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Ah que la vie est belle

Envoyé par Gérard Rogemi 
08 septembre 2010, 09:56   Ah que la vie est belle
Que les mélomanes et les puristes ne viennent pas nous gâcher le plaisir d'écouter cette musique magnifique.



08 septembre 2010, 10:13   Re : Ah que la vie est belle
Cher Rogemi,

ce n'est certes pas moi qui viendrai vous gâcher ce plaisir...

Magnifique morceau.
08 septembre 2010, 14:58   Re : Ah que la vie est belle
Aucune raison d'avoir peur.
Vous allez me dire avec raison que ça n'a rien à voir, cher Rogemi, mais regardant hier un film de Tavernier j'ai entendu ceci, qui me fait fondre littéralement (pensez donc, Tino !... (et ne croyez pas, j'adore éructer avec hargne les paroles ineptes de Guns of Brixton des Clash...)) :



Utilisateur anonyme
09 septembre 2010, 20:48   Re : O nuit enchanteresse, divin ravissement
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Citation
j'ai entendu ceci, qui me fait fondre littéralement

Il y a des moments où nous sommes étrangement sensibilisés, réceptifs à une musique que normalement nous n'écoutons pas et qui nous remue de manière inattendue les tripes sans que l'on comprenne vraiment pourquoi.

La version d'Alain Vanzo est très belle mais celle de Tino Rossi aussi !
Rogemi,

C'est cela même.
Ah oui, en effet... je garde les deux cher Didier. Le roucoulant Tino parvient quand même à rendre l'air plus proche de la poignante et sombre chanson réaliste, curieusement, mais c'est beaucoup moins décanté...
Et la Magnani dans "La chanteuse" :



Citation
Rogemi
Citation
j'ai entendu ceci, qui me fait fondre littéralement

Il y a des moments où nous sommes étrangement sensibilisés, réceptifs à une musique que normalement nous n'écoutons pas et qui nous remue de manière inattendue les tripes sans que l'on comprenne vraiment pourquoi.

La version d'Alain Vanzo est très belle mais celle de Tino Rossi aussi !

Certainement. Mais je crois que cet air exprime une catégorie de sentiments que l'on pourrait qualifier de valedictory, traduisant l'expérience du départ, de la perte, de l'inéluctable disparition sans retour ; le mécanisme de l'émotion procède alors de l'application du souvenir et de l'évocation comme d'un baume, d'où le plaisir, sur la plaie vive du manque provoqué par la perte.
C'est imparable.
Merci à tous pour ces trois moments de bonheur. J'avais oublié que Tino Rossi pouvait chanter si bien !
09 septembre 2010, 23:53   Re : Ah que la vie est belle
La version d'Alain Vanzo est l'un de mes moments fétiches mais j'ignorais celle du bon Tino qui relève le défi mieux que je n'aurais pu le croire. Avec les mots d'Alain pour le dire... Vraiment, quelle belle soirée!
10 septembre 2010, 00:02   Il ritorno d'Erico a patria
Cher Eric,

Après les colchiques retrouvées, vous avez même eu droit à une blague sur les fonctionnaires, c'est vraiment bon de rentrer au pays.
10 septembre 2010, 00:09   Re : Ah que la vie est belle
C'est exactement ça, cher Orimont, on ne saurait mieux dire : «c'est vraiment bon de rentrer au pays»
10 septembre 2010, 00:19   Re : Ah que la vie est belle
Je rentre d'un merveilleux concert à la Halle aux Grains: création mondiale de Beyond the Seven Seals de Elena Firsova, compositeur russe à découvrir.
Comme Eric, je découvre la version de Tino Rossi et je trouve qu'il fait mieux que se défendre. Je garde néanmoins le souvenir d'un Alain Vanzo éblouissant, non en Mp3 mais au Capitole de Toulouse il y a un demi siècle, cela dit sans parti-pris aucun.
10 septembre 2010, 00:27   Re : Ah que la vie est belle
Citation
Florentin
Je garde néanmoins le souvenir d'un Alain Vanzo éblouissant, non en Mp3 mais au Capitole de Toulouse il y a un demi siècle, cela dit sans parti-pris aucun.

Oh ! Quelle chance vous avez eue de l'entendre...
10 septembre 2010, 00:34   Re : Ah que la vie est belle
Oui, chère Phénarète, c'est une de ces chances savourée dans l'instant et le souvenir en est serein.
Utilisateur anonyme
10 septembre 2010, 07:58   Re : Ah que la vie est belle
(Message supprimé à la demande de son auteur)
10 septembre 2010, 09:33   Re : Ah que la vie est belle
Citation
Didier Bourjon
"...l'application du souvenir et de l'évocation comme d'un baume, d'où le plaisir, sur la plaie vive du manque provoqué par la perte. " : n'est-ce pas, cher Alain, une définition possible de la musique elle-même ?

J'allais le dire...
10 septembre 2010, 21:22   Re : Ah que la vie est belle
Citation
Didier Bourjon
"...l'application du souvenir et de l'évocation comme d'un baume, d'où le plaisir, sur la plaie vive du manque provoqué par la perte. " : n'est-ce pas, cher Alain, une définition possible de la musique elle-même ? Ce pourquoi cet air - du Bizet le plus pur - est si charmant - à en pleurer parfois.

Je suppose, cher Didier, que toutes les musiques ne sont pas nostalgiques ni ne veulent inspirer la consolation dans l'évocation ? Du moins certains morceaux s'y prêtent moins bien que d'autres, me semble-t-il (j'en rajoute, mais j'ai également écouté hier le Quatuor de Lutoslawski, dont le début est émulateur de l'approche d'un térébrant moustique)...
Utilisateur anonyme
11 septembre 2010, 11:30   Re : Ah que la vie est belle
(Message supprimé à la demande de son auteur)
12 septembre 2010, 03:56   Re : Ah que la vie est belle
Permettez une question, cher Didier : je vous rejoins tout à fait sur la nécessité de laisser tomber ce "temps linéaire" qui nous barbe, que Bergson a je crois appelé "temps homogène" ("projection des états dits successifs du monde extérieur dans l'espace où chacun d'eux existait séparément"), mais je voudrais être sûr de comprendre pourquoi vous faites de l'oubli l'instrument privilégié de l'accès possible au passé : établissez-vous là un lien entre le "non-être", comme présence niée ("non-être" au regard de l'être plénier de la présence synchrone par quoi nous est donnée la matérialité même du monde) et l'oubli, qui en serait en quelque sorte le pendant psychologique (l'oubli serait alors le seul "néant" logiquement concevable ?) ?
Alors en effet, si vous considérez la musique comme étant non plus "rapport au temps", mais elle-même temps en mouvement, certaine modalité manifestée de la durée néantisante par son propre déploiement, suscite-t-elle la perte que son être comme réminiscence tire de l'oubli...

(Soit dit en passant, se demander ce qu'il y a "quitté l'instant se faisant dans l'entremêlement perceptuel du corps et du monde" (pardon de me citer), cela me jette dans l'embarras le plus total.)
Utilisateur anonyme
13 septembre 2010, 07:44   Re : O nuit enchanteresse, divin ravissement
Rogémi , je ne vois pas en quoi les mélomanes pourraient vous gâcher le plaisir en écoutant cette modeste mais sincère musique , et son final en forme de tarentelle , tout au contraire ceux ci ont toutes les palettes de sentiments à leurs disposition pour pouvoir juger à l'aune du bon goût .
Mais ceci EYTAN dit , un certain Jean Victor Hocquart disait en parlant de Mozart , qu'envers LUI :
"TOUTES GLOSE EST OPAQUE ", et excusez-moi , surtout la dernière ...de glose
Utilisateur anonyme
13 septembre 2010, 08:16   Re : O nuit enchanteresse, divin ravissement
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Utilisateur anonyme
13 septembre 2010, 14:10   Re : Ah que la vie est belle
j'ose à peine m'imimscer dans ce dialogue dédié , plus haut je citais Jean Victor Hocquard , mais pour le coup et cette fois ci je ne peux m'empêcher de vous rappeler les interminables explications et modes d'emploi , précédant les ( oeuvres ) de nos comtemporains musiciens savants : Glass , Goudbay doulina , Louto , et même le maître Boulez , qui m'a fait découvrir Bartok , Igor, varése, et les écoliers de Vienne , mais qui de son côté n'a fait qu'enfonçer des clous ...avec son marteau !
Pour faire bref et peut-être même lapidaire , voici une formule :
"Plus la musique et belle , moins elle demande d'explications ."

Soit le quatuor de Louto ! même pas une ( mélodie de timbres) , trés peu d'évènements , je comprends les seusses qui préfère le Tino voir même Alain le Vanzo avec sa voix d'égorgé hallal époumonné ! ! ; certes la Callas avait vers la fin de sa vie un voile ( déjà) dans la voix , mais à ce point , comme dirait le Grand sourd , il faut l'être pour ne pas le remarquer chez Vazzo .
La question qui me reviens toujours , quel sont les musiciens actuel capable de nous donner des oeuvres tel que Stravinsky , Ravel , debussy , schoenberg, Messiaen , Orff, Britten ....Gainsbourg ?
et j'oubliais Bartok , et chostakovitch ; le 21 ième siècle verra t -il la fin de la musique ?

une question qui n'a pas besoin de grandes connaissances philosophiques ....!

l
13 septembre 2010, 15:53   Re : Ah que la vie est belle
Je vous recommande un jeune pianiste, Jean Frédéric Neuburger, entendu jeudi soir à la Halle au Grain dans le deuxième concerto de Bartók. Bartók, découvert il y a un demi siècle grâce à Louis Auriacombe.



13 septembre 2010, 23:05   Re : Ah que la vie est belle
» Je crois que, pour l'heure, nous n'y sommes pas tout à fait

Disons, cher Didier, que j'y suis pour ma part jusqu'au cou, à tout le moins à ce niveau élémentaire où je puis ressentir la matière, à la fois constituée et mise à disposition comme telle par la perception ; et l'objet de ces sensations constituant la "matérialité du monde" est bien entendu synchrone à son appréhension, c'est en ce sens premier que je l'entendais.
Or cette synchronicité représente bien l'une des plus remarquables énigmes du temps, au sens naïf si vous voulez (naïveté peut-être indépassable), puisque ces plans successifs d'environnement matériel sont donnés en exclusivité absolue, le couplage indissociable de l'être perçu et percevant dans le présent rendant tout autre état des choses — qui n'était pourtant pas moins immédiatement accessible en son présent ("immédiatement accessible" comme je puis tendre la main et palper quelque objet et m'assurer de sa présence, il ne faut pas aller chercher plus loin) —, le rendant donc absent, sombré dans le non-être, l'oubli, ou quelque statut ontologique incertain que des considérations plus élaborées et sophistiquées pourraient éventuellement éclaircir, je veux bien l'admettre...

Ce qui me rappelle cette phrase de Bergson qui m'a toujours fait sourire : « Notre présent, qui est la matérialité même de notre existence, est un récif imminemment recouvert par les eaux ! »
Utilisateur anonyme
14 septembre 2010, 08:02   Re : Ah que la vie est belle
(Message supprimé à la demande de son auteur)
15 septembre 2010, 00:08   Re : Ah que la vie est belle
» Comment, cher Alain, peut-on associer en une même phrase "constituer", "mise à disposition" et "synchrone" ?

De la plus simple façon, cher Didier : une perception n'est jamais que la "constitution" en un contenu subjectif original (la couleur, par exemple) d'une donnée physique (la longueur d'onde de la lumière réfléchie par l'objet et captée par la rétine, ce qui est "mis à disposition", donc) ; la synchronicité veut dire que la représentation ainsi constituée reflète l'état des choses représenté au moment où les mécanismes perceptifs reçoivent et traitent l'information constituée finalement en percept (je me souviens que pour vous il n'y a pas à proprement parler d'"état des choses" préexistant en quelque sorte (les fameux "faits") à sa constitution en percept-tableau, mais à ce stade cela ne veut dire qu'une chose qui tient presque de l'évidence, que la représentation est concomitante à son objet.)
Mais vous avez raison d'une certaine façon à propos du caractère trompeur de la "sensation synchrone", un peu contre vous-même cependant : vous avez distingué le "contact physique" de la sensation en critiquant leur "simultanéité apparente", mais il y a là à mon avis contresens : le contact physique est la sensation, et la matérialité du monde évoquée ne désignait, dans le sens où je l'entendais, que le résultat de l'interaction entre le monde et le corps percevant, bien entendu.


» Comment la "matérialité" pourrait-elle nous être si proche qu'elle serait même la seule "donnée" qui nous soit fournie, la seule "réalité" tangible, puisqu'elle n'est jamais première, qu'elle ne peut pas l'être, pro-jeté que nous sommes dans du "toujours déjà là" ?

