J'éprouvais toujours un grand plaisir à lire les communiqués du parti même s'il m'est arrivé, de rares fois, d'être en fort désaccord.
Je ne voudrais pas que cette heureuse pratique soit abandonnée par ses rédacteurs.
Il me semble que la mésaventure vécue par le professeur souffleteur pourrait être l'occasion pour le parti de lui exprimer sa solidarité publique.
Je vous propose, à propos de cette affaire, la lecture du billet qu'à écrit l'avocat général Philippe Bilger avec le talent dont il est accoutumé.
On trouve l'original à l'adresse:
Classe tous risques !
Comment choisir ?
Libération censure. Frédéric Beigbeder interpellé avec de la cocaïne et en train d'en sniffer. Va-t-on le traiter comme les autres justiciables ? Le PSG recrute in extremis deux joueurs brésiliens. Va-t-il continuer à remonter la pente ?
Et la promotion dans l'Ordre de la Légion d'Honneur vient dêtre publiée. Elle s'est féminisée, certes, mais aussi, si j'ose le néologisme, "copainisée". Je n'ai pas demandé cette distinction mais en 2000 je l'ai acceptée. Selon Alphonse Allais, je suis tout de même à moitié coupable et je n'ai donc droit qu'à une moitié de liberté d'expression dans ce domaine. Aussi, j'arrête là.
Cela tombe bien car au moment où certains ne doivent leur faveur qu'à la seule complaisance des Pouvoirs publics, je songe, depuis deux jours, à cet enseignant que l'opprobre n'a pas épargné. Il a été placé en garde à vue durant vingt-quatre heures et va être jugé, le 27 mars, selon la procédure de plaider-coupable, pour violences sur mineur de quinze ans.
Pourquoi ? Qu'a-t-il commis de si grave ? Un élève de onze ans lui désobéit en ne rangeant pas, le professeur projette ses affaires à terre, l'élève le traite de "connard" et il reçoit une gifle. Le père de la "victime" est gendarme et vient en uniforme demander des explications au collège. Ensuite, il porte plainte.
C'est tout ? Oui. Le procureur de la République d'Avesnes-sur-Helpe s'est justifié hier à la télévision. L'enseignant n'a jamais connu le moindre incident en trente ans de carrière, ses collègues le soutiennent, d'anciens élèves sont venus rappeler qu'il était "autoritaire mais juste" et rien n'est venu démontrer l'accusation d'avoir jamais exercé sous l'emprise de l'alcool.
Le Figaro, le Parisien et le site du Nouvel Obs, notamment, ont évoqué cette affaire scolaire mais qui dépasse largement ce cadre par le débat qu'elle suscite. Sur RTL, le ministre de l'Education nationale Xavier Darcos a souligné avec bon sens qu'un fait divers, "aussi scandaleux soit-il" - seule concession au politiquement correct - ne devait pas faire "oublier la réalité" qui, "dans l'immense majorité des cas fait souvent des professeurs les victimes".
L'étonnant est déjà qu'aujourd'hui, cette péripétie entraîne un tel émoi et que le professeur, avant une heureuse réaction collective, ait d'abord été accablé. Force est de constater la perversion d'une modernité qui se croit obligée de placer sur le même plan l'enseignant et l'enseigné, le maître et l'élève. Au lieu d'examiner d'emblée, au regard des droits et devoirs de chacun, de la nécessaire hiérarchisation des situations et des comportements, de la politesse du savoir et du savoir de la politesse, qui est initialement et indiscutablement en faute - le jeune enfant de onze ans -, on s'abandonne par démagogie à un salmigondis d'où il ressort une confusion propice à l'indifférenciation des rôles et des statuts. Tout ce qui sert à combler l'écart entre celui qui apprend du maître et doit lui obéir et l'enseignant est bienvenu. Tout ce qui permet de dissoudre l'autorité dans une sorte de convivialité désastreuse - puisque l'élève y perd, comme le professeur - recueille l'assentiment de beaucoup. Les mêmes qui, dans les dîners, le verbe haut, cultivent un catastrophisme systématique en déplorant la baisse du niveau !
