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Article du Point sur le nouveau roman de Houellebecq

Envoyé par Jean-Philippe Brunet 
La lecture de l'article du Point sur le nouveau roman de Michel Houellebecq La carte et le territoire est instructive. Ecriture malsonnante, formules cocasses, images fausses; au fond de cet article risible et prétentieux tonne lune énorme bêtise. Je n'ai pas pu m'empêcher de laisser un commentaire.
L'auteur de l'article n'en est pas à son coup d'essai : il a maintes fois prouvé qu'il écrivait très mal et généralement pour ne rien dire !
Dire que j'ai lu un roman entier de cet imbécile arriviste ! Ce fut une épreuve et c'est la raison pour laquelle je lui voue depuis une haine féroce. Il m'a fait perdre de précieuses heures à subir sa prose indigente et prétentieuse.
Certaines maisons d'éditions devraient être soumise à une clause de remboursement du client insatisfait, comme les vendeurs d'aspirateurs ou de fours de ménage. Vous avez gaspillé une douzaine d'heures de votre vie à vous ennuyer à essayer de trouver intéressant un auteur de pacotille gonflé du jabot dans et par les médias: l'auteur vous doit des excuses; les éditions machin 18 euros. Chaque livre devrait être vendu assorti d'un bon détachable, à retourner à l'éditeur en cas de méprise, de supercherie, de non-conformité aux attentes, marqué du montant du prix de vente du livre. Le lecteur grugé n'aurait qu'à y inscrire, sous la date de renvoi devant intervenir dans les sept jours suivant celle de l'achat, dans un encart prévu à cet effet, son numéro de compte bancaire en vue d'un remboursement sous trente jours. Les petits crétins qui écrivent ce genre de papier (voir supra) auraient désormais du mal à s'employer comme il le font, certes, mais qui songerait à s'en plaindre.
Vous ne voulez pas non plus qu'ils passent une visite médicale ?
Cher Francis,
Voici une excellent idée !
Tant de gens arrêteraient d'écrire et cela purgerait le paysage éditorial.
Je crains cependant que les gens comme Renaud Camus n'insatisfassent plus de monde qu'ils n'en satisfassent. Les bons lecteurs sont plus rares encore que les bons auteurs... Voilà une chose à craindre.
Houellebecq, "un auteur de pacotille gonflé du jabot dans et par les médias " ? Tout de même, les Particules élémentaires... L'enfer libéralo-libertaire édifié par une société indifférenciée, la compétition des mâles, la lassitude d'une humanité qui cherche à sortir de sa condition sexuée, n'ont, à ma connaissance, jamais été décris aussi froidement que dans ce livre.

Cela dit, je ne sais pas ce que vaut le livre qui vient de paraître.
Le sujet initial était la critique de l'article du Point; non pas celle du livre de Houellebecq.
Les éditions machin me doivent 1 euro.
jamais été décris aussi froidement que dans ce livre.

En effet, Houellebecq, c'est du colin froid, qu'on avale distraitement et en faisant la moue, après en avoir trouvé la boîte oubliée au fond d'un placard en rentrant émêché à quatre heures du matin d'une soirée dont on a déjà tout oublié.
Colin froid... cela me dit quelque chose...
Ah je vous en prie Jean-Marc, pas ici!
Ce n'est pas parce-que l'article est nul que le livre est nul. Comment pourrait être absolument nul un dénonciateur de l'islam convaincu et précurseur ?
Mais ce n'est pas nul du tout. J'ai commencé et cela me plaît beaucoup.
Bah !... du colin froid...
Pour ma part, je n'ai jamais "accroché" les quelques fois où j'ai tenté de lire Houellebecq... je ne dis pas du tout que ce soit mal écrit, simplement, cela ne me plait pas.
Si vous ne le dites pas, cher Jean Marc, moi je le dis. C'est mal écrit, ça sonne faux, ça m'emmerde.
Ce n'est pas forcément "mal écrit", mais peut-être n'est-ce pas vraiment écrit non plus ; on peut s'y complaire, il y a quelque chose de l'ordre de la facilité dans ces livres, faciles à lire, une manière de morne décalque néanmoins précis d'une possible vision des choses. C'est une esthétique sans grandeur ni reliefs particuliers, de plats préparés pour célibataires et achetés dans des supérettes, de chemises à carreaux, d'épaules étroites et de maniérisme un peu étriqué mais soutenu, que la façon petitement apprêtée de porter la cigarette à ses lèvres résume bien.
Tout cela coiffé par une incontestable intelligence, et le talent de poser un monde de la plus commune mesure avec les moyens du bord, en se payant le luxe de la lucidité et même de l'analyse.
Alain Eytan je trouve votre analyse très percutante et exacte. Le seul défaut des romans de M.H c'est pour moi le manque de plaisir à les lire; mais la lecture doit-elle être un plaisir pour valider la qualité de l'oeuvre ?
"Alain Eytan je trouve votre analyse très percutante et exacte."
Vous m'otez les mots du clavier, chère Ostinato.
Oh ! m'sorry,, chère Cassandre !
Merci, Mesdames.
À propos du plaisir qu'on ne prendrait pas en lisant ses livres, peut-être la facilité que j'évoquais pourrait en tenir lieu : il y a un mol confort de se laisser couler dans ce qui n'exige pas trop d'efforts à la lecture, dans un style qui offre peu de résistance, et cela allié à l'intelligence globale sous-tendant le tout procure en plus l'impression qu'on n'aura pas perdu son temps...
(Je suis par hasard en tran de lire Plateforme, justement, et c'est du moins le sentiment que j'en retire...)
Citation
Tout cela coiffé par une incontestable intelligence, et le talent de poser un monde de la plus commune mesure avec les moyens du bord, en se payant le luxe de la lucidité et même de l'analyse.

Parfaitement et surtout ses romans sónt beaucoup plus travaillés que ce que l'on croit et il fait un effort assez étonnant de recherche pour les écrire.

Par exemple dans Plateforme sa description détaillée du monde du voyage touristique forfaitaire est absolument véridique et absolument rien n'est controuvé.

Je peux en parler en connaissance de cause puisque je travaille dans ce secteur de l'activité économique depuis 35 ans.
C'est une esthétique sans grandeur ni reliefs particuliers, de plats préparés pour célibataires et achetés dans des supérettes, de chemises à carreaux, d'épaules étroites et de maniérisme un peu étriqué mais soutenu, que la façon petitement apprêtée de porter la cigarette à ses lèvres résume bien.

M.H. m'a toujours paru être un calque masculin, vaguement écoeurant, vaguement mort, de Françoise Sagan -- que Jacques Audiberti appelait "Françoise-ça-rend" : tout dans sa manière, personnelle et littéraire, le confirme. Le portrait que vous dressez ici du personnage, cher Alain, vient raviver cette hantise. La qualité ectoplasmique de l'homme et du style est indéniable et à mes yeux parfaitement rédhibitoire.
"Par exemple dans Plateforme sa description détaillée du monde du voyage touristique forfaitaire est absolument véridique et absolument rien n'est controuvé. "
Je suis d'accord . De plus elle ne manque pas d'humour.

"M.H. m'a toujours paru être un calque masculin, vaguement écoeurant, vaguement mort, de Françoise Sagan -- que Jacques Audiberti appelait "Françoise-ça-rend" : tout dans sa manière, personnelle et littéraire, le confirme. "

Bien vu aussi, cher Francis !
C'est moi qui suis flattée, chère Ostinato !
Et les lecteurs (trices) qui ont une opinion favorable : vous ne dîtent rien ?
Moi, je n'arrive pas à avoir une opinion vraiment enthousiaste. En tous cas pas comme lorsque à l'âge de dix-huit ans environ j'étais tombée sur un livre de Nathalie Sarraute (peut-être "Le Planétarium"), dans une librairie-maison de la presse, le livre en collection de poche, et je suis restée scotchée, subjuguée, profondément étonnée.
Bien sûr, les deux écrivains n'ont rien de semblable, mais je voulais dire qu'il faut, pour moi, que cela fonctionne ainsi, avant de savoir que j'ai un chef-d'œuvre sous les yeux.
Oui c'est vrai cher Francis, même façon goulue et un peu maniérée de fumer chez Sagan.
Cela dit, j'ai la faiblesse de croire qu'un Houellebecq pourrait donner à voir ou à penser certaines choses dont je n'aurais pas eu l'idée, alors que Sagan...
Je vais commander quelques livres de votre Audiberti...
Si je puis me permettre un conseil cher Alain, commencez par La Fête noire, pièce de théâtre qui peut se lire comme un manifeste girardien avec en plus quelque chose qui touche à l'indépassable pardon; ou par le roman Le Maître de Milan, parfaite petite fiction à double fond, parmi les plus réussies que je connaisse en langue française, ou si vous aimez vous divertir, le long roman Des jardins et des fleuves, récit d'esprit picaresque qui vous conduira de la Lozère à l'Arabie en passant par l'Algérie française, et qui a pour fil d'Ariane, le théâtre d'une part, la paternité d'autre part -- deux dévorantes passions. [Du reste la représentation théâtrale et la paternité font des expériences existentielles superposables: une fois donnée, la représentation théâtrale ne laisse aucune trace, si ce n'est à la rigueur, comme pour la paternité, quelques photos et une voix qui prononce le son d'un nom toujours énigmatique; le film de cinéma au contraire, fait corps et trace tout en un, qui peut être re-projeté, re-savouré comme un livre de littérature romanesque; il s'apparente à l'impérissable présence tactile d'un corps maternel; la tragédie, sanglante et tonnante, édifiante et qui vous laisse seul avec pour seule attache le souvenir d'une voix éteinte pour toujours, c'est le père.]
Merci Francis. Ainsi que cet intriguant Les Tombeaux ferment mal dont vous donnâtes quelques extraits ici...
A noter que Michel Houellebecq sera demain l'invité d'Alain Finkielkraut dans Répliques.
Utilisateur anonyme
10 septembre 2010, 19:22   Re : ET Virginie Despentes ?
Je viens de lire Apocalypse bébé . Je n'avais pas songé à lire Virginie Despentes avant qu'Elisabeth Badinter n'en dise du bien. Bon, c'est cru et grossier. Mais cette femme porte un regard acéré sur l'état de déliquescence de notre société, ainsi que, thème cher à ce site, l'absence de volonté d'intégration des immigrés dans notre société. Et compte tenu des milliers d'exemplaires qui vont être vendu de son livre, elle participe à la prise de conscience.

Rapidement, quelques extraits. Le narrateur est un certain Yacine qui rentre dans son immeuble de banlieue :

Citation

Dans son entrée, il retient sa respiration. Odeur de cumin, de clope froide et de pisse. Des animaux. Ils ont Allah à la bouche toute la journée, mais ils se tiennent comme des bestiaux. Ce sont des adultes qui font ça. Et pas que les bourrés.Tous. Incapables de se retenir pour aller pisser dans un coin. Moins que des clébards. Si ça tenait qu'à lui, il pourrait leur apprendre. Tous. A se tenir. Trancher les couilles du premier qu'on chope à pisser dans les ascenseurs. Ca les remettrait d'aplomb, tout de suite.

Il perd son temps avec l'école.Sa mère veut qu'il y aille parce qu'elle dit qu'elle ne veut pas de problème, ni avec les allocs, ni qu'aucun de ces connards sociaux ne se permettent d'entrer chez eux. (...) Yacine comprend ce qu'elle veut dire : elle n'a pas envie d'être assise dans un bureau à l'école à écouter ces enculés lui faire la leçon. Elle ne leur demande pas de bien travailler. Elle ne regarde pas les bulletins de notes. Elle ne dit rien s'ils redoublent. Elle leur demande de fermer leur gueule et d'y aller jusqu'à seize ans. Pas d'histoires. Elle ne veut pas d'ennuis. Elle a raison. Mais il n'écoute pas, à l'école, tout ce qu'on lui raconte. Cette culture-là n'est pas pour eux. On ne peut pas la leur faire rentrer de force dans le crâne. L'enseignement des français de souche. Ca ne le regarde pas. Il a une tante qui a fait des études, elle se la pète parce qu'elle est devenue prof en fac et qu'elle prépare une thèse. Elle peut se la péter tant qu'elle veut. Qu'est-ce qu'elle croit ? Qu'on la prend moins pour une bicote parce qu'elle a singé leur culture ?

(incapable de mettre une cédille à un C majuscule, désolé).
10 septembre 2010, 19:48   Très mauvaise pente
Qulle "prise de conscience" pourrait-elle naître d'une telle prose sinon celle qu'il faut se mettre à son diapason et alors quoi ?

D'ailleurs, je ne vois pas en quoi cette dame, dans l'extrait produit, va à rebrousse-poil des poncifs.
« L'enseignement des français de souche. »

(Il n'y a pas de majuscule, vraiment ?)

