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Communiqué n° 691 : Sur le rejet par le Sénat de la disposition relative aux langues régionales dans la Constitution

Le parti de l'In-nocence se réjouit profondément du rejet par le Sénat du projet d'inscription à l'article premier de la Constitution de l'appartenance des langues régionales au patrimoine de la République. Non seulement de telles dispositions n'ont selon lui rien à faire dans la loi fondamentale mais pareille inscription, délibérément ou non, était grosse, en un proche avenir, de très graves menaces pour l'identité nationale alors que tant de nos nouveaux concitoyens ou d'étrangers résidant sur le territoire français parlent entre eux une langue étrangère, et cela en d'entières régions où ils sont déjà ou seront bientôt majoritaires.
Justement. Le fait de reconnaître que les langues régionales font partie du patrimoine de la nation les différencie des langues étrangères qui, elles, n'en font pas partie.
Maintenant, une telle déclaration a-t-elle sa place dans la Constitution?
Peut-être pas, en effet. Mais ce n'est pas plus choquant, à mon avis, que de stipuler (art 2) que "la langue de la République est le français" (ce qui devrait aller de soi, et ne concerne pas à proprement parler l'organisation des pouvoirs publics).
Quant à l'unité nationale, elle me paraît beaucoup plus menacée par l'affaissement, dans tous les domaines, de l'idée nationale elle-même, et les communautarismes de toutes sortes (ou au contraire les fuites en avant "fusionnelles") qu'il entraîne, que par les malheureuses langues régionales, qui ne doivent pas à elles toutes représenter un nombre de locuteurs équivalent aux habitants de Paris intra-muros.
Vous avez sans doute raison, cher M. Ottavi, dans le principe. Sans être un juriste, je me dis toutefois que le texte d'une constitution n'est pas destiné à servir de liste de principes que seule la surenchère idéologique fait qualifier de fondamentaux ou fondateurs. D'autre part, l'inscription du français dans la constitution, comme langue unique de la République (et non de la France) indique aussi que le projet fondateur de cette république a été la dissolution forcée des identités régionales dans un ensemble légal, identitaire et civique plus vaste, et même naïvement, criminellement, universaliste (voyez ce qu'en dit François Furet). Ce n'était pas en 1791 un "principe intangible" (dans la langue contemporaine, le mot "principe" se revêt progressivement d'une obscénité de moins en moins supportable) dont on se rengorgeait dans les salles de rédaction autorisées, pour mieux penser ensemble par slogans, mais une tâche à accomplir, et qui n'a été achevée que récemment, qu'on le déplore ou que l'on s'en félicite. Or, cette identité républicaine, à l'heure où nous sommes, a peut-être plus besoin d'être défendue que critiquée : dans la spirale du sens, cette identité qui fut oppressive et dévastatrice de la culture française traditionnelle, devient maintenant un moyen de défendre ce qu'il reste de cette même culture contre les menaces de dissolution forcée venues d'en haut (de l'Eurocratie non élue) et d'en bas (de l'immigration comme objet et prétexte de toutes les admirations obligatoires, de toutes les réformes scélérates et de toutes les démissions de l'autorité centrale). Ce n'est qu'une impression que seuls des juristes et des forumistes plus versés en politique discuteront si elle en vaut la peine.
C'est exactement cela. Cette mesure, comme toutes les décisions politiques, ne prend son sens que dans son contexte. Depuis vingt ou trente ans, l'Etat et les régions font tout ce que les régionalistes demandent en matière de préservation des langues et patois régionaux ; personne, rigoureusement personne ne met cela en cause, bien que cette politique aille, à mon sens, parfois au-delà du raisonnable et s'apparente en certains cas à de l'acharnement thérapeutique. Si donc on a éprouvé aujourd'hui le besoin d'inscrire dans la constitution quelque chose que l'on poursuit avec constance et dans l'approbation générale depuis vingt ou trente ans, c'est forcément pour d'autres raisons et il y a peu de doutes sur le fait que ce soient précisément celles que le communiqué et l'intervention d'Henri Bès éclairent.
L'article "le français est la langue de la République" a été ajouté au texte de la Constitution en 1992, dans le mois qui a précédé le référendum sur le traité de Maastricht, comme une concession de forme faite aux défenseurs de la langue française pour les inciter à ne pas s'opposer à ce traité.

Dans aucune des nombreuses constitutions (18 ?) de la France, depuis la première (1791) jusqu'à la dernière en date (1958-59), il n'est un article qui stipule que la France a pour langue officielle le français : pour une raison simple, la langue que l'on parle ou que l'on écrit ne compte pas (à juste titre) parmi les libertés publiques et ne participe pas de la définition, de la nature, du champ des divers pouvoirs qui font l'Etat. L'adjonction de cet article illustre ce phénomène inquiétant que l'on observe en France et en Europe et qui a pour raison d'être l'ignorance de ce qu'est une constitution, que l'on tient de plus en plus souvent pour un fourre-tout (tout le monde est satisfait) ou un catalogue de bonnes intentions (qui n'engagent à rien : pures modalités verbales) ou, comme la constitution avortée de 2005, pour l'exposé rigide d'une politique économique et financière commune à 27 pays.