Mais justement, cette matérialité est "toujours là" du fait qu'elle est l'élément inhérent à notre évolution dans le monde, puisqu'elle est consubstantialité, "intercorporéité" du monde et de notre corps percevant.
Le dynamisme temporel n'est pas réservé à la seule conscience humaine ; il emporte dans un même mouvement tout ce qui est l'objet de la visée de cette conscience, et c'est le propre même du temps.

(J'ai conscience, cher Didier, d'avoir parfois tendance à marcher avec les gros sabots d'un certain positivisme logique, entre Sachverhalte et, horreur, les terribles "énoncé protocolaires" du massif Carnap... mais que voulez-vous, j'en ai gardé le goût, et c'est un peu à dessein...)
Utilisateur anonyme
15 septembre 2010, 10:07   Re : Ah que la vie est belle
(Message supprimé à la demande de son auteur)
15 septembre 2010, 12:20   Re : Ah que la vie est belle
Citation
Didier Bourjon
[...] je m'avise que nous nous amusons bien tous les deux , mais que la compagnie regarde peut-être avec agacement le retour régulier de ce sujet qui ne la passionne pas le moins du monde[...]

Aucun agacement pour ma part et le sujet m'intéresse même je n'y entrave pas grand chose. Encore que votre dernier paragraphe, cher Didier, tendant à différencier — si je ne vous trahis pas déjà — la perception de la sensation, me rappelle quelques regards bouddhiques concernant l'Abhidharma. Quant à vouloir aller visiter l'ami Alain, en cela non plus vous n'êtes pas seul.
15 septembre 2010, 22:24   Re : Ah que la vie est belle
Laissez-vous ensorceler par la beauté du chant !





Pigliate la palella e vae pi’ ffoco E va’ alla casa di lu 'nnamurato E passa duje ore ‘e juoco Si mamma se n'addona ‘e chiste juoco Dille ca so' state fajelle de foco. E vule, di’ e llà, chello che vò la femmena fa! Luce lu sole quanno è buono tiempo, luce lu pettu tujo, donna galante Mpiettu tieni duje pugnali argento, a chi li tocchi bella. A chi li tocchi bella, nci fa santo E ti li tocchi ie ca so' l'amante E ‘mparaviso jamme certamente… E vule, di’ e llà, chello che vò la femmena fa!"
15 septembre 2010, 23:12   Ainsi la nuit
En effet, cher Rogemi... Mais alors que Didier s'est porté bien par devant à la lisière de la possibilité même des choses, mon humeur actuelle est très en retrait, à guetter d'indiscernables rumeurs et bruissements, dans une grande pénombre piquetée d'artificieuses bluettes...




15 septembre 2010, 23:38   Re : Ainsi la nuit
Citation
mon humeur actuelle est très en retrait, à guetter d'indiscernables rumeurs et bruissements, dans une grande pénombre piquetée d'artificieuses bluettes...

Revenant d'un cours séjour à l'étranger je suis clairement hors-sujet mais je ne voulais pas ouvrir un nouveau fil pour cette petite pépite napolitaine ... par contre vous me faites faire un peu de souci car Ainsi la Nuit ist eine sehr schwere Kost, cher Alain.
Utilisateur anonyme
16 septembre 2010, 09:46   Re : Ainsi la nuit
(Message supprimé à la demande de son auteur)
19 septembre 2010, 02:10   Re : Ainsi la nuit
Encore quelques mots, cher Didier ...
Peut-être avez-vous tort d'incriminer le "logicisme" dans ce qui n'est en définitive qu'un parti-pris philosophique qui consiste à réduire l'être (pas de façon absolue et dogmatique mais empirique) à la présence dans la représentation.
Il y dans Vom Wesen des Grundes cette note de Heidegger : « En identifiant le monde-ambiant et le monde, il ne reste aucun espoir de comprendre la transcendance. »
Ce qui revient en fait à incorporer dans la structure même de ce "monde originaire" comme totalité projective l'espoir de le comprendre ; hypostasier ses désirs de cette façon est toujours aussi grandiose que passionnant.

Logiciste, Leopardi ? À propos des apparences et du désir d'authenticité (très nietzschéen, et un peu bathmologique) :

« Les illusions ne peuvent être condamnées, méprisées, pourchassées, que par ceux qui en sont les victimes et par ceux qui croient que le monde est ou puisse être vraiment quelque chose, et quelque chose de beau. Illusion capitale : le demi-philosophe combat donc les illusions précisément parce qu'il en est la victime ; le vrai philosophe les aime et s'en fait l'apôtre parce qu'il en est dépourvu : en général, combattre les illusions est le signe le plus sûr d'une science très imparfaite et d'une illusion notable. »

Zibaldone
Utilisateur anonyme
19 septembre 2010, 17:53   Re : Ainsi la nuit
(Message supprimé à la demande de son auteur)
19 septembre 2010, 20:06   Re : Ah que la vie est belle
Dans un autre domaine :



(Source.)
20 septembre 2010, 04:34   Re : Ah que la vie est belle
» de mon côté, voici ce qui me rend perplexe : comment la présence (et non pas le présent) peut-elle être abordée en tant que re-présentée ?

Ce qui est présent, cher Didier, c'est la représentation elle-même, qui rend présent le représenté.
Je crois que nous serons d'accord à tout le moins sur cette formulation neutre, que la perception rend accessible, c'est à dire présent, le monde environnant — tout en instaurant par là même une distance entre le percept et son objet.
Elle rend ce monde (petit "m", je me méfie maintenant) visible, palpable, odorant, etc., par un processus complexe qui est rien moins qu'évident (le schéma classique lui-même donne encore beaucoup de fil a retordre : stimulation efficace - excitation - sensation - perception), mais enfin, ces qualités sensible et subjectives obtenues en fin de parcours (sans entrer maintenant dans la question épineuse de l'existence des qualia) constituent le monde-pour-nous, et c'est celui-là qui est ainsi "présent".
Permettez-moi de maintenir cette assertion en ce sens : "le contact physique est la perception" ; il ne peut y avoir de contact que si ce qui est touché est rendu par la perception, informant qu'il y a "contact". La sensation brute ("insertion élémentaire dans la régulation du comportement de l'action exercée par le milieu") est dûment sériée, cataloguée, identifiée si possible, pour finalement, chargée de sens à ce niveau — savoir, comment se comporter face à l'objet dont la perception informe, comme présence, de la proximité —, advenir à la conscience.

Je commanderai ce livre qui vous a valu ce beau commentaire, et comment !

P.S.
« Quels sont les faits ? Enfants, nous apprenons à décoder les messages chaotiques auxquels notre environnement nous confronte. Nous apprenons à les filtrer, à ignorer la plupart d'entre eux, et à distinguer ceux qui ont pour nous une importance biologique, soit dans l'immédiat, soit dans un futur auquel nous sommes en train de nous préparer par un processus de maturation.
Apprendre à décoder les messages qui nous parviennent est extrêmement compliqué. Cet apprentissage repose sur des dispositions innées. Nous avons, c'est mon hypothèse, une disposition innée à rapporter ces messages à un système cohérent et partiellement régulier ou ordonné : "la réalité". »

Karl Popper, La Connaissance objective
27 septembre 2010, 09:57   La caverne de Bernard
Citation
Bernard Lombart
Dans un autre domaine :



(Source.)


Peut-être pourrait-on traduire cela en disant que ce que nous voyons nous empêche de voir, nous plongeant dans une sorte de noir visible.
Oui mais...
27 septembre 2010, 12:28   Nuit obscure
Cuanto más alto se suve
tanto menos se entendía
que es la tenebrosa nuve
que a la noche esclarecía
por eso quien la sabía
queda siempre no sabiendo,
toda sciencia trascendiendo.
27 septembre 2010, 13:08   Re : Ah que la vie est belle
J'ai depuis toujours en moi la conviction intime que si dans un autre système planétaire, une planète se trouve habitée d'une vie dont les formes -- y compris les formes humaines -- sont semblables aux nôtres, cette planète présentera un système lunisolaire dont les paramètres physiques - taille des trois corps célestes, distances entre eux - présenteront les proportions qui permettent le phénomène d'éclipse solaire totale. Car ces proportions sont la réplique homothétique des organes internes de l'oeil humain : rayons de courbure du cristallin, du tapis rétinien, distance entre les deux, comme le degré d'écart entre le nerf optique et l'axe du corps humain reproduit, à un degré près, l'angle d'inclinaison de la Terre sur son axe. Les chercheurs de vie hors notre système solaire, au lieu de rechercher la vie en sondant aveuglément cet espace devraient ainsi se mettre à la recherche d'un système planétaire qui présenterait ces ratios, et en faisant le pari que ceux-ci, permettant l'éclipse que montre ce cliché, signalent sur le sol de la "terre", la présence de l'oeil humain.
27 septembre 2010, 14:47   Re : Ah que la vie est belle
En format de film 135mm l'objectif de 55mm correspond à la vision humaine.
Utilisateur anonyme
02 octobre 2010, 11:46   Re : Ah que la vie est belle
(Message supprimé à la demande de son auteur)
03 octobre 2010, 23:18   Re : Ah que la vie est belle
Cher Didier, sur ce point précis : "messages chaotiques" ne fait référence dans ce court extrait qu'à la profusion de signaux de diverses natures (ondes lumineuses, sonores, substances chimiques, etc.) émis par notre environnement, avant que quelques-uns seulement d'entre eux ne soient décodés selon nos modalités perceptives propres, profusion qui avant exploitation et décryptages idoines est censée, par pure vue de l'esprit, constituer un beau fouillis, comme le moindre document chiffré semblerait un pur charabia avant déchiffrement... Vous opposez alors à Popper comme argument un sens différent — essentiel, constitutif et se situant sur un tout autre plan — de celui dans lequel il usait de ce qualificatif de "chaotique", innocent et assez imagé...
Que voulez-vous, dans ce contexte (se situant peut-être à hauteur de l'herbe rase, mais c'est effectivement là son but, rendre compte de la constitution des objets-pour-nous dans le cadre d'une théorie de la connaissance) ces signaux constituent bien des "données" qu'il s'agit de traduire, de retranscrire en une représentation de la réalité qui soit nôtre...

Quelques mots encore sur ce fameux "contact physique" : je ne vais pas avoir l'outrecuidance de faire une leçon de psychophysique au niveau élémentaire qui est le mien, mais enfin tout "contact" de ce type est une sensation tactile, correspondant à une stimulation mécanique de pression et de frôlement qu'exercent des corps plus ou moins solides sur des dispositifs récepteurs (cellules réceptrices), transmettant l'excitation ainsi induite sous forme d'impulsion électrique par les voies nerveuses efférentes ; interrompez le passage de l'influx nerveux et vous n'aurez pas de "contact" avec quoi que ce soit.

Est-il nécessaire, cher Didier, pour parler de la capacité de sentir le contact de tel objet sous votre main, de remonter aux conditions de possibilité de l'apparaître dans son ensemble ?
Pardonnez-moi d'être si prosaïque : je ne puis incorporer l'origine putative de la survenue d'un monde dans l'explication de ce que je tiens pour certain (avec toutes les réserves de rigueur), car j'ignore tout de cette provenance, mais je sais que cette apparence sensorielle est la plus tangible qui puisse m'être offerte. Hypostasier comme fondement ce qui par définition même échappe pour s'assurer de la présence de ce qui est si tangiblement proxime, ce serait presque trop séduisant pour être vrai.
Utilisateur anonyme
04 octobre 2010, 17:41   Re : Ah que la vie est belle
(Message supprimé à la demande de son auteur)
06 octobre 2010, 06:25   Re : Ah que la vie est belle
(Cher Didier, je tiens, à tort peut-être, que nous habitons nos sensations, constituées en une phénoménalité spatio-temporelle. Je ne vois aucun moyen d'être hors d'elles, nous en prenons acte de l'intérieur, elles sont de l'ordre de notre vécu, de notre expérience d'une terre ferme sous nos pieds, de l'air que nous respirons et de la matérialité éprouvée et irréfragable du clavier sur lequel je tape en ce moment même, et tout référencement de celles-ci, sur lequel vous insistez — "serait-ce de l'inconnu, paravent de l'abîme" (ne sont-ils tous deux pareillement insondables ?) — sera théorisation, explication, mise en perspective causale, etc., dont je ne sais rien, sinon qu'on peut en jouer et en filer les conceptions comme de tous les "postulats logico-métaphysiques" qui firent la joie iconoclaste d'un Nietzsche...
Cette nuit mon tachisme est radical, et la pièce éparse du puzzle n'a pas besoin de l'image abstraitement antéposée du tout reconstitué pour être ; c'est même une telle image qui semble fictive, et impossible.
Libre à vous de parler de kantisme plus ou moins bien digéré, ou de facilité, car il est effectivement bien plus aisé de ne se contenter que de l'exiguïté du point de vue, que de s'astreindre à reconstituer en système la monade de toutes les monades...)
06 octobre 2010, 09:35   Re : Ah que la vie est belle
Je suggèrerais un fil spécial : philosophie, réservé à ce genre de passionnant dialogue entre Didier Bourjon et Alain Eytan et qui regrouperait toutes leurs interventions ainsi que d'autres, dans ce domaine.
06 octobre 2010, 10:12   Re : Ah que la vie est belle
Ah moi aussi je suis friand de ce genre de dialogues philosophiques que j'observe de loin et avec respect, afin de ne point déranger les interlocuteurs. Le problème de la représentation est passionnant : c'est le sujet même de la Critique de la raison pure ; "[...] profusion de signaux de diverses natures [...] émis par notre environnement, avant que quelques-uns seulement d'entre eux ne soient décodés selon nos modalités perceptives propres" (Alain Eytan) : si ça, ce n'est pas l'Esthétique transcendantale...
Utilisateur anonyme
06 octobre 2010, 20:17   Re : Ah que la vie est belle
(Message supprimé à la demande de son auteur)
07 octobre 2010, 02:15   Re : Ah que la vie est belle
Oh, cher Didier, mon "libre à vous de..." n'était pas plus sérieux que votre adresse popperienne, et je me joins tout à fait à vous dans ce que vous dites dans votre dernier paragraphe.


