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Le Kosovo est serbe, comme le Massachussets est américain.

Envoyé par Gérard Rogemi 
J'ai une grande tendresse pour Maurice G. Dantec. Voici sa réaction à la déclaration unilatérale d’indépendance de la province serbe du Kosovo. La version définitive en sera publiée dans la prochaine édition d’Égards.
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February 20, 2008
Le Kosovo est serbe, comme le Massachussets est américain.
Par Maurice G. Dantec

Il arrive très souvent aux nations de commettre des erreurs fatales. Il arrive plus souvent encore aux empires de les commettre au nom de la justice. Tout le monde connaît depuis longtemps mes positions pro-américaines et pourtant hostiles à la religion démocratique, pro-israéliennes et pourtant catholiques, pro-occidentales et pourtant pro-russes, pro-européennes et pourtant anti-bruxelloises. Des positions qui m’ont valu tout le dictionnaire des noms d’oiseaux disponibles dans les magasins de la République, et quelques insultes de cour de récréation de la part du nouveau parolier de la Front-National Académie, surtout depuis que mon dégoût pour le Zéropa-Land bruxellois se double de la volonté affirmée mille fois de voir renaître un Saint Empire Romain susceptible d’unifier pour de bon le continent des indo-européens.

Je ne suis pas à une contradiction près, car le monde que j’observe se déliter lentement est précisément le point nodal de tous ces paradoxes et ce qui s’est passé dimanche dernier au Kosovo en est comme l’aboutissement «post-moderne», ce moment ineffable où la pensée humanitaire a remplacé les fondamentaux millénaires de toute authentique politique.

Les USA et l’Union Européenne n’ont pas joué exactement le même rôle dans cette tragi-comédie onuzienne qui prépare déjà un conflit majeur dans les Balkans d’ici les dix prochaines années.

L’UE est un spectre sans la moindre souveraineté, elle est uniquement capable de s’appuyer sur les fonctionnaires de l’ONU pour produire quoi que ce soit en matière de politique étrangère, autant dire rien.

Les USA sont le premier empire circumterrestre/orbital de l’Histoire, cela fait longtemps qu’ils ont compris que l’Europe ne serait jamais un continent fédéré, cela fait longtemps qu’ils ont compris qu’elle ne ferait jamais un allié vraiment fiable, cela fait longtemps aussi qu’ils savent qu’ils n’ont pas vraiment d’autre choix que de la défendre, y compris contre elle-même.

Et c’est précisément ici que tout s’est joué à la fin du XXe siècle, sur cette ligne de fuite qui à la fois distancie et relie les deux continents de la conquête occidentale. C’est ici, dans la poudrière balkanique multicentenaire que tout a commencé, et que tout finira. Car c’est ici que l’histoire s’est renversée, au cours des dernières années du siècle précédent, c’est ici, dans la seule véritable «Europe» qui existe vraiment, que les aberrations du communisme ont conduit à la folie islamiste, c’est ici que l’Europe institutionnelle a baissé les bras devant les génocides de Milosevic et de sa clique, c’est ici que l’armée américaine a dû prendre la relève du néant, en empêchant de justesse le régime bolchevique de Belgrade de conduire jusqu’au bout sa politique absurde, criminelle et suicidaire de nettoyage ethnique dans la province albanophone. C’est-à-dire la mise en place de tous les éléments nécessaires et suffisants pour que sa séparation soit un jour acclamée comme une «victoire de la démocratie».

Que les Américains soient en train de commettre une erreur historique bien plus grave que celle qui a consisté à aider les combattants afghans antisoviétiques sans trop de discernement ne devrait non seulement échapper à personne, mais plus encore il conviendrait de comprendre que cette erreur n’est que le produit de l’incurie européenne, de son incapacité ontologique à faire régner ses principes, et en particulier ceux de la souveraineté nationale.

Dans le même temps il convient de remarquer certains faits non dénués d’intérêt, au regard de la crise qui vient de s’ouvrir:

Les opinions publiques européennes, et leurs gouvernances, ont majoritairement soutenu les communistes serbes lors de la guerre en ex-Yougoslavie. Cela n’a commencé à changer que vers 1994 et surtout après les abominations de Srebrenica qui, soit dit en passant, ont représenté par la suite un des points clés de la propagande djihadiste diffusée à travers le monde pour susciter des vocations.

De nombreuses manifestations de soutien au régime de Belgrade se sont déroulées dans tout l’Occident, lorsque l’US Air Force bousilla trois chars yougoslaves, deux ponts, une usine, et la moitié d’une centrale électrique en 1999.

La Serboslavie était alors encore aux mains de l’ami des progressistes, notre vieille connaissance, Slobodan Milosevic qui, une fois délogé de son trône et assis sur le banc du TPI, ne tarda pas à mourir juste avant de désigner ses complices, dont certains siégeaient au Tribunal.

Milosevic avait ouvert l’ère de la translation, il la ferma. De l’opposition intra-occidentale démocratie/communisme, en dix ans, le monde se configura selon la nouvelle faille: Occident contre islamisme.

On aurait pu alors penser que la Serbie s’étant délivrée du totalitarisme rouge, en parallèle avec la Russie, une nouvelle unité politico-militaire pouvait surgir des cendres du siècle précédent. On pouvait imaginer une adhésion de tous les «pays de l’Est» à l’OTAN, puis une transformation de l’Alliance en une structure de défense hémisphérique, qui inclurait la Russie.

Mais le communisme et l’islamisme en ont décidé autrement, en se repassant le relais du démoniaque au tournant du siècle.

En obligeant les Américains à intervenir contre son propre pays, en les poussant dans les bras de l’UCK et des partis «démocratiques» du Kosovo, Milosevic ne savait pas ce qu’il faisait, bien sûr, comme tous les petits planteurs de clous de l’Histoire.

Il ignorait qu’il signait l’arrêt de mort de la province historiquement matricielle de sa propre nation, il ignorait qu’à cause de lui, et de sa sorcière, les Serbes seraient marqués au fer rouge du sceau de l’infamie au moment même où, lui et ses complices disparus, l’infamie allait se retourner contre son propre peuple.

Car l’ignorance, même celle des roitelets de république populaire, n’a jamais stoppé la roue implacable de l’histoire, cette roue qui broie tout sur son passage, et qui ne pardonne aucune erreur.

Ainsi, à la lumière de ces événements tragiques, qui marquent officiellement le début de la dislocation de l’Europe, avant même sa fondation, voit-on on mieux comment la France, et ses supplétifs de Zéropa-Land, ont à chaque fois trahi les Serbes quand, dans l’Histoire, ils furent directement menacés par les invasions islamiques ou germaniques, pour ne les soutenir en retour que lorsqu’ils glissaient sur la pente du totalitarisme (lire «progressisme») et du génocide socialisant.

Maintenant que ce peuple s’est libéré des griffes du communisme, le voilà pris dans les rets de la «politique» onuzie, c’est à dire cette époque nouvelle qui a décidé d’exterminer les souverainetés historiques au profit d’un morcelage ethnique pacifié, démocratique, poursuivant paradoxalement la politique des génocidaires communistes, avec d’autres moyens, mais des visées assez semblables: extraire les peuples de leurs matrices historiques, les reconfigurer selon des quotas raciaux et linguistiques, les soumettre aux lois de la «communauté internationale», leur allouer la liberté d’obéir ou d’être punis. 1984 va très vite ressembler à un épisode de la Petite Maison dans la Prairie.

Que les États-Unis, si pointilleux sur la notion de souveraineté nationale, aient pu se faire embarquer par les Zéropéens dans cette misérable farce qui sert à ces derniers à faire oublier, de tous leurs larmoiements humanistes, l’inaction complice dont ils ont fait preuve pendant quatre années pleines lors de la guerre civile yougoslave, montre avec quelle intensité la réversion démonique communisme/islamisme a franchi le mur du siècle.

La roue de l’histoire n’épargne pas les empires dominants, bien au contraire. S’ils oublient qu’ils en sont les serviteurs, les «servo-moteurs», s’ils s’en croient les maîtres tout-puissants, les «ordinateurs», les voilà placés devant la lumière aveuglante de l’absurde, devant l’infernale logique des causalités historiques qu’ils n’ont pas su prévoir. Alors qu’ils sont engagés, à l’échelle du globe, dans une guerre tous azimuts contre l’islamisme radical et, osons le dire, contre la poussée générale de la dé-civilisation islamique, les USA soutiennent les Européens et l’ONU dans cette sinistre première qui voit un pays séparé de son cœur historique par un décret «démocratique» de fonctionnaires non élus.

Jamais, même au cours du terrible XXe siècle, on en était arrivé là. On avait déjà, au prix de quelques guerres mondiales, pulvérisé des empires, comme l’Autriche-Hongrie, ou l’Empire Ottoman, on avait déjà rediscuté le tracé de frontières disputées, on avait accordé subséquemment des pays à ce qui avait été des minorités nationales à l’intérieur de ces grandes structures fédérales, mais on avait jamais encore attenté directement au principe fondateur de la souveraineté politique, et en tout cas on ne l’avait jamais fait en organisant pour ce faire le plus grand «téléthon» humanitaire de l’histoire.

Cette époque, qui s’ouvre comme les cuisses d’une catin au plus offrant, les Américains et les Européens vont devoir la méditer longuement. Les Russes, isolés comme toujours, se sont avérés incapables de retourner la situation en leur faveur. Ils en avaient eu pourtant l’occasion à de nombreuses reprises, depuis 2001. Une alliance bipolaire entre USA et Russie aurait évidemment déverrouillé tout le processus. La Russie est aujourd’hui dans la position de l’Allemagne en 1914 ou en 1939. Où qu’elle se tourne, il n’y a plus que des ennemis, ou des amis peu fiables: Europe occidentale, ex-marches ukrainiennes/biélorusses, Chine, Asie Centrale, Nord-Caucase, Iran, Turquie, Japon, elle n’avait donc pas d’autre choix que de risquer le grand saut transpacifique, en rejoignant le continent nord-américain par le détroit de Béring. Une telle alliance aurait déporté tout l’axe du monde vers un autre avenir que celui qui nous est réservé par l’ONU et ses sbires.

L’affaire du Kosovo se serait réglée par un compromis, une large autonomie de la province, les Serbes n’auraient pas été soumis au joug des terroristes albanais et des bureaucrates de Bruxelles, l’Europe aurait sans doute fini par comprendre qu’il était temps de devenir une grande puissance alliée des deux premières, avec toutes les nations qui la composent, toutes les nations, et dans toute leur intégrité.

Au lieu de cela, nous voyons de nouveau l’Occident se diviser lui-même, se désagréger de l’intérieur, alors que les puissances islamiques s’y introduisent, par l’immigration, la démographie, le terrorisme et l’influence économico-politique.

