Le site du parti de l'In-nocence

Des sévices publics plus modernes, plus efficaces, plus humains.

Envoyé par Quentin Dolet 
Ils sont deux : à gauche, le moustachu à lunettes, à droite, la brune anguleuse aux milles bracelets. Le troisième, hélas, vient de poser devant lui l'affichette : "ce guichet est momentanément fermé" et s'enerve sur l'écran de son ordinateur.

Pourvu que je passe avec le moustachu. Il est toujours là, fidèle au poste le moustachu, au premier guichet. Il connait son affaire et n'est pas du genre à s'émouvoir. Pas vraiment chaleureux, ce serait beaucoup dire, mais serein, avec sa tête de cégétiste - ce qui est déjà fort appréciable en ces lieux où l'ambiance est à couteaux tirés.

La brune n'a pas l'air commode. D'après moi, le grand jeune homme de couleur (je sais bien qu'il est parfaitement inutile et malséant de le préciser, que ce détail n'apporte rien à la compréhension de mon récit, mais dans ce contexte, étrangement, l'Autre est haissable et il faut absolument trouver des raisons de le haïr), le grand jeune homme noir, donc, selon moi, l'a passablement énervée. Elle fulmine à voix basse. Elle ne le regarde pas dans les yeux. Je croise son regard, il est noir lui aussi, de fureur rentrée et de lassitude. Heureusement qu'elle n'a pas posé pour les dépliants de la Charte Marianne, la gentille madame.

Aie, le moustachu libère son client et appelle les deux pakistanais (encore un détail inutile que je relève avec une fébrilité paranoïde) qui étaient devant moi dans la file d'attente. Les deux pakistanais, détendus, souriants, ne se précipitent pas, ne bondissent pas immédiatement, ils discutent, les fous! Ils prennent leur temps! Ces heureux hommes sont vite interpelés par la personne qui me colle au derrière, agitée. La brune, voyant ces trainards, leur jappe un ordre qui les propulse hors de la file d'attente. Je deviens potentiellement le prochain usager qui aura le plaisir de passer deux minutes en tête à tête avec le dragon. C'était écrit.

Mon tour ne tarde pas à venir.
- Bonjour madame (in-nocent en diable!)
- Monsieur, c'est pour quoi?
Elle est au bord de l'explosion, c'est évident. Cette femme est une petite bombe, mais du genre qui calme instantanément les mâles ardeurs.
- Voilà, j'ai un petit problème...
Je sors le papier jaune que le gentil facteur a laissé dans ma boîte à lettres après son passage, et qui permet de retirer le colis que j'attendais avec grande impatience.
- Alors monsieur, quoi? C'est un retrait normal! Vous avez la pièce d'identité?
Lasse, excédée, au bord du nervous breakdown. Je reste un court instant interloqué, puis :
- C'est-à-dire que c'est la troisième fois que je viens...
- Pffff...
- Hum, je suis venu une première fois et, apparemment, mon colis n'a pas été renvoyé au bon bureau. J'ai donné mon numéro de téléphone, on devait me rappeler... Mais personne ne m'a rappelé.
- Alors monsieur, pfff... Donnez-moi ça. Quel est le problème? Qu'est-ce qu'on vous a dit exactement?
Toujours le même ton agacé, presque agressif. J'ai l'impression de payer pour tous les mauvais coucheurs de la semaine. Je ravale mon indignation, dans un mouvement d'humanité incroyable, de compréhension de l'autre, d'amour du prochain. Je réexplique lentement, sans hausser le ton, sans me laisser gagner par la colère. Je m'élève bien au dessus de ce bourbier administratif. Je crois qu'à un moment j'ai lévité, très légèrement, mais j'ai lévité.

La furie va progressivement se calmer, domptée par mon sourire de bonze. Je crois même que j'ai réussi à obtenir d'elle une chose impensable : elle est allée demander à son chef de service si mon pauvre colis ne trainait pas quelquepart, dans l'arrière-boutique, si un collègue ne l'avait pas miraculeusement mis de côté, pris d'un élan de bonté pour l'usager anonyme que je suis.

