccumulation de capital. Marx va même plus loin, contrairement à certains épigones qui ne l'ont jamais lu, et voit dans la dévalorisation du capital, un moyen pour lui, en se débarassant de ses branches mortes (non rentables), de repartir en avant. Il n'y a donc pas chez Marx de théorie de la crise finale qui verrait le système s'effondrer de lui-même. Contrairement à ce que vous dites, la crise de 74 n'a pas été provoquée par la hausse du prix du pétrole. Dès la fin des années 60, dans la plupart des pays industrialisés, on constate une chute importante de la productivité du travail (crise du modèle taylorien provoquée par la révolte des OS); une diminution de la rentabilité du capital dans un contexte marquée par une crise mondiale su système monétaire mis en place à Bretton Woods. La hausse du prix du pétrole est venu aggraver ces phénomènes mais ne les a pas provoqués. En 76, le capital reprenait sa marche en avant pour rechuter en 79/80, qui fut la crise périodique la plus grave depuis 1931. La dernière crise périodique remonte à l'année 2000/2001 (nouvelle économie) et l'on attend la prochaine pour très bientôt. Le grand absent finalement c'est le prolétariat mondial dont Marx attendait qu'il profite de ces périodes momentanées et périodiques, je le répète, d'affaiblissement du système pour s'emparer du pouvoir. En dernière instance, on peut dire que pour Marx la crise finale c'est la prise du pouvoir politique et non un quelconque effondrement automatique né de contradictions internes devenues insurmontables comme l'a défendu pendant des décennies une tradition matérialiste vulgaire d'inspiration stalinienne. Marx était subjectiviste, l'Histoire étant faite par des hommes de chair et de sang et non par des "structures" comme le pensait Althusser (Histoire= procès sans sujet)."
22 février 2008, 11:16   Re : Les enfants du bon dieu
Cher Marcel,

L'or est un métal, une valeur refuge, une valeur culte, un miroir aux alouettes et tout ce qu'on voudra; il n'est pas une monnaie. Petit-Détour paraît vouloir dater de 1971 la fin de l'or comme monnaie. A mon sens il ne l'était déjà plus depuis longtemps. Une "monnaie" n'a pas pour destination de dormir dans des chambres-fortes, fussent-elles à Fort Knox. Notez plus précisément que le Sovereign anglais avait cessé d'être un "legal tender" en Angleterre dès la fin de la guerre de 14 quand le Royaume Uni abandonna l'étalon-or (avec cependant une tentative avortée en 1925 de le frapper à nouveau, quand Winston Churchill s'efforça sans succès de revenir à l'étalon-or.)

Revenons un instant à Bernard Blier et sa pyramide de lingots dans le placard. Vous demandez : "votre scène de cinéma n'aurait pas pu être, dans une certaine mesure seulement mais quand même en partie, tournée avec un placard rempli de liasses de billets de banque?"

Je vous réponds: assurément non. Si le personnage s'était avisé de la présence d'une montagne de billet dans ce placard, il se fût aussitôt mis en mouvement, précipité pour en enfouiller (pour parler comme Audiard) des liasses et, l'instant même, se livrer à l'économie des truands "pleins aux as": achat d'une grosse voiture sur le champ, qu'on garnira de femmes légères en vison, alcool, jeux et autres gâteries interdites. Au lieu que l'or arrête tout, étant le "gisement" supposé de tout ce qui anime l'économie, il est le point d'aboutissement du mouvement et en opère la pétrification.
22 février 2008, 11:26   Re : Absence de commentaires
Cher Francis,
le malentendu vient du fait de votre conception restrictive de la monnaie comme instrument de circulation. Si l'or ne joue plus son rôle de moyen de circulation (et encore, en Guyane et au Brésil, dans le milieu des chercheurs d'or, le métal jaune joue encore cette fonction), il est encore monnaie de réserve (thésaurisation). C'est comme si vous disiez aujourd'hui que seuls les billets et les pièces sont de la monnaie alors que nos banquiers centraux, dans leurs agrégats permettant de mesurer la masse monétaire, incluent les crédits, les chèques, les CODEVI, les lettre de change, etc.
22 février 2008, 23:23   Re : Absence de commentaires
Cher Petit-Détour,
Les crédits, les chèques, les CODEVI, les lettres de change, les traites au porteur, etc. sont des titres, des instruments financiers, des effets de commerce qui ne peuvent être qualifiés de monnaie. L'or, dans ce contexte, se pose, entre autres multiples fonctions, comme instrument de thésaurisation parmi d'autres, entre l'assurance-vie et la créance hypothécaire, mais en aucune façon comme monnaie.
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