En 1992, l'intention du législateur, dans un premier temps, était d'écrire dans la constitution que "le français est la langue officielle de la France" - ce qui a provoqué l'ire de nombreux pays étrangers qui ont soupçonné la France de vouloir s'approprier la langue française et en conséquence d'ignorer les autres pays du monde qui ont la langue française en partage. Le législateur a cédé. D'ailleurs qu'importe, puisque cet article de la Constitution, qui engage l'Etat à réaliser effectivement ce qui est énoncé, est lettre morte : il n'empêche pas l'Etat ou les organismes qui dépendent de lui d'accepter que soient utilisées d'autres langues que le français dans la République : l'anglais bien sûr, mais aussi l'arabe. Tout se passe comme si la République n'avait pas pour langue le français, mais une multitude de langues, dont le français.

Cela pour dire que les députés et les ministres qui ont pondu et voté cet article ont une nouvelle fois sauté sur l'occasion pour se discréditer ou donné des verges pour se faire battre.
J'approuve ce que dit M. Meyer. Il faut ajouter que les régionalistes défendent également depuis longtemps le principe de la "co-officialité", autrement dit la mise à égalité sur un territoire donné de la langue nationale et de la langue régionale, ce qui conduirait à rédiger tous les actes administratifs officiels systématiquement dans les deux langues, et permettrait de transformer l'enseignement public en enseignement bilingue, de l'école primaire à l'Université. Pour prendre l'exemple de la Corse, il s'agit là d'une revendication récurrente des "nationalistes" depuis de nombreuses années. L'enjeu de ce rajout dans la constitution est aussi là, et il me semble que M. Ottavi a tort d'en relativiser la portée. On voit aussi clairement qu'après avoir fait le bonheur des communautarismes régionaux, cette disposition sera évidemment exploitée par d'autres communautarismes (suivez mon regard...) On ouvre ici une boîte de Pandore, et j'espère bien que l'avis du Sénat portera conseil.
20 juin 2008, 16:05   Simplification
Les remarques formulées apportent comme souvent des éclairages nouveaux et fort intéressants.

Etant donné ce que nous dit JGL, à savoir que la formule relative au "Français, langue de la République" est :

- sans relation avec les libertés publiques ;

- tardive,


Le mieux ne serait-il pas, tout simplement, de revenir au texte d'avant 1992 et ne parler ni d'une langue, ni des autres ?

Sinon, je conçois que la mention du seul français pose problème quant à la position de la France par rapport aux langues minoritaires et anciennes.
20 juin 2008, 16:46   Re : Simplification
"Je propose que l'on inscrive dans la Constitution que les habitants de la France sont les français !" (brouhaha, applaudissements, noms d'oiseaux dans la salle).
Utilisateur anonyme
20 juin 2008, 17:36   Re : Simplification
Le mieux ne serait-il pas, tout simplement, de revenir au texte d'avant 1992 et ne parler ni d'une langue, ni des autres ?

Sinon, je conçois que la mention du seul français pose problème quant à la position de la France par rapport aux langues minoritaires et anciennes.


Je ne suis pas d'accord avec vous sur ce point, Cher Jmarc : il me semble important de marquer de façon officielle que le français est la langue de la République ; par ailleurs, cela n'empêche pas l'usage et la promotion des langues régionales. Il existe depuis plusieurs années des Capes de breton, de corse, de basque, d'occitan (et j'en passe) ; cela prouve bien que la République ne traite pas ces langues par le mépris. Pourquoi réclamer avec tant d'insistance cette officialisation constitutionnelle si ce n'est pour affirmer la nécessité d'un bilinguisme officiel dans certaines provinces françaises ? On voit bien toutes les conséquences qui en résulteraient pour les recrutements de fonctionnaires exclusivement du cru, pour ne pas parler des bataillons d'interprètes nécessaires pour traduire systématiquement tous les actes officiels. Je lis par exemple dans un forum du Monde que l'on pourrait ainsi permettre à un breton qui souhaiterait ne s'exprimer que dans sa langue régionale d'exiger un interprète lors d'un procès ! Je me souviens que la même polémique avait eu lieu en sens inverse en Italie quand il s'est agi d'inscrire dans la Constitution le caractère officiel de l'italien (c'était en 2007) : les communistes ont refusé de voter le texte puisqu'ils craignaient que la connaissance de l'italien devienne une condition de l'attribution de la nationalité italienne, ce qui leur semblait une grave discrimination à l'égard des populations immigrées...
Merci, cher M. JGL, pour vos précisions. J'ignorais si les constitutions passées évoquaient la langue, je n'avais en mémoire qu'un discours de l'abbé Grégoire devant la Constituante sur l'état linguistique de ce qui devenait "la nation".
Utilisateur anonyme
20 juin 2008, 18:42   Re : Simplification
Moi non plus, je ne suis pas assez juriste pour évaluer précisément le risque que vous signalez.
Il me semble cependant pouvoir être conjuré par l'article 2: si la langue de la République est le français, alors il n'y a pas de raison que la République, lorsqu'elle s'adresse aux citoