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André Gide et l'islam

Envoyé par Kiran Wilson 
11 octobre 2010, 06:13   André Gide et l'islam
Il y a eu chez Gide, on le sait, une relation de grande proximité et d'empathie pour l'Afrique du Nord et le monde musulman dont témoignent non seulement "L'Immoraliste" et son "Journal", mais aussi de brefs textes peu connus mais très beaux comme "Amyntas" ou "Le Renoncement au Voyage". Or cette empathie ne s'est jamais transformée en fascination, la distance critique s'est toujours maintenue, il n'y a jamais eu non plus de fantasme de conversion ou d'appartenance, et son attrait est toujours resté poétique et érotique, à l'inverse d'un Guénon ou même d'un Montherlant (il y a dans "La Rose des Sables", beau roman au demeurant, quand même pas mal de sottises, il me semble...) ou plus tard d'un François Augiéras. A propos de Guénon justement, Gide, à la fin de sa vie, après l'avoir rencontré (au Maroc, si mes souvenirs sont bons), déclarait à Jean Amrouche combien il se sentait "Européen" (ou "Occidental", je n'ai plus en mémoire les termes exacts) face à lui et à son oeuvre.
Il me semble qu'il y a dans ce regard et cette posture de Gide envers le monde musulman beaucoup à méditer.
A propos de la posture de Gide envers le monde musulman, je puis vous assurer que s'il garda une certaine "distance critique", il fut cependant extrêmement proche de certains de ses membres.
11 octobre 2010, 10:08   Re : André Gide et l'islam
Oui, Jean-Marc, ce n'est pas faux - mais cette distance s'est cependant toujours maintenue, et Gide du reste ne remit jamais en cause le principe de l'Algérie française même s'il s'éleva contre le comportement de certains colons (tout cela dit trop mal et trop vite), de même que lors de son voyage en Afrique avec Marc Allégret, il dénonça les excès du colonialisme et non le colonialisme en soi. Certaines pages du "Retour du Tchad" seraient aujourd'hui impubliables. Je voulais simplement noter ceci : Gide, malgré ses sympathies pour la culture musulmane (qu'il a d'ailleurs connue de façon assez superficielle), est demeuré jusqu'au bout un Européen, un très grand Européen pétri de culture classique (au double sens de l'adjectif : Antiquité et 17ème s. français), et demeure donc pour moi une figure exemplaire. S'il est clair pour lui que les cultures peuvent dialoguer, s'enrichir et se rencontrer (on ne peut pas lire les "Nourritures terrestres" sans savoir qu'elles furent écrites sous la double influence de Nietzsche et de la récente traduction par Mardrus des "Mille et une Nuits"), leur altérité perdure. Gide est un anti-Guénon, et aussi un anti-Pierre Herbart (écrivain de grand talent par ailleurs que ce dernier). Augiéras, que vous connaissez peut-être, rencontra Gide à Taormina peu de tout avant sa mort. A travers ce qu'il en rapporte dans ses souvenirs ("La Trajectoire"), on sent bien qu'ils ne pouvaient pas se comprendre.
11 octobre 2010, 10:52   Re : André Gide et l'islam
Je me souviens d'avoir lu un texte de Gide de retour de Turquie, où il écrit ,en substance, qu'il est désormais sûr que la civilisation française est la meilleure du monde. Malheureusement, je suis incapable de retrouver les références de ce texte dont je certifie l'existence.
11 octobre 2010, 11:30   Re : André Gide et l'islam
Il s'agit, chère Cassandre, des extraits de son Journal relatant un voyage en Turquie avec Henri Ghéon et intitulées "La Marche turque".
En hommage, Cassandre :

Voici : Trop longtemps j'ai pensé, par amour de l'exotisme, par méfiance de l'infatuation chauvine et peut-être par modestie, trop longtemps j'ai cru qu'il y avait plus d'une civilisation, plus d'une culture qui pût prétendre à notre amour et méritât qu'on s'en éprît... A présent je sais que notre civilisation occidentale (j'allais dire : française) est non point seulement la plus belle ; je crois, je sais qu'elle est la seule — oui, celle-même de la Grèce, dont nous sommes les seuls héritiers.

