Sur la Gauche prolétarienne et les fous furieux qui la dirigeaient, on peut lire la très bonne enquête de Morgan Sportès,
Ils ont tué Pierre Overney, parue il y a un mois.
Chronique
La mort de "Pierrot", par Laurent Greilsamer
LE MONDE | 19.05.08 | 14h57
A force de parler de 1968, on oublie qu'il y a eu 1969, et puis les années 1970... Une fois né, le mouvement a phosphoré. En France, une fraction des militants les plus engagés s'est découverte maoïste. Dieu ! que cela paraît loin... Nous utilisons cette interjection pour le plaisir. Dieu, le marxisme-léninisme et une couche de maoïsme, cela donne un mille-feuille métaphysique des plus réjouissants, non ?
Il y eut donc, porté par le souffle de Mai, des maoïstes, un parti appelé la Gauche prolétarienne et toute une agitation qui paraît aujourd'hui terriblement datée et irréelle. Au point que l'écrivain Morgan Sportès, qui raconte ces années de fièvre dans une grande enquête publiée chez Grasset, a fait frapper la couverture de son livre du mot "roman". On l'a connu avec L'Appât, ce récit d'un fait divers glauque porté à l'écran par Bertrand Tavernier : deux idiots appâtaient grâce à une ravissante idiote des proies masculines pour leur faire les poches et leur ôter la vie. C'était déjà un livre-enquête. Cette fois, Morgan Sportès raconte l'histoire d'une bande de révolutionnaires allumés qui veut à tout prix éveiller les "masses".
Un livre à recommander aux jeunes et aux moins jeunes auxquels cette période de l'histoire a échappé. Résumons à gros traits : des étudiants soucieux de porter le message maoïste auprès de la classe ouvrière abandonnent leurs études pour devenir ouvriers spécialisés (OS) ; Benny Lévy, alias Pierre Victor, jeune philosophe inspiré, dirige avec une poignée de fidèles cette avant-garde ; le pouvoir, qui sait tout, surveille attentivement ces écervelés et dissout la Gauche prolétarienne ; le mouvement plonge alors dans la clandestinité et cherche à provoquer l'étincelle d'un Grand Soir.
Pourquoi lit-on avec passion cette histoire saugrenue ? Parce qu'elle est vraie ; parce que Sportès restitue les souvenirs de témoins clés dans un montage habile ; parce qu'il montre une CGT toute-puissante débordée ; parce qu'il s'agit d'une lutte politique frontale et folle, d'un pan de notre histoire ; parce que Sportès ne se contente pas de raconter. Il commente. Lui aussi se passionne, et livre sa vision critique, assassine.
Voilà la force de ce "roman" qui avoue son parti pris : "On a du mal aujourd'hui, trente ans et quelque plus tard, à imaginer l'énormité du crétinisme maoïste qui sévissait à l'époque en France, dans les médias, la littérature, l'art, les sciences sociales, le cinéma", écrit Sportès. C'était l'époque où certains germanopratins arrivaient à parler le français avec l'accent chinois. L'auteur étrille joyeusement Sartre, caution du journal maoïste La Cause du peuple, et quelques autres.
Son livre s'appelle Ils ont tué Pierre Overney. Pierre Overney était un jeune ouvrier de 24 ans, portant lunettes et tignasse à l'afro, révolté par l'"exploitation capitaliste". Il s'était enrôlé dans la Gauche prolétarienne pour mettre le feu aux injustices. Il avait milité chez Renault, à l'usine de Boulogne-Billancourt ; il en avait été renvoyé ; il revenait devant les grilles pour distribuer des tracts ; il savait se saisir d'un manche de pioche pour cogner.
Le 25 février 1972, il avait été propulsé par la Gauche prolétarienne à la tête d'un commando pour casser la gueule aux gardiens de l'usine. Des "fascistes", selon la phraséologie de l'époque. L'un d'eux, armé, avait dégainé et tiré. Overney était mort sur le coup. Les syndicats, la presse, une partie de l'opinion, tout le monde l'appela "Pierrot". Et deux cent mille personnes accompagnèrent son cercueil au Père-Lachaise, croyant enterrer le gauchisme. Tout cela en moins de 400 pages et pour 20,90 euros.