Les Américains accepteraient-ils une motion, osons dire une directive, venue du grand immeuble de New York, dans laquelle l’État du Massachusetts serait séparé par décret «démocratique» et remis à je ne sais quelle «communauté» arrivée d’où vous voulez et dont la population serait devenue majoritaire? Les Britanniques accepteraient-ils que le nord-est de l’Angleterre soit rattaché au Pakistan? Les Français seront ils d’accord le jour où les communautés arabophones de la région de Marseille demanderont leur indépendance ou leur rattachement au Maghreb? Que feront-ils tous lorsque, de surcroît, ces exigences seront appuyées par les 200 autres États de la «communauté internationale»?

Accepteront-ils de devoir plier devant le vote d’un délégué du Swaziland, du Botswana, du Pérou ou du Turkménistan? Accepteront-ils de voir leur pays se faire émietter au nom de principes «démocratiques» édictés par des personnes qui ne se sont jamais rendues devant les urnes? Accepteront-ils que des pans entiers de leurs territoires soient gérés par des «forces de maintien de la paix» qui serviront à bétonner les séparations et les agrégations ethniques, fatales pour leur nation? Accepteront-ils que leurs millénaires d’histoire soient rayés d’un trait de plume par une Europe qui n’arrive même pas à se faire? Accepteront-ils de voir les islamistes se servir des «droits de l’homme» tout en s’activant pour leur Jihad?

Il va falloir que tout le monde comprenne bien ce qui vient d’être mis en jeu, ce dimanche:

Désormais les constructions politiques humaines créées tout au long de l’histoire – disons les 6000 dernières années écoulées– ne sont plus que des abstractions que la Matrice Supranationale Onuzie a pour fonction de remodeler selon les lois humanitaires qu’elle se charge de concocter.

Les Américains, qui ont appuyé cette folie, ne savent pas qu’ils viennent de créer un précédent extrêmement dangereux pour eux-mêmes.

Aveuglés par les pleurnicheries européennes, sans doute désireux de faire un peu de realpolitik à l’égard des pays musulmans, ayant attendu des années un geste de la Russie, mais n’ayant pas su, en retour, instaurer les conditions d’un vrai dialogue, les Américains ont cru que le Kosovo était albanais et que, probablement, affaiblir la Serbie était de bonne guerre.

Toutes les guerres sont «bonnes», ce n’est pas le problème. Le problème est de savoir qui les déclenche et pourquoi. Détruire les fondations occidentales du concept de souveraineté politique est le geste d’un homme épuisé qui se suicide. De l’Europe, difficile de s’en étonner. D’une nation aussi vigoureuse que les USA, ce n’est compréhensible qu’en fonction de la réversibilité démoniaque qui a fait se déplacer le conflit contre le communisme sur le terrain bien plus général de la guerre totale à l’islamisme. Les deux anciens ennemis s’étaient chacun servi de leur influence dans les pays musulmans, durant la guerre froide. Jusqu’au jour où le mur de Berlin tomba, l’année même où Milosevic commençait à provoquer la crise qui conduirait à la dislocation de la Yougoslavie, précisément au Kosovo. Les anciens ennemis auraient dû devenir amis mais sont restés rivaux. Les anciens alliés ont tous changé de camp, soit pour celui d’en face, soit pour celui du Jihad. Et désormais c’est la civilisation européenne elle-même qui prend la décision mortifère de pulvériser les fondamentaux sur laquelle elle s’est construite.

Constatons la terrifiante nature de la réversibilité qui est en œuvre ici: l’UE n’ayant aucune réelle compétence juridico-politique, ce sera aux nations qui la composent d’approuver ou non la décision unilatérale d’indépendance que cette même «Union» aura pourtant promue. Mieux encore, nous allons très vite constater comment ce sont les pays de tradition jacobine-progressiste, telle la France, qui reconnaîtront ce fait accompli, en dépit du droit international, et les nations de nature fédérative, comme l’Espagne, qui sauront sans doute déceler le piège à temps. En attendant, le crime a été perpétré, et ses responsables continuent de s’en vanter à la télévision, leur sourire d’assassins humanitaires en travers de la face.

Il faudra un jour rappeler à tous ces enfants de putain que même l’Alsace est partie intégrante de la France, eu égard à tous ceux qui sont tombés pour elle et venaient de cette marche rhénane. Il faudra rappeler à tous les cuistres progressistes comment ils ont joliment ondulé du bassin entre le soutien total à la Serbie de Milosevic, quand elle se faisait bombarder par les avions de l’Air Force, et leur appui consensuel au complot islamiste en œuvre aujourd’hui au Kosovo. Il faudra que certains m’expliquent comment on peut à la fois soutenir les Serbes, ce peuple qui se tient droit face à l’envahisseur turc depuis plus de six siècles, et les pathétiques crapules criminelles d’Al Qaeda, dont on sait qu’ils tirent les ficelles de l’Armée de Libération Albanaise. Il faudra que d’autres m’éclairent sur l’incapacité des nations européennes à se regrouper autour d’un projet politique commun, celui d’une véritable union fédérative capable de faire pièce à tous les totalitarismes. Il faudra bien que ces concentrés madréporaires de crasse stupidité, ces agrégats d’inculture instruite devenus géopoliticiens de sous-préfecture, s’expliquent un jour sur leur obstination à ne présenter aux Européens que le choix truqué entre leur Union de jacobins technocrates et… rien.

Et puis, bien sûr, je ne manquerais pas de questionner mes amis américains, qui croient naïvement soutenir un projet «démocratique» d’indépendance nationale, sur leur réaction possible si j’évoquais la séparation immédiate d’un des 50 États de leur fédération, par un vote de l’ONU. Je serais le premier à leur expliquer que le Kosovo est serbe, comme le Massachusetts est américain. Comme la Moskova est russe. Comme la Saxe est allemande. Comme l’Île-de-France est française.

Je suis sûr que beaucoup se mettront à comprendre en quoi ils se sont fourvoyés. Évidemment, je leur dirais aussi en quoi il est désormais trop tard.
Montréal – le mardi 19 février 2008 –

La Source
« Les Américains accepteraient-ils une motion, osons dire une directive, venue du grand immeuble de New York, dans laquelle l’État du Massachusetts serait séparé par décret "démocratique" et remis à je ne sais quelle "communauté" arrivée d’où vous voulez et dont la population serait devenue majoritaire? Les Britanniques accepteraient-ils que le nord-est de l’Angleterre soit rattaché au Pakistan ? Les Français seront ils d’accord le jour où les communautés arabophones de la région de Marseille demanderont leur indépendance ou leur rattachement au Maghreb ? Que feront-ils tous lorsque, de surcroît, ces exigences seront appuyées par les 200 autres États de la "communauté internationale " ? »
20 février 2008, 15:04   Il y a un problème
C'est ainsi que Maître Floriot assurait la transition quand, dans sa plaidoirie, il démontait ce que venait de dire le parquet.

Il reprenait toujours les idées du parquet, faisant mine d'y acquiescer.


M. Dantec nous dit des choses très intéressantes, et le centre de sa démonstration est ici :

Les Américains accepteraient-ils une motion, osons dire une directive, venue du grand immeuble de New York, dans laquelle l’État du Massachusetts serait séparé par décret «démocratique» et remis à je ne sais quelle «communauté» arrivée d’où vous voulez et dont la population serait devenue majoritaire? Les Britanniques accepteraient-ils que le nord-est de l’Angleterre soit rattaché au Pakistan? Les Français seront ils d’accord le jour où les communautés arabophones de la région de Marseille demanderont leur indépendance ou leur rattachement au Maghreb? Que feront-ils tous lorsque, de surcroît, ces exigences seront appuyées par les 200 autres États de la «communauté internationale»?



C'est très bien trouvé. Seulement, il y a un problème.

Que le Kosovo soit historiquement serbe, nul ne le conteste, de même que nul ne contestera que Bratislava a été la capitale de la Hongrie, et Rio celle du Portugal.

Cela étant, il ne viendrait à l'esprit ni des Portugais, ni des Hongrois de revendiquer ces villes.

En ce qui concerne le Kosovo, il ne s'agit pas d'une province sur laquelle des hordes d'immigrés auraient brusquement fondu. Il s'agit d'un territoire qui héberge une population rurale majoritairement albanaise depuis des siècles.

M. Dantec semble ignorer que la bataille du "Champ des merles" a eu lieu il y a presque sept cents ans, et que la résistance la plus nette aux Ottomans durant les Temps modernes fut le fait des Albanais catholiques du Kosovo (voici un lien à propos d'un personnage peu connu, Pierre Bogdani, qui vous intéressera peut-être :

[en.wikipedia.org]), de même que Skanderbeg souleva l'Albanie.

Pour ajouter à la complexité de la chose, notez que la moitié occidentale du Kosovo se nomme la Dukadjine, et est la patrie de Lek Dukadjin, auteur du Kanun et adversaire des Ottomans.


[en.wikipedia.org]



On ne peut donc comparer les Albanais du Kosovo aux allogènes d'Europe qui incendient nos cités. Pour ce qui est de la "large autonomie" qu'évoque M. Dantec, je ne vois pas de quoi il peut s'agir.
20 février 2008, 15:11   Croisement
Bien cher Maître,


Nous venons de nous croiser.

Le problème avec ces prises de position, du style de celle de M. Dantec, c'est qu'elles sont de même nature que celle des "gauchistes bêlants". Il y a là un aveuglement qui consiste à voir la patte de l'islamisme dans tout, comme autrefois la gauche voyait la CIA partout.

Que la majorité des Kosovars soient musulmans, c'est vrai. Mais que les combats enre Albanais et Serbes durent depuis des siècles, c'est vrai aussi.

Les Serbes, depuis trente ans, ont voulu l'épreuve de force, et non le statu quo : au nom de la "légitimité historique" ils ont poussé à une "solution nette". Il se trouve qu'elle est nette, mais pas dans leur sens.
20 février 2008, 15:14   Quel style !
Quand je lis :

En attendant, le crime a été perpétré, et ses responsables continuent de s’en vanter à la télévision, leur sourire d’assassins humanitaires en travers de la face.

Il faudra un jour rappeler à tous ces enfants de putain que même l’Alsace est partie intégrante de la France, eu égard à tous ceux qui sont tombés pour elle et venaient de cette marche rhénane. Il faudra rappeler à tous les cuistres progressistes comment ils ont joliment ondulé du bassin entre le soutien total à la Serbie de Milosevic, quand elle se faisait bombarder par les avions de l’Air Force.