La ponctuation et la typographie sont celles de Gide.
11 octobre 2010, 12:55   Re : André Gide et l'islam
Je me corrige : intitulés (j'avais d'abord écrit : pages). Le regard de Gide sur la Turquie du début du 20ème s. est très sévère et sans aucune complaisance. Au fond, ce qui a séduit Gide en Afrique du Nord, c'est bien moins le monde musulman qu'il y a découvert, que le monde antique qu'il a cru y voir ressuscité, une sorte de "Nouvelle Arcadie" qui aurait rencontré l'univers des Mille et une Nuits.
Je fais des voyages de Gide une lecture moins littéraire.
11 octobre 2010, 13:23   Re : André Gide et l'islam
Je vous entends bien, mais ce n'est nullement contradictoire. Gide allait en Algérie pour y assouvir certains désirs, mais aussi pour s'y inventer un cadre où l'Antiquité et le monde moderne se seraient rencontrés, où l'Orient serait une nouvelle Grèce. Gide a toujours été un grand rêveur un peu déconnecté du réel, les "Cahiers de la Petite Dame" le montrent de façon souvent très drôle ! Quant aux plaisirs en question, ils restaient bien innocents, à tous les sens du terme... Je voulais juste, à travers mon message initial, rappeler qu'il fut un temps pas si lointain où l'altérité des cultures restait une évidence même pour un esprit aussi souple et ouvert que celui de Gide. Quand on est un Héritier, au sens le plus noble du mot, les autres civilisations nourrissent enrichissent, elles ne conduisent pas au renoncement, à l'aveuglement ou à la trahison.
C'est bien hélas tout le problème aujourd'hui : car il n'y a plus guère d'héritiers.
Je partage votre opinion.
11 octobre 2010, 13:37   Re : André Gide et l'islam
Merci beaucoup, cher Jean-Marc.

Je partage aussi votre opinion, cher Kiran Wilson.
Ce n'est pourtant pas faute d'avoir été dupe, comme en témoigne son retour de voyage de l'URSS. Cet aveuglement de Gide face au régime de Moscou renforce encore, me semble-t-il, votre argument.
11 octobre 2010, 16:48   Re : André Gide et l'islam
Trop longtemps j'ai pensé, par amour de l'exotisme, par méfiance de l'infatuation chauvine et peut-être par modestie, trop longtemps j'ai cru qu'il y avait plus d'une civilisation, plus d'une culture qui pût prétendre à notre amour et méritât qu'on s'en éprît... A présent je sais que notre civilisation occidentale (j'allais dire : française) est non point seulement la plus belle ; je crois, je sais qu'elle est la seule — oui, celle-même de la Grèce, dont nous sommes les seuls héritiers.

En écho à Gide, ces lignes de Péguy, ses dernières :
Nos deux hommes [ ie le Juif et le chrétien, Benda et Péguy ] sont mélancoliques. [ ... ]
Comment ne seraient-ils point mélancoliques. Tout ce qu'ils aiment est dangereusement menacé. Souvent ils se demandent, non pas l'un à l'autre, mais chacun à soi-même, si tout n'est pas perdu. Ils voient ce peuple français menacé de toutes parts, trahi de toutes mains, se trahissant soi-même. Or ils savent qu'il n'y a jamais eu que deux réussites dans le monde, et que dans le monde antique ce fut le peuple grec, et que dans le monde moderne ce fut le peuple français. Étant entendu que le peuple juif est et fut et sera toujours une longue race et la race même de la non-réussite et que le peuple romain était destiné à se faire la voûte d'une immense rotonde.
Comment ne seraient-ils point mélancoliques. Ils savent que rien n'est fragile, que rien n'est précaire comme de telles réussites. Ils voient qu'on en a fait une. Et c'est la Grèce. Ils voient qu'on en a fait une autre. Et c'est la France. Ils se demandent d'où il en viendrait jamais une autre. Et ils savent bien que de nulle part il n'en viendrait jamais une autre.
Ces deux réussites, les seules qui se soient jamais produites dans l'histoire du monde, leur paraissent d'un prix infini. Une tendresse anxieuse, dissimulée et comme résignée chez le Juif, (résignée à la dispersion), inexpiable et comme forcenée chez le chrétien, les groupe autour de la culture antique et française comme autour d'une survivance tous les jours plus dangereusement menacée.


Note conjointe sur M. Descartes, Texte posthume (juillet 1914), Pléiade III p. 1288.
Utilisateur anonyme
11 octobre 2010, 17:56   Re : André Gide et l'islam
Citation
Kiran Wilson
Quant aux plaisirs en question, ils restaient bien innocents, à tous les sens du terme...