Un Nord-Africain immigré ou un descendant d'immigrés nord-africains n'emploie pas, normalement, l'expression "Français de souche" : ils dit Français, tout simplement, et cela dit tout.
C'est une sorte de rap littéraire, ça baigne dans la même eau sale de relachement et de brutalité. La diffusion de ce genre d'ouvrages est catastrophique.
Absolument de l'avis d'Olivier.
"Un Nord-Africain immigré ou un descendant d'immigrés nord-africains n'emploie pas, normalement, l'expression "Français de souche" : ils dit Français, tout simplement, et cela dit tout."
Hélas non! il dit "souchien" "gaulois"ou même "jambon beurre". Le ressentiment, rien que le ressentiment et en face la mauvaise conscience imposée par le très pétainiste monde officiel, de gauche mais aussi de droite.
Utilisateur anonyme
10 septembre 2010, 23:00   Re : Article du Point sur le nouveau roman de Houellebecq
"Cette dame", comme vous dites, renverse au moins le poncif du CPF et pointe du doigt le ressentiment, mentionné par bellini (mais n'est-ce pas plutôt de la haine ?), de nombre d'immigrés qui refusent toute intégration. C'est peut-être peu, mais ce n'est pas négligeable et la guerre idéologique ne se gagnera pas dans une tour d'ivoire, ni grâce à un quarteron de lettrés raffinés humant avec dédain la brutalité d'un monde sur lequel ils n'ont plus prise.
Citation
...un quarteron de lettrés raffinés humant avec dédain la brutalité d'un monde sur lequel ils n'ont plus prise.

Les définitions de quarteron sont intéressantes dans ce contexte puisqu'il signifie un quart de quelque chose, et désigne le plus souvent un individu né de l'union d'un mulâtre et d'un blanc (ou d'un noir), et donc ayant un (ou trois), grand-parent d'origine africaine sur quatre. Dumas Père est l'exemple le plus souvent cité (Dumas Fils est un octavon).

L'entendez-vous dans ce sens ou dans le sens Gaullien de "quarteron de généraux en retraite", ce qui n'est pas mal envoyé non plus.

Ou voulez-vous signifier par là un petit groupe, un quartette, une petite bande-- et sans doute, je vois un Brichot, un Cottard, et bien sûr Madame Verdurin.

Pour ma part, une ancienne définition de quarteron, que votre intervention m'a fait connaître via le Littré que j'ai consulté en ligne, est celle que je prefère:

Outil du papetier. Outil dont l'épinglier se sert pour trouer le papier.


Le PI est un peu tout cela, me semble-t-il.
Cette pose houellebequienne totalement fabriquée ne fait pas de Despentes une alliée idéologique. Il est évident que cette femme est une parfaite collabo du Désastre.
Paru dans l' Opinion Indépendante

Houellebecq : territoire conquis

Manière d’autoportrait et de radiographie du monde, La carte et le territoire de Michel Houellebecq est un roman magistral imprégné par la fin de toute chose.

Hormis les perfidies de quelques aigris à travers des supports exotiques (Tahar Ben Jelloun dans la presse italienne, Pierre Assouline sur son blog), le nouveau roman de Michel Houellebecq suscite une quasi unanimité critique. Un tel consensus pourrait rebuter quand on sait le degré de nullité de ce milieu, mais, pour une fois, le panurgisme a du bon puisqu’il consacre un grand roman, riche et profond, fluide et virtuose. Pour sa part, l’auteur des Particules élémentaires a maintes fois exprimé le dégoût que lui inspiraient les journalistes hexagonaux, jusque dans La carte et le territoire où Michel Houellebecq – personnage du roman – déclare qu’il ne peut rencontrer un employé du Parisien ou de Marianne «sans être pris d’une envie de dégueuler immédiate». D’ailleurs, en lisant la plupart des articles déjà consacrés au roman, on est impressionné par la répétition des mêmes clichés (ce qu’Orwell nommait «l’esprit gramophone») chez ces zozos dont pas un n’est capable, par exemple, de reconnaître les mots du Christ ressuscité à ses disciples que l’écrivain reproduit pourtant en italique. Rien de vraiment surprenant car comme il l’écrit à propos de son héros Jed : «ses contemporains en savaient en général un peu moins sur la vie de Jésus que sur celle de Spiderman».

De quoi est-il question dans La carte et le territoire ? Précisément de la confusion des valeurs et de la suprématie de la valeur d’échange sur la valeur d’usage. De la production artistique devenue une production industrielle et un commerce des signes. De la disparition du sacré et de la dilution du vrai dans des représentations falsifiées. De la brièveté de la vie sur terre et de l’inéluctabilité de la mort. De la possibilité infime de l’amour. Un tel programme serait vite indigeste sans le talent d’un écrivain qui sait manier concepts, idées générales, en les transformant en un matériau romanesque où des personnages s’incarnent et vivent au cœur d’un récit que l’on dévore.

Rendre compte du monde
La carte et le territoire nous raconte l’histoire de Jed Martin, un jeune artiste qui va accéder à la reconnaissance grâce à des reproductions photographiques de cartes Michelin puis avec une série de photos et de peintures consacrées aux métiers. Un jour, on lui suggère de proposer à Michel Houellebecq d’écrire le catalogue de sa future exposition. Jed Martin s’en va alors rencontrer l’écrivain en Irlande… Qu’est-ce qu’un roman sinon du faux qui tente de dire le vrai, une fiction qui s’efforce de cerner le réel ? Pour cela, Michel Houellebecq ne se prive pas de mettre en scène des personnages réels parmi lesquels Jean-Claude Pernaut, Patrick Le Lay, Frédéric Beigbeder, Julien Lepers et donc lui-même. Mais peut-on vraiment considérer un être passé dans la grande broyeuse de la société du spectacle et de la célébrité comme un être «authentique» ? L’autoportrait que l’écrivain livre donne un début de réponse. Il se décrit en une sorte d’ivrogne neurasthénique ne sortant guère de sa maison où il erre dans un pyjama rayé le faisant vaguement ressembler «à un bagnard de feuilleton télévisé». Ce «vieux décadent fatigué» mange dans son lit en regardant des dessins animés sur Fox TV tandis que des bouts de biscotte et des lambeaux de mortadelle jonchent ses draps tachés de vin et brûlés par places. Cheveux ébouriffés et sales, visage rouge, presque couperosé, puant un peu, il ressemble à une «vieille tortue malade».