Quel étrange rapport à la sanction notre époque cultive-t-elle ? Pour répudier le pire, l'intolérable, l'accomplissement et la justification de tortures, l'inadmissible assujettissement d'autrui par la force, on a lâché la bonde sans savoir ni vouloir s'arrêter à mi-chemin, dans une mesure équilibrée. Tout a été jugé à la même aune, tout est évalué de manière théorique, au nom d'une égalité abstraite démentie par l'expérience. Le garnement de onze ans qui, en le regardant droit dans les yeux, traite son professeur de "connard" est plaint parce qu'il est giflé au même titre que le malheureux qui subira une insupportable agression. L'enseignant systématiquement dur dans ses gestes mérite d'être sanctionné, c'est sûr. Mais qu'une claque unique - que le vécu de la classe ne rendait ni absurde ni choquante, après trente ans d'un métier pratiqué de manière irréprochable - entraîne de telles conséquences démontre que notre monde a perdu ses repères et ne tourne plus rond. Pour ne pas évoquer ces parents absurdement traumatisés parce qu'ils ont fessé un rejeton qui le méritait ! Condamner le dérisoire n'a jamais été une bonne méthode pour blâmer l'important. Au contraire. C'est un moyen de se donner bonne conscience. L'un vous dispense de l'autre.
On ne peut pas réfléchir sur un tel fait divers sans rassembler, en soi, le citoyen, le magistrat, le père, l'élève qu'on a été, l'enseignant qu'on a pu être. Je suis frappé par ce que révèle l'attitude du père de l'enfant giflé, gendarme, - fonction qui devrait être sensible au respect qu'on doit à l'autorité -, qui va déposer plainte après avoir pourtant pris langue avec un représentant du collège. Je n'ai jamais connu une telle situation avec mes enfants mais je sais que si l'un d'eux s'était permis d'insulter de la sorte son professeur et avait reçu une gifle en retour, j'aurais d'abord avec vigueur réglé le problème avec le jeune coupable puis dialogué avec l'enseignant. En aucun cas, je n'aurais judiciarisé un incident où, pour être gentil avec le père, les torts sont au moins partagés. Cette démarche manifeste une évolution qui inspire la plupart des personnalités, quelle que soit leur fonction. La plainte est un moyen d'éviter le conflit familial, la discussion nécessaire, l'engueulade utile pour parler net. Comme il y a plainte, le coupable est forcément ailleurs et c'est le professeur ! Par le recours à la justice, on publie ce qui mérite de demeurer discret et privé et on amplifie un mouvement qui va donner aux circonstances les plus intimes un tour officiel, intimidant et pour tout dire ridicule. L'appareil judiciaire pour une claque méritée !
Il faut bien, enfin, s'interroger sur le rôle du procureur de la République qui a motivé la poursuite de l'enseignant par un possible alcoolisme et une atmosphère de violence lors de l'algarade. Je n'ai pas à formuler un avis technique sur ce qui relève de sa seule responsabilité. Je me demande seulement si dans l'arbitrage que l'autorité judiciaire doit sans cesse effectuer entre le particulier et le général, l'individu et la société, le coupable et sa victime, mon collègue n'a pas sous-estimé les problèmes spécifiques de l'enseignement, les difficultés des professeurs, la fronde des élèves. A partir du moment où aujourd'hui, et depuis quelque temps déjà, le souci n'est vraiment plus de contrôler l'autorité des enseignants parce qu'elle serait abusive mais, au contraire ,de la sauvegarder, de l'aider à se maintenir parce qu'elle se délite, il me semble que la justice elle-même, s'insérant naturellement dans le processus social, dans la sphère éducative, ne se disqualifierait pas en assurant un traitement des affaires favorisant l'ordre, la discipline, le respect et stigmatisant - en classant sans suite, par exemple - les insultes et outrages qui appellent une réaction compréhensible. L'institution, certes, appréhende du singulier mais ne peut se désintéresser de l'incidence de ses pratiques sur le cours des univers qui s'adressent à elle. On saura donc, dans l'attente de la décision du 27 mars, qu'il est plus grave, dans une action éducative, de gifler un jeune élève de onze ans que d'être traité de "connard" par lui qui refusait d'obéir. C'est un signal. Il ne va pas colmater les brèches mais probablement, à un modeste niveau, les agrandir. A chacun sa politique.
Je suis navré d'emprunter sans autorisation ce très beau titre d'un roman et d'un film mais, pour ce billet, pouvais-je choisir autre chose que Classe tous risques ?
Je rêve d'une société où les risques scolaires et judiciaires ne pèseraient pas que sur les enseignants. Où le principe de l'égalité à tout prix serait, enfin, sacrifié.