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Un beau discours sur l'état des moeurs.

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
05 février 2008, 18:56   Un beau discours sur l'état des moeurs.
Chers adhérents et sympathisants du parti, chers liseurs occasionnels,

j'exprime ma profonde gratitude à ceux et à celles qui ont permis la résurrection du forum. Mes interventions sont aussi rares que ma fréquentation est assidue.
Pour fêter ce qui est, pour moi, un très heureux évènement, je vous propose la lecture d'un texte politique à l'écriture savoureuse et juste. Il a été prononcé, il y a peu de jours, par Gabriel Matzneff.
La personne de cet écrivain est évoquée à quelques reprises dans le Journal de Renaud Camus avec une sympathie mesurée mais réelle.
On peut trouver l'original du texte, après quelques recherches, à l'adresse:

A propos du viol
13 Décembre 2007

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Invité par le professeur Jean-Michel Devésa à participer du 13 au 15 décembre au Colloque international « Viol, violence, corps et identité » qui s’est tenu à Bordeaux le jeudi 13 décembre 2007 à la librairie Mollat et le vendredi 14 à l’amphithéâtre de la Maison des étudiants de l’Université de Bordeaux 3, Gabriel Matzneff y a prononcé le discours que voici :


Mesdames, mesdemoiselles, messieurs,

A celles et ceux d’entre vous que leur vie amoureuse ne satisfait pas, je suis venu aujourd’hui à Bordeaux porter une parole de réconfort.

J’aimerais en effet vous convaincre que la vie amoureuse n’a jamais été une chose facile.

Le bruit court, corre voce, disent les Italiens, que la faute en incombe au christianisme, qui a fait des plaisirs de la chair un péché et nous enseigne à nous mortifier en vue de notre salut. Passionné à l’antiquité païenne depuis mon enfance, fils affectionné de la Louve, je vous assure qu’il n’en est rien.

Ce n’est pas saint Paul, c’est Plutarque qui, commentant deux vers d’Hésiode, parle de « l’impureté attachée au coït » ; dans son De Senectute, Cicéron explique qu’un des principaux mérites de la vieillesse est de nous délivrer des plaisirs de Vénus, qui sont la part la plus condamnable de l’adolescence, quod est in adulescentia vitiosissimum ; Sénèque condamne le dévergondage en des termes que ne récuseraient pas les Pères de l’Eglise ; les historiens grecs et latins sont farcis d’exemples d’un moralisme sexuel qui laisse loin derrière lui les exigences de la vertu chrétienne. C’est ainsi que dans ses Faits et paroles mémorables, Valère Maxime, après une invocation à la chasteté1, raconte, en l’approuvant, comment P. Maenius fit mettre à mort un garçon qu’il avait surpris en train d’embrasser sa fille, déjà nubile, nubilis jam aetatis, afin que celle-ci comprît qu’elle devait conserver pour son époux « non seulement la fleur de sa virginité, mais les prémices mêmes de ses baisers ». Valère Maxime fait également l’éloge de Cernius et de Vibenius qui châtrèrent les amants de leurs femmes ; et l’on peut voir chez Tite-Live que la découverte du scandale des Bacchanales, cet ancêtre de nos ballets roses et bleus, entraîna la mort de plusieurs milliers de personnes, ce qui prouve d’abondance que ce n’était point être en repos que d’être libertin en 186 avant Jésus-Christ.

Au programme de notre rencontre figure une communication de Géraldine Puccini- Delbey sur le viol dans l’antiquité romaine.

Ne voulant pas déflorer son captivant sujet - encore que la défloration, dans un colloque sur le viol, serait « en situation », pour parler comme les gens de théâtre -, je me tiendrai la bride courte. Je désire seulement vous rappeler qu’en classe de sixième qui, pour ma génération, était celle où nous commencions à faire nos humanités, nos premiers contacts avec la civilisation gréco-romaine furent le meurtre de Rémus par Romulus, qui n’était guère propre à développer dans nos cœurs juvéniles le sens de la famille, l’enlèvement des Sabines, qu’aujourd’hui l’ordre moral régnant ne manquerait pas d’assimiler à un viol collectif, enlèvement qui, dans le cadre d’un programme d’éducation sexuelle, est une façon un peu bizarre d’enseigner aux garçons l’art et la manière de courtiser les filles, et le suicide de Lucrèce qui, violée par Sextus, fils de Tarquin le Superbe, se donne la mort pour ne pas survivre au déshonneur, comme cinq siècles plus tard Caton d’Utique, après la défaite de Pharsale, se plonge une épée dans les entrailles pour ne pas survivre à la liberté. Nous étions en culottes courtes et les exemples civiques que nos maîtres proposaient à notre édification étaient le meurtre du frère, le viol et le suicide. Ne vous étonnez pas, mesdames et messieurs, qu’ensuite certains d’entre nous aient mal tourné.