Je crois retrouver Vishinsky. On ne peut pas insulter les gens comme cela.
La reconnaissance par les Etats-Unis de l'indépendance du Kosovo ne constitue pas une erreur. Au contraire. Cette décision est conforme à une vision stratégique, exposée clairement par Zbigniew Brzezinsky dans son livre "Le grand échiquier", qui vise à refouler la puissance russe, ici en l'occurrence de l'aire balkanique, et la repousser le plus loin possible dans son hinterland asiatique. Avec l'avènement du petit Etat proaméricain et l'affaiblissement du dernier allié de la Russie dans la région, la Serbie, les USA viennent de remporter une grande victoire géopolitique. En outre, l'éclatement programmé de la Macédoine et le chaos à venir affaiblira sans nul doute une Europe qu'il s'agit pour les USA de maintenir dans la vassalité et l'impuissance. Surtout à l'heure où l'euro commence à concurrencer sérieusement le dollar.
Sinon sur la question "albanaise", cet article n'est qu'un tissu d'âneries. L'UCK n'est pas une création d'Al Qaïda mais de groupes marxiste-léninistes "envéristes" (partisans de Enver Hodja, le satrape stalinien de l'Albanie). Et son influence à la fin des années 90 est liée à la répression inouïe menée par Milosevic contre le mouvement non violent de Ibrahim Rugova (l'in-nocent), qui poussa des milliers de jeunes Albanais dans la lutte armée.
Citation
Les Serbes, depuis trente ans, ont voulu l'épreuve de force, et non le statu quo : au nom de la "légitimité historique" ils ont poussé à une "solution nette". Il se trouve qu'elle est nette, mais pas dans leur sens.
Vous me surprenez un peu, Cher Jmarc, car il me semble que êtes la victime de l'outrancière propagande anti-serbe (assez bien démontrée par plusieurs journalistes dont Stanko Cerovic dans un livre qui vous prend aux tripes "Dans les griffes des humanistes").

D'ailleurs vous savez aussi bien que moi que sans l'intervention armée de l'OTAN et la présence de ses forces armées sur place depuis 1999 jamais le Kosovo n'aurait pu déclarer son indépendance.

Le plus caustique (on devrait en pleurer) c'est qu'au nom d'une politique anti nettoyage ethnique l'OTAN a contribué à chasser toutes les populations non-albanaises du Kosovo.

La Serbie est, d'ailleurs, de ce point de vue un pays véritablement multi-ethnique puisque sur son territoire (hors-Kosovo) un demi-million de kosovars y vivent en bonne entente avec les serbes.

Le chemin de l'enfer est pavé de bonnes intentions!
Utilisateur anonyme
20 février 2008, 15:46   Re : Croisement
Je partage entièrement le point de vue de Jmarc. Voici par exemple ce qu'écrivait Dantec en 1999 dans son journal Le Théâtre des opérations :

"Ainsi, c’est à Sarajevo qu’en juin 1914 les Serbes mirent l’Europe à feu et à sang pour récupérer l’équivalent de deux départements français, et au passage avaler quelques peuples « frères ».
La fondation même de l’Etat yougoslave est un acte criminel, né du crime génitif de l’Europe du vingtième siècle.
Voilà pourquoi Milosevic propage le nettoyage ethnique en toute impunité au cœur du continent depuis dix ans. Voilà pourquoi Sarajevo et la question du Kosovo sont au cœur du problème européen, en même temps qu’elles marquent les deux termes du siècle, dans le chaos sanglant de la guerre."

Et plus loin :

"J’apprends par les nouvelles que la ville de Sherbrooke, au Québec, va accueillir un petit millier de réfugiés kosovars, constitués bien sûr aux trois quarts de femmes et d’enfants, et qu’en retour la communauté serbe locale a décidé de fuir la ville. Les Serbes ont la conscience tellement lourde qu’ils sont effrayés par une poignée d’enfants dans les yeux desquels, sans doute, ils auraient pu voir les spectres de toutes leurs victimes."

Il est vraiment lassant de voir ces prophètes de pacotille défendre avec la même fougue et le même aplomb une thèse et son contraire au gré de leurs successives "révélations"...
Cher Alexis,

C'est vrai que Dantec a écrit dans ses livres-fleuves pas mal de conneries mais au vu du nombre de pages rédigées c'était inévitable. Rien que sa trilogie "Le Théâtre des Opérations" comporte 2092 pages.

Par ailleurs ses livres recélent des trésors à découvrir...
20 février 2008, 16:54   Re : Croisement
Il est vrai également qu'il est très facile, sur un sujet pareil, de changer d'avis. L'avis que l'on a, le camp que l'on défend, dépend le plus souvent du protagoniste avec lequel on se trouve en état d'empathie ; il suffit d'entendre le récit d'une atrocité particulièrement insupportable commise par le protagoniste en question - et Dieu sait qu'il n'en manque pas d'un côté comme de l'autre - pour voir son empathie changer et avec elle, assez souvent, son avis.
20 février 2008, 17:09   Re : Croisement
Et puis, cher Rogemi, convenez que la référence à l'Etat du Massachussets est malheureuse. Selon les critères en vigueur chez les nationalistes serbes, l'Etat en question n'est bien sûr pas américain mais iroquois. Iroquois jusqu'au jour où des immigrants chrétiens venus d'Europe envahirent cette maheureuse contrée.
Sacré, M. Petit-Détour, toujours aussi coupeur de cheveux en quatre.

A partir de quel moment historique peut on considérer avoir des droits irrévocables sur un territoire ?

Les malheureux iroquois (ceux qui vivent encore dans le Massachussets) eux-aussi sont venus de Thailande ou d'Asie il y a quelques centaines d'années et ils ont remplacé une peuplade entre-temps disparue.

Comme dirait Eric Zemmour: "L'histoire de l'humanité c'est l'histoire des colonisations".
Eh oui, cher ami, à partir de quel moment ? (Je vous fais respectueusement remarquer en passant que vous n'avez pas respecté l'espace fine insécable entre le "e" de "territoire" et le point d'interrogation. Les règles ortho-typographiques sont donc violées. Le contrat social rompu. Corrigez vite l'erreur avant que Plieux ne s'en aperçoive).
Tout cela pour dire que pour répondre à Dantec, on eût pu écrire : Le Kosovo est albanais comme le Massachussets est iroquois.
Très cher M. Petit-Détour,

Décidement vous avez l'esprit de contradiction car en général les progressistes de votre trempe sont pro-serbes et anti-américains.

Il suffit donc que Dantec - une de vos bêtes noires - prenne des positions anti-albanaises/kosovars pour que , en un salto arrière, vous vous retrouviez du côté de l'OTAN.

J'adore votre sens de l'humour ...
Cher ami,
je vais très vite car ma douce m'appelle :
il y a longtemps que je suis plus progressiste.
Je n'ai jamais soutenu l'OTAN.
J'ai éprouvé de la sympathie pour la résistance nationale albanaise à l'époque de Rugova.
Je déplore les violences commises à l'égard des Serbes du Kosovo et arbore le badge "Touche pas à mon monastère".
Dantec n'est pas ma bête noire. Ce n'est pas ma tasse de thé non plus : l'enflure bernanosso-bloyenne m'a vite lassé.

PS : Et la correction ?
Et la vallée de l'Indus, le cœur immémorial de l'Inde...
Citation
Et la vallée de l'Indus, le cœur immémorial de l'Inde...
Ah, Cher Bernard, si on commence à faire la liste de toutes les nettoyages ethniques qui ont eu lieu depuis 100 ans celle-ci va s'avérer être très longue, très douloureuse et avant tout très sanglante.
Le Dantec, grand bavasseur géopolitique, généreux-politique, me fait penser à un Bernanos adolescent, une sorte de jeune curé furieux et séduisant qui, le col remonté et clos, démultiplie les outrances et les prises de bec avec le ciel sans se soucier une seconde de tout ce que cette faconde a de déchet.

L’Europe tend à exister, à protéger les petits uns et les petits autres, à financer les régions et les ambitions locales, et, à force de grands principes, concurremment à cette œuvre locale systématique, souterraine et de taille continentale, à concurrencer et à dissoudre les Etats souverains qui la «portèrent sur les fonds baptismaux » comme on disait encore quand Le Dantec jouait aux billes.

D’où le Kosovo. En effet, quand la chrysalide se forme, la nymphe se dissout, le corps intérieur de la chrysalide désagrège ses parts et se liquéfie: les nations se brisent en nécessaires miettes, en chapelure, en pâte, laquelle remplira la grande chrysalide européenne refaite dans ses constituants. C’est ainsi que se regénère le monde naturel : c’est la jeune et grande miss Europe qui fait naître le Kosovo, peuplé de gens à vision européenne, neuve, calculatrice au-delà de tout, et calculatrice au-delà de l’Amérique même, mère que ces gens vont niquer à la première occasion.

Les vieux états-nations sont refaits, Espagne, Serbie, Royaume-Uni, France, tout ça va passer à la charcuterie, à la moulinette pour se refaire pâte à construire, à remplir la nouvelle coque européenne, nouvelle souveraine, vide, dure et préformée. Les Kosovars, gens modernes et au fait du monde, l’ont bien compris. Ils ont vingt, peut-être trente ans d’avance sur les Bretons, les Catalans, les Flamants, les Gallois ; et toute cette chapelure pâteuse de nouveaux émancipés qui trépigne et bondit dans le Grand Corps Européen donnera la matière nouvelle dont la Coque Européenne a besoin pour tout refaire et constituer la molle et liquide chair qui la remplira ; et surtout, surtout, cette brisure vient au monde pour supplanter, faire oublier les Etats-Nations faillis, coupables des guerres et des shoas-chaos que la conscience du monde cultive pour notre bien : l’Allemagne, morte avant que d’avoir su être vieille, l’Italie, la France, l’Espagne, et le Royaume Uni, vieillard déchu, dubitatif et impuissant, lui-même rempli de toute la jeunesse du monde accueillie, déculturée et démembrée de ses âmes.
J'insiste sur le mot "cœur"... Il ne s'agit pas de n'importe quel petit irrédentisme qui démange de temps en temps, et je trouve qu'il est parfaitement d'actualité, étant donné ce qui se passe actuellement au Pakistan, et dont nous n'avons pas encore parlé ici...