La «vrai» Houellebecq est plutôt à chercher du côté de Jed Martin, artiste dont l’œuvre sincère et intime, originale et destinée à la marginalité, sut répondre aux aspirations et à la demande d’une époque qui lui offrit un succès inattendu. Comme l’auteur d’Extension du domaine de la lutte, Jed s’attacha à «la production de représentations du monde» et à «l’étude des conditions productives de la société de son temps». Son ambition fut de «donner une description objective du monde», «une réflexion froide, détachée, sur l’état du monde» : «Je veux rendre compte du monde… Je veux simplement rendre compte du monde…» L’œuvre des dernières années de sa vie fut considérée comme «une méditation nostalgique sur la fin de l’âge industriel en Europe, et plus généralement sur le caractère périssable et transitoire de toute industrie humaine» symbolisant «l’anéantissement généralisé de l’espèce humaine». Des années auparavant, il eut la révélation de la beauté et de sa vocation devant une carte Michelin au 1/150 000 de la Creuse : «L’essence de la modernité, de l’appréhension scientifique et technique du monde, s’y trouvait mêlée avec l’essence de la vie animale.» Tout était là et Jed saura s’en souvenir : «L’art devrait peut-être ressembler à cela, se disait-il parfois, une activité innocente et joyeuse, presque animale (…) peut-être l’art deviendrait-il comme ça une fois que l’homme aurait dépassé la question de la mort, et peut-être avait-il déjà été comme ça, par périodes, chez Fra Angelico par exemple, si proche du paradis, si plein de l’idée que son séjour terrestre n’était qu’une préparation temporaire, brumeuse, au séjour éternel auprès de son seigneur Jésus. Et maintenant je suis avec vous, tous les jours, jusqu’à la fin du monde.»

Obsolescence programmée
Mais comment vivre quand on ne croit pas en Dieu et que l’utopie du clonage – version laïque et scientiste de la résurrection qui fut le motif central de La Possibilité d’une île – s’est estompée ? En se rattachant aux choses, aux objets, à la matière, aux produits manufacturés qui sont pourtant bien plus périssables que la présence humaine, elle-même promise à la disparition certaine. Ce constat entre désabusement et désespoir nous vaut de savoureux développements sur ce que Michel Houellebecq (personnage du roman) considère comme «trois produits parfaits» : «les chaussures Paraboot Marche, le combiné ordinateur portable – imprimante Canon Libris, la parka Camel Legend». Et son chagrin inconsolable face à la disparition de ces objets le fait déplorer la logique de la société marchande visant à «capter une attente de nouveauté chez le consommateur» qui ne fait «en réalité que transformer sa vie en une quête épuisante et désespérée, une errance sans fin entre des linéaires éternellement modifiés.» Pour comprendre le monde, Aragon conseillait de tout lire, jusqu’aux notices des médicaments. Houellebecq s’en souvient en décortiquant le mode d’emploi d’un appareil photo : «ll était visible qu’un optimisme raisonné, ample et fédérateur, avait présidé à la conception du produit. Fréquente dans les objets technologiques modernes, cette tendance n’était cependant pas une fatalité. Au lieu par exemple des programmes «FEU D’ARTIFICE», «PLAGE», «BEBE1» et «BEBE2» proposés par l’appareil en mode scène, on aurait parfaitement pu rencontrer «ENTERREMENT», «JOUR DE PLUIE», «VIEILLARD1» et «VIEILLARD2».»

Nous aussi, nous sommes des produits, souffle Houellebecq à Jed Martin, des «produits culturels» condamnés à l’obsolescence. On ne ressent mieux cette obsolescence qu’en contemplant un téléphone portable ou un ordinateur seulement vieux de dix ans, représentations sur lesquelles Jed travaillera à la fin de sa vie. Avant la disparition de cette condition humaine que Houellebecq dessine à travers une foule de personnages, il y aura la déchéance et la vieillesse dans, une maison de retraite médicalisée – pour les mieux lotis – où l’ancien senior devenu un vieux se retrouve dans la position d’un enfant : «Parfois, il a des visites : c’est le bonheur, il peut découvrir le monde, manger des Pépito et rencontrer le clown Ronald McDonald. Mais, le plus souvent, il n’en a pas : il erre alors tristement, entre les poteaux de handball, sur le sol bitumineux du pensionnat déserté. Il attend la libération, l’envol.»

Le terroir et les morts
La vie sur terre vue par Houellebecq, qui se souvient dans le sillage d’Arthur Comte que «l’humanité est composée de davantage de morts que de vivants», ne porte guère à l’enthousiasme : «Pour ce qu’il avait pu en observer l’existence des hommes s’organisait autour du travail, qui occupait la plus grande partie de la vie, et s’accomplissait dans des organisations de dimension variable. A l’issue des années de travail s’ouvrait une période plus brève, marquée par le développement de différentes pathologies. Certains êtres humains, pendant la période la plus active de leur vie, tentaient en outre de s’associer dans des micro-groupements, qualifiés de familles, ayant pour but la reproduction de l’espèce». Bien sûr, existe la possibilité du bonheur et de l’amour, mais elle est rare et ne se produit pas longtemps. Ensuite, «il n’y a plus de place pour l’enthousiasme, la croyance et la foi, demeure une résignation douce, une pitié réciproque et attristée, la sensation inutile et juste que quelque chose aurait pu avoir lieu, qu’on s’est simplement montré indigne du don qui vous avait été fait.»

Comme toujours, Michel Houellebecq ne néglige pas l’humour et le rire, évidemment grinçants, mais c’est la hantise de la mort qui irrigue chaque page. La mort étant une chose trop sérieuse pour être confiée à l’euthanasie ou à la mode de l’incinération, «anthropologiquement impie» et véritable offense à «un enterrement sérieux, à l’ancienne, un enterrement qui ne cherchait pas à escamoter la réalité du décès», l’écrivain met en scène la propre disparition de son «avatar» romanesque. La dernière partie du livre emprunte alors certains codes du roman noir, mais dessine également le visage de la France des années à venir où la campagne pour la première depuis Jean-Jacques Rousseau serait «devenue tendance» grâce à des valeurs attachées au terroir et à la province : l’authenticité, l’écologie, l’artisanat… Pour autant, ce revival et la célébration d’un art de vivre vintage n’a rien de passéiste et s’inscrit dans la modernité avec l’arrivée dans les zones rurales d’urbains «animés d’un vif appétit d’entreprise et parfois de convictions écologiques modérées, commercialisables» tandis que l’immigration et le tourisme sexuel achèvent de faire de l’hexagone un pays résolument «attractif». De son côté, Jed Martin aura réussi à devenir le grand nom de l’art contemporain, ascension épousant une époque où le marché de l’art fut dominé par les hommes d’affaires les plus riches de la planète : «aujourd’hui pour la première fois ils ont l’occasion, en même temps qu’ils achètent ce qui est le plus à l’avant-garde dans le domaine esthétique, d’acheter un tableau qui les représente eux-mêmes.» A ce retour d’une peinture de cour, Jed préfère se référer au Moyen âge en rejoignant les réflexions de William Morris selon lequel l’art avait dégénéré juste après, en se coupant dès la Renaissance «de toute spiritualité, de toute authenticité, pour devenir une activité purement industrielle et commerciale».