Vous m’objecterez que, si nous avions été plus assidus lors des séances de catéchisme, la bonne influence de notre sainte mère l’Eglise nous eût maintenus dans le droit chemin. Cela n’est pas sûr, vu que dès les premières pages de la Bible nous tombons sur le meurtre d’Abel par Caïn, sur l’inceste, sur des violences de tous ordres qui ont fait que durant des siècles la lecture de ce redoutable ouvrage fut en Occident prudemment réservée aux clercs, aux lettrés capables de comprendre l’hébreu, le grec, le latin, le bas peuple n’en ayant connaissance qu’à travers le filtre lénitif avec quoi ce texte belliqueux était censuré, émondé, adouci par le clergé.

Aurions-nous échappé, sinon à l’apologie, du moins à la complaisante description de la violence, de la polygamie, des coucheries tous azimuts si, au lieu d’être nourris aux sources du paganisme gréco-romain et du monothéisme judéo-christique, au lieu d’être nés à Bordeaux ou à Paris, le destin nous avait fait voir le jour à Bombay ou à Calcutta et qu’au lieu des poésies d’Anacréon et de Martial, des amours fort peu orthodoxes des déesses et des dieux de l’Olympe et des exploits au pieu de ces infatigables baiseurs que sont les prophètes barbus de l’Ancien Testament, nous avions dès notre enfance été nourris au biberon sanskritiste des Védas et des Upanishad ? Rien n’est moins sûr. Touchant les traditions de l’Inde, je suis un profane, mais l’un de mes meilleurs amis, aujourd’hui disparu, Alain Daniélou, converti au shivaïsme et dont l’ouvrage le plus connu a pour thème l’érotisme sacré dans la religion hindoue, m’a souvent dit en riant que l’esprit de celle-ci est aux antipodes du moralisme petit-bourgeois des quakers et des quakeresses de nos ligues de vertu. Dans Les Quatre sens de la vie, Alain Daniélou a de belles pages sur la fonction sacerdotale du michetonnage qui ne plairaient guère aux bien-pensants, et je jubile en imaginant la tête de nos hypocrites cafards lisant ces lignes :
« Les actes érotiques n’ont pour les hindous aucune importance en eux-mêmes, et la condamnation de l’onanisme, des rapports sexuels avec des enfants ou des adolescents, de l’homosexualité, de la prostitution paraît aussi absurde à l’hindou traditionaliste que le serait l’interdiction de manger des pommes ou de faire la sieste. »
Oublions les Grecs, les Romains, Dionysos, Vénus ; oublions Shiva, ses divines partouzes et son braquemard toujours orgueilleusement dressé ; oublions les parties de jambes en l’air extraconjugales du prophète Abraham et du roi David.

Oublions même le Christ qui nous enseigne : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés » ; qui, lorsque les scribes et les pharisiens veulent lapider une femme surprise en adultère, demeure silencieux, écrivant du doigt sur le sable. Et comme ces faux derches persistent à l’interroger, Jésus redresse la tête et leur dit : « Que celui de vous qui est sans péché lui jette la première pierre. » Puis il se remet à écrire, silencieusement, sur le sable. Nous ne saurons jamais ce que ce jour-là, sur le sable, écrivit le Christ. C’est en vérité une des pages les plus mystérieuses de l’Evangile, une de celles qui portent le plus à la rêverie.

