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Communiqué n° 1167 : Sur l'idée d'un musée de l'esclavage au Garde-Meuble

Communiqué n° 1167, mardi 18 janvier 2011
Sur l'idée d'un musée de l'esclavage au Garde-Meuble

Le parti de l'In-nocence admire qu'avec le projet présenté par un certain nombre d'historiens, parmi lesquels Esther Benbassa, Pap Ndyae ou Benjamin Stora, et suggérant l'installation d'un musée de l'esclavage dans l'un des palais de Gabriel sur la place de la Concorde, en l'occurrence l'ancien ministère de la Marine, l'énormité du symptôme névrotique affectant notre malheureux pays s'étale avec une aussi éclatante évidence. Jamais la haine de soi des uns, à merveille combinée avec la haine de l'autre des autres, n'a trouvé à s'exprimer avec tant de concision, à la fois, et tant de sûreté : il ne s'agirait de rien de moins en effet, cette fois, que d'ériger l'un des plus prestigieux monuments du patrimoine français, le plus centralement situé au cœur de la capitale de la Nation, en sanctuaire de la Honte, en temple du crime français, de l'indignité française, du déshonneur français et de la moderne passion française pour implorer le dégoût du monde entier, et d'abord des néo-français. La même conception pourrait amener à faire du palais du Luxembourg un musée de la Saint-Barthélémy, du Grand Palais un dôme de la Terreur et des Invalides un mémorial de la Collaboration, les quatre institutions étant alors confiées à la Réunion des Heures les plus Sombres de notre Histoire (RHSH), siégeant aux Tuileries reconstruites...

Le parti de l'In-nocence convient très volontiers qu'on puisse être écœuré face à la grande braderie véreuse, par le gouvernement, du patrimoine national, qu'il s'agisse de fragments inaliénables de la forêt de Compiègne ou, comme en l'occurrence, d'un des chefs-d'œuvre de notre architecture, faisant face à l'Assemblée nationale, et dévolu à la va-vite, sous l'égide d'un ancien ministre de la Culture, au financier international qui l'emploie et qui entend faire des lieux un emporium culturel de luxe. Il y a bien là, certes, de quoi éprouver de la honte pour les affairistes sans honneur et sans amour de la patrie qui sont en charge des affaires de l'État. Mais la France, faut-il le rappeler, n'a pas connu que des occasions de honte et ce n'est pas à la honte, à sa propre honte, à l'horreur maladive de soi, qu'elle doit consacrer les plus glorieux de ses palais.

Le parti de l'In-nocence remarque que d'autres historiens, parmi lesquels MM. Pierre Nora et Régis Debray, justement ulcérés par la déchéance commerciale, hôtelière et dorée promise à l'hôtel de la Marine, ont suggéré précédemment que soit installé là le grand musée de l'Histoire de France voulu par le président de la République et dont le principe même les avait pourtant trouvés jusque là réservés. Cette suggestion semble excellente. Un tel musée, en un tel cadre digne de lui, pourrait faire leur juste place, bien entendu, aux épisodes les moins honorables de notre histoire, qu'il n'est certes pas question de nier. Mais il disposerait surtout d'un site à la mesure de la grandeur et de la noblesse de notre peuple et de sa civilisation à travers les âges, et c'est là ce qu'il convient de mettre surtout en avant si cette histoire doit se poursuivre.
Je vois plutôt un musée de l'esclavage dans l'un des pays qui le pratiquent encore comme l'Arabie Saoudite, le Qatar, le Yémen, le Soudan (gros fournisseur), etc, etc.
18 janvier 2011, 23:34   symptôme névrotique
Tout compte fait, on n'a pas suffisamment prescrit d'"arrêt maladie" pour cause de dépression, ou on s'est trompé de malades...
Il semble que l'on puisse, à partir de ces événements, faits et signes, établir une analogie, partielle certes, en partie forcée certes, comme toutes les analogies, entre le destin des Juifs et du peuple juif de la fin du XIXe siècle aux années 1930 d'une part et d'autre part celui du peuple français : même haine sans limite et sans raison vouée aux uns et aux autres, haine qui peut aller jusqu'au meurtre gratuit, cette haine assumée nourrissant en retour la même haine de soi (le terme et le concept ont été forgés par un auteur juif à propos de la haine éprouvée par des Juifs allemands assimilés à l'encontre de ceux qui voulaient rester fidèles à l'être juif) et incitant les Juifs modernes à oublier la tradition (cf. le recueil d'articles d'Hannah Arendt, lumineusement intitulé La Tradition oubliée). Or, aujourd'hui, ce que l'on observe et constate, c'est la réapparition de ces haines qui ont été vouées aux Juifs ou que les Juifs se sont vouées à eux-mêmes, mais qui prennent pour cibles la France, les Français, l'être français : purification ethnique des "quartiers" ou des pays de la Pureté, tradition oubliée (en réalité que l'on fait tout pour qu'elle soit oubliée) et qui est tenue pour sans valeur ou ringarde (déculturation, oubli de l'histoire, abolition du passé, etc.) et haine de soi - en fait haine vouée par les Français notoires et notables ou même par les néo-Français à ceux des Français qui ne se haïssent pas.
"Syndrôme névrotique", en effet. Il pourrait bien exprimer, chez les Occidentaux qui en sont atteint, un extraordinaire et vénéneux sentiment de supériorité.
Comment en est-on venu au musée de l’esclavage de la colonisation et de l’outre-mer ?

