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18 février 2008, 13:45   Ayaan Hirsi Ali (suite et fin)
Un article de Denis Siefert, rédacteur en chef de l'hebdomadaire "Politis" sur l'affaire Ayaan Hirsi Ali.

Manipulation antilaïques

Voilà que l’on nous refait le coup ! Après les caricatures de Mahomet, après Robert Redecker, voici Ayaan Hirsi Ali. Le cycle provocation, fatwa, médiatisation tourne à plein régime. Cette fois, c’est une jeune femme, ex-députée néerlandaise, aujourd’hui chaperonnée par Bernard-Henri Lévy, qui a droit à toutes les unes des journaux, à tous les plateaux de télévision, à toutes les compassions, à toutes les indignations, à tous les appels au président de la République, au prétexte qu’elle serait l’incarnation de la « laïcité à la française », et pour cela même condamnée à mort par « les » islamistes. À en croire cette présentation, on imaginerait que le sort s’est abattu par hasard sur une victime expiatoire et introvertie, malmenée pour s’être discrètement émancipée de sa religion. La réalité est très différente. Arrivée aux Pays-Bas en 1992, cette fille d’intellectuel somalien longtemps exilé aux États-Unis a choisi un moment très particulier pour abjurer bruyamment sa religion : le lendemain du 11 septembre 2001. Oui, comme elle en fit plus tard la confidence à l’Express [1] c’est ce jour-là ­ et pas un autre ­ qu’elle s’est rendu compte qu’elle ne croyait plus en Dieu. Ce qui dénote un sens aigu de la communication, et un goût prononcé pour l’amalgame, puisque, apparemment, l’islam et Ben Laden ne font qu’un. Forte, donc, de sa notoriété toute neuve, Ayaan Hirsi Ali entre en politique (par la gauche) au sein du Parti du travail des Pays-Bas. Avant, un an plus tard, de bifurquer pour rejoindre le très droitier Parti libéral. La voilà députée, et bientôt collaboratrice d’un cinéaste sulfureux, Théo Van Gogh, connu surtout pour ses provocations misogynes et islamophobes.

Au côté de ce personnage pour qui les musulmans ne sont jamais que des « baiseurs de chèvres », notre égérie de la laïcité concocte le scénario d’un film qui fait scandale. On y voit ­ paraît-il ­ des femmes dénudées qui exhibent en tatouages des extraits du Coran. On connaît la suite. Le 4 novembre 2004, Théo Van Gogh est abattu en pleine rue par un certain Mohammed Bouyeri, qui promet que sa prochaine victime sera Ayaan Hirsi Ali. Crime épouvantable, et menace qui glace les os, même s’il est le fait d’un homme seul et non « des » islamistes. Il n’en est pas moins vrai qu’à tout instant un autre assassin peut s’extraire de la foule et frapper. C’est la raison pour laquelle les autorités néerlandaises accordent aussitôt à Ayaan Hirsi Ali une protection rapprochée. Mais, en 2006, un nouveau scandale éclate autour de la jeune femme. On découvre que son passé n’est pas celui d’une exilée traquée. Son nom n’est pas son nom. Son âge n’est pas son âge ; elle n’a jamais fui la Somalie, mais quitté le Kenya, où d’ailleurs elle n’était pas menacée. Polémique, démission, expulsion. La vraie-fausse Somalienne persécutée se réfugie aux États-Unis, où elle rejoint immédiatement l’American Enterprise Institute, un groupe néoconservateur, proche de George W. Bush (laïque exemplaire, lui aussi !). La jeune femme écrit ses mémoires, et s’indigne que le gouvernement néerlandais ne veuille plus financer ses gardes du corps jusque sur l’autre rive de l’Atlantique. C’est alors que BHL, Bruckner, Val, Caroline Fourest, boutefeux ordinaires du choc des civilisations, lui tendent des mains toujours secourables.

Invitation à Paris, tournée médiatique, appel à Nicolas Sarkozy [2] : la « France des droits de l’homme » doit accorder la citoyenneté à Ayaan Hirsi Ali ! Les milliers de demandeurs d’asile programmés pour expulsion en 2008, et qui n’ont pas droit à un regard, savent désormais ce qui leur reste à faire : par exemple, à lancer, comme l’ex-députée néerlandaise, un bruyant « Mahomet pédophile ! », à l’effet garanti. Car, contrairement à ce que déclarait Mme Hirsi Ali à l’Express, elle n’a pas fait que « critiquer l’islam », ni « revendiquer le droit de ne pas croire ».

En France, des centaines de milliers de « musulmans d’origine » ont pris depuis belle lurette leurs distances avec la religion sans pour autant être la cible de « fatwas ». Elle a manié la provocation, qui, dans un domaine aussi sensible, ne peut guère conduire qu’à cet affrontement dont rêvent ses amis de l’American Enterprise Institute et les hôtes empressés de son escale parisienne. Cela dit, le mal étant fait, il faut évidemment protéger cette jeune femme. Mais, de grâce, cessons de l’exposer comme un parangon de vertu laïque. La laïcité, c’est d’abord une certaine discrétion. La loi de 1905 a organisé ­ espérons-le ­ définitivement la séparation entre les espaces public et privé. Or, dans cette affaire, ce n’est pas l’islam qui envahit l’espace public, mais la haine de l’islam. Et cela par tous les artifices de la publicité.

Denis Sieffert jeudi 14 février 2008

Notes

[1] L’Express du 16 mai 2005.

[2] Lequel vient de s’illustrer scandaleusement en allant faire l’apologie de la religion devant le régime wahhabite de Riyad...
Cette prise de position est tout idéologique, au sens "partisan" le plus bas de ce terme. On peut la résumer ainsi : est-ce que mon parti ou mon courant de pensée peut tirer un avantage de l'affaire en question ? Si oui, j'opine; sinon, je dénie.

Noircir le passé de Mme Hirsi Ali ou la soupçonner d'avoir menti (dans un pays protestant, c'est le plus grand des crimes; mais dans un pays qui fut jadis catholique, il est considéré comme allant de soi qu'un individu a le droit de mentir pour sauver sa vie) sont des méthodes habituelles dans les organisations totalitaires.
J'ai été effrayé par les réactions de dégoût de quelques collègues hollandais, tous "multiculturels" et fanatiques de l'Autre, à la seule évocation du nom de Mme Hirsi Ali, accusée sans preuve de vouloir la guerre des civilisations ou d'alimenter les haines religieuses, sous le prétexte qu'elle aurait trouvé asile aux Etats-Unis.

Mme Ayan Hirsi Ali est menacée à mort. La condamnation qui la frappe est contraire à tous les principes, règles, lois. Que quelques agitateurs, voulant prendre Sarkozy au mot (il aurait dit (en substance) : toute femme menacée dans le monde pour ses opinions trouvera la France à ses côtés), se fassent entendre bruyamment ne change rien à la question, laquelle a aussi des rapports avec la laïcité instituée, non pas avec l'article 2 de la loi de 1905, ni avec la deuxième proposition de l'article 1 : la République garantit le libre exercice des cultes; mais, si l'on se fonde sur la première proposition de l'article 1, à savoir "la République défend (ou assure) la liberté de conscience", on est en droit de juger conforme à ce principe que la République (puisque c'est d'elle qu'il s'agit) prenne les mesures pour que Mme Hirsi Ali bénéficie de cette liberté et que, en conséquence, sa sécurité soit assurée. Certes, cette première proposition est philosophiquement ambiguë et sans doute trompeuse, puisqu'on n'a jamais vu nulle part un régime politique défendre la liberté de conscience et personne ne se fait d'illusions sur l'étendue de la "liberté de conscience" surveillée, qui est consentie aux citoyens en France; mais cela n'invalide en rien la protection dont Mme Hirsi Ali devrait bénéficier en Europe, où qu'elle aille, et qui lui est refusée.
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