Aujourd’hui, cependant, nous nous en fichons. Le ciel sous lequel nous sommes est un ciel vide de Dieu. Celui-ci est mort, c’est bien connu, et à l’univers obsolète, obscurantiste du christianisme qui était un univers de la chute et de la rédemption, du péché et du pardon, nous avons substitué celui de la vertu. La vertu laïque et républicaine, cela va sans dire ; les lumières de la raison. Vous vous souvenez de saint Augustin écrivant qu’au creux de la pire des déchéances ou du plus damnable des crimes demeurent la souveraine misère et la souveraine miséricorde, remansit magna miseria et magna misericordia. Cette sublime parole, nos contemporains ne sont plus capables de l’entendre. Le mot « miséricorde » ne fait pas partie de leur vocabulaire. Lorsqu’à Nantes, Gilles de Rais, condamné à être pendu, puis brûlé, pour avoir violé, torturé de manière abominable et assassiné des dizaines, voire des centaines de jeunes garçons, monte sur le gibet, celui-ci est entouré de femmes à genoux : ce sont les mères de ces jeunes garçons violés, torturés, assassinés qui prient pour le salut de l’âme de celui qui fut leur bourreau. Est-il besoin de vous préciser que cela se passe en des temps très anciens, le 26 octobre 1440 ? De nos jours, on ne se met pas à genoux, on ne prie pas, on ne pardonne pas. Lorsque, dans les dernières années du XX° siècle, un malheureux instituteur, dont le nom avait été jeté en pâture à la presse, « jeté aux chiens » aurait dit mon vieil ami François Mitterrand, pour une histoire de réseau Internet de pédophiles ou prétendus tels, se donna par désespoir la mort, le ministre délégué à l’Enseignement scolaire, future candidate à la Présidence de la République, laissa tomber des mots d’une sécheresse, d’une méchanceté, d’une dureté, d’une sottise qui horrifièrent beaucoup d’entre nous, et même celui qui était alors ministre de l’Education nationale, M. Claude Allègre.

On assiste chez nous (et dans le monde entier) au triomphe de l’hystérie puritaine. Celle-ci nous vient tout droit des ligues pharisaïques, des cercles néo-conservateurs d’outre-Atlantique, mais en France la droite n’est pas la seule à entonner ce refrain ; la gauche fait chorus et c’est la société dans son ensemble qui le chante à gorge déployée. Dans la surenchère moralisatrice les tartufes culs-bénits et les tartufes bouffeurs de curés rivalisent d’un zèle flicard. On a brocardé le ministère des Vices et des Vertus créé par les talibans à Kaboul, mais à Paris aussi, depuis des années, nous avons notre ministère des Vices et des Vertus, nous avons nos inquisiteurs de droite et nos psychiatres de gauche, nos sycophantes des associations et des media, nous avons nos listes noires, nos appels au lynchage, nos kagébistes de la pensée et des moeurs. En 1942, sur l’étoile jaune, on lisait « juif » ; aujourd’hui on lit « écrivain sulfureux », « cinéaste sulfureux », « peintre sulfureux », « photographe sulfureux » ; mais juif ou sulfureux, le but est le même : diaboliser le porteur de l’étoile jaune, lui imposer silence, l’anathématiser, le détruire.

Ne voulant pas que mes propos soient mésinterprétés et que vous pensiez que je suis en train de faire l’éloge des déplorables mœurs de Gilles de Rais, je crois, à cet endroit de mon discours, utile de préciser que ce que j’aime dans la vie amoureuse, et tous ceux qui me connaissent le savent, c’est charmer, séduire, captiver les jeunes personnes que je désire en me servant du peu de beauté, d’esprit et de savoir-faire au plumard dont les fées qui se penchèrent sur mon berceau voulurent bien me doter ; et même lorsque, me trouvant dans des pays dont j’ignore la langue, je suis réduit aux amours mercenaires, je veille à ce que celles-ci se déroulent sous le signe de la tendresse, de la confiance, du plaisir partagé. J’ai horreur de la violence, de la coercition ; je n’ai ni sympathie ni indulgence pour les patrons qui couchent avec les secrétaires en leur faisant miroiter une augmentation, pour les producteurs qui sautent les starlettes en leur promettant un rôle, pour les chefs scouts aux culottes courtes et aux mollets poilus qui tripotent les louveteaux d’une main en leur montrant la Grande Ourse de l’autre. J’ai une vive admiration pour Sade, je tiens Juliette pour le plus beau roman français du XVIII° siècle, j’adore l’humour noir de ce maître, sa licencieuse fantaisie, mais je confesse que lorsque je tombe sur ses interminables descriptions de viols et de tortures je ne les lis qu’en diagonale et je saute les pages.