Rappelons quelques étapes qui ont pour théâtre principal les colonnes de notre quotidien vespéral fétiche.

« Vraiment la présence du chef de l'Etat en ces lieux est nécessaire. », c’est ce devoir qui a poussé M. Sarkozy à visiter en septembre dernier l’homme de Cro-Magnon. Nous ne savons pas ce que celui-ci en a pensé, mais celui-là en fut ravi. Bien plus, la visite a entraîné une fusion émotionnelle du couple présidentiel : « Carla comme moi-même avons été profondément bouleversés par ce que nous avons vu, c'est au-delà de l'émotion. » Qu’est-ce que cet au-delà de l’émotion ? Le saurons-nous jamais ? Dans sa joie, le Président de la République a jeté aux orties le discours préparé et a improvisé. Bien lui en a pris, car nous avons retrouvé avec plaisir son style oratoire idiosyncrasique. Et surtout, il nous a découvert une filiation importante. Nous la soupçonnions, mais ne la tenions pas encore de science certaine : le Président de la République est fils de Lévi-Strauss. Il semble en avoir surtout hérité Race et histoire : […] je me disais, entre l'universel et le terroir, il y a Lascaux qui non seulement n'oppose rien, mais au contraire réunit tout. C'est une idée qui m'est chère : la mondialisation passe par le renforcement des identités culturelles de chaque territoire, la mondialisation n'est pas une négation de ces identités, elle ne peut avoir un visage humain, cette mondialisation, que si elle part de ces identités et de leurs diversités. Il n'y a pas de diversité possible sur la mort des identités. Quand vous dialoguez, le mot diversité, est un mot fortement consensuel, mais la diversité n'est que la conséquence du respect des identités. »

L’on voit que le « message » de Lascaux vient éclairer la démarche de l’identité nationale. Voici qui nous amène en souplesse à la Maison de l’histoire de France : « Au moment où l'histoire s'accélère sans cesse, il nous faut créer des lieux pour réfléchir sur le temps. C'est pour cela que j'ai voulu la Maison de l'Histoire, dont j'avais parlé au moment de la campagne présidentielle. J'y tiens beaucoup parce que la question des archives - j'inaugurerai bientôt le fameux Centre de Pierrefitte - est étroitement liée à la question de l'histoire. C'est une dimension absolument centrale pour préparer l'avenir. Nous avons beaucoup travaillé sur la Maison de l'histoire avec Frédéric Mitterrand, et où mieux qu'ici dans cette « vallée de l'homme » multimillénaire, aurais-je pu annoncer sa création ? Nous avons beaucoup travaillé, trois missions ont été sollicitées, la première sur le concept, la deuxième sur les lieux, la troisième sur l'organisation. […]
« Alors il faudra bien sûr un lieu pour incarner la Maison de l'histoire de France, un Siège qui soit emblématique de notre histoire, tout en étant un lieu «pratique» et en évitant les choix trop coûteux. Nous avons décidé de retenir comme Siège de cette nouvelle institution le site des Archives Nationales, grand quadrilatère regroupant au cœur de Paris les hôtels de Soubise et de Rohan, autour de grands jardins dont j'annonce que désormais ils seront ouverts au public
. »

La confusion s’installe : nous ne savons encore rien du « concept » de cette Maison, mais tout de son domicile. La polémique va s’alimenter à ce trop-ci et à ce trop peu-là.