Au final, qu’il nous parle de l’art, de la mort, de la solitude, de l’amour, de l’absence de Dieu, de choses ordinaires ou qu’il consacre deux pages aux mérites du bichon maltais, Michel Houellebecq est toujours passionnant par son propos et surtout par sa langue qui n’aura sans doute jamais été aussi proche de la musicalité de ses poèmes comme le sublime Derniers temps : «Il y aura des journées et des temps difficiles / Et des nuits de souffrance qui semblent insurmontables / Où l’on pleure bêtement les deux bras sur la table / Où la vie suspendue ne tient plus qu’à un fil / Mon amour je te sens qui marche dans la ville». Quant à l’auteur, si ses lecteurs en cherchent une définition possible, ils la trouveront dans un long passage rendant hommage à un écrivain injustement oublié : «C’est bien à tort au fond qu’on a catalogué Jean-Louis Curtis comme réactionnaire, c’est juste un bon auteur, un peu triste, persuadé que l’humanité ne peut guère changer, dans un sens comme dans l’autre.»
Christian Authier

La carte et le territoire, Flammarion, 432 p.
Article paru dans l'édition du Vendredi 10 Septembre 2010
«Il y aura des journées et des temps difficiles / Et des nuits de souffrance qui semblent insurmontables / Où l’on pleure bêtement les deux bras sur la table / Où la vie suspendue ne tient plus qu’à un fil / Mon amour je te sens qui marche dans la ville».
C'est presque du rap. Comme musicalité il y a mieux.
Cher Florentin,
je ne dois pas avoir une oreille très musicale, votre citation d'Houllebecq me semble assez belle...
Je le trouve aussi assez belle.
On peut se moquer de l'inculture ambiante et parler d'"Arthur Comte", philosophe dont j'ignore tout. Auguste Comte qu'il cite à la place, existe bien, lui. Quand on se permet de railler l'inculture, il faut être irréprochable !
Jean-Louis Curtis a été le - très bon - professeur d'anglais de mon mari et son livre " Les forêts d ela nuit" a obtenu le prix Goncourt.
Je viens d'écouter Répliques. Ce que j'ai le plus aimé, ce sont les heu, heu... de Houellebecq qui réfléchissait en parlant. Dans ce monde des médias péremptoires nous manquons beaucoup de ces manifestations d'existence de pensée en cours chez le parleur- journaliste, politique, artiste ou autre....
11 septembre 2010, 10:41   Mali(g)ne
Permettez-moi de maintenir que cette dame, cette écrivaine, cette auteure, cette femme de lettres, ne renverse aucun poncif dans l'extrait produit mais les déguise habilement, tout simplement parce que ce personnage à qui elle donne la parole n'est pas un repoussoir mais un personnage plutôt positif. Il commence, dans l'extrait, par être choqué par l'absence de "tenue" des habitants de l'immeuble et lui, s'il ne tenait qu'à lui, il leur apprendrait un peu. C'est un "nettoyeur" auquel le lecteur est amené à s'identifier. La dernière phrase de l'extrait renvoit elle aussi au plus éculé des poncifs et s'adresse directement aux Français historiques : "Qu'est-ce qu'elle croit ? Qu'on la prend moins pour une bicote parce qu'elle a singé leur culture ?" Cette phrase, qui fonctionne comme une sorte d'image subliminale, renvoit à cette idée que le-dit Français historique, quoi que ses hôtes puissent faire, restera indécrottablement raciste. Le personnage est ainsi ressenti comme l'éternel "déçu" de l'intégration et sa "déception" vaut circonstance atténuante faite pour "comprendre" son aigreur haineuse. Une fois de plus, dans cet extrait, est mise en scène, d'une façon détournée et particulièrement insidieuse la culture de l'excuse.

Quant à savoir qui est "en prise avec le monde", si vous avez des lumières sur ce thème, n'hésitez pas à les exposer.
Après avoir écouté le "Répliques"de ce matin, je vais aller chercher le dernier roman de M.H. en librairie, (et les "Essais" de Philippe Muray, où donc se trouve un article sur M.H.) .
M.H. a clamé (enfin plutôt murmuré) sa détestation de Picasso, je suis perplexe, il est sans doute désagréable, mais justement très puissant, brutal, enfin, c'était une petite remarque en passant. Qu'en pense Aline ?
Despentes et Houellebecq sont des rappeurs littéraires, très surestimés en règle générale (surtout Despentes évidemment). Le style de Houellebecq est plus fin et surtout plus malin que les autres, car il sait faire passer la nullité de l'invention littéraire... pour une invention littéraire ! Il a su faire croire, avec sa suite d'admirateurs béats, que la platitude était une vertu stylistique, alors que tous les grands livres retenus par l'histoire démontrent le contraire. Il est l'écrivain phare d'une civilisation fatiguée.
Sur Picasso, Finkelkraut aurait pu asticoter Houellebecq mais rien, il a pris la tangente et l'autre trop content de ne pas dévoiler qu'il n'avait rien à dire.
Il n'y a pas que le manque de musicalité que je déplore chez Houellebecq, il y a la platitude.
Tiens, que pense notre président de M. Houellbecq (et éventuellement de Picasso)... ? — si vous avez le temps de répondre à mes questions oiseuses, cher Renaud Camus.
Utilisateur anonyme
11 septembre 2010, 14:04   Re : Quarteron
Citation

L'entendez-vous dans ce sens ou dans le sens Gaullien de "quarteron de généraux en retraite", ce qui n'est pas mal envoyé non plus.

Oui, c'est bien ainsi que je l'entendais, cher dinch, mais votre intervention m'ouvre de nouvelles perspectives, plus exactes et plus subtiles, et je vous en remercie.

