A propos de par ailleurs
Je n’ai pas le Répertoire sous la main, étant loin de chez moi, et je ne me souviens plus de ce que Renaud Camus dit des emplois, conformes au bon usage, permis, admis ou au contraire sinon proscrits, du moins à éviter.
Le fait est que ces emplois ne sont pas tous à rejeter, comme le confirme la consultation de quelques dictionnaires. Par ailleurs est relevé dans toutes les éditions du Dictionnaire de l’Académie française, en 1694 (première édition) : « adverbe de lieu, autre part. C'est la mode de France, mais ailleurs on ne vit pas ainsi ; aller ailleurs ; chercher ailleurs ; venir d'ailleurs ; par tout (comprendre partout) ailleurs ; j’aurai cela d’ailleurs, par ailleurs » ; en 1762, 1798, 1835, 1879 (quatrième, cinquième, sixième, septième édition) : « adverbe de lieu, autre part (en un autre lieu) : La voie dont vous vous servez pour vos lettres, n'est pas sûre, il faut les faire tenir par ailleurs ».
C’est Féraud qui le premier (in Dictionnaire critique de la langue française, 1788) cnote et condamne l’emploi de par ailleurs dans un sens autre que locatif et qui pourrait être dit « argumentatif ou « oppositif » : « Par ailleurs. « On me commande d'aller par ailleurs, c’est-à-dire par un autre chemin » (Voiture) ; « Ils pouvaient difficilement pénétrer dans la Perse par ailleurs » (Montesquieu). Par ailleurs a rapport au lieu, et je pense que Bossuet l’a mal employé dans la phrase suivante : « Elle n’avait aucun besoin de ses grâces, étant pleine par ailleurs » ; et un Auteur très moderne (anonyme) : « Ils croient avoir par ailleurs les plus fortes preuves que, etc. » Autrement dit, ce que récuse Féraud, c’est l’emploi de par ailleurs comme une « locution adverbiale », c’est-à-dire comme un adverbe ; en revanche, ce qu’il accepte, comme les académiciens et Littré (1863-77 : « Par ailleurs, par une autre voie. Il faut faire venir vos lettres par ailleurs »), c’est l’emploi de l’adverbe à sens locatif ailleurs régi par la préposition (de sens locatif aussi) « par », ce groupe ayant le sens de « autre part » ou (passer par ou prendre) « une autre voie », comme chez Commynes : « Toutefois il eut semblables lettres par ailleurs »
La difficulté vient de ce que les académiciens, à compter de 1932-35 (huitième édition du DAF) acceptent, tolèrent, notent, enregistrent comme conforme au bon usage l’emploi de « par ailleurs » comme adverbe ou locution adverbiale et dans un sens adversatif ou oppositif : « locution adverbiale. D'un autre côté, pour un autre motif, par un autre moyen. Je l'ai trouvé très irrité et, par ailleurs, décidé à se retirer ». Il en va de même dans le Trésor de la langue française (1971-94). Les deux emplois sont relevés : « (Connaître, savoir) par ailleurs, par une autre voie, par un autre moyen d'information : Mais l'enfer est une hypothèse bien peu conforme à ce que nous savons par ailleurs de la bonté divine » (RENAN, Souvenirs d'enfance et de jeunesse, 1883) ; et celui de locution adverbiale figée. Deux sous emplois sont même distingués : « Par ailleurs. Synonyme d'un autre côté. a) Loc. adv. de phrase. Indique que l'on mentionne à titre complémentaire et comme en passant, des aspects que l'on n'a pas encore envisagés. Synonyme pour le reste : Helvétius, par ailleurs honnête homme et bon homme, (mot dont on a trop mésusé, et qu'il faut faire revenir à sa première valeur), Helvétius marié, se faisoit amener chaque nuit une nouvelle maîtresse par son valet de chambre, qui les cherchoit, autant qu'il pouvoit, dans la classe honnête du peuple » (CHATEAUBRIAND, Essai sur les Révolutions, 1797) et b) « Loc. adv. portant sur un adjectif ou un participe (emploi que condamne Féraud) indique que la qualité nouvelle exprimée par cet adjectif ou ce participe n'est pas mise en cause par ce qui précède : Odette souhaitait qu'il cultivât des relations si utiles, mais elle était par ailleurs portée à les croire peu chic, depuis qu'elle avait vu passer dans la rue la marquise de Villeparisis en robe de laine noire, avec un bonnet à brides (PROUST, À la recherche du temps perdu, Du côté de chez Swann, 1913) ; Elle est, par ailleurs, trop unie à lui et mon amitié les confond trop pour que cette défense me soit douloureuse (BOUSQUET, Traduit du silence, 1935-1936) ». Cette description est suivie des remarques suivantes : « En tant que loc. adv. figée, par ailleurs n'est enregistrée ni par LITTRÉ, ni par Ac. avant l'édition de 1932. 2. Cette loc. exprime souvent une nuance d'opposition avec l'énoncé qui précède ou qui suit ».
Les académiciens valident dans la neuvième édition du DAF (en cours de publication) les deux emplois jugés recevables en 1932, locatif et oppositif : « Par ailleurs, par une autre voie. Ne passez pas par là : il y a des travaux ; passez par ailleurs. Fig. J'ai su par ailleurs qu'il allait se marier. Loc. adv. Par ailleurs, d'autre part, d'un autre point de vue, pour le reste. C'est une affaire dont, par ailleurs, j'ignore tout ».