Après la bonne nouvelle, les jours alcyoniens seront courts, car on apprend bientôt que la Maison de l’histoire de France n’est pas la bienvenue à l’hôtel de Soubise. L’argumentation des hôtes pressentis : on sacrifie les archives nationales. On craint en effet les champignons, les voleurs et les incendies ! Est-ce tout ? De mauvaises langues insinuent que les amis des archives ont également un souci plus personnel : la crainte de l’exil à Pierrefitte-sur-Seine, dans le sympathique 9-3.

Il faudra convaincre. Et c’est à ce point qu’il nous faut revenir au projet. Mais voilà, le terrain est miné

En effet, la vaste consultation sur l’identité nationale a rendu friable le sol - quel qu’il soit - qui supportera la virtuelle Maison. Le Président de la République avait, comme l’on sait, lancé un vaste débat identitaire. Et comme il arrive dans les débats, les invités se sont exprimés. Et ce qu’ils ont dit n’était pas toujours bienséant. Il fallait s’y attendre, nous n’étions pas sur France Cu. On ne savait pas dire les choses insanes avec cette réticence dans le ton qui permet de désamorcer les gros mots, et grâce à l’intonation appropriée de les mettre entre guillemets. On a fait tout le contraire, on a déballé. La candeur du Président de la République fut bien surprise, car non seulement les Français ne disaient pas bien les bonnes choses, mais il fut, lui-même, en outre soupçonné d’arrière-pensées populistes. Toujours est-il que les Français, qui avaient toujours eu droit à une identité, qui considéraient que ce droit n’était pas moindre que celui des Bantous, en ont été dépossédés dès le prologue du débat. Ce fut donc un débat sur quelque chose qui n’existait plus ou qui n’avait jamais existé. Mais le grave dans l’identité française est que, bien qu’inconsistante, elle soit contondante. La bien-pensance nous a dit : Français, on vous connaît ! si vous invoquez votre identité, c’est pour la brandir de façon menaçante au-dessus de la tête des immigrés ou des bonnes gens issues de l’immigration. Or l’identité n’est pas une matraque, c’est au contraire le bouclier des opprimés face à l’oppresseur. Du coup, on était prié, à la façon du révolutionnaire de l’Education sentimentale, de chanter:
« Chapeau bas devant ma Chéchia,
A genoux devant l’immigré !
»
L’identité du visiteur doit l’emporter sur celle de l’hôte, telle est la règle : c’est bien une contre-colonisation. Que le néo-colonisateur ne se réjouisse pas trop, car dans la colonisation de jadis, la victime fut in fine le colonisateur et pas le colonisé.

Le débat une fois clos, au moment où l’identité française s’était faite si petite qu’on allait l’oublier, le Président de la République sort son projet de Maison de l’histoire de France. Aussitôt un collectif d’historiens (Quelle mouche a donc piqué le plus connu d’entre eux, Jacques Le Goff, de co-diriger une entreprise aussi rétrograde que son Histoire de la France religieuse en quatre volumes ?) nous fait la leçon et titre : « La Maison de l'histoire de France est un projet dangereux. Une conception aussi étriquée et rétrograde est inacceptable. » Apprenons la leçon.

Dangereux parce que, devine-t-on, il divise les Français du 9-3 et les écartèle entre Suger et Ibn Khaldoun.

Le collectif montre aussi en quoi ce projet est étriqué : « Il paraît bien surprenant aujourd'hui de vouloir limiter le projet d'un grand musée d'histoire du XXIe siècle à la seule « histoire de France ». Alors que la « mondialisation» des économies et des sociétés ne cesse d'être évoquée comme une contrainte pour l'ensemble des Etats-nations, comment imaginer qu'un musée d'histoire du XXIe siècle ne donne pas à cette échelle une place centrale pour aider les citoyens à se repérer dans un espace large, dans son historicité ? »
« L'Europe et ses prolongements sont intrinsèquement liés à l'histoire française depuis plusieurs siècles. Surtout, les développements récents ont montré combien la construction de cet espace politique suscitait d'interrogations, de méfiance et de rejet.
» Donc, il faudrait faire un musée de la mondialisation. Soit, mais il semble qu’il y ait malentendu. Ce n’est pas un musée, mais une maison que veut M. Sarkozy. Une maison : c’est un havre où l’identité nationale pourrait se réfugier en attendant des temps meilleurs. Pourquoi Diable parler d’un musée ? Et surtout pourquoi vouloir à tout prix faire un musée du contemporain ou du futur ? Mystère. En tout cas, l’exigence de ce collectif peut déconcerter : l’histoire de France ne serait plus un objet historiographique. La mondialisation aurait effacé l’histoire propre de la France ? La gomme de ce collectif d’historiens efface-t-elle aussi l’histoire de l’Allemagne, du Royaume Uni ? Si ? Mais pas de l’Algérie tout de même ! Et quand bien même, écrire l’histoire de France n’aurait plus aucun sens actuel, les vingt siècles où la France croyait écrire une histoire méritent tout de même un examen. En effet, comment expliquer l’étonnante pérennité de cette hallucination ? Allons donc, il reste bien au minimum une histoire de France, comme passé d’une illusion, pour paraphraser François Furet.

Le projet est enfin rétrograde dans la mesure où il est au service d’une France rabougrie, c’est la France-de-la-peur-de-l’autre et du repli-sur-soi qu’on opposera sans mal à celle du grand large, à cette fraîche brise qui souffle dans les «banlieues populaires », au dynamisme bien connu, celle du métissage qui n’a pas été oublié par nos auteurs, celle enfin qui sort hébétée du débat sur l’identité nationale.

Les choses n’en restent pas là, le 11 novembre, un autre collectif plus huppé nous suggère que si nous tenons tant à la Maison de l’histoire de France, qu’on la mette dans le pavillon Gabriel, place de la Concorde. La démarche est rusée de la part du collectif dont la moitié des membres aurait refusé de participer au conseil scientifique de ladite Maison. En effet, ils proposent un troc. Ils tolèrent la Maison pour en sauver une autre : le pavillon Gabriel.

On n’a pas même eu le temps de leur répondre que surgit un nouveau collectif, moins distingué, mais plus toxique. Il s’agit désormais de faire un Musée de l’esclavage, de la colonisation et de l’outre-mer Mecom, celui-là même qui hérisse le parti de l’In-nocence. L’histoire de France sort de sa relégation pour implorer son pardon en clamant sa culpabilité, avant - n’en doutons pas - de verser les légitimes et potelées réparations aux descendants des esclaves et des colonisés. L’outre-mer se joint à l’accusation, bien que d’ores et déjà plus que largement indemnisé, et il n’est pas repus et prendra part au festin.

L’establishment parisien a réussi à faire converger deux causes, à les rendre plus patibulaires, dans la mesure où l’ «indignation » provoquée par l’une venait se déverser dans l’ « indignation » suscitée par l’autre, à engendrer un monstre mythique qui viendra compléter les collections du Teratological Museum de Renaud Camus.

En un sens, ce débat est l’illustration d’un des traits de notre identité nationale : l’assomption aux principes à la moindre contrariété. Cette Maison de l’histoire de France constitue une sorte d’énoncé performatif : dans son intitulé même, elle met en branle son objet !
Aujourd'hui 21 janvier, une pensée pour Louis XVI.
Ce grand maigre pris pour un petit gros.
Vous n'avez pas assez souffert, voici un "poème" de Benjamin Perret - Il existe un enregistrement de Perret disant ce texte - Perret avait une voix, une diction "à la Jouvet". Ce n'est qu'à cette audition que l'on mesure que ce texte ne pouvait pas être pris au premier degré. Je vais encore ne pas être compris, je le sens, mais permettez-moi de dire que je trouve ce texte superbe:

Louis XVI s'en va a la guillotine

Pue pue pue
Qu'est-ce qui pue ?
C'est Louis XVI, l'oeuf mal couvé
et sa tête tombe dans le panier
sa tête pourrie
parce qu'il fait froid le 21 janvier
Il pleut du sang de la neige
et toutes sortes de saletés
qui jaillissent de sa vieille carcasse
de chien crevé au fond d'une lessiveuse
au milieu du linge sale
qui a eu le temps de pourrir
comme la fleur de lis des poubelles
que les vaches refusent de brouter
parce qu'elle répand une odeur de dieu
dieu le père des boues
qui a donné à Louis XVI
le droit divin de crever
comme un chien dans une lessiveuse
"Article extrait de Polemia : j'ajoute que des ordres religieux catholiques furent créés dès le 12 ème siècle, dont Notre Dame de la Merci pour le rachat des captifs chrétiens par les musulmans en Espagne, au Maghreb, et en Terre Sainte.

