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Vu Ela télévision japonaise

Envoyé par Francis Marche 
Hier soir la chaîne télévisuelle culturelle japonaise donnait une pièce de théâtre. Quatre femmes splendides, sculpturales, des poupées hautes et droites comme des drag queens, en crinolines transparentes, surmontées de coiffures carnavelesques, vénitiennes, inspirées des toilettes du XVIIIe, sont en colloque sur trois actes dans un décor "Marie-Antoinette". Bien sûr je n'entends à peu pres rien au texte, mais j'entends qu'il est question d'Alphonse et de Renée et d'Anne, de prison, de Marseille, qu'il est beaucoup question d'Alphonse qui serait emprisonné à Marseille. Impossible d'identifier un auteur francais. On s'échange de fortes tirades, que l'on déclame à plat, à la manière classique, vingt-cinq lignes ainsi sont éjaculées par des voix de femmes aux inflexions graves et puissantes, dans une élocution claquante, une articulation sonore et parfaite, voix de rogommes aussi parfois, qui sortent des gorges de ces hautes poupees, fières, aux longs bras fins mais aux poitrines généreuses, sans reprise de souffle. Chaque tirade va crescendo, le ton monte régulièrement, l'intonation se précipite, le rythme appelle le retour de l'accent tonique sur la sixième syllabe qui vient toujours plus vite, toujours plus haut, jusqu'au dernier souffle, émis dans un râle poitrinal. Il est question de morale, de révolution, de morale institutionnelle nouvelle mais impossible, de retour impossible à l'ordre ancien, de moeurs libérées qui enchaînent, de morale politique, d'ordre nouveau mort-né etc.

Je demande à ma compagne japonaise de qui, de quoi il s'agit, Musset ? Montherlant, Audiberti ?. Elle me dit : "c'est du Shakespeare, mais japonais, du Shakespeare natif d'ici, ce ne peut pas être une traduction du français ". Et la solution nous vient ensemble : c'est " Madame de Sade " de Mishima Yukio, une oeuvre majeure écrite par Mishima cinq ans avant sa mort.

Me vient alors à l'esprit qu'il n'est probablement pas d'auteur du XXe siècle qui ressemble autant à l'auteur littéraire que nous sommes tous à admirer sur ce forum que Mishima Yuko. Comme lui, l'homme fut d'abord un moderne, qui l'un des premiers fit reconnaître publiquement son homosexualité au Japon, puis, avec la souveraine rigueur de la langue et du style, s'est constitué autour de lui un minuscule parti pris culturaliste national, une école plus qu'un parti, se proposant de donner pour écho à cette rigueur et cette perfection stylistiques, et à ce souci de valoriser la tradition du Maître, l'exigence de faire corps à la langue et au pays, à la langue-pays, en appelant à sa renaissance (cette manière de 'faire corps ' à la culture, qui est le cratylisme, manière d'être et parti pris d'être le corps de la langue et de la culture, ne doit pas se confondre avec "l'amour de la langue ", ou même l'attachement à la culture ") ; ce cénacle devenant sur la fin un embryon d'organisation ressemblant à un parti politique, lequel se donna des airs de « milice » jusqu'à cette matinée fatale de novembre 1970.

L'auteur de "Du Sens" et des Vaisseaux Brûlés est bien le Mishima français. Renaud Camus l'écrivain EST Mishima Yukio; outre leur personnalité, leur port physique même, qui sont semblables, comme Mishima, l'auteur de la Déculturation a ses admirateurs qui sont ses partisans, à qui l'on reproche de se donner des airs élitaires, et il a contre lui à peu près toute une génération, la jeune génération des faux modernes, qui le vilipende, le méprise, le moque, le conspue, le rejette. L'introduction de cette petite crotte radiophonique de Frédéric Martel à l'émission Répliques ou avait été invité Renaud Camus est bien parallèle àce que dut subir Mishima sur la fin. En tout cas, durant les dernières heures de sa vie, lors de sa dernière allocution.

Souhaitons El'auteur des Vaisseaux Brûlés d'avoir une fin moins tragique (mais non moins forte de sens) que celle de son précurseur japonais.

Ce communiqué du Parti de l'In-nocence sur le baccalauréat aurait pu être de la main de Mishima en 1965. Dans le ton, dans le contenu, dans le vocabulaire employé dans l'intraitable lucidité, le courageux pessimisme, la sourde ironie sous-jacente, dans la solennelle absence de larmes aussi, il est essentiellement, parfaitement mishimesque.
Ah si Rogemi pouvait nous mettre ça sur Youtube...
Utilisateur anonyme
17 juin 2008, 18:36   Ç»¤ÌÃ÷Àì¹Ù¤¤¤±
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Il me semble tout de même que Renaud Camus surclasse nettement votre Mishima dans le maniement du Wakisashi.
Vous voulez dire que j'ai fait un bide, Olivier, avec ma comparaison ?
Pas du tout, Francis. Cette comparaison est intéressante. Je me demande s'il y a dans l'oeuvre de Mishima une réflexion sur l'état de la langue japonaise. Un Japonais écrirait-il aujourd'hui un répertoire des délicatesses de la langue japonaise? Ce problème a-t-il un écho là-bas?
Utilisateur anonyme
20 juin 2008, 20:00   Re : Vu Ela télévision japonaise
Rapprocher ainsi l'auteur de Tricks de celui de Confession d'un masque, j'avoue que l'idée ne manque pas d'originalité.
Il n'y aucune comparaison sticte qui vaille entre ces deux auteurs et ces deux pays, peuples, histoires, etc. Ce qu'il est interessant de voir, enfin ce qui, moi, m'interesse: les paralleles, les configurations souterraines susceptibles de superposition. Je crois savoir, indirectement car je ne suis pas capable helas d'en juger sur piece, que l'ecriture de Mishima, les exigences qui la motivent et l'ordonnent, sont paralleles a celles de l'auteur des Eglogues et que l'admiration et les reproches qui visent ces deux ecritures prennent egalement les memes formes; que par ailleurs, les cercles d'ou emanent cette admiration et ces reproches, ou cette aversion, sont sociologiquement et ideologiquement paralleles, concentriques dans les deux pays s'agissant de ces deux auteurs.

La Grande Deculturation est, dans le domaine francais, une deploration froide, seche, qui est tres exactement celle a laquelle Mishima avait prete sa voix dans les dernieres annees de sa vie s'agissant de la culture japonaise traditionnelle.

La personnalite, et je crois meme la psychologie des deux personnages presentent de multiples traits communs sur lesquels je laisse a chacun, en usant de sa subjectivite et de ses perspectives et outils propres, le soin de se pencher.
J'apprends qu'Andre Pierre de Mandiargues a donne une versification de Sado Koshaku Fujin (Mme de Sade) publiee a Paris en 1976
Des problematiques communes connaissent des traitements aux formes tres disparates selon les moments historiques et les cultures. Tricks et Confession d'un masque traitent une meme problematique dans des univers hautement differents. Il n'y a aucune originalite a relever cela.

Bruler ses vaisseaux en public et sortir ses tripes en y enfoncant un fer tout aussi public sont deux formes voire deux ordres d'action differents qui n'en sont pas moins situes sur un meme axe. Libre a vous d'en ricaner tant qu'il vous plaira.
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