Pour répondre à M. Meyer, vérification faite, c'est bien avec un "f" minuscule que Madame Despentes écrit "français de souche". Je sens bien que cela ne va pas améliorer l'opinion d'Olivier, ni celle d'Orimont...
Utilisateur anonyme
11 septembre 2010, 14:06   Re : Mon amour je te sens qui marche dans la ville
Sauf le dernier vers qui est bien faible...
Utilisateur anonyme
11 septembre 2010, 14:17   Re : Mali(g)ne
Bon, cher Orimont, votre interprétation des extraits est en effet possible et je n'ai pas la force de tout dactylographier.... Mais il faudrait lire tout le chapitre (je sais que vous ne le ferez pas), car le personnage de Yacine n'est absolument pas positif. Il est vrai qu'aucun des personnages de cette dame ne l'est...
11 septembre 2010, 14:28   Re : Houellebecq par lui-même
[Jed Martin, le personnage central, sans doute largement autobiographique, de La carte et le territoire, vient décrire à Michel Houellebecq pour le relancer à propos d'une demande de préface pour un catalogue d'exposition]

Quelques minutes plus tard, il se relut avec écœurement. « En cette période de fêtes, que je suppose vous passez en famille... » Qu'est-ce qui lui prenait d'écrire des conneries pareilles ? De notoriété publique Houellebecq était un solitaire à fortes tendances misanthropique, c'est à peine s'il adressait la parole à son chien.
" Les enfants…étaient la transmission d’un état de règles et d’un patrimoine. C‘était bien entendu le cas dans les couches féodales, mais aussi chez les commerçants, les paysans, les artisans, dans toutes les classes de la société en fait. aujourd‘hui, tout cela n‘existe plus; je suis salarié, je suis locataire, je n’ai plus rien à transmettre à mon fils. Je n‘ai aucun métier à lui apprendre, je ne sais même pas ce qu‘il pourra faire plus tard; les règles que j’ai connues ne seront de toute façon plus valables pour lui, il vivra dans un autre univers. Accepter l’idéologie du changement continuel, c’est accepter que la vie d’un homme soit strictement réduite à son existence individuelle, et que les générations passées et futures n’aient aucune importance à ses yeux. C’est ainsi que nous vivons, et avoir un enfant, aujourd’hui, n’a plus aucun sens pour un homme. "
A rapprocher du "Il n'y a qu'un aventurier au monde, et cela se voit notamment dans le monde moderne: c'est le père de famille Il n'est point engagé seulement dans la cité présente. Il est de toutes parts engagé dans l'avenir du monde. Et ainsi dans tout le passé, dans la mémoire et dans toute l'histoire" de Péguy
et du "Non seulement la démocratie fait oublier à chaque homme ses aieux, mais elle lui cache ses descendants et le sépare de ses contemporains; elle le ramène sans cesse vers lui seul et menace de le renfermer enfin tout entier dans la solitude de son propre cœur." de Tocqueville
Bien sur le style Houellbecq est plat ("plate forme") mais celui qui veut révéler le monde plat écrit dans une plate forme. Houellbecq est le seul écrivain de la post histoire c'est à dire d'un monde sans passé et sans avenir réduit à un éternel présent proche de celui de l'animal. Il est avec P. Muray le seul vrai Kojévien désespéré.
"J’ai été porté à en conclure que l’Américan way of life était le genre de vie propre à la période post-historique, la présence actuelle des Etats-Unis dans le monde préfigurant le futur « éternel présent » de l’humanité toute entière. Ainsi, le retour de l’Homme à l’animalité apparaissait non plus comme une possibilité encore à venir, mais comme une certitude déjà présente." A. Kojève
Utilisateur anonyme
11 septembre 2010, 14:59   Re : Article du Point sur le nouveau roman de Houellebecq
"J’ai été porté à en conclure que l’Américan way of life était le genre de vie propre à la période post-historique, la présence actuelle des Etats-Unis dans le monde préfigurant le futur « éternel présent » de l’humanité toute entière. Ainsi, le retour de l’Homme à l’animalité apparaissait non plus comme une possibilité encore à venir, mais comme une certitude déjà présente." A. Kojève


D'où tirez-vous cette superbe citation cher Bellini ?
Je ne crois pas, cher Olivier, que le style de Houellebecq soit "plat". Il y a comme une froideur méchante dans son style (ce qui nous ramène, par des voies détournées, au "colin froid" de M. Marche). C'est un style dur. Dur et méchant, si l'on veut, et qui contraste avec l'espèce de douceur de l'homme lui-même qui, dans l'émission de Finkielkraut, cherchait ses mots et peinait à faire éclore des phrases.

Cela dit je suis d'accord avec Florentin pour trouver nuls ses alexandrins.
Discussion Ferry Julliard sur le livre de Houllebecq :

[videos.tf1.fr]
Admettons que vous ayez raison quant au style de M. H. et que je sois injuste par manque de lecture attentive de son oeuvre; néanmoins je crois qu'il est excessif de voir en lui un grand écrivain, un écrivain important. Il est absolument moderne en ce que ses romans sont jetables - je veux dire qu'ils ne survivront pas, précisément à cause de leur adéquation trop parfaite à la médiocrité du monde moderne. Evidemment, la question est de savoir si un écrivain, en 2010, peut ne pas se compromettre entièrement avec ce monde, et ne pas se laisser avaler par lui.
Marcel,

La citation que vous nous indiquez montre qu'on peut être misanthrope et cynophile (a moins bien entendu que dans le langage de cet auteur "misanthrope" ait une signification plus étendue que dans le langage courant).
Oui, mais un romancier n'est pas là pour sauvegarder sa pureté dans le monde, et montrer à quel point il parvient, lui, à ne pas être médiocre. Le romancier n'a pas les mêmes prérogatives que le poète. La poésie est un sanctuaire ; mais le roman, le roman qui élucide, qui ne raconte pas d'histoires, suppose une forme de compromission avec le siècle. Il faut en un certain sens se laisser souiller par lui pour le traduire en images, en personnages, en destins. Pour écrire Bouvard et Pécuchet, Flaubert a littéralement épluché son siècle.
Je préfère Salammbô à Bouvard et Pécuchet, il me semble qu'il n'y a pas photo.
Et pourtant Flaubert n'a pas sacrifié le style à la médiocrité de ses sujets. On pourrait citer également Kafka, poète du roman qui n'a pas renoncé au moule classique, bien que toute son oeuvre exprime l'avilissement de la condition humaine au sein du monde moderne. La souillure de la réalité que l'auteur veut décrire n'est-elle pas souvent un alibi à l'absence de vrai talent littéraire ?
Je vais paraître vieux jeu, mais je pense que la première chose qu'on attend d'un écrivain, c'est qu'il écrive bien.