A quand une repentance pour les « captifs en Barbarie » ?

Des centaines de livres sont consacrés chaque année aux Africains vendus (généralement par leurs compatriotes) aux négriers fournissant les colonies d’outre-Atlantique. Un calvaire également détaillé dans de multiples films et émissions de télévision et solennellement évoqué chaque 10 mai par la « Journée commémorative des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leur abolition » instituée (sans crainte de la redondance !) par Jacques Chirac en 2005 avant que Nicolas Sarkozy n’y aille de sa larme le 8 janvier dernier lors de son hommage antillais à Aimé Césaire. Mais qui rappelle le martyre des esclaves blancs, plus d’un million selon l’historien anglais Giles Milton ?

Dans son roman policier Le Phare, paru en 2008 à LGF/Livre de Poche et qu’elle situe à Combe Island, au large de la Cornouailles, l’Anglaise P. D. James signale à plusieurs reprises la terreur exercée par les pirates maghrébins, surtout ceux de Rabat-Salé, sur les côtes sud de l’Angleterre où ils s’étaient emparés de plusieurs îles, transformées en bastions. Le sort tragique et « l’histoire extraordinaire des esclaves européens en terre d’islam », c’est justement ce qu’a étudié l’historien Giles Milton, anglais lui aussi, dans Captifs en Barbarie.

Plus d’un million d’esclaves blancs

On sait quelle ampleur avait prise la piraterie barbaresque en Méditerranée et le péril qu’elle faisait courir aux populations riveraines, au point que la prise de la Régence d’Alger par la France, en 1830, fut approuvée et accueillie avec soulagement par toute l’Europe. Même si une cousine de la future impératrice Joséphine, la Créole Aimée Dubuc de Rivery, qui avait pris place sur un bateau pour la Métropole, vit le navire arraisonné et ses passagers vendus en esclavage, elle-même étant destinée au harem du sultan de Stamboul, on sait moins que cette piraterie fut presque aussi active dans l’Atlantique. A partir des côtes marocaines furent ainsi razziés aux XVIIe et XVIIe siècle non seulement des Britanniques mais aussi des Scandinaves, des Islandais, des colons du Groenland et même des Américains.

Après de longs recoupements, Giles Milton estime à plus de un million le nombre des esclaves occidentaux dont une infirme minorité put recouvrer la liberté, grâce au versement d’une rançon ou par évasion — cas du Cornouaillais Thomas Pellow, enlevé en 1715 à l’âge de onze ans, enfin libre vint ans plus tard et dont l’autobiographie publiée en 1740, après son miraculeux retour en Angleterre, sert à l’auteur de fil conducteur.

A l’époque comme aujourd’hui en Afghanistan et surtout en Afrique (qu’on pense à la Somalie, au Mali où croupissent plusieurs Français), la prise d’otages occidentaux était pratiquée à grande échelle pour obtenir d’abord d’extravagantes rançons, surtout quand ces otages étaient de hauts personnages, mais aussi pour obtenir aussi des appuis politiques et des retournements d’alliances. Ainsi le Maroc multiplia-t-il au début du XVIIe siècle les razzias d’Anglais dans le dessein d’obliger le roi Jacques 1er Stuart à attaquer l’Espagne.

Une main-d’œuvre à bon marché

Mais la cause principale était évidemment de se procurer au moindre coût une énorme main-d’œuvre. Celle-ci étant par exemple nécessaire à la réalisation des projets pharaoniques du sultan alaouite Moulay Ismaïl qui régna de 1672 à 1727 et dont l’obsession était de surpasser Louis XIV, qu’il sommait d’ailleurs de se convertir à l’islam… Ce qui n’empêchait d’ailleurs pas ce fervent musulman de se saouler rituellement à mort pour fêter la fin du ramadan ! Pour que son ensemble palatial de Meknès, avec notamment le Dar el-Mansour, « haut de plus de cinquante mètres », fût infiniment plus vaste et plus imposant que Versailles, le monarque avait donc besoin d’une masse d’ouvriers mais aussi d’artisans, de contremaîtres et d’architectes que seuls pouvaient lui procurer les pirates écumant les côtes européennes. Selon l’historien arabe Ahmad al-Zayyani cité par Milton, il y eut simultanément à Meknès jusqu’à 25 000 esclaves européens, soit une population « à peu près égale à celle d’Alger ».