Quand l'Inde a-t-elle perdu le lieu de sa naissance culturelle historique ?
Pas en 1948, je pense...
Utilisateur anonyme
20 février 2008, 19:03   Re : Dantec et le Kosovo
Toujours à propos du Kosovo, voici quelques autres extraits du Théâtre des opérations de Dantec (ils datent de 1999) :

"Nouvelles manifestations anti-Otan à Montréal. Une poignée de Chinois employés par leurs consulats et les triades locales, quelques Grecs qui comme leurs congénères restés au pays ont tristement oublié jusqu’aux mots Europe et démocratie (dont ils furent pourtant les concepteurs), un groupuscule de Serbes qui feraient mieux de se terrer de honte dans quelque sous-sol de la ville, et les habituels bons et gras pacifistes nord-américains qui, drapés dans leur bonne conscience anti-impérialiste, défilent sans vergogne sous les drapeaux rouges et yougoslaves. Conservons soigneusement ces images pour les générations futures, soyons prêts à les ressortir quand le jour du Jugement sera venu. Lorsque les crimes de guerre serbes commis au Kosovo s’étaleront en première page de tous les journaux de la planète, et qu’il s’agira de rendre des comptes."

"Que les choses soient bien claires : chaque enfant serbe qui meurt sous les bombes alliées est à mettre au compte de Milosevic et de sa clique. Il doit selon moi être également jugé pour ces morts-là, pour les victimes serbes de sa propre folie. Comme Hitler l’aurait été pour toutes les victimes de la Seconde guerre mondiale, y compris allemandes.
L’incroyable démission de la gauche « radicale » occidentale est à la mesure de ses errements passés. Antilibérale et anti-occidentale par passion, socialiste et étatique par conviction, nihiliste et humanitaire de religion, elle se vautre désormais dans la fange nationaliste panserbe, sans voir qu’elle s’y engloutit à jamais, et qu’elle disparaîtra donc avec elle, quand le feu du napalm aura tout calciné."

"Les « nationalistes » corses sont à peu près aussi aptes à édifier une « nation » corse que les Serbes l’ont été à bâtir la leur. Préparez l’aviation."

"2 juin, onzième semaine de bombardements. D’après une amie serbe de Richard, le pays a été renvoyé au Moyen Âge. Milosevic et ses sbires auraient dû s’en douter, s’ils étaient dotés d’un quelconque organe de la pensée : rallumer les ancestrales guerres balkaniques, réentreprendre la bataille du Kosovo perdue six siècles auparavant en plein cœur d’une Europe encore embryonnaire à l’orée du troisième millénaire produit son lot de conséquences, qu’on pourrait rassembler sous le terme « loi de la boîte de Pandore », ou loi de l’effet boomerang."

"Jour 72. Milosevic a plié. Décidé de me faire tatouer l’étoile des vents de l’Organisation atlantique sur l’épaule. Un peu d’encre sur un morceau de peau pour le prix d’une bouteille de champagne millésimée. Luxe incroyable d’une biopolitique du pauvre."
Le Dantec est un BHL de droite: pense pas, déblatère, ferme son petit col dressé comme l'autre se dépoitraille et étale la virilité amidonnée de ses clairs chemisiers. Même type, même fruit médiatique dont Le Dantec serait la version noir-et-blanc. Les lunettes noires du Canadien font le même petit "hello" au public que le col blanc de l'autre déboutonné. Leurs pensées se complètent, s'amusent l'une l'autre, se prennent le bras comme au menuet.
Utilisateur anonyme
20 février 2008, 19:14   Re : Le Kosovo est serbe, comme le Massachussets est américain.
Cher Francis, je partage votre point de vue, mais nous parlons de Maurice G. Dantec, et non pas Le Dantec...
M. Mache dit peut-être Le Dantec (avec majuscule en début de phrase...) comme d'autres la Callas ou la Ponte ?
Ah voui, vous avez raison Alexis, Maurice Dantec alors. Je me suis encore emporté, excusez-moi. Le Dantec, c'est une autre époque, quand mon petit Maurice jouait aux billes et entrait en sixième...
C'est M. Marche, M. Camus. Merci.
20 février 2008, 19:50   Question
Eh les amis si je ne me trompe pas le dénommé M. Francis Marche n'est autre que Francis TBM ou Nagasakhyères.

Allez M. Marche dites-nous tout!
20 février 2008, 20:22   Re : Question
Ah ! il serait temps de s'en apercevoir, M. Rogémi ! Vous dormiez ? Vous êtes amoureux ? Un dîner trop riche ?
J'en remets une petite couche, puis je me tais, promis Rogemi.
Cet enregistrement a été pris dans la rue à Marseille en 2058.

(Corrigé Marseilles en Marseille... Je le dis pour la suite...)
Utilisateur anonyme
20 février 2008, 20:38   Re : Le Kosovo est serbe, comme le Massachussets est américain.
(Message supprimé à la demande de son auteur)
20 février 2008, 20:46   La Crise du transformisme
Marche, Marche, Marche, que Le Marche me pardonne.
20 février 2008, 20:49   Lombartistan
Marseilles ? C'est en Angleterre ?
Ah zut, je voulais remplacer Marseille (sans "s", merci !), un peu provoquant, par Amsterdam... Trop tard !
20 février 2008, 21:36   Re : Question
Pour ça, faut demander à JF, M. Rogemi, c'est lui qui s'occupe de ces choses.
Ce sont les Flamands, M. Marche. Merci.
Utilisateur anonyme
20 février 2008, 22:34   Re prophète de pacotille
"Il est vraiment lassant de voir ces prophètes de pacotille défendre avec la même fougue et le même aplomb une thèse et son contraire au gré de leurs successives "révélations"..."

Oui, prophète de pacotille, c'est excellent.

D'ailleurs ce Mr Dantec me fait penser à un autre de ces "imprécateurs" chers à M. Rogémi. Par chance, ses talentueux contradicteurs sont de retour. De beaux débats en perspective ! Mais courtois pendant combien de temps ?
20 février 2008, 23:54   Re : Question
Il est 23 h 45 et je reviens du cinéma où je viens de voir un film que l'on m'avait chaudement recommandé La guerre selon Charlie Wilson de Mike Nichols. Autant dire qu'il s'agit d'une histoire à dormir debout. Assez divertissant mais sans plus.

Oui vous avez raison Mr. Goux je suis ces derniers temps un peu lent à la détente. C'est la longue interruption du forum qui m'a déstabilisé.
20 février 2008, 23:59   Re : Re prophète de pacotille
Citation
Oui, prophète de pacotille, c'est excellent
Attention M. Corto le fayotage sera, à l'avenir, sévèrement puni!
Citation
Quand l'Inde a-t-elle perdu le lieu de sa naissance culturelle historique ?

Mince, Cher Bernard, ne tournez pas autour du pot et parlez-nous plus longuement de la vallée de l'Indus et des malheurs de l'Inde envahie par les conquérants musulmans...
21 février 2008, 07:34   Courtois pour combien de temps
Mon coin de cerveau gauche a dû broncher une milliseconde, se souvenant que logeait là une vieille difficulté, avant que l'index droit ne tombe sur la mauvaise touche, Mme Aline. Aline quoi déjà?

Sinon, Mme Aline, hormis la douloureuse question du d et du t, qu'en pensez-vous, du fait que l'Europe brise les masses des Etats-nations qui la formèrent en promouvant leurs régions, et que, de ce processus, il ressorte une nouvelle différentiation, savoir que l'Etat-nation supra-ethnique ou tout simplement non ethnique comme la France ou l'Espagne se trouve en voie d'effacement au profit d'entités romantico-ethnique (bataille du champ-des-merles, etc.) pures appelées à remplir un exosquelette européen tout idéel dans son bleu roi et sous sa couronne d'étoiles.

Pensez-vous que cette dés-intégration des Etats-nations soient l'accompagnement ou le mobile de cette nouvelle différentiation hermonégino-cratylienne entre la chair ethnique et l'idéel européen qui se charge de la contenir?
Utilisateur anonyme
21 février 2008, 08:07   Re : Le Kosovo est serbe, comme le Massachussets est américain.
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Cher Didier,

Les deux premiers liens (que je connaissais d'ailleurs) sont clairement pro-albanais.

Comment se fait-il qu'il y ait sur le territoire du Kosovo autant de monastères et d'eglises orthodoxes dont la construction date souvent du onzieme ou douzieme siecle alors que les albanais auraient toujours été chez eux dans cette province.
Utilisateur anonyme
21 février 2008, 09:21   Re : Le Kosovo est serbe, comme le Massachussets est américain.
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Cher Didier,

Sur le contenu du communiqué n° 574 il n'y a rien à redire.

A propos des positions des uns et des autres (sur ce forum d'ailleurs aussi bien que dans l'opinion publique ou les MSM) on peut s'étonner de ce besoin constant de vouloir simplifier les problémes les plus complexes et de diviser le monde en bons et méchants.

Par exemple on nous a rarement dit que l'Albanie fut un allié fidèle du troisième reich et que deux divisions SS musulmanes ont été constituées avec des albanais originaires de Bosnie, du Kosovo et d'Albanie.

Que le monde musulman adorait Hitler et qu'après 1945 pendant des décennies tout allemand se rendant dans les pays arabes y était recu comme un demi-dieu.

Je ne compte plus le nombre d'amis allemands me rapportant leur malaise lors de voyages au Maghreb ou au Proche-orient devant une hospitalité aussi lourdement connectée aux évenements ayant eu lieu entre 1933 et 1945.
» Mince, Cher Bernard, ne tournez pas autour du pot

Cher Rogemi, soyez libre d'ironiser quand je fais allusion à l'Inde, pays qui, en effet, m'intéresse beaucoup. Nous nous connaissons depuis assez longtemps pour pouvoir nous taquiner sans offense. J'ai connu quelqu'un qui se moquait aussi gentiment de moi sur ce chapitre, et je le comprenais fort bien : il avait perdu une petite amie dans un ashram... Cela l'apprendra à tournicoter autour des religions interlopes.

Mon idée est que l'Inde avait perdu la vallée de l'Indus bien avant la partition, comme la Serbie a perdu le Kosovo bien avant son indépendance autoproclamée et encouragée. Il est évidemment beaucoup trop tard pour revenir en arrière, le pays est conquis par les Albanais depuis belle lurette. Et les interventions nationalistes agressives de Milosevic n'ont évidemment rien arrangé, rendant le phénomène d'autant plus irréversible. Si ton bras est cause de péché, dit l'Évangile, coupe-le et jette-le loin de toi ! Et tant pis si la Serbie y laisse une partie de sa mythologie, qu'elle peut toujours garder précieusement dans sa mémoire.

Ce sera peut-être le cas de Marseille ou d'Amsterdam dans un demi-siècle, surtout si l'Albanie et la Turquie religieuse rejoignent la communauté économique de la Grande Europe : les déclarations indécentes du Fou de Lybie, à cet égard, n'étaient probablement pas totalement infondées...

Je vous signale la chronique d'Alexandre Adler, ce matin sur France Culture, qui donne un point de vue que je trouve assez original sur les événements du Pakistan.

Je me souviens d'une émission d'Arte, qui comportait une longue entrevue de Musharraf. Je trouvais cet homme d'un bon sens à toute épreuve. L'interview se prolongeait par celle de ses adversaires, qui me faisaient froid dans le dos par leur imbécillité butée, nourrie par une interprétation littérale du Coran. Ils ont d'ailleurs mis fin à l'entrevue, au moment où l'on abordait le statut de la femme (le journaliste était une femme), en se levant tous ensemble, probablement sur un signe imperceptible de leur doyen...
Citation
Nous nous connaissons depuis assez longtemps pour pouvoir nous taquiner sans offense

Sans aucun doute, cher Bernard, mais nombreux sont les liseurs de cette assemblée qui aimeraient pouvoir bénéficier de vos lectures, de vos lumières sur l'inde qui est un continent, une civilisation que la plupart n'entre nous connaissent mal.
21 février 2008, 15:11   Re : Courtois pour combien de temps
"Sinon, Mme Aline, hormis la douloureuse question du d et du t, qu'en pensez-vous, du fait que l'Europe brise les masses des Etats-nations qui la formèrent en promouvant leurs régions, et que, de ce processus, il ressorte une nouvelle différentiation, savoir que l'Etat-nation supra-ethnique ou tout simplement non ethnique comme la France ou l'Espagne se trouve en voie d'effacement au profit d'entités romantico-ethnique (bataille du champ-des-merles, etc.) pures appelées à remplir un exosquelette européen tout idéel dans son bleu roi et sous sa couronne d'étoiles.

Je pense, cher Francis Marche, que vous ne supportez toujours pas la moindre petite remarque ironique.
Que votre cerveau droit, lui, est admirablement développé (je parle sérieusement).
Que vos colères retombent aussi vite qu’elles ne sont montées.
Et enfin, qu’entre mon lopin de terre atteint de campanilisme tribal et votre effrayante Princesse d’un no-man’sland couronnée d’étoiles et Grande Pécheresse Suceuse de moelle, je ne peux plus espérer qu’une chose, c’est que le ciel ne me tombe pas sur la tête.
C'est gentil, ça Rogemi. Ah, j'ai une petite perle de culture indienne, que je viens de découvrir. Savez-vous quel est l'animal qui, dans l'imagerie indienne, représente la confidence ? Le perroquet !
Utilisateur anonyme
21 février 2008, 18:12   Re : Chronique d'une disparition annoncée
"Mme Aline. Aline quoi déjà?"

Incorrigible, ce Francis.

PS. Les Etats-nations sont nés il y a moins de deux siècles et demi et ils disparaîtrons au profit d'autres formes politiques et institutionnelles, car tout ce qui est disparaîtra ou se transformera. On peut en rire ou en pleurer. Pour ma part, je ne pleurerai pas la disparition de cette forme d'organisation politique qui a beaucoup de crimes et de massacres à son passif, notamment en Europe.
Utilisateur anonyme
21 février 2008, 18:21   Re : Renan : Qu'est-ce qu'une nation ?
Il faut lire et relire la fameuse conférence d'Ernest Renan :

"Introduction
Je me propose d'analyser avec vous une idée, claire en apparence, mais qui prête aux plus dangereux malentendus. Les formes de la société humaine sont des plus variées. Les grandes agglomérations d'hommes à la façon de la Chine, de l'Égypte, de la plus ancienne Babylonie ; - la tribu à la façon des Hébreux, des Arabes ; - la cité à la façon d'Athènes et de Sparte ; - les réunions de pays divers à la manière de l'Empire carlovingien ; - les communautés sans patrie, maintenues par le lien religieux, comme sont celles des israélites, des parsis ; - les nations comme la France, l'Angleterre et la plupart des modernes autonomies européennes ; - les confédérations à la façon de la Suisse, de l'Amérique ; - des parentés comme celles que la race, ou plutôt la langue, établit entre les différentes branches de Germains, les différentes branches de Slaves ; - voilà des modes de groupements qui tous existent, ou bien ont existé, et qu'on ne saurait confondre les uns avec les autres sans les plus sérieux inconvénients. À l'époque de la Révolution française, on croyait que les institutions de petites villes indépendantes, telles que Sparte et Rome, pouvaient s'appliquer à nos grandes nations de trente à quarante millions d'âmes. De nos jours, on commet une erreur plus grave : on confond la race avec la nation, et l'on attribue à des groupes ethnographiques ou plutôt linguistiques une souveraineté analogue à celle des peuples réellement existants. Tâchons d'arriver à quelque précision en ces questions difficiles, où la moindre confusion sur le sens des mots, à l'origine du raisonnement, peut produire à la fin les plus funestes erreurs. Ce que nous allons faire est délicat ; c'est presque de la vivisection ; nous allons traîter les vivants comme d'ordinaire on traite les morts. Nous y mettrons la froideur, l'impartialité la plus absolue.

[modifier] Chapitre I
Depuis la fin de l'Empire romain, ou, mieux, depuis la dislocation de l'Empire de Charlemagne, l'Europe occidentale nous apparaît divisée en nations, dont quelques-unes, à certaines époques, ont cherché à exercer une hégémonie sur les autres, sans jamais y réussir d'une manière durable. Ce que n'ont pu Charles-Quint, Louis XIV, Napoléon Ier, personne probablement ne le pourra dans l'avenir. L'établissement d'un nouvel Empire romain ou d'un nouvel Empire de Charlemagne est devenu une impossibilité. La division de l'Europe est trop grande pour qu'une tentative de domination universelle ne provoque pas très vite une coalition qui fasse rentrer la nation ambitieuse dans ses bornes naturelles. Une sorte d'équilibre est établi pour longtemps. La France, l'Angleterre, l'Allemagne, la Russie seront encore, dans des centaines d'années, et malgré les aventures qu'elles auront courues, des individualités historiques, les pièces essentielles d'un damier, dont les cases varient sans cesse d'importance et de grandeur, mais ne se confondent jamais tout à fait.

Les nations, entendues de cette manière, sont quelque chose d'assez nouveau dans l'histoire. L'antiquité ne les connut pas ; l'Égypte, la Chine, l'antique Chaldée ne furent à aucun degré des nations. C'étaient des troupeaux menés par un fils du Soleil, ou un fils du Ciel. Il n'y eut pas de citoyens égyptiens, pas plus qu'il n'y a de citoyens chinois. L'antiquité classique eut des républiques et des royautés municipales, des confédérations de républiques locales, des empires ; elle n'eut guère la nation au sens où nous la comprenons. Athènes, Sparte, Sidon, Tyr sont de petits centres d'admirable patriotisme ; mais ce sont des cités avec un territoire relativement restreint. La Gaule, l'Espagne, l'Italie, avant leur absorption dans l'Empire romain, étaient des ensembles de peuplades, souvent liguées entre elles, mais sans institutions centrales, sans dynasties. L'Empire assyrien, l'Empire persan, l'Empire d'Alexandre ne furent pas non plus des patries. Il n'y eut jamais de patriotes assyriens ; l'Empire persan fut une vaste féodalité. Pas une nation ne rattache ses origines à la colossale aventure d'Alexandre, qui fut cependant si riche en conséquences pour l'histoire générale de la civilisation.

L'Empire romain fut bien plus près d'être une patrie. En retour de l'immense bienfait de la cessation des guerres, la domination romaine, d'abord si dure, fut bien vite aimée. Ce fut une grande association, synonyme d'ordre, de paix et de civilisation. Dans les derniers temps de l'Empire, il y eut, chez les âmes élevées, chez les évêques éclairés, chez les lettrés, un vrai sentiment de «la paix romaine», opposée au chaos menaçant de la barbarie. Mais un empire, douze fois grand comme la France actuelle, ne saurait former un État dans l'acception moderne. La scission de l'Orient et de l'Occident était inévitable. Les essais d'un empire gaulois, au IIIe siècle, ne réussirent pas. C'est l'invasion germanique qui introduisit dans le monde le principe qui, plus tard, a servi de base à l'existence des nationalités.

Que firent les peuples germaniques, en effet, depuis leurs grandes invasions du Ve siècle jusqu'aux dernières conquêtes normandes au Xe ? Ils changèrent peu le fond des races ; mais ils imposèrent des dynasties et une aristocratie militaire à des parties plus ou moins considérables de l'ancien Empire d'Occident, lesquelles prirent le nom de leurs envahisseurs. De là une France, une Burgondie, une Lombardie ; plus tard, une Normandie. La rapide prépondérance que prit l'empire franc refait un moment l'unité de l'Occident ; mais cet empire se brise irrémédiablement vers le milieu du IXe siècle ; le traité de Verdun trace des divisions immuables en principe, et dès lors la France, l' Allemagne, l'Angleterre, l'Italie, l'Espagne s'acheminent, par des voies souvent détournées et à travers mille aventures, à leur pleine existence nationale, telle que nous la voyons s'épanouir aujourd'hui.

Qu'est-ce qui caractérise, en effet, ces différents États ? C'est la fusion des populations qui les composent. Dans les pays que nous venons d'énumérer, rien d'analogue à ce que vous trouverez en Turquie, où le Turc, le Slave, le Grec, l'Arménien, l'Arabe, le Syrien, le Kurde sont aussi distincts aujourd'hui qu'au jour de la conquête. Deux circonstances essentielles contribuèrent à ce résultat. D'abord le fait que les peuples germaniques adoptèrent le christianisme dès qu'ils eurent des contacts un peu suivis avec les peuples grecs et latins. Quand le vainqueur et le vaincu sont de la même religion, ou plutôt, quand le vainqueur adopte la religion du vaincu, le système turc, la distinction absolue des hommes d'après la religion, ne peut plus se produire. La seconde circonstance fut, de la part des conquérants, l'oubli de leur propre langue. Les petits-fils de Clovis, d'Alaric, de Gondebaud, d'Alboïn, de Rollon, parlaient déjà roman. Ce fait était lui-même la conséquence d'une autre particularité importante ; c'est que les Francs, les Burgondes, les Goths, les Lombards, les Normands avaient très peu de femmes de leur race avec eux. Pendant plusieurs générations, les chefs ne se marient qu'avec des femmes germaines ; mais leurs concubines sont latines, les nourrices des enfants sont latines ; toute la tribu épouse des femmes latines ; ce qui fit que la lingua francica, la lingua gothica n'eurent, depuis l'établissement des Francs et des Goths en terres romaines, que de très courtes destinées. Il n'en fut pas ainsi en Angleterre ; car l'invasion anglo-saxonne avait sans doute des femmes avec elle ; la population bretonne s'enfuit, et, d'ailleurs, le latin n'était plus, ou même, ne fut jamais dominant dans la Bretagne. Si on eût généralement parlé gaulois dans la Gaule, au Ve siècle, Clovis et les siens n'eussent pas abandonné le germanique pour le gaulois.