Hélas, le souffle de l'Amour universel n'est pas arrivé jusqu'en ces lieux. De mon colis, nulle trace. Nul ne peut dire où il s'est égaré.
- De toutes façons, monsieur, il est reparti. Ca fait plus de quinze jours. Ah ben oui, 23 avril, il est reparti!
- Ah oui, bien sûr. Bon, je suis déjà passé deux fois. Enfin, oui je comprends. Quand vous dîtes qu'il est reparti, vous voulez dire...?
- A l'expéditeur monsieur. Oui. Ah ben oui à l'expéditeur, hein! C'est lui qui doit faire la réclamation. C'est toujours l'expéditeur qui fait la réclamation. Vous pouvez appeler quand même ce numéro (elle me tend un papier), on vous donnera peut-être plus de détails. Voilà monsieur.

Je n'y comprends plus rien. Je l'écoute, fasciné. La situation me parait irréelle : je suis l'usager le plus doux qui soit, j'ai sagement suivi la procédure, j'ai été roulé dans la farine d'un bout à l'autre, je ne me plains nullement - à quoi bon? - et cette femme me secoue les puces comme si j'avais commis quelque abus inqualifiable.

- Bon. Mystère? lui dis-je en partant
- Oui voilà monsieur. Allez, bon courage! Client suivant!

La modernisation des services publics est en bonne voie.
Préambule de l'instruction générale des postes de 1792. Comme c'est loin!

http://maphilatelie.com/dossier/ig_1792.html
21 mai 2008, 06:56   Les loisirs de la poste
Un ami taillait sa haie, par un matin paisible, non loin de sa boîte aux lettres. Survint le facteur, qui, sans un regard pour le jardinier, déposa dans ladite boîte un Avis de passage constatant l'absence à son domicile du destinataire du colis.
Lorsqu'il m'arrive de consulter l'annuaire à ce sujet, j'oublie toujours qu'il faut aller voir à La Poste.
Je n'ai pas pu m'empêcher de jeter un oeil hier sur Les Barbouzes, un sous Tontons flingueurs avec des longueurs mais quelques morceaux de bravoure des plus succulents à mon goût. Comme dans un rêve, j'ai vu Lino et sa drôlesse prendre de l'essence à une station BP. Prendre ? Non ! Recevoir, assis dans leur superbe auto, le liquide servit par un pompiste en splendide uniforme BP, avec galons, casquette, cravate, (n'avait-il pas des gants blancs , je n'ose pousser le rêve trop loin !?) sourire et politesse de bon ton assortis. Il n'y a donc pas que du côté des sévices publics que les améliorations de la modernité se font sentir !
Mais, pardonnez-moi de vous interroger, cher Olivier, vous qui avez été si précis sur les origines de presque tous les intervenants de ce drame ordinaire de la vie quotidienne. Cette brune anguleuse, elle est bien d'origine française, donc chez elle et héritière d'une civilisation millénaire, tant chantée sur ce site ? Rassurez-moi, une postière d'origine étrangère n'aurait pas pu faire preuve de tant de compétence et d'autorité !
Je n'ai guère de complexe, Cher Corto, à évoquer l'origine ou la nationalité d'un individu lorsqu'elle participe à la compréhension d'une situation, d'un état d'esprit, etc. Et je serais tenté d'affirmer que ces éléménts ne sont jamais anodins, qu'ils sont toujours pris en compte, consciemment ou non, et sont toujours porteurs de sens. Hélas, c'est parfois regrettable (délits de faciès, préjugés, etc.) mais c'est impossible à éviter.

Dans un bureau de poste à une heure d'affluence, il est impossible à mes yeux que l'appartenance des personnes qui vous entourent, ce qui vous passe par la tête à leur propos, ce que vous imaginez ou présupposez d'eux, de ce en quoi ils peuvent vous sembler hostiles, ou au contraire agréables, il est imposssible que tout cela ne participe à l'atmosphère générale, à la qualité des rapports humains, même si, encore une fois, cela tire évidemment les comportements vers les abimes de la haine (ou de l'adhésion) irrationnelle.
Utilisateur anonyme
21 mai 2008, 20:20   Re : Rejetons indignes
Je suis pleinement d'accord avec vous, cher Olivier, et mon propos était autre, puisque je voulais juste laisser entendre que si la France est dans son pitoyable état actuel, elle le doit, en tout premier lieu, à cette majorité de français de souche, inculte et discourtoise, incapable d'imposer des valeurs et des modèles forts aux nouveaux venus. Cette majorité aveugle et veule de rejetons indignes d'un pays qui fût une grande nation et qui n'est plus.
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