Certes, il y avait un moyen pour les captifs d’adoucir leur servitude : embrasser l’islam, comme l’avait fait le renégat hollandais Jan Janszoon, devenus l’un des plus redoutables et des plus riches chefs pirates sous le nom de Mourad Raïs. Mais la foi étant encore si grande et si profonde à l’époque, bien peu s’y résolurent, préférant l’enfer sur terre à l’Enfer au Ciel.

Car c’est bien la géhenne que ces malheureux subissaient sous la férule d’une sanguinaire Garde noire, qui terrorisait autant qu’elle surveillait. Ces Noirs, « d’une hauteur prodigieuse, d’un regard épouvantable et d’une voix aussi terrible que l’aboiement de Cerbère » selon l’ancien esclave français Germain Moüette, n’hésitaient pas à recourir aux châtiments les plus extrêmes, voire à la peine capitale, à l’encontre des prisonniers rétifs, ou simplement trop malades et donc incapable de fournir le labeur exigé d’eux malgré les rations de vin et d’eau-de-vie procurées par les juifs, courtiers habituels entre les pirates et Moulay Ismaïl.

Non content de procéder aux pires profanations — après la prise de la place-forte espagnole de la Memora en 1688, le souverain alaouite se fit apporter les statues de la Vierge et des saints afin qu’il puisse « cracher sur elles » avant de les faire briser— Moulay Ismaïl prenait grand plaisir au spectacle de la torture. Selon le récit de Harrison, ambassadeur anglais venu négocier le rachat de ses compatriotes et surtout des femmes, le sultan, qui se déplaçait volontiers sur un « char doré, tiré non par des chevaux mais par un attelage d’épouses et d’eunuques », pour la plupart européens, « faisait battre les hommes presque à mort en sa présence, certains sous la plante des pieds et il les forçait ensuite à courir sur des cailloux et des épines. Certains des esclaves avaient été traînés par des chevaux jusqu’à être mis en pièces. D’autres avaient même été démembrés alors qu’ils étaient encore vivants, leurs doigts et orteils coupés aux articulations ; bras et jambes, tête, etc. »

L’un des chapitres les plus sombres de l’histoire de l’humanité

Un traitement sadique que ne subirent jamais les victimes de la traite triangulaire. « Etre esclave en Géorgie, voilà le vœu d’un ouvrier lyonnais », devait d’ailleurs écrire l’humoriste français Alphonse Karr à la veille de la guerre de Sécession. Certes, tous les « captifs en Barbarie », et notamment au Maroc, pays dont on nous dit être de haute civilisation et profondément humaniste, ne furent pas traités de manière aussi inhumaine. Comme dans d’autres camps, plus récents, beaucoup succombèrent non sous les coups ou la question, mais du fait d’épidémies décimant des organismes affaiblis par la faim, le froid des nuits d’hiver et surtout une promiscuité immonde, les esclaves regroupés dans des cellules surpeuplées vivant dans leurs immondices.

Nul ne saurait bien sûr, et surtout pas notre Nomenklatura politique (Nicolas et Carla Sarkozy, Jacques et Bernadette Chirac, Dominique et Anne Strauss-Kahn, Béatrice et Jean-Louis Borloo, Patrick et Isabelle Balkany, Ségolène Royal, Jean-Paul Huchon et quelques autres) qui vient de passer Noël au Maroc, exiger une repentance en bonne et due forme de la part de « notre ami le roi » Mohamed VI, actuel descendant de l’Alaouite Moulay Ismaïl. Mais l’Ecole de la République, si prolixe sur le sort des esclaves noirs, ne pourrait-elle du moins renseigner nos chères têtes blondes, et autres, sur ce que fut de l’autre côté de la Méditerranée le sort des esclaves blancs ? Cette ordalie subie par plus d’un million d’Européens constitue, Giles Milton est formel sur ce point, « l’un des chapitres les plus sombres de l’histoire de l’humanité ». Pourquoi en est-elle aussi le chapitre le plus systématiquement occulté ?

Claude Lorne
08/01/2011

Giles. Milton, Captifs en Barbarie / L’histoire extraordinaire des esclaves européens en terre d’Islam, traduction de l’anglais de Florence Bertrand, Payot coll. Petite Bibliothèque, 2008
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