»
Vous affirmez, Alain, que la tournure « n’avoir de cesse de », telle qu’on la voit employée dans la phrase de Tourneur citée supra, doit s’entendre comme signifiant dans tous les cas
"n'avoir (pas) de cesse jusqu'à ce que + proposition au subjonctif"
Telle serait sa structure profonde.
Non non, cher Francis, certainement pas. J'ai d'abord passé quelques minutes à essayer de me figurer de quel Tourneur il s'agissait, et quelle était déjà cette phrase sus-citée.
Je n'ai affirmé qu'une chose : que la tournure dont vous parlez là, "n’avoir de cesse de" suivie d'un verbe n'existe tout simplement pas, et c'est là où notre approche diffère du tout au tout : je ne vois aucune raison d'essayer de rendre compte d'une expression qui n'en est pas une, et de la justifier en invoquant je ne sais quelle
structure profonde qui pourrait théoriquement être concevable. C'est peine perdue, c'est à mon sens une perte de temps, car il pourrait toujours y avoir d'autres règles et convention que celles que nous suivons, meilleures, plus cohérentes et logiques, à n'en pas douter.
Il ne s'agit pour ce qui me concerne que de rendre compte de la forme correcte existante ("n'avoir de cesse que" suivie d'un subjonctif, donc), qui est telle qu'elle est, et qu'il est de toute façon impossible de justifier absolument. Tout au plus peut-on sémantiquement la justifier partiellement, en la rapprochant comme je l'ai fait de formes semblables qui gouvernent les mêmes règles syntaxiques et grammaticales (cette locution serait à rapprocher de la forme "ne pas cesser avant que, jusqu'à ce que", introduisant elle aussi une subordonnée de temps au subjonctif). Cette justification ne me paraît pas oiseuse, certainement pas davantage que celles permettant de retenir des formes syntaxiques possibles, mais qui n'ont pas valeur de règle. C'est absolument tout.
(Voyez-vous, je ne crois pas vraiment aux
structures profondes des règles que nous suivons, parce que les propositions grammaticales qui ont le statut de règles ou de conventions ne sont pas des propositions descriptives, elles ne peuvent donc avoir à proprement parler des conditions de vérité, comme une correspondance à une telle structure mythique, et c'est ce qui en fait justement des conventions. Il n'y a aucune raison pour qu'une tournure, avec ses règles d'utilisation, soit
en soi plus justifiée qu'une autre possible, c'est là être naîf, à mon sens. La forme correcte eût très bien pu être votre "n'avoir de cesse de" suivie du verbe, dont vous continuez de me rebattre les oreilles, ou bien d'autres encore, et les raisons pour lesquelles la forme admise comme juste s'est imposée ne tient pas à sa meilleure adéquation avec notre intelligence, un ordre du monde ou une structure latente mais déterminante de nos façons de faire, de penser et de parler. Celles-ci sont toujours interprétables et exprimables de multiples façons.
Vous vous êtes récrié à la lecture de mon mi-sérieux
c'est comme ça !, mais le fait est que nous ne choisissons absolument pas les règles que nous suivons en cette matière (si jamais en d'autres) ; encore une fois, le
bon usage n'est pas affaire de choix personnel, en fonction de sa plus grande cohérence ou clarté. C'est là un des apports principaux de Wittgenstein : nous suivons les règles parce quelles sont déjà là, comme système de conventions autonome et arbitraire, et aucun sens ne les précède et ne concourt à leur élaboration avisée et concertée. C'est même exactement le contraire : le sens est précisément ce qui est garanti par l'usage, l'intériorisation des codes en usage dans l'aire d'activité humaine dans laquelle le langage s'insère. Vous comprendrez qu'il ne saurait y avoir dans ces conditions de
structure profonde (sorte de
vouloir dire originel ?) qui légitime en amont la règle.)