De là ce résultat capital que, malgré l'extrême violence des mœurs des envahisseurs germains, le moule qu'ils imposèrent devint, avec les siècles, le moule même de la nation. France devint très légitimement le nom d'un pays où il n'était entrée qu'une imperceptible minorité de Francs. Au Xe siècle, dans les premières chansons de geste, qui sont un miroir si parfait de l'esprit du temps, tous les habitants de la France sont des Français. L'idée d'une différence de races dans la population de la France, si évidente chez Grégoire de Tours, ne se présente à aucun degré chez les écrivains et les poètes français postérieurs à Hugues Capet. La différence du noble et du vilain est aussi accentuée que possible ; mais la différence de l'un à l'autre n'est en rien une différence ethnique ; c'est une différence de courage, d'habitudes et d'éducation transmise héréditairement ; l'idée que l'origine de tout cela soit une conquête ne vient à personne. Le faux système d'après lequel la noblesse dut son origine à un privilège conféré par le roi pour de grands services rendus à la nation, si bien que tout noble est un anobli, ce système est établi comme un dogme dès le XIIIe siècle. La même chose se passa à la suite de presque toutes les conquêtes normandes. Au bout d'une ou deux générations, les envahisseurs normands ne se distinguaient plus du reste de la population ; leur influence n'en avait pas moins été profonde ; ils avaient donné au pays conquis une noblesse, des habitudes militaires, un patriotisme qu'il n'avait pas auparavant.

L'oubli, et je dirai même l'erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d'une nation, et c'est ainsi que le progrès des études historiques est souvent pour la nationalité un danger. L'investigation historique, en effet, remet en lumière les faits de violence qui se sont passés à l'origine de toutes les formations politiques, même de celles dont les conséquences ont été le plus bienfaisantes. L'unité se fait toujours brutalement ; la réunion de la France du Nord et de la France du Midi a été le résultat d'une extermination et d'une terreur continuée pendant près d'un siècle. Le roi de France, qui est, si j'ose le dire, le type idéal d'un cristallisateur séculaire ; le roi de France, qui a fait la plus parfaite unité nationale qu'il y ait ; le roi de France, vu de trop près, a perdu son prestige ; la nation qu'il avait formée l'a maudit, et, aujourd'hui, il n'y a que les esprits cultivés qui sachent ce qu'il valait et ce qu'il a fait.

C'est par le contraste que ces grandes lois de l'histoire de l'Europe occidentale deviennent sensibles. Dans l'entreprise que le roi de France, en partie par sa tyrannie, en partie par sa justice, a si admirablement menée à terme, beaucoup de pays ont échoué. Sous la couronne de saint Étienne, les Magyars et les Slaves sont restés aussi distincts qu'ils l'étaient il y a huit cents ans. Loin de fondre les éléments divers de ses domaines, la maison de Habsbourg les a tenus distincts et souvent opposés les uns aux autres. En Bohême, l'élément tchèque et l'élément allemand sont superposés comme l'huile et l'eau dans un verre. La politique turque de la séparation des nationalités d'après la religion a eu de bien plus graves conséquences : elle a causé la ruine de l'Orient. Prenez une ville comme Salonique ou Smyrne, vous y trouverez cinq ou six communautés dont chacune a ses souvenirs et qui n'ont entre elles presque rien en commun. Or l'essence d'une nation est que tous les individus aient beaucoup de choses en commun, et aussi que tous aient oublié bien des choses. Aucun citoyen français ne sait s'il est burgonde, alain, taïfale, visigoth ; tout citoyen français doit avoir oublié la Saint-Barthélemy, les massacres du Midi au XIII e siècle. Il n'y a pas en France dix familles qui puissent fournir la preuve d'une origine franque, et encore une telle preuve serait-elle essentiellement défectueuse, par suite de mille croisements inconnus qui peuvent déranger tous les systèmes des généalogistes.

La nation moderne est donc un résultat historique amené par une série de faits convergeant dans le même sens. Tantôt l'unité a été réalisée par une dynastie, comme c'est le cas pour la France ; tantôt elle l'a été par la volonté directe des provinces, comme c'est le cas pour la Hollande, la Suisse, la Belgique ; tantôt par un esprit général, tardivement vainqueur des caprices de la féodalité, comme c'est le cas pour l'Italie et l'Allemagne. Toujours une profonde raison d'être a présidé à ces formations. Les principes, en pareils cas, se font jour par les surprises les plus inattendues. Nous avons vu, de nos jours, l'Italie unifiée par ses défaites, et la Turquie démolie par ses victoires. Chaque défaite avançait les affaires de l'Italie ; chaque victoire perdait la Turquie ; car l'Italie est une nation, et la Turquie, hors de l'Asie Mineure, n'en est pas une. C'est la gloire de la France d'avoir, par la Révolution française, proclamé qu'une nation existe par elle-même. Nous ne devons pas trouver mauvais qu'on nous imite. Le principe des nations est le nôtre. Mais qu'est-ce donc qu'une nation ? Pourquoi la Hollande est-elle une nation, tandis que le Hanovre ou le grand-duché de Parme n'en sont pas une ? Comment la France persiste-t-elle à être une nation, quand le principe qui l'a créée a disparu ? Comment la Suisse, qui a trois langues, deux religions, trois ou quatre races, est-elle une nation, quand la Toscane, par exemple, qui est si homogène, n'en est pas une ? Pourquoi l'Autriche est-elle un État et non pas une nation ? En quoi le principe des nationalités diffère-t-il du principe des races ? Voilà des points sur lesquels un esprit réfléchi tient à être fixé, pour se mettre d'accord avec lui-même. Les affaires du monde ne se règlent guère par ces sortes de raisonnements ; mais les hommes appliqués veulent porter en ces matières quelque raison et démêler les confusions où s'embrouillent les esprits superficiels.

[modifier] Chapitre II
À entendre certains théoriciens politiques, une nation est avant tout une dynastie, représentant une ancienne conquête, conquête acceptée d'abord, puis oubliée par la masse du peuple. Selon les politiques dont je parle, le groupement de provinces effectué par une dynastie, par ses guerres, par ses mariages, par ses traités, finit avec la dynastie qui l'a formé. Il est très vrai que la plupart des nations modernes ont été faites par une famille d'origine féodale, qui a contracté mariage avec le sol et qui a été en quelque sorte un noyau de centralisation. Les limites de la France en 1789 n'avaient rien de naturel ni de nécessaire. La large zone que la maison capétienne avait ajoutée à l'étroite lisière du traité de Verdun fut bien l'acquisition personnelle de cette maison. À l'époque où furent faites les annexions, on n'avait l'idée ni des limites naturelles, ni du droit des nations, ni de la volonté des provinces. La réunion de l'Angleterre, de l'Irlande et de l'Écosse fut de même un fait dynastique. L'Italie n'a tardé si longtemps à être une nation que parce que, parmi ses nombreuses maisons régnantes, aucune, avant notre siècle, ne se fit le centre de l'unité. Chose étrange, c'est à l'obscure île de Sardaigne, terre à peine italienne, qu'elle a pris un titre royal. La Hollande, qui s'est créée elle-même, par un acte d'héroïque résolution, a néanmoins contracté un mariage intime avec la maison d'Orange, et elle courrait de vrais dangers le jour où cette union serait compromise.

Une telle loi, cependant, est-elle absolue ? Non, sans doute. La Suisse et les États-Unis, qui se sont formés comme des conglomérats d'additions successives, n'ont aucune base dynastique. Je ne discuterai pas la question en ce qui concerne la France. Il faudrait avoir le secret de l'avenir. Disons seulement que cette grande royauté française avait été si hautement nationale, que, le lendemain de sa chute, la nation a pu tenir sans elle. Et puis le XVIIIe siècle avait changé toute chose. L'homme était revenu, après des siècles d'abaissement, à l'esprit antique, au respect de lui-même, à l'idée de ses droits. Les mots de patrie et de citoyen avaient repris leur sens. Ainsi a pu s'accomplir l'opération la plus hardie qui ait été pratiquée dans l'histoire, opération que l'on peut comparer à ce que serait, en physiologie, la tentative de faire vivre en son identité première un corps à qui l'on aurait enlevé le cerveau et le cœur.

Il faut donc admettre qu'une nation peut exister sans principe dynastique, et même que des nations qui ont été formées par des dynasties peuvent se séparer de cette dynastie sans pour cela cesser d'exister. Le vieux principe qui ne tient compte que du droit des princes ne saurait plus être maintenu ; outre le droit dynastique, il y a le droit national. Ce droit national, sur quel critérium le fonder ? à quel signe le connaître ? de quel fait tangible le faire dériver ?

[modifier] I. - De la race, disent plusieurs avec assurance.
Les divisions artificielles, résultant de la féodalité, des mariages princiers, des congrès de diplomates, sont caduques. Ce qui reste ferme et fixe, c'est la race des populations. Voilà ce qui constitue un droit, une légitimité. La famille germanique, par exemple, selon la théorie que j'expose, a le droit de reprendre les membres épars du germanisme, même quand ces membres ne demandent pas à se rejoindre. Le droit du germanisme sur telle province est plus fort que le droit des habitants de cette province sur eux-mêmes. On crée ainsi une sorte de droit primordial analogue à celui des rois de droit divin ; au principe des nations on substitue celui de l'ethnographie. C'est là une très grande erreur, qui, si elle devenait dominante, perdrait la civilisation européenne. Autant le principe des nations est juste et légitime, autant celui du droit primordial des races est étroit et plein de danger pour le véritable progrès.

Dans la tribu et la cité antiques, le fait de la race avait, nous le reconnaissons, une importance de premier ordre. La tribu et la cité antiques n'étaient qu'une extension de la famille. À Sparte, à Athènes, tous les citoyens étaient parents à des degrés plus ou moins rapprochés. Il en était de même chez les Beni-Israël ; il en est encore ainsi dans les tribus arabes. D'Athènes, de Sparte, de la tribu israélite, transportons-nous dans l'Empire romain. La situation est tout autre. Formée d'abord par la violence, puis maintenue par l'intérêt, cette grande agglomération de villes, de provinces absolument différentes, porte à l'idée de race le coup le plus grave. Le christianisme, avec son caractère universel et absolu, travaille plus efficacement encore dans le même sens. Il contracte avec l'Empire romain une alliance intime, et, par l'effet de ces deux incomparables agents d'unification, la raison ethnographique est écartée du gouvernement des choses humaines pour des siècles.