» Ce n'est pas à force de "sensation brutes" que quelque chose comme des éléments discernables puis un tout appréhendable "s'organise", pas plus pour le supposé "premier homme" père de l'histoire que pour chaque nouvelle vie. Il y faut une "pré-compréhension", un pré-alable

Non seulement je serais plutôt d'accord avec vous, mais Popper également, en ce sens : ce dernier a vivement critiqué une certaine théorie de l'acquisition des connaissances qu'il a appelée "théorie de l'esprit-seau", qui serait la postulation d'une sorte de table rase cérébrale : « Notre esprit est un seau ; à l'origine, il est vide, ou à peu près ; et des matériaux entrent dans ce seau par l'intermédiaire de nos sens (ou éventuellement à travers un entonnoir pour le remplir par le haut) ; ils s'accumulent et sont digérés. » ; or Popper oppose à cela la conception selon laquelle on n'affronte à aucun moment la réalité en étant vierge de toute disposition et même contenus, mais qu'il existe des "dispositifs innés" de filtrage et de décodage qui opèrent à l'origine un tri parmi les informations susceptible s'être biologiquement "intéressantes" et vitales, et ce qui semble constituer les "donnée immédiates", les fameux sense data, ne sont en définitive que le fruit d'une élaboration résultant d'ébauches de représentations préexistantes qui sont elles confrontées au tribunal de l'expérience, et sont finalement retenues ou invalidées par essai et élimination de l'erreur.
Cela est à rapprocher de la conception de Changeux : « Son cerveau (il est question du "petit d'homme") produit des objets mentaux d'un type particulier que l'on peut appeler préreprésentations, ébauches, schémas, modèles. Ce sont des objets mentaux non stabilisés, des "variations" fluctuantes, qui, c'est l'hypothèse proposée, s'identifient à des états d'activité spontanés, transitoires, de populations de neurones susceptibles de se combiner de manière aléatoire. Les territoires mis à contribution peuvent associer plusieurs modalités sensorielles... [...] Survient ici ce que l'on peut appeler l'épreuve de "vérité" ! L'enfant projette ces représentations sur ce qui l'entoure, d'abord par des actes moteurs, puis plus tard mentalement. Il procède en quelque sorte par essai et erreur...Selon le signal reçu du monde extérieur, la préreprésentation initiale est stabilisée ou non. » (Ce qui nous fait penser, La nature et la règle, Jean-Pierre Changeux, Paul Ricœur)

Bref, toute "sensation brute" est déjà le produit d'un processus fort complexe, et elle n'est de toute façon que la matière non encore dégrossie du"percept", faisant intervenir la mémoire, l'expérience et le langage — grosso modo, quand on vous présente certains canevas recelant plusieurs figures possibles, ce que vous voyez avant d'avoir identifié quoi que ce soit, ce serait une "sensation", et la vision de l'objet arrêté et reconnu, c'est une perception.
Mais ces "dispositifs innés", ces "préreprésentations" sont (peuvent être) le résultat spontané d'une émergence graduée de la complexité dans les différents niveaux d'organisation du réel, relevant donc de l'ontique ; l'ontologie, c'est une autre affaire...
Utilisateur anonyme
07 octobre 2010, 10:19   Re : Ah que la vie est belle
(Message supprimé à la demande de son auteur)
10 octobre 2010, 00:11   Re : Ah que la vie est belle
» On voit bien ici à l'œuvre "Le principe de Raison", (vous qui parliez de monade !), lequel, conformément à son principe, réclame indéfiniment la raison de la raison… et "se perd dans l'itération de son principe"

Concrètement, cela reviendrait à dire que le fait qu'on ne puisse jamais réellement rendre compte d'une cause première dans la chaîne déterminée des phénomènes devrait nous faire renoncer à utiliser le concept de causalité dans notre tentative de leur explication ?
De même que l'universalité supposée du bon vieux syllogisme devrait finalement conduire à évaporation accélérée de son apodicticité par usage répétitif ?
Il y a là quelque chose auquel j'achoppe, c'est le sens précis de cette dissolution dans l'itération du principe concernant les outils de la pensée pour rendre le monde intelligible : car ce qui reconduit à l'infini sans pouvoir en dernier ressort atteindre un fondement ultime, ce ne sont pas les moyens mis en œuvre pour y arriver, qui ne sont d'ailleurs que les seuls disponibles, mais la nature même de la matière investie par eux, c'est à dire en somme le réel, lequel ne se laisse pas si facilement circonvenir.
Utilisateur anonyme
10 octobre 2010, 15:40   Re : Ah que la vie est belle
(Message supprimé à la demande de son auteur)
10 octobre 2010, 17:02   Re : Ah que la vie est belle
Disons, si vous le permettez, cher Alain, qu'en posant la précession des causes sur les effets, cet ordre grossier, on se condamne, dans l'investigation du et sur le réel, à procéder à rebours du réel, à remonter à lui tandis qu'il s'échappe. Cet ordonnancement lui confère sur celui qui se propose d'en maîtriser le mouvement, un regrettable temps d'avance, aussi osées et heureuses en spéculation et ouvertes soient les tentatives de maîtriser son cours. Certains états sont sans causes; leur donné ne s'explique pas autrement que dans un enchevêtrement tendu de sous-états et de macro-états. Il n'est pas d'états inducteurs d'autres états. C'est pour moi un acquis fondamental de la métaphysique orientale, toujours vérifié dans les sciences dures libérées de la causalité. Il y a figures (fractales souvent) et concaténations d'états et sous-états (homothétiques souvent) qui composent des événements qui ne se laissent ni circonscrire ni définir en termes de causalité linéaire -- le phénomène alors, appelle des causes, qui, convoquées par lui, surgissent sans pour autant avoir jamais existé hors de lui -- dépourvues de toutes causes ou de tous phénomènes inducteurs externes.