Ah tiens... Autres temps autres moeurs. Ces plaisirs innocents comme vous dites seraient aujourd'hui rangés dans des catégories juridiques telles que : viol aggravé sur mineur de 15 ans, agressions sexuelles, corruption de mineurs, recours à la prostitution de mineurs de 15 ans et j'en oublie sûrement.
Cette différence d'appréciation moderne, très récente, entre homosexualité sanctifiée et pédérastie diabolique me paraîtrait mériter une analyse plus poussée...
Les plaisirs de Gide ne sont en aucun cas considérés comme innocents aujourd'hui. Ils passent pour des crimes plus abominables que le meurtre et sont sanctionnés à l'avenant. Si ces plaisirs sont innocents, pour nous aujourd'hui, alors il y a beaucoup d'innocents en prison.
12 octobre 2010, 06:47   Re : André Gide et l'islam
Plusieurs remarques, cher M. Beckford :
- tous les partenaires de Gide n'étaient pas des "mineurs de 15 ans", Marc Allégret, le grand amour de sa vie, avait une vingtaine d'années, tout comme Pierre Herbart, merveilleux écrivain plus tard avec "La Ligne de force" ou "L'Age d'or" ;
- avec le mot "innocent", je faisais allusion non à l'âge de ses amants, mais au type de plaisir : sans entrer dans des détails qui ne sont pas à leur place sur ce forum, disons que Gide n'a jamais dépassé le stade de l'onanisme mutuel, ce qui en effet, à l'aune d'autres plaisirs pratiqués dans des lieux spécialisés, est plutôt "innocent" ;
- je suis tout à fait d'accord avec vous : il y a bien un lien, encore qu'obscur, entre l'acceptation sociale de l'homosexualité entre adultes et la répression de la pédérastie ; il y aurait beaucoup à écrire là-dessus, mais le temps me manque pour le moment ; René Scherer, le frère d'Eric Rohmer, a produit à ce sujet des analyses très intéressantes, que je résumerai plus tard ; aujourd'hui encore, de nombreux pas (Pakistan ou Afghanistan) criminalisent l'homosexualité proprement dite alors que la pédérastie y est culturelle ;
- enfin, oui, probablement : il y a des "innocents" en prison comme l'affaire dite d'Outreau nous l'a prouvé ; ce qui de ma part n'implique évidemment aucune approbation de certains comportements réellement criminels.
Utilisateur anonyme
12 octobre 2010, 11:44   Re : André Gide et l'islam
Cher Wilson,

Les mensonges les plus dangereux contiennent une part de vérité.

"tous les partenaires de Gide n'étaient pas des "mineurs de 15 ans", Marc Allégret, le grand amour de sa vie, avait une vingtaine d'années"

C'est le dernier argument en date pour tenter de tirer désespérément Gide du côté de l'homosexualité sacralisée.
La couronne ou l'abîme... En poussant discrètement le bouchon: Gide connaissait la fratrie Allégret depuis toujours. Il a choisi, parmi les frères, le plus beau et le plus durablement juvénile. Leur premier rapport est attesté alors que Marc avait 17 ans (et non 20) et qu'il avait gardé un physique de jeune adolescent imberbe. La puberté était d'ailleurs plus tardive au début du 20ème siècle. Par ailleurs, le fait que certains de ses partenaires aient eu plus de 15 ans ne l'empêcherait pas, aujourd'hui, de rendre des comptes pour tous ceux qui n'avaient pas atteint cet âge et même pour ceux qui avaient entre 15 et 18 ans. En tant que tuteur des Allègret ou touriste sexuel fortuné, il serait considéré comme un corrupteur criminel vis à vis de tout mineur légal.

"Gide n'a jamais dépassé le stade de l'onanisme mutuel, ce qui en effet, à l'aune d'autres plaisirs pratiqués dans des lieux spécialisés, est plutôt "innocent" "

Ah bon ? Il faudrait en parler au législateur qui considère ces actes comme des "agressions sexuelles" et envoie directement leurs auteurs en prison. Par ailleurs, Gide se livrait certainement à la copulation intercrurale.
Quant à ses pratiques orales, nous n'en savons strictement rien (il n'y a pas de dossier pénal).


"ce qui de ma part n'implique évidemment aucune approbation de certains comportements réellement criminels."