L'invasion des barbares fut, malgré les apparences, un pas de plus dans cette voie. Les découpures de royaumes barbares n'ont rien d'ethnographique ; elles sont réglées par la force ou le caprice des envahisseurs. La race des populations qu'ils subordonnaient était pour eux la chose la plus indifférente. Charlemagne refit à sa manière ce que Rome avait déjà fait : un empire unique composé des races les plus diverses ; les auteurs du traité de Verdun, en traçant imperturbablement leurs deux grandes lignes du nord au sud, n'eurent pas le moindre souci de la race des gens qui se trouvaient à droite ou à gauche. Les mouvements de frontière qui s'opérèrent dans la suite du Moyen Âge furent aussi en dehors de toute tendance ethnographique. Si la politique suivie de la maison capétienne est arrivée à grouper à peu près, sous le nom de France, les territoires de l'ancienne Gaule, ce n'est pas là un effet de la tendance qu'auraient eue ces pays à se rejoindre à leurs congénères. Le Dauphiné, la Bresse, la Provence, la Franche-Comté ne se souvenaient plus d'une origine commune. Toute conscience gauloise avait péri dès le IIe siècle de notre ère, et ce n'est que par une vue d'érudition que, de nos jours, on a retrouvé rétrospectivement l'individualité du caractère gaulois.

La considération ethnographique n'a donc été pour rien dans la constitution des nations modernes. La France est celtique, ibérique, germanique. L'Allemagne est germanique, celtique et slave. L'Italie est le pays où l'ethnographie est la plus embarrassée. Gaulois, Étrusques, Pélasges, Grecs, sans parler de bien d'autres éléments, s'y croisent dans un indéchiffrable mélange. Les îles Britanniques, dans leur ensemble, offrent un mélange de sang celtique et germain dont les proportions sont singulièrement difficiles à définir.

La vérité est qu'il n'y a pas de race pure et que faire reposer la politique sur l'analyse ethnographique, c'est la faire porter sur une chimère. Les plus nobles pays, l'Angleterre, la France, l'Italie, sont ceux où le sang est le plus mêlé. L'Allemagne fait-elle à cet égard une exception ? Est-elle un pays germanique pur ? Quelle illusion ! Tout le Sud a été gaulois. Tout l'Est, à partir d'Elbe, est slave. Et les parties que l'on prétend réellement pures le sont-elles en effet ? Nous touchons ici à un des problèmes sur lesquels il importe le plus de se faire des idées claires et de prévenir les malentendus.

Les discussions sur les races sont interminables, parce que le mot race est pris par les historiens philologues et par les anthropologistes physiologistes dans deux sens tout à fait différents. Pour les anthropologistes, la race a le même sens qu'en zoologie ; elle indique une descendance réelle, une parenté par le sang. Or l'étude des langues et de l'histoire ne conduit pas aux mêmes divisions que la physiologie. Les mots des brachycéphales, de dolichocéphales n'ont pas de place en histoire ni en philologie. Dans le groupe humain qui créa les langues et la discipline aryennes, il y avait déjà des brachycéphales et des dolichocéphales. Il en faut dire autant du groupe primitif qui créa les langues et l'institution dites sémitiques. En d'autres termes, les origines zoologiques de l'humanité sont énormément antérieures aux origines de la culture, de la civilisation, du langage. Les groupes aryen primitif, sémitique primitif, touranien primitif n'avaient aucune unité physiologique. Ces groupements sont des faits historiques qui ont eu lieu à une certaine époque, mettons il y a quinze ou vingt mille ans, tandis que l'origine zoologique de l'humanité se perd dans des ténèbres incalculables. Ce qu'on appelle philologiquement et historiquement la race germanique est sûrement une famille bien distincte dans l'espèce humaine. Mais est-ce là une famille au sens anthropologique ? Non, assurément. L'apparition de l'individualité germanique dans l'histoire ne se fait que très peu de siècles avant Jésus-Christ. Apparemment les Germains ne sont pas sortis de terre à cette époque. Avant cela, fondus avec les Slaves dans la grande masse indistincte des Scythes, ils n'avaient pas leur individualité à part. Un Anglais est bien un type dans l'ensemble de l'humanité. Or le type de ce qu'on appelle très improprement la race anglo-saxonne n'est ni le Breton du temps de César, ni l'Anglo-Saxon de Hengist, ni le Danois de Knut, ni le Normand de Guillaume le Conquérant ; c'est la résultante de tout cela. Le Français n'est ni un Gaulois, ni un Franc, ni un Burgonde. Il est ce qui est sorti de la grande chaudière où, sous la présidence du roi de France, ont fermenté ensemble les éléments les plus divers. Un habitant de Jersey ou de Guernesey ne diffère en rien, pour les origines, de la population normande de la côte voisine. Au XIe siècle, l'oeil le plus pénétrant n'eût pas saisi des deux côtés du canal la plus légère différence. D'insignifiantes circonstances font que Philippe-Auguste ne prend pas ces îles avec le reste de la Normandie. Séparées les unes des autres depuis près de sept cents ans, les deux populations sont devenues non seulement étrangères les unes aux autres, mais tout à fait dissemblables. La race, comme nous l'entendons, nous autres, historiens, est donc quelque chose qui se fait et se défait. L'étude de la race est capitale pour le savant qui s'occupe de l'histoire de l'humanité. Elle n'a pas d'application en politique. La conscience instinctive qui a présidé à la confection de la carte d'Europe n'a tenu aucun compte de la race, et les premières nations de l'Europe sont des nations de sang essentiellement mélangé.

Le fait de la race, capital à l'origine, va donc toujours perdant de son importance. L'histoire humaine diffère essentiellement de la zoologie. La race n'y est pas tout, comme chez les rongeurs ou les félins, et on n'a pas le droit d'aller par le monde tâter le crâne des gens, puis les prendre à la gorge en leur disant : «Tu es notre sang ; tu nous appartiens !» En dehors des caractères anthropologiques, il y a la raison, la justice, le vrai, le beau, qui sont les mêmes pour tous. Tenez, cette politique ethnographique n'est pas sûre. Vous l'exploitez aujourd'hui contre les autres ; puis vous la voyez se tourner contre vous-mêmes. Est-il certain que les Allemands, qui ont élevé si haut le drapeau de l'ethnographie, ne verront pas les Slaves venir analyser, à leur tour, les noms des villages de la Saxe et de la Lusace, rechercher les traces des Wiltzes ou des Obotrites, et demander compte des massacres et des ventes en masse que les Othons firent de leurs aïeux ? Pour tous il est bon de savoir oublier.

J'aime beaucoup l'ethnographie ; c'est une science d'un rare intérêt ; mais, comme je la veux libre, je la veux sans application politique. En ethnographie, comme dans toutes les études, les systèmes changent ; c'est la condition du progrès. Les limites des États suivraient les fluctuations de la science. Le patriotisme dépendrait d'une dissertation plus ou moins paradoxale. On viendrait dire au patriote : «Vous vous trompiez ; vous versiez votre sang pour telle cause ; vous croyiez être celte ; non, vous êtes germain». Puis, dix ans après, on viendra vous dire que vous êtes slave. Pour ne pas fausser la science, dispensons-la de donner un avis dans ces problèmes, où sont engagés tant d'intérêts. Soyez sûrs que, si on la charge de fournir des éléments à la diplomatie, on la surprendra bien des fois en flagrant délit de complaisance. Elle a mieux à faire : demandons-lui tout simplement la vérité.

[modifier] II. - Ce que nous venons de dire de la race, il faut le dire de la langue.
La langue invite à se réunir ; elle n'y force pas. Les États-Unis et l'Angleterre, l'Amérique espagnole et l'Espagne parlent la même langue et ne forment pas une seule nation. Au contraire, la Suisse, si bien faite, puisqu'elle a été faite par l'assentiment de ses différentes parties, compte trois ou quatre langues. Il y a dans l'homme quelque chose de supérieur à la langue : c'est la volonté. La volonté de la Suisse d'être unie, malgré la variété de ses idiomes, est un fait bien plus important qu'une similitude souvent obtenue par des vexations.

Un fait honorable pour la France, c'est qu'elle n'a jamais cherché à obtenir l'unité de la langue par des mesures de coercition. Ne peut-on pas avoir les mêmes sentiments et les mêmes pensées, aimer les mêmes choses en des langages différents ? Nous parlions tout à l'heure de l'inconvénient qu'il y aurait à faire dépendre la politique internationale de l'ethnographie. Il n'y en aurait pas moins à la faire dépendre de la philologie comparée. Laissons à ces intéressantes études l'entière liberté de leurs discussions ; ne les mêlons pas à ce qui en altérerait la sérénité. L'importance politique qu'on attache aux langues vient de ce qu'on les regarde comme des signes de race. Rien de plus faux. La Prusse, où l'on ne parle plus qu'allemand, parlait slave il y a quelques siècles ; le pays de Galles parle anglais ; la Gaule et l'Espagne parlent l'idiome primitif d'Albe la Longue ; l'Égypte parle arabe ; les exemples sont innombrables. Même aux origines, la similitude de langue n'entraînait pas la similitude de race. Prenons la tribu proto-aryenne ou proto-sémite ; il s'y trouvait des esclaves, qui parlaient la même langue que leurs maîtres ; or l'esclave était alors bien souvent d'une race différente de celle de son maître. Répétons-le : ces divisions de langues indo-européennes, sémitiques et autres, créées avec une si admirable sagacité par la philologie comparée, ne coïncident pas avec les divisions de l'anthropologie. Les langues sont des formations historiques, qui indiquent peu de choses sur le sang de ceux qui les parlent, et qui, en tout cas, ne sauraient enchaîner la liberté humaine quand il s'agit de déterminer la famille avec laquelle on s'unit pour la vie et pour la mort.

Cette considération exclusive de la langue a, comme l'attention trop forte donnée à la race, ses dangers, ses inconvénients. Quand on y met de l'exagération, on se renferme dans une culture déterminée, tenue pour nationale ; on se limite, on se claquemure. On quitte le grand air qu'on respire dans le vaste champ de l'humanité pour s'enfermer dans des conventicules de compatriotes. Rien de plus mauvais pour l'esprit ; rien de plus fâcheux pour la civilisation. N'abandonnons pas ce principe fondamental, que l'homme est un être raisonnable et moral, avant d'être parqué dans telle ou telle langue, avant d'être un membre de telle ou telle race, un adhérent de telle ou telle culture. Avant la culture française, la culture allemande, la culture italienne, il y a la culture humaine. Voyez les grands hommes de la Renaissance ; ils n'étaient ni français, ni italiens, ni allemands. Ils avaient retrouvé, par leur commerce avec l'antiquité, le secret de l'éducation véritable de l'esprit humain, et ils s'y dévouaient corps et âme. Comme ils firent bien !

[modifier] III. - La religion ne saurait non plus offrir une base suffisante à l'établissement d'une nationalité moderne.
À l'origine, la religion tenait à l'existence même du groupe social. Le groupe social était une extension de la famille. La religion, les rites étaient des rites de famille. La religion d'Athènes, c'était le culte d'Athènes même, de ses fondateurs mythiques, de ses lois, de ses usages. Elle n'impliquait aucune théologie dogmatique. Cette religion était, dans toute la force du terme, une religion d'État. On n'était pas athénien si on refusait de la pratiquer. C'était au fond le culte de l'Acropole personnifiée. Jurer sur l'autel d'Aglaure, c'était prêter le serment de mourir pour la patrie. Cette religion était l'équivalent de ce qu'est chez nous l'acte de tirer au sort, ou le culte du drapeau. Refuser de participer à un tel culte était comme serait dans nos sociétés modernes refuser le service militaire. C'était déclarer qu'on n'était pas athénien. D'un autre côté, il est clair qu'un tel culte n'avait pas de sens pour celui qui n'était pas d'Athènes ; aussi n'exerçait-on aucun prosélytisme pour forcer des étrangers à l'accepter ; les esclaves d'Athènes ne le pratiquaient pas. Il en fut de même dans quelques petites républiques du Moyen Âge. On n'était pas bon vénitien si l'on ne jurait point par saint Marc ; on n'était pas bon amalfitain si l'on ne mettait pas saint André au-dessus de tous les autres saints du paradis. Dans ces petites sociétés, ce qui a été plus tard persécution, tyrannie, était légitime et tirait aussi peu à conséquence que le fait chez nous de souhaiter la fête au père de famille et de lui adresser des vœux au premier jour de l'an.

Ce qui était vrai à Sparte, à Athènes, ne l'était déjà plus dans les royaumes sortis de la conquête d'Alexandre, ne l'était surtout plus dans l'Empire romain. Les persécutions d'Antiochus Épiphane pour amener l'Orient au culte de Jupiter Olympien, celles de l'Empire romain pour maintenir une prétendue religion d'État furent une faute, un crime, une véritable absurdité. De nos jours, la situation est parfaitement claire. Il n'y a plus de masses croyant d'une manière uniforme. Chacun croit et pratique à sa guise, ce qu'il peut, comme il veut. Il n'y a plus de religion d'État ; on peut être français, anglais, allemand, en étant catholique, protestant, israélite, en ne pratiquant aucun culte. La religion est devenue chose individuelle ; elle regarde la conscience de chacun. La division des nations en catholiques, protestantes, n'existe plus. La religion, qui, il y a cinquante-deux ans, était un élément si considérable dans la formation de la Belgique, garde toute son importance dans le for intérieur de chacun ; mais elle est sortie presque entièrement des raisons qui tracent les limites des peuples.

[modifier] IV. - La communauté des intérêts est assurément un lien puissant entre les hommes.
Les intérêts, cependant, suffisent-ils à faire une nation ? Je ne le crois pas. La communauté des intérêts fait les traités de commerce. Il y a dans la nationalité un côté de sentiment ; elle est âme et corps à la fois ; un Zollverein n'est pas une patrie.

[modifier] V. - La géographie, ce qu'on appelle les frontières naturelles, a certainement une part considérable dans la division des nations.
La géographie est un des facteurs essentiels de l'histoire. Les rivières ont conduit les races ; les montagnes les ont arrêtées. Les premières ont favorisé, les secondes ont limité les mouvements historiques. Peut-on dire cependant, comme le croient certains partis, que les limites d'une nation sont écrites sur la carte et que cette nation a le droit de s'adjuger ce qui est nécessaire pour arrondir certains contours, pour atteindre telle montagne, telle rivière, à laquelle on prête une sorte de faculté limitante a priori ? Je ne connais pas de doctrine plus arbitraire ni plus funeste. Avec cela, on justifie toutes les violences. Et, d'abord, sont-ce les montagnes ou bien sont-ce les rivières qui forment ces prétendues frontières naturelles ? Il est incontestable que les montagnes séparent ; mais les fleuves réunissent plutôt. Et puis toutes les montagnes ne sauraient découper des États. Quelles sont celles qui séparent et celles qui ne séparent pas ? De Biarritz à Tornea, il n'y a pas une embouchure de fleuve qui ait plus qu'une autre un caractère bornal. Si l'histoire l'avait voulu, la Loire, la Seine, la Meuse, l'Elbe, l'Oder auraient, autant que le Rhin, ce caractère de frontière naturelle qui a fait commettre tant d'infractions au droit fondamental, qui est la volonté des hommes. On parle de raisons stratégiques. Rien n'est absolu ; il est clair que bien des concessions doivent être faites à la nécessité. Mais il ne faut pas que ces concessions aillent trop loin. Autrement, tout le monde réclamera ses convenances militaires, et ce sera la guerre sans fin. Non, ce n'est pas la terre plus que la race qui fait une nation. La terre fournit le substratum, le champ de la lutte et du travail ; l'homme fournit l'âme. L'homme est tout dans la formation de cette chose sacrée qu'on appelle un peuple. Rien de matériel n'y suffit. Une nation est un principe spirituel, résultant des complications profondes de l'histoire, une famille spirituelle, non un groupe déterminé par la configuration du sol.

Nous venons de voir ce qui ne suffit pas à créer un tel principe spirituel : la race, la langue, les intérêts, l'affinité religieuse, la géographie, les nécessités militaires. Que faut-il donc en plus ? Par suite de ce qui a été dit antérieurement, je n'aurai pas désormais à retenir bien longtemps votre attention.

[modifier] Chapitre III
Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. L'homme, Messieurs, ne s'improvise pas. La nation, comme l'individu, est l'aboutissant d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements. Le culte des ancêtres est de tous le plus légitime ; les ancêtres nous ont faits ce que nous sommes. Un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire (j'entends de la véritable), voilà le capital social sur lequel on assied une idée nationale. Avoir des gloires communes dans la passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple. On aime en proportion des sacrifices qu'on a consentis, des maux qu'on a soufferts. On aime la maison qu'on a bâtie et qu'on transmet. Le chant spartiate : «Nous sommes ce que vous fûtes ; nous serons ce que vous êtes» est dans sa simplicité l'hymne abrégé de toute patrie.

Dans le passé, un héritage de gloire et de regrets à partager, dans l'avenir un même programme à réaliser ; avoir souffert, joui, espéré ensemble, voilà ce qui vaut mieux que des douanes communes et des frontières conformes aux idées stratégiques ; voilà ce que l'on comprend malgré les diversités de race et de langue. Je disais tout à l'heure : «avoir souffert ensemble» ; oui, la souffrance en commun unit plus que la joie. En fait de souvenirs nationaux, les deuils valent mieux que les triomphes, car ils imposent des devoirs, ils commandent l'effort en commun.

Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L'existence d'une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une affirmation perpétuelle de vie. Oh ! je le sais, cela est moins métaphysique que le droit divin, moins brutal que le droit prétendu historique. Dans l'ordre d'idées que je vous soumets, une nation n'a pas plus qu'un roi le droit de dire à une province : «Tu m'appartiens, je te prends». Une province, pour nous, ce sont ses habitants ; si quelqu'un en cette affaire a droit d'être consulté, c'est l'habitant. Une nation n'a jamais un véritable intérêt à s'annexer ou à retenir un pays malgré lui. Le vœu des nations est, en définitive, le seul critérium légitime, celui auquel il faut toujours en revenir.

Nous avons chassé de la politique les abstractions métaphysiques et théologiques. Que reste-t-il, après cela ? Il reste l'homme, ses désirs, ses besoins. La sécession, me direz-vous, et, à la longue, l'émiettement des nations sont la conséquence d'un système qui met ces vieux organismes à la merci de volontés souvent peu éclairées. Il est clair qu'en pareille matière aucun principe ne doit être poussé à l'excès. Les vérités de cet ordre ne sont applicables que dans leur ensemble et d'une façon très générale. Les volontés humaines changent ; mais qu'est-ce qui ne change pas ici-bas ? Les nations ne sont pas quelque chose d'éternel. Elles ont commencé, elles finiront. La confédération européenne, probablement, les remplacera. Mais telle n'est pas la loi du siècle où nous vivons. À l'heure présente, l'existence des nations est bonne, nécessaire même. Leur existence est la garantie de la liberté, qui serait perdue si le monde n'avait qu'une loi et qu'un maître.

Par leurs facultés diverses, souvent opposées, les nations servent à l'œuvre commune de la civilisation ; toutes apportent une note à ce grand concert de l'humanité, qui, en somme, est la plus haute réalité idéale que nous atteignions. Isolées, elles ont leurs parties faibles. Je me dis souvent qu'un individu qui aurait les défauts tenus chez les nations pour des qualités, qui se nourrirait de vaine gloire ; qui serait à ce point jaloux, égoïste, querelleur ; qui ne pourrait rien supporter sans dégainer, serait le plus insupportable des hommes. Mais toutes ces dissonances de détail disparaissent dans l'ensemble. Pauvre humanité, que tu as souffert ! que d'épreuves t'attendent encore ! Puisse l'esprit de sagesse te guider pour te préserver des innombrables dangers dont ta route est semée !

Je me résume, Messieurs. L'homme n'est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d'hommes, saine d'esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s'appelle une nation. Tant que cette conscience morale prouve sa force par les sacrifices qu'exige l'abdication de l'individu au profit d'une communauté, elle est légitime, elle a le droit d'exister. Si des doutes s'élèvent sur ses frontières, consultez les populations disputées. Elles ont bien le droit d'avoir un avis dans la question. Voilà qui fera sourire les transcendants de la politique, ces infaillibles qui passent leur vie à se tromper et qui, du haut de leurs principes supérieurs, prennent en pitié notre terre à terre. «Consulter les populations, fi donc ! quelle naïveté ! Voilà bien ces chétives idées françaises qui prétendent remplacer la diplomatie et la guerre par des moyens d'une simplicité enfantine». - Attendons, Messieurs ; laissons passer le règne des transcendants ; sachons subir le dédain des forts. Peut-être, après bien des tâtonnements infructueux, reviendra-t-on à nos modestes solutions empiriques. Le moyen d'avoir raison dans l'avenir est, à certaines heures, de savoir se résigner à être démodé."
Utilisateur anonyme
21 février 2008, 19:03   Re : Le Kosovo est serbe, comme le Massachussets est américain.
(Message supprimé à la demande de son auteur)
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