On peut tolérer d'un philosophe, d'un scientifique, d'un anthropologue, certaines approximations. D'un écrivain, non. J'ai acheté ce dernier ouvrage de M. Houellebecq, il y a des choses intéressantes par ci, par là, mais je le trouve fort mal écrit.
Soit, le dernier roman est peut-être fort mal écrit. Je veux bien qu'on reproche à Houellebecq une mauvaise syntaxe, un vocabulaire approximatif, mais ce n'est pas un critère suffisant pour déterminer sa qualité de romancier. Que dirait-on de Céline, dans ce cas ? Non, non, toute la question est de savoir si un pan du voile, du rideau dont parle Kundera, a été soulevé.
Je m'étonne que personne, ici, ne paraisse sensible à l'espèce de drôlerie des romans de Houellebecq (même constat, soit dit en passant, pour Franz Kafka, en dépit des témoignages d'éclats de rire provoqués (et recherchés) dans son cercle de proches quand il lisait des passages du procès.)

Sans entrer dans d'autres considérations, M. Houellebecq est un auteur qui m'a souvent amusé, et je n'emploie pas ce verbe avec une arrière-pensée ironique. A mes yeux, c'est un auteur dans le genre tragi-comique, un genre pas si fréquemment servi. C'est peut-être en cela qu'il est le plus en prise avec la réalité contemporaine, elle aussi, et bien souvent, terriblement burlesque.

___

Quant à Virginie Despentes (pour honorer ce fil fourchu), s'il faut en croire Côme et puisque aucun personnage n'est positif, cela confirme à mes yeux l'impossibilité pour ce livre de faire prendre conscience de quoi que ce soit à ses lecteurs. Si tout le monde est mauvais dans cette "appocalypse bébé", alors chacun campera sur ses visions habituelles et ne verra que le méchant qu'il a envie de voir, toujours le même selon les lunettes de chacun. Pour le style, il est encore issu de la smala d'enfants naturels qu'auraient eu ensemble Marguerite Duras et Louis-Ferdinand Céline (une majorité de filles dans cette descendance.)
Oui, vous avez raison, M. Bolacre, de faire de Houellebecq un auteur tragi-comique.

« J’aurais pu adhérer au Front National, mais à quoi bon manger de la choucroute avec des cons ? De toute façon les femmes de droite n’existent pas, et elles baisent avec des parachutistes » (Les Particules élémentaires).
Comment ça "personne, ici, ne para[ît] sensible à l'espèce de drôlerie des romans de Houellebecq" ? L'extrait que j'ai donné m'a fait éclater de rire quand je l'ai lu. Il me semblait que c'était évident.
Utilisateur anonyme
11 septembre 2010, 22:20   Re : Article du Point sur le nouveau roman de Houellebecq
Alexandre Kojève ! Il y a longtemps que je n'avais plus entendu parler de ce philosophe. Est-il encore lu aujourd'hui ?
A. Kojeve auteur entre autre de "introduction à la philosophie de Hegel" a été au moins lu par P. Muray et peut-etre par houellebecq . "la fin du temps humain ou de l’histoire, c’est-à-dire l’anéantissement définitif de l’homme proprement dit ou de l’individu libre et historique, signifie tout simplement la cessation de l’action au sens fort du terme. " C'est de Muray, houellbecq ou Kojève?
On est en plein délire en ce fil de mauvais coton, associer Marguerite Duras à Céline c'est propulser Jane Birkin au niveau de Maria Callas ou faire de Claude François un pair en chorégraphie de Rudolf Noureev.

Je lis:
« J’aurais pu adhérer au Front National, mais à quoi bon manger de la choucroute avec des cons ? De toute façon les femmes de droite n’existent pas, et elles baisent avec des parachutistes » (Les Particules élémentaires).
Qu'est-ce que ça veut dire ?
Si les femmes de droite n'existent pas, elles baisent pas. Elémentaire pauvre particule. Quant à celles de gauche, croyez-moi, elles vont pas chercher des syndicalistes, rtt, 35h, 60ans. Je parle de celles qu'ont des envies légitimes.
Mais enfin, S. Bily, Céline avait une force remarquable dans l'expression...

Entendons-nous : Houellebecq dit parfois des choses pertinentes, et il les dit bien ; cela étant, il y a aussi des moments stupéfiants, et pas dans le bon sens...
12 septembre 2010, 00:43   Passage au mixer
"On est en plein délire en ce fil de mauvais coton, associer Marguerite Duras à Céline c'est propulser Jane Birkin au niveau de Maria Callas ou faire de Claude François un pair en chorégraphie de Rudolf Noureev."

Je me serai mal exprimé. Je n'"associe" par Duras et Céline, je dis simplement que ces deux écrivains ont exercé une grande influence sur leurs successeurs et qu'un certain nombre d'auteurs - et spécialement d'auteurs féminins - leur ont emprunté, ou se sont complu à singer, à mixer, une certaine musique stylistique tout comme une certaine posture. L'exemple le plus flagrant me paraît être Christine Angot.
12 septembre 2010, 03:13   Re : ET Virginie Despentes ?
L'enseignement des français de souche. Ca ne le regarde pas.