Le Big Bang est désormais pensable nu de toute cause agissante qui ne serait pas lui. De là il découle que la figure du Big Bang est répétible dans des sous-états cosmiques, infra-moléculaires, quantiques, auxquels l'homme et sa pensée ont accès. Il n'est pas d'anomalie qui ne soit réitérable à priori. Les anomalies, les phénomènes sans cause identifiable adviennent à des degrés de périodicité sur-humainement espacée, qui font croire à leur unicité, à leur accidentalité. Mais il n'en est rien.

La monade leibnizienne rend compte de cela; avec la synchronicité de Jung et tout ce que le savoir oriental (et pour une fois, ne craignons pas de le dire la sagesse orientale) autorise de recoupements réticulaires des phénomènes dont les causes isolables, déclencheuses et anecdotiques doivent être négligées, ces approches du réel permettent de faire sien le réel, de l'apprivoiser avec humilité, d'en construire un mantique qui, pour être irrationnelle (en tout cas non aristotélicienne) et pour avoir tranché les liens et les ligatures de la causalité, s'autorise enfin à prendre la précession sur ses caprices, accidents et développements. J'aime cette approche car elle est compatible avec l'humour.
12 octobre 2010, 00:37   Re : Ah que la vie est belle
» Or, même avec une telle circonspection dans la détermination de ce que nous pouvons savoir, vous ne pouvez faire l'économie du "tout", vous ne pouvez pas ne pas postuler un "a priori" minimal et mal déterminé, vous devez fixer quelque chose, vous évoluez "toujours déjà" au sein de la présence…

Non, pas nécessairement cher Didier, vous avez certainement entendu parler du "holisme épistémologique" de Quine faisant justement l'impasse sur l'idée même de fondement et comparant le savoir à une arche chancelante — "holisme" devant être pris ici non dans le sens d'une totalité quelconque qui soit appréhendée et autant que faire se peut circonscrite, mais d'une interdépendance intrinsèque des éléments d'un savoir dont les énoncés se confrontent à l'expérience non individuellement mais comme un corps organisé (cela veut dire que lorsque qu'on teste expérimentalement certains énoncés d'une théorie, ce qui est en fait mis à l'épreuve n'est pas seulement les énoncés en question, mais toute une série de sous-théories et théories adjacentes qui ont dû implicitement être tenues pour vraies lors de la formulation des seuls énoncés testés) : « Dans une arche, un bloc de faîte est supporté immédiatement par d'autres blocs de faîte et, finalement, par tous les blocs de base collectivement mais par aucun individuellement ; il en est de même des phrases lorsqu'elles sont reliées dans une théorie... » (Le Mot et la chose).
Quant à la "présence", elle ne constitue pas elle-même le savoir, mais bien ce dont il s'agit de rendre compte, de façon nécessairement partielle et fragmentée... Il semble qu'il y ait dans ce que vous dites, mais peut-être me trompé-je, quelque chose de cet argument supposément anti-rationaliste consistant à dire que l'impossibilité effective de réduire la totalité du réel accessible comme phénomène à des schémas réducteurs et explicatifs de façon satisfaisante rendent de fait caduques les domaines où cela est possible. Comme si le fait de ne pas disposer d'un savoir tenu pour avéré concernant le "tout" invaliderait d'emblée toute tentative d'expliquer quelqu'une des parties le constituant.
Mais il est possible, et d'une certaine façon nécessaire, de tenir l'"a-priori minimal" comme immanent à ce dont il émerge puisque, jusqu'à plus ample informé, il n'est nul savoir (je parle d'un savoir expérimentable ou nécessaire) qui fût communiqué par quelque source extérieure au monde.

Un mot sur ces "niveaux d'organisation" du réel, pour préciser ce que j'entendais par là : ils correspondent plus ou moins au découpage qu'opèrent les diverses disciplines à partir desquelles les phénomènes à "expliquer" sont observés et décrits, découpant ainsi le monde en plans successifs de niveaux de complexité, laquelle consiste en fait en l'émergence de "propriétés" inédites n'existant tout simplement pas en tant que telles au niveau inférieur à celui considéré : par exemple, et pardonnez-moi d'être si sommaire et même scolaire (et un peu assommant), l'émergence de propriétés chimiques des molécules par rapport aux propriétés physiques des atomes, de propriétés biologiques des cellules vivantes par rapport aux propriétés des molécules, de propriétés physiologiques et de différentiation des organismes nouvelles par rapport aux propriétés cellulaires, puis psychologiques, puis sociologiques...
Ce fil décidément nous promène un peu partout, puisque me voilà maintenant à citer quelques lignes d'Henri Atlan (À tort et à raison) à propos d'une causalité plus multi-dimensionnelle que celle triviale que vous m'imputez, et cela constitue également une réponse partielle à Francis :
« Le premier point concerne le passage d'un niveau à l'autre tel que les propriétés du niveau intégré sont considérées comme déterminées par celles du niveau lus élémentaire. Ce passage ne peut pas être vu comme un détermination causale simple du même type que les relations de cause à effet dans une chaîne temporelle d'événements se déterminant l'un l'autre à un même niveau d'observation et d'organisation. Il ne peut pas être vu non plus comme une simple relation d'inclusion spatiale des parties dans un tout ; ni comme, à la façon d'Oppenheim et Putnam, une association de ces deux relations, causale et d'inclusion. Comme on l'a vu, la détermination du tout par les parties implique, même dans des machines artificielles, un saut qualitatif avec émergence de propriétés différentes non observables dans les parties, et non descriptibles par une simple association des propriétés de ces parties. »


» Poser un "réel" qui "reconduit à l'infini sans pouvoir en dernier ressort atteindre un fondement ultime" est encore un "établissement" au sein du Monde. Le sans-fond, l'abîme, pourvoie au Monde.