Nous sommes bien d'accord. Il faut quand même savoir que les pratiques séductrices vis à vis des mineurs constituent la majorité des infractions sexuelles constatées et réprimées. Les pratiques de Gide sont donc aujourd'hui considérées comme criminelles. L'innocent est uniquement celui qui est accusé à tort, qui n'a commis aucun acte et n'a regardé aucune représentation d'actes.
12 octobre 2010, 20:55   Quoi ???????
« Ce n'est pourtant pas faute d'avoir été dupe, comme en témoigne son retour de voyage de l'URSS. Cet aveuglement de Gide face au régime de Moscou renforce encore, me semble-t-il, votre argument. »
12 octobre 2010, 22:38   Re : Quoi ???????
Grand merci à Renaud Camus de m'ôter d'un doute.
12 octobre 2010, 22:52   Re : Quoi ???????
A moi aussi .
Utilisateur anonyme
12 octobre 2010, 23:03   Re : André Gide et l'islam
Oui, Gide a bien été dupe mais c'est justement son voyage en URSS qui lui a ôté ses illusions.
Il m'avait semblé, à sa lecture -- il y a longtemps -- que le Retour de l'URSS était davantage hostile à Staline que critique du système "idéal"auquel Gide avait cru.

"Qu'il y ait divergence de l'idéal premier, voici qui ne peut être mis en doute. Mais devrons-nous mettre en doute, du même coup, que ce que l'on voulait d'abord fût aussitôt possible. Y a-t-il faillite? ou opportune et indiscutable accommodation à d'imprévues difficultés?" écrit-il dans le Retour.

Et un peu plus loin, ce que l'on peut interpréter comme une réponse: "Dictature de prolétariat nous promettait-on. Nous sommes loin de compte. Oui: dictature, évidemment; mais celle d'un homme, non plus celle des prolétaires unis, des Soviets."

A la relecture, je ne peut m'empêcher de penser comme à l'époque que Gide était revenu déçu plutôt que convaincu de l'impraticabilité du régime soviétique, et qu'il gardera la nostalgie d'une société communautaire idéale.
13 octobre 2010, 06:35   Re : André Gide et l'islam
Que Gide fût si vite revenu des illusions communistes, à l'inverse de son ami Herbart, d'Aragon et de tant d'autres, et ce malgré tout ce que le régime soviétique a pu entreprendre pour le séduire, me paraît remarquable. Qu'il en ait gardé des nostalgies communautaires est peut-être vrai, mais elles furent bien plus évangéliques que politiques, il me semble.
13 octobre 2010, 10:01   Re : André Gide et l'islam
Quant à la remarque de M. (William ?) Beckford sur l'âge du beau Marc au début de sa relation avec Gide, il doit avoir raison, il y a longtemps que je n'ai plus mis le nez dans le Journal : l'oeuvre de Gide, de toute façon, m'a toujours bien plus intéressé que ses frasques garçonnières, et cette fatuité moderne à vouloir faire sans cesse le procès des écrivains d'autrefois à l'aune des valeurs et des lois d'aujourd'hui, ou de tirer de la part obscure ou contestable de leur vie des raisons de ne les plus lire (Balzac antisémite et monarchiste : illisible ! Aragon stalinien : illisible ! Claudel catho intolérant : illisible ! Céline, Morand et Jouhandeau collabos : illisibles ! Gide et Montherlant pédérastes : illisibles ! Sartre suppôt de Moscou : illisible ! etc.), est insupportable. Je crois d'ailleurs qu'il faut lire ce Journal de Gide et sa correspondance avec prudence, et y prendre en compte ce qu'il y avoue mais aussi ce qu'il y cache : mais trêve là-dessus. Ce qui m'eût intéressé fût plutôt l'approfondissement de ce paradoxe, si tant est que c'en soit un : plus une société libéralise la sexualité entre adultes, plus d'autres formes de jouissance se trouvent sévèrement réprimées. Mais je me tais, je me tais.
Utilisateur anonyme
13 octobre 2010, 15:11   Re : André Gide et l'islam
Tiens juste un exemple, tout frais, de ce qu'on peut obtenir quand on rémunère grassement des ONG ou des services de police locaux pour faire du chiffre.
On notera quand même que faute de pédophilie réelle on se rabat sur ce qu'il faut bien appeler des relations tarifées avec mineurs. Pour l'exemple.

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