Pourquoi Virginie Despentes coupe-t-elle ainsi ses phrases ? Parce qu'elle se figure, comme on se le figure dans les beaux-quartiers quand on a une licence de lettres, qu'il faut pour "écrire la banlieue", écrire dans un style "flux de conscience" désordonné, brutal, faire "sur le vif", bref, user de procédés littéraires qu'il serait un euphémisme de qualifier d'éculés puisqu'ils furent inventés il y a cent ans au moins, avant de s'imposer quand commençaient à éclore la banlieue et sa pègre ? Virginie Despentes est inédaptée à son sujet, et ce type de texte est totalement hors sujet et inutile. Face au phénomène qu'elle veut mettre en scène, rien ne serait plus utile que des moyens classiques -- je pense ici à Zone de Jean Rolin -- qui lui donneraient sa véritable dimension. La dimension de la grossièreté quand elle atteint une certaine taille, appelle des moyens flaubertiens qui la respectent et la restituent, pas cette salade de moyens petits-bourgeois d'une faiblesse affligeante. Ce type de choses qui se veulent littéraires, pour un certain public Télérama, me donnerait presque envie de (re)devenir marxiste, et méchant.
12 septembre 2010, 05:03   Re : ET Virginie Despentes ?
Je crois me souvenir que dans L'Entretien infini Blanchot opposait deux types de langages, le premier "ordinaire", où il n'est qu'un outil de désignation d'autre chose que lui-même, "s'oubliant ainsi soi-même" dans la simple et pratique fonction référentielle, et le langage proprement littéraire qui fait retour sur soi en s'instituant moyen du but qu'il constitue (procédé auto-référentiel faisant au reste de la littérature le théâtre privilégié de la manifestation de ce que Blanchot appela "la Nuit").
Il me semble que Houellebecq appartient surtout à ce type d'écrivains faisant ordinairement usage du langage, et cela de son propre aveu : « Je veux rendre compte du monde… Je veux simplement rendre compte du monde…», aussi son écriture se borne-t-elle en général à être correcte, sans plus et sans autre souci que l'adéquation du matériau à sa dévolution.
N'allez donc pas lui reprocher une platitude stylistique, car l'écriture comme style s'instaurant au-dedans d'elle-même n'est pas du tout son propos, du moins dans ses romans...
(Peut-être voudrait-il tout de même rejoindre cette Nuit mythique par la grisaille opaque et remarquablement mesquine de la réalité dont il prétend rendre compte...)
12 septembre 2010, 09:08   Re : ET Virginie Despentes ?
"La dimension de la grossièreté quand elle atteint une certaine taille, appelle des moyens flaubertiens qui la respectent et la restituent, pas cette salade de moyens petits-bourgeois d'une faiblesse affligeante. "
Oui, la crudité , la grossièreté de langage et de syntaxe, c'est comme le piment : point trop n'en faut, sous peine, de ne plus sentir les saveurs du plat , et une fois habitué, à, très vite, ne plus sentir le piment lui-même.
12 septembre 2010, 09:14   Re : ET Virginie Despentes ?
"Je m'étonne que personne, ici, ne paraisse sensible à l'espèce de drôlerie des romans de Houellebecq "

Si, si Orimont ! En ce qui me concerne, j'y suis sensible.


"Il me semble que Houellebecq appartient surtout à ce type d'écrivains faisant ordinairement usage du langage, et cela de son propre aveu : « Je veux rendre compte du monde… Je veux simplement rendre compte du monde…», aussi son écriture se borne-t-elle en général à être correcte, sans plus et sans autre souci que l'adéquation du matériau à sa dévolution. "

Entièrement d'accord.
Ceci dit, les livres de MH finissent toujours , au bout d'un moment, par m'ennuyer.
"Je me serai mal exprimé. Je n'"associe" par Duras et Céline, je dis simplement que ces deux écrivains ont exercé une grande influence sur leurs successeurs et qu'un certain nombre d'auteurs - et spécialement d'auteurs féminins - leur ont emprunté, ou se sont complu à singer, à mixer, une certaine musique stylistique tout comme une certaine posture. L'exemple le plus flagrant me paraît être Christine Angot."

D'accord.
Oirmont, je suis d'accord avec votre dernière formulation à propos de Duras et Céline.
Ah mais moi je suis tout prêt à convenir que la langue de Houellebecq est des plus terne. Seulement j'essayais de montrer qu'il en fallait peut-être davantage pour rejeter un romancier dans les ténèbres extérieures, dans le "public Télérama" (dixit M. Marche). D'accord avec Cassandre sur le piment.
12 septembre 2010, 11:11   Re : ET Virginie Despentes ?
Mille fois d'accord avec Francis. Un auteur sur deux se croit aujourd'hui obligé de rendre son texte "haletant", vivant (croit-il), en découpant ses phrases en petits groupes syntaxiques. Excellent cache-misère, encore une fois.

Quant à M. H., la remarque d'Alain me parait tout à fait judicieuse; et ce qui me gêne au fond, ce n'est pas qu'on écrive comme Houellebecq - en-deça du style, en quelque sorte -, mais qu'on lui ouvre les portes de l'Académie des Immortels. Ce qui me gêne ici, comme en de nombreux domaines, c'est qu'on couronne la médiocrité (même si cette médiocrité se veut une sorte de forme littéraire...).
À ma connaissance, Houellebecq n'est pas à l'Académie, a manqué le prix Goncourt et reste détesté par la plupart des critiques littéraires, même si son dernier roman semble avoir été mieux accueilli par ces gens. Je ne vois vraiment pas comment on peut dire de lui qu'il est "couronné", si ce n'est par les lecteurs. Chacun convient, et lui en premier, que son écriture est totalement dépourvue d'effets de style ou même, si l'on veut, de style tout court. Chacun convient aussi qu'il rend compte avec un regard aigu de la société dans laquelle nous vivons et, là aussi, de façon assez neutre : il ne juge pas beaucoup (sauf quand il parle d'Assouline et là ça fait du bien), il décrit. Le lire n'a de sens que si l'on est intéressé, accroché, séduit par sa peinture du monde et aussi, n'est-ce pas, par ses personnages et ce qui leur arrive. Moi aussi je préfère Flaubert, mais qui sait quels romans Flaubert écrirait aujourd'hui ? Quoi qu'il en soit, je comprends parfaitement qu'on ne l'aime pas, mais il n'est pas nécessaire de le rabaisser.
C'est à se demander justement, Cher Marcel, si le lot des bons écrivains n'est pas d'être abaissés de leur vivant .
Vous n'allez quand même pas faire de M. H. un écrivain maudit ? A mon sens il a eu très tôt toute la reconnaissance dont un écrivain peut rêver, malgré quelques réticences parfaitement légitimes de la critique. Il ne s'agit pas du tout de le rabaisser, mais de le juger avec objectivité. Bon écrivain, très bon écrivain même, écrivain original, il l'est indéniablement; mais il y a une certaine dose d'arnaque dans son succès.
Écrivain maudit est une expression que je n'emploie jamais (pas plus qu'artiste maudit) parce qu'il s'agit d'un mythe, un des mythes de base du romantisme et de la modernité (répandu notamment par le roman de Murger La Bohème). S'il a eu, comme tous les mythes installés, un rapport plus ou moins lointain avec la réalité, il obscurcit celle-ci bien davantage qu'il ne l'éclaire, surtout depuis que s'est installé le conformisme de l'anticonformisme, l'académisme de l'anti-académisme. J'ai simplement écrit que Houellebecq pouvait difficilement être qualifié d'écrivain couronné, et qu'il ne devait son succès qu'au public.
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