Pour ma part c'est plutôt une constatation, qui je crois ne crée pas en toute circonstance son objet.
En revanche, si le glissement d'étant en étant sans pouvoir jamais remonter jusqu'à un point d'appui produit ce rien qu'est le recul incessant, alors l'abîme est même intérieur au monde, celui-ci pourvoyant à soi-même.

J'aurais encore beaucoup à vous répondre, et me suis probablement un peu égaré, mais cela viendra...
12 octobre 2010, 00:59   Re : Ah que la vie est belle
Mais je ne suis pas en désaccord avec ce que vous dites là, cher Francis. Voyez du reste ma réponse à Didier, concernant le caractère pas si grossier que cela de cette causalité, si d'aventure on insiste un peu pour la vouloir précéder l'effet que supposément elle induit.
Il y a un point que je voudrais préciser, sur ce décalage temporel que vous dites de la décomposition du phénomène en ses "causes" pour pouvoir l'expliquer : c'est, si je puis me permettre, reculer pour mieux sauter.
Car l'"explication" d'un phénomène consiste surtout dans la possibilité de sa reproduction ; savoir quelque chose, c'est en principe être en mesure de le restituer en en ayant déroulé le mécanisme, et c'est ainsi en tout cas que l'on vérifie qu'il y a bien "savoir".
Ainsi, l'on décompose vers l'arrière en causes présumées, pour anticiper l'événement en le suscitant, si cela marche.
Utilisateur anonyme
22 octobre 2010, 17:13   Re : Ah que la vie est belle
(Message supprimé à la demande de son auteur)
26 octobre 2010, 05:02   Re : Ah que la vie est belle
Cher Didier, ce rythme un peu musardant me convient tout à fait...


» Un point d'appui, même inconnu, voire insaisissable reste un point d'appui, un "fondement", un "a priori", serait-ce parce qu'il est nié

Cela rappelle un peu les sectateurs d'une francité d'autant plus française qu'elle ne le serait pas (ou serait plus "universelle", pour reprendre un terme qui vous est cher)... Faire trop peu de cas du principe du tiers exclu me jette un peu dans l'embarras : si p et non-p sont équivalents, ne finirons-nous par parler bien vite ce que Lichtenberg avait appelé "le langage des anges" ?...


» le congédiement de ce dernier, son "vide", organisés grâce à un système entièrement clos sur lui-même et multiplement référentiel, ne permettent pourtant pas de nier toute "donnée"

"Système" est un grand mot, mais il n'est de toute façon absolument pas "clos sur lui-même", puisqu'en est affirmé au contraire le caractère non-achevé, parcellaire et fondamentalement incomplet.
Cela tient de l'intérieur sans qu'aucune limite n'en soit jamais tracée, sinon celle qu'imposent les moyens strictement humains garantissant qu'on puisse rendre compte de la façon dont on le fait tenir. L'être en lui-même est sauf.
Je ne suis pas d'accord avec vous concernant cet "escamotage" de la question du point d'ancrage : dire qu'on laisse la porte ouverte, grande ouverte, ne sachant au reste où elle se situe exactement, ce n'est pas faire passer à l'as la béance, ni la porte ; au contraire, c'est même s'exposer à de forts courants d'air...
L'attitude de Wittgenstein me semble à cet égard assez caractéristique, et encore s'agit-il du "premier", celui du Tractatus, réputé le plus dogmatique : l'isomorphisme absolu postulé entre le monde et le langage (et la pensée) réduit ce monde à la totalité du dicible sensé — le sens étant ce qui satisfait aux conditions de possibilité des occurrences factuelles —, mais cette totalité n'est jamais que "limitée", rejetant hors d'elle, hors du dicible donc, ce qui en constitue la source dont elle n'est qu'une manifestation, une monstration, la logique même, qui elle est "transcendantale".
Or vous savez que nombreux sont ceux qui ont été frappés par les intonations puissamment mystiques de certains passages de l'ouvrage, comme si le tracé de la limite du monde descriptible et dicible — mais la limite n'est ici que limitation — n'avait pour but que de créer une sorte d'appel d'air irresistible, vers ce qui était ainsi méticuleusement tenu à l'écart, à bout de bras, et laissait Wittgenstein lui-même comme suffoqué par le poids de cette absence.
Il était même très porté sur votre "il y a..."...
« Es gibt allerdings Unaussprechliches. Dies zeigt sich, es ist das Mystiche.
Nicht wie die Welt ist, ist das Mystiche, sondern dass sie ist. »

Vous êtes injuste envers Quine, le carollien, souple et multiple créateur du "Gavagaï", lapin putatif et trop lâchement référencé. Celui qui défendit la thèse de l'indétermination fondamentale de la référence des termes que nous employons, autrement dit que nous ne pouvons jamais savoir exactement ce que nous disons, ne pouvait être un dogmatique enfermé dans de suffisantes certitudes.
27 octobre 2010, 00:42   Re : Ah que la vie est belle
» Revenons-y : toute conscience est conscience de… (il me semble qu'avec la phénoménologie vous partagez ce point de vue) : les "choses" comme telles ne sont pas déjà là de telle façon que notre conscience proviendrait de… la conscience en tant que conscience d'icelles !