Pour achever de vous éclairer, je vous lirai quelques lignes de l’article « Viol » dans le dictionnaire philosophique que j’ai publié en 1987, Le Taureau de Phalaris, titre emprunté à mon bon maître Epicure qui, vous vous le rappelez, soutient que le sage est heureux dans toutes les circonstances de la vie ; que, même placé dans le taureau de cuivre incandescent où Phalaris, tyran d’Agrigente, suppliciait ses victimes, il s’écrierait : « Que ceci est agréable ! Que j’en suis peu ému ! », Quam suave est ! Quam non curo !. Peut-être Sade était-il, lui aussi, un disciple d’Epicure et pensait-il que, lorsqu’il brûlait au fer rouge et étripait certains de ses personnages, ceux-ci en étaient ravis et, s’il ne leur avait pas au préalable arraché la langue, se seraient exclamé : Quam suave est ! Quam non curo !

Voici donc ce que j’écris du viol :
« Dans Gloria mundi, film de Nikos Papatakis, on voit des parachutistes torturer une femme et la violer avec un tesson de bouteille. Il n’existe aucune différence entre ces tortionnaires et le jeune cadre dynamique qui prend une fille en auto-stop sur la route, puis la viole. Prétendre le contraire est un sophisme. Le type qui viole une femme et le type qui lui brûle les seins avec une cigarette participent à la même ignominie. Il est d’ailleurs rare que dans un viol l’homme se borne au seul acte sexuel : celui-ci est presque toujours accompagné d’une volonté de dégrader, d’humilier la victime. La violence physique est une et indivisible. »
Il y a encore plusieurs paragraphes du même tabac, mais celui-ci suffit, je l’espère, à vous convaincre que le viol n’est pas ma tasse de thé, ab-so-lu-ment-pas.

Cependant, avant de poursuivre plus avant, il convient de se demander si, lorsque nous parlons de viol, nous parlons tous de la même chose. La précision du vocabulaire que nous utilisons, la justesse des termes que nous choisissons pour exprimer notre pensée sont, je me permets de le dire aux plus jeunes d’entre vous, les colonnes d’Hercule de la civilisation. Lorsque les gens n’ont plus la maîtrise de leur langue, ne savent plus le sens exact des mots qu’ils emploient, c’est la porte ouverte à la barbarie.

Ces derniers temps, il nous arrive souvent de lire, à la une des gazettes, qu’un professeur à la retraite âgé de quatre-vingt dix ans a été jeté en prison, ayant été dénoncé par de bedonnants et moustachus quinquagénaires qui l’accusent, après quarante ans de réflexion, d’avoir abusé de leur innocence lorsqu’ils en avaient dix. Et, sous un titre affriolant du style « Un violeur pédophile en prison ! », nous découvrons un article qui commence par une phrase indignée de ce genre : « Le monstre a ainsi violé plus de soixante-dix collégiens au cours des cinq années qu’il passa dans cet établissement. » Le jour où s’ouvre le procès, on découvre que personne n’a été violé, qu’au pire le « monstre » a tripoté quelques popotins, donné à la sauvette quelques baisers, taillé quelques pipes, bref, transformé en travaux pratiques l’étude de l’églogue virgilienne que, gamins, nous apprîmes tous par cœur :
Formosum pastor Corydon ardebat Alexin,
Delicias domini.
Bref, beaucoup de bruit pour peu de chose, il s’agit de ce que naguère on appelait un attentat à la pudeur, qu’aujourd’hui on estime plus chic de baptiser « agression sexuelle », mais le mot « viol » a été lancé, ce mot qui suscite parmi les gens honnêtes une légitime détestation, c’est lui que l’opinion publique retiendra, et tel est le but des chiennes et chiens de garde du nouvel ordre moral qui s’impatronise sur la planète entière, et singulièrement dans notre douce France.

Nous avons des juristes parmi nous et ils auront, aujourd’hui ou demain, l’occasion de nous éclairer sur ce que recouvre la qualification d’agression sexuelle et sur ce qu’elle ne recouvre pas ; sur ce que recouvre la qualification de viol et sur ce qu’elle ne recouvre pas ; sur ce que dans la vie amoureuse la loi autorise et n’autorise pas. Ils nous déroulerons les subtiles délices de l’article 222 du code pénal. Les media, eux, qui dans ces affaires de mœurs sont encore plus zélés que les policiers et les juges, ne s’embarrassent pas de pareilles finasseries, et chez eux le moindre attouchement est baptisé de ce terrible nom de viol.

Assurément, profiter de la bousculade dans le métro pour pincer les fesses d’une jeune fille ou mettre sa main dans la braguette d’un jeune homme est un geste répréhensible, mais ce n’est pas pour autant un viol. Les prétendus viols dont, selon les talibans de TF1 ou de RTL, se rendraient coupables les vilains messieurs sont, dans neuf cas sur dix, de modestes histoires de touche-pipi. Il y a entre pénétrer de force une fille ou un garçon et lui voler un baiser la même différence qu’entre un crime et un délit ; qu’entre la cour d’assises et la correctionnelle. Aux chacals incultes qui voient partout des violeurs, il faudrait faire lire les pages qu’André Gide consacre à ses galipettes maghrébines. Les plaisirs de l’amour se réduisaient chez lui à très peu de chose : palper un corps, faire une petite branlette était pour notre Prix Nobel de littérature le comble de la félicité. Vous connaissez tous cette délicieuse phrase de Paludes, un de ses meilleurs livres (je cite de mémoire) : « Je m’en fus coucher chez Angèle. Je dis chez Angèle et non avec Angèle, car il n’y eut jamais entre nous que des simulacres anodins. »

Le cher Gide n’a jamais violé personne, ni fille ni garçon, et rien n’est plus divertissant, et instructif, que le chapitre de Si le grain ne meurt sur la soirée algérienne où, partageant avec un de ses amis, Daniel, les faveurs d’un jeune garçon prénommé Mohammed, il dit, après qu’il a vaguement caressé et branlé celui-ci, sa surprise effarouchée en observant son ami sodomiser le giton.

« On a toujours grand mal à comprendre les amours des autres, leur façon de pratiquer l’amour », note Gide à ce propos. Et il ajoute : « Pour moi, qui ne comprends le plaisir que face à face, réciproque et sans violence, et que souvent le plus furtif contact satisfait, j’étais horrifié tout à la fois par le jeu de Daniel, et de voir s’y prêter aussi complaisamment Mohammed. »

L’effronté Mohammed est donc un ganymède complaisant, il a d’ailleurs seize ou dix-sept ans, mais s’il en avait eu moins de quinze, son consentement n’aurait eu aucune valeur aux yeux des juges et – c’est pourquoi je recommande ce passage de Si le grain ne meurt aux avocats ici présents, car il illustre à merveille la différence entre le 222-22 et le 222-23 - Gide, de nos jours, eût été condamné pour agression sexuelle, et son ami Daniel pour viol.

Je vous l’avais dit au début de ma communication, l’amour, ce n’est pas de la tarte.

Il ne l’est pas entre majeurs, il l’est encore moins lorsque l’un des deux partenaires est mineur. La majorité sexuelle est en France de quinze ans, mais de nombreux parents semblent l’ignorer et lorsqu’ils découvrent que leur fille de seize ou dix-sept ans couche avec un vilain monsieur, leur premier mouvement est souvent de consulter le commissaire de police qui est alors contraint de leur expliquer que, dès lors que l’homme n’exerce aucune autorité sur l’adolescente, si celle-ci en est amoureuse, si c’est librement qu’elle passe le mercredi et le samedi après-midi dans ses bras, s’il ne la pousse pas à sécher le lycée ou à quitter sa famille, cette liaison est licite et ne donne pas lieu à un dépôt de plainte.

A ce propos, j’observe que les délateurs qui, dans la presse écrite et parlée ou sur les blogs d’Internet, tâchent à noircir un artiste, à exciter contre lui l’hostilité du public, lorsqu’ils parlent de son goût des jeunes personnes, n’utilisent jamais le mot d’adolescent, d’adolescente, mais toujours celui d’enfant. Si vous parlez d’enfant, on imagine aussitôt le satyre faisant la sortie des écoles primaires, agressant sexuellement des bambins de huit ou dix ans ; on voit le pervers et le salaud. Il y a là une évidente mauvaise foi, les mouchards sachant très bien que les jeunes personnes qui font au dit artiste l’honneur de l’aimer et de partager sa vie, ont toutes plus de quinze ans, sont extrêmement amoureuses de lui, et qu’il n’est question ici ni d’agression sexuelle, ni de viol ; en l’occurrence leur but n’est pas de montrer le véritable visage d’un homme, mais sa caricature pour le rendre odieux et le clouer au pilori.

