En effet, Zarka (est-il parent de cet autre Zarka, Pierre, je crois, qui exerce ou a exercé des responsabilités au PC et à L'Humanité ?), à part la fureur dénonciatrice, n'a développé aucune thèse, si ce n'est celle de Deleuze sur la marchandisation des idées et dont il a résumé un article de quatre ou cinq pages. Son seul mérite est d'avoir "défendu" Gouguenheim, mais dans des termes si peu pertinents (il n'a pas lu le livre, ne se souvenait même pas du titre, n'a pas su en résumer la thèse, il est difficile de tenir Gouguenheim pour un intellectuel) qu'il aurait mieux valu qu'il se taise. Il est capable de rendre sympathiques ceux qu'il attaque, même si ce qu'il éructe est fondé, et de couvrir d'opprobre ceux qu'il défend, bien qu'il soit dans le bon camp.
Le mot
destitution qui fait le titre de son livre est faux, sauf à l'entendre dans le sens que Littré y donne : "action d'ôter à un fonctionnaire sa place". Auquel cas, il dévoile une vérité : depuis un siècle ou deux, ceux qui sont nommés "intellectuels" sont, sinon tous, du moins presque tous, des fonctionnaires (Zarka en premier) et aucun d'eux, sauf Minc (et c'est à son honneur) n'a eu le courage de quitter la fonction publique (et les avantages afférents) pour se faire intellectuels indépendants, vivant de leurs droits d'auteur. Les risques, contrairement à ce que prétend Zarka, pour eux, sont nuls.
La thèse de Minc, dans
Histoire politique des intellectuels, se présente ainsi : au XVIIIe siècle, les intellectuels défendaient la liberté de conscience, de pensée, d'expression, le libre examen : ils étaient tous ou ils auraient tous été dans le bon camp. Au XIXe siècle, ils ont pris parti en faveur de la liberté des peuples, de la République, de l'émancipation des travailleurs - sinon tous (il y avait quelques "intellectuels" d'extrême-droite, paraît-il, à la fin du XIXe siècle), du moins une grande majorité d'entre eux. Au XXe siècle, ils ont choisi le camp du totalitarisme, sauf quelques-uns d'entre eux - Mauriac par exemple.
Minc reconnaît qu'il ne sait pas expliquer pourquoi du juste, des droits, de la liberté, ils ont basculé dans l'injuste, le soutien aux tyrannies, l'asservissement des peuples. Il se contente de constater et d'énoncer un constat, sans jamais se demander si le constat qu'il fait est exact. Et si les intellectuels des XVIIIe et XXe siècles étaient à l'image de ceux du XXe siècle ? Si Voltaire avait été sujet du roi de Prusse, il n'aurait jamais été Voltaire. Comparés à la grande Catherine (tsarine cynique et impitoyable), louis XV et Louis XVI étaient des parangons d'humanité et de modestie. D'Alembert, ayant obtenu l'autorisation de publier L'Encyclopédie, exige de son "protecteur" libéral, M. de Malesherbes qu'il interdise ceux qui critiquent son entreprise. Si l'on lisait vraiment Zola (les trois villes et les quatre évangiles), on serait horrifié des thèses qui sont développées dans ces ouvrages; et encore plus horrifié si l'on s'efforçait de comprendre les thèses sur la transmission héréditaire des tares dont il s'inspire dans les Rougon. Un inventaire exhaustif de toutes les idées ou thèses énoncées par Hugo, Lamartine, Sand, Nerval, Stendhal, Proudhon, Michelet, Marx, Engels (cf. la littérature oubliée du socialisme), Vallès, etc. avec références et citations à l'appui, montrerait, sans avoir vraiment besoin de disserter, que les intellectuels du XXe siècle ne déparent pas dans la galerie de leurs ancêtres...; et que si ceux-ci se sont trompés d'abondance sur le bien, le mal, le juste, le vrai, le faux, etc., ils sont restés fidèles à ce qu'ils ont été programmés à être.