Puisque vous vous colletez avec cette question considérable, permettez-moi de ne douter de rien et d'être non moins catégorique que votre imputation à pétition de principe : l'apparition de la conscience est concomitante à celle du "sujet", quand l'organisme est confronté à des situations où le choix de l'action ou du comportement idoines requiert "délibération intérieure" entre plusieurs possibilités. La conscience est donc à l'origine nécessité de la constitution d'un espace subjectif de représentations virtuelles.
Je trouve Bergson particulièrement clair à cet égard : « Dans toute l'étendue du règne animal, disions-nous, la conscience apparaît comme proportionnelle à la puissance de choix dont l'être vivant dispose. Elle éclaire la zone de virtualités qui entoure l'acte. Elle mesure l'écart entre ce qui se fait et ce qui pourrait se faire. À l'envisager du dehors, on pourrait donc la prendre pour un simple auxiliaire de l'action, pour une lumière que l'action allume, étincelle fugitive qui jaillirait du frottement de l'action réelle contre les actions possibles. » (L'Évolution créatrice)
Revenant musarder (joli mot qui évoque les musaraignes, les muridés) sur ce fil dont l'intitulé énonce sur la vie une appréciation discutable, je suis tenté de vous relancer, cher Alain, au sujet de ce temps de retard qui serait selon vous un "reculer pour mieux sauter". Je suis tenté de considérer que pareil ressort de la conscience -- recul vers l'amont de l'état constatable et visite des processus de son avènement suivis du bond cognition-action -- est en passe de constituer un luxe dont il va falloir faire l'économie ou, à défaut, qui va nous imposer des bonds de plus en plus démesurés et acrobatiques, de grands jambages historiques. Le sujet avait été évoqué de cette p/crise de la conscience réactionnaire-tardive (I C I) face aux grandes formations abouties dont nous fait la monstration, toujours à postériori, le réel sociologique et politique. Un pays, par exemple, ne change pas, le quotidien est immuable, la vie s'encombre d'accidents, de faits singuliers certes mais que l'ordinarité imperturbée des autres faits s'emploie à rendre insignifiants, jusqu'à ce qu'un tableau général surgisse et que l'image qu'il offre de l'arche (cf. le holisme épistémologique de Quine ou votre citation de l'ouvrage d'Henri Atlan) dans laquelle la concaténation, l'architectonique des étants révèle à l'observation un changement qui peut être jugé irréversible, commande une action immédiate, urgente parce que retardée, retardée parce que de cause et de processus formatifs demeurés occultes. Que faire alors ? Il est trop tard pour que la conscience offusquée démonte l'arche afin d'identifier les processus de son édification, les remèdes, les sérums qui enrayeraient, puis inverseraient l'évolution globale non désirée. Quand tout est en allé et qu'il est trop tard pour tenter de comprendre, si ce n'est pour la beauté du geste cognitif, comment et pourquoi cela est désormais ainsi, le temps de l'action et le temps de la réflexion doivent coïncider car le sujet s'égarerait à s'exposer au réel sans défense pendant tout le temps qu'il s'occuperait à explorer les complexes régimes de causalité multidimensionnels d'un état général survenu à la conscience comme accompli, soit se présentant comme pourvu de caractéristiques neuves, de qualité inédites comme Quine nous le représente dans les pierres faîtières de son arche.

Cela dit prosaïquement: lorsqu'il est trop tard, n'est-il pas toujours vain de vouloir comprendre ou connaître pourquoi ?

Une action politique réflexe, spontanée ou quasi-spontanée, qui offrirait l'intérêt d'infléchir l'état de désastre constaté, généralisé et inexorable par la seule vertu de l'agir, offre le mérite objectif de faire gagner du temps en faisant coïncider temps de l'action et temps de la réflexion. Face à ce qui se présente comme accompli, un bouleversement du travail de la pensée est requis; en effet ce qui s'est accompli à notre insu ne peut être totalement compris de nous quand nous ne nous y reconnaissons aucune part. Se dire, en toute légitimité, que ce qui advient est incompréhensible et que partant, tout effort de son interprétation serait peine perdue d'une part, et injuste perte de temps d'autre part; injuste et inéquitable parce que l'assimilation d'un réel accompli et aliéné à ce qui avait été notre devenir n'appelle de nous aucun effort de cognition particulier pour en assimiler les rouages. Ce point est délicat: il réclame à la conscience de se soustraire à ce qui la sollicite parce qu'il en va de la continuation du sujet. Le sujet, le sujet de l'histoire, pour agir sur ce réel et le rattraper, l'infléchir et lui tordre le coup, doit faire l'économie du recul de conscience dont nous avons parlé (le "reculer pour mieux sauter"). Le sujet aliéné sinon, plus jamais, ne pourra rattraper ce réel. Il faut que la conscience, dans cet état d'aliénation, meure ("se détache" disiez-vous) afin que l'agir lui ramène le réel, le lui restitue interprétable, prévisible dans les prolongements et les effets produits par une intervention de cet ordre libéré du temps de la conscience.

C'est une proposition : face à ce qui, pour être accompli, ne nous cède plus le temps nécessaire de sa compréhension non plus que celui de son assimilation, laquelle du reste ne comporte aucun fondement éthique ("pourquoi vouloir comprendre ce qui nous est étranger ?"), le débrayage de la conscience dans un agir pur devient légitime.

Citation
Alain Eytan
Mais je ne suis pas en désaccord avec ce que vous dites là, cher Francis. Voyez du reste ma réponse à Didier, concernant le caractère pas si grossier que cela de cette causalité, si d'aventure on insiste un peu pour la vouloir précéder l'effet que supposément elle induit.
Il y a un point que je voudrais préciser, sur ce décalage temporel que vous dites de la décomposition du phénomène en ses "causes" pour pouvoir l'expliquer : c'est, si je puis me permettre, reculer pour mieux sauter.
Car l'"explication" d'un phénomène consiste surtout dans la possibilité de sa reproduction ; savoir quelque chose, c'est en principe être en mesure de le restituer en en ayant déroulé le mécanisme, et c'est ainsi en tout cas que l'on vérifie qu'il y a bien "savoir".
Ainsi, l'on décompose vers l'arrière en causes présumées, pour anticiper l'événement en le suscitant, si cela marche.
25 avril 2011, 08:49   Re : Ah que la vie est belle
Cher Francis, l'"agir pur" dont vous parlez est parfaitement légitime dans le cadre qui est le sien ; mais pour peu que vous croyiez à la possibilité d'une connaissance objective du réel, vous ne pouvez tout de même pas subordonner totalement les méthodes et les critères d'icelle (la décomposition du phénomène à étudier en modèle causal fonctionnel est tout de même au fondement de la méthode expérimentale), qui la constituent en tant que telle, à des impératifs politiques, aussi urgents soient-ils.
Est-ce que je me trompe, ou vous semblez dire qu'on en est arrivé à une situation socio-politique telle, qu'il faudrait pour y faire face chambouler complètement toute la méthodologie scientifique traditionnelle ? Ce sont quand même des domaines, des niveaux de réalité différents, et requérant des compétences distinctes...
(Pour ma part, dans la tourmente, je fais mien ce précepte des Feuillets d'Hypnos : "Prévoir en stratège, agir en primitif".)
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