Je n’ai vécu qu’une seule fois une grande et durable passion avec une adolescente qui, lorsque nous devînmes amants, n’avait pas l’âge légal de quinze ans ; qui n’en avait que quatorze. J’ai publié chez Gallimard le journal intime de mes amours avec cette jeune Vanessa, La Prunelle de mes yeux, amours pleines de péripéties avec lettres anonymes de dénonciation à la Brigade des mineurs et tout le saint-frusquin. Vanessa me disait : « S’ils te mettent en prison, j’irai me jeter aux pieds du président de la République, je lui dirai que je t’aime à la folie, je le supplierai de te libérer. »

Je n’ai pas été mis en prison, mais si je l’avais été, j’ai du mal à croire que, lors de mon procès, le tribunal aurait pu sérieusement soutenir que le consentement (le mot est faible) de Vanessa n’avait pas la moindre valeur juridique et me condamner pour viol. Pourtant, une application stricte de la loi aurait exigé que je le fusse.

Ce qui me frappe, lorsque j’observe notre époque, notre société, lorsque je note ce qui se dit et s’imprime, c’est l’écoeurante bêtise du baratin officiel, de la doxa, de ce qu’on appelle le « politiquement correct ». Ce monde qui prétend nous dicter la manière dont nous devons, ou ne devons pas, baiser, penser, manger, fumer, mourir, ce monde qui se figure avoir le droit de nous assujettir à ses imbéciles interdits devient en vérité irrespirable. L’Etat, les bureaucrates européens de Bruxelles, les ligues, les associations de défense ne cessent de violer nos droits les plus naturels, mais de ce viol-là personne ne parle, puisqu’il est perpétré au nom de la santé et de la vertu.

Revenons à nos moutons. Le mot de pédophilie, qui se veut infamant, est piégé, infecté par ceux qui l’utilisent sans savoir ce dont ils parlent, puisque dans leur bouche il recouvre une tranche d’âge qui va du berceau au baccalauréat. Si vous appelez pédophile le cinglé qui viole un enfant à la mamelle, (outre que c’est un mot impropre et que le mot juste serait pédophobe, le pédophile étant celui qui aime les enfants, non celui qui leur fait du mal), vous ne pouvez pas raisonnablement utiliser ce même mot pour désigner l’amant d’une lycéenne de quinze ou seize ans qui, depuis l’âge de treize, est autorisée par la loi à prendre la pilule, qui en classe étudie La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette et Les Liaisons dangereuses de Laclos.

J’ai l’impression qu’aujourd’hui les gens, abalourdis par la multiplicité des nouvelles reçues de la télévision, d’Internet, de Dieu sait où, les gens qui sont ensemble surinformés et incultes, ont du fromage blanc dans le ciboulot, sont quasi totalement décervelés, incapables de se forger sur les êtres et les choses une opinion qui leur soit propre.

Hier, lorsqu’on parlait de philopédie, on songeait à Straton de Sardes, à Théocrite, à Catulle ; aux anges de Véronèse ; au mariage du duc de Lauzun ; aux écolières de Casanova ; aux nymphettes d’Ingres ; au Svidrigailov de Dostoïevski dans Crime et Châtiment ; aux photographies du baron von Gloeden ; à Jeunes filles en uniforme de Léontine Sagan ; au Blé en herbe de Colette (et d’Autant-Lara) ; au Tour d’écrou d’Henry James (et de Benjamin Britten) ; à Mort à Venise de Thomas Mann (et de Luchino Visconti) ; à Lolita de Nabokov ; aux toiles de Balthus. Nous étions dans un monde civilisé.

« Comment en un plomb vil, l’or pur s’est-il changé ? » Mystère et boule de gomme, je suis incapable de répondre à la question posée par mon excellent confrère Jean Racine, mais c’est ainsi : à présent, le terme « pédophile » est devenu un synonyme de violeur d’enfant, un synonyme d’assassin. Et l’homme (ou la femme) qui vit un grand amour avec une fille (ou un garçon) de quatorze, quinze ans, est mis (e) par l’opinion publique dans le même sac d’abjection que la brute qui viole un enfant sans défense.

L’atmosphère étant ce qu’elle est, il est devenu difficile de dire ou d’écrire quoi que ce soit à ce sujet. Pour que vous soyez entendu, vous devez parler la même langue que ceux qui vous écoutent ou qui vous lisent. Or, quelle langue commune avez-vous avec une société qui, lorsque vous lui parlez des amours de Byron, vous rétorque les crimes de Dutroux ? A un tel degré de bêtise et de mauvaise foi, la seule attitude raisonnable est le silence.

Toutefois, ne voulant pas que ces propos pessimistes vous fassent sombrer dans la mélancolie, je conclurai sur deux notes joyeuses. Je vous ai dit que Cicéron, au chapitre XII du De Senectute, affirme qu’un des mérites du grand âge est de nous délivrer de l’appétit des voluptés vénériennes. Voilà qui est fort triste, mais j’ai oublié d’ajouter qu’au moment même où il publiait ces pages enthousiastes sur la chasteté des vieux messieurs, Cicéron, alors âgé de soixante-deux ans, répudiait sa première femme, Terentia, après trente ans de mariage, pour épouser Publilia, une adolescente de quatorze ans.

Quatorze ans, c’est l’âge que j’avais moi-même, lorsque je fus dragué, séduit, initié aux plaisirs de l’amour, dévirginisé, « violé » dirait le code pénal, par la sœur aînée d’un de mes camarades. Elle était beaucoup plus âgée que moi, très jolie, très sensuelle, très douce. Je garde de cette première expérience un souvenir tendre, enchanteur.


Gabriel Matzneff
Librairie Mollat, Bordeaux, 13 décembre 2007


1 : « Principale sauvegarde des hommes et des femmes, sainte chasteté, où t’adresser ma prière ? », Valère-Maxime, Faits et paroles mémorables, livre VI, chapitre 1.
Utilisateur anonyme
06 février 2008, 14:46   Re : Un beau discours sur l'état des moeurs.
Dernièrement, je me suis égaré dans le feuilletage d'anciens numéros de Paris-Match des années soixante-dix. L'un d'entre eux, daté de juin 1974, était consacré à l'élection de Valéry Giscard d'Estaing et se proposait d'apprendre à ses lecteurs en quoi consistait le fameux « Style Giscard », formule étalée en toutes lettres sur la couverture et servant de légende à une photo du nouveau président, saisi au moment de sortir de sa D.S., façon chef d'entreprise dynamique (légende : « Un appartement en dehors du palais et pas de chauffeur : Valéry refuse d'être un président comme les autres. ». En page intérieure, longue interviou d'Anne-Aymone, chapeautée par cette déclaration : « Il est certain que nous considérerons l'Elysée comme un bureau auquel on se rend le matin de bonne heure... » (il est d'ailleurs savoureux de voir, dans un autre numéro consacré celui-là au bilan de la première année de ce septennat, à quel point les titres et les commentaires sont souvent identiques à ceux qui ont entouré l'élection de M. Sarkozy : nouveau style, ouverture etc.))

Tout compte fait, ce sont les publicités qui ont le plus changé dans ces magazines. Parmi celles, désormais bannies des journaux, tout à la gloire du tabac ou de la vitesse automobile, beaucoup de pages incitent à l'achat de caméras d'usage domestique. C'est ainsi qu'on peut lire, en guise d'accroche pour une de ces publicités : « Ça c'est le jour où Brigitte a tourné sa première scène de nu. » Cette prétendue Brigitte est une enfant de quatre ou cinq ans, entièrement nue. Elle joue dans une bassine en plastique. Un jouet lui a peut-être échappé des mains et elle se penche à 45° pour le reprendre. Elle est photographiée de profil. En 2008, une telle image serait absolument impossible à publier dans un magazine, trop associée qu'on l'imaginerait à de sulfureuses pratiques auxquelles n'importe quel quidam penserait aussitôt. En 1974 la même image est non seulement bienséante mais elle s'adresse aux familles en vue de les attendrir, elle est vraiment trognon, Brigitte, avec ses petites fesses rebondies etc. Las, l'innocence en ces parages n'est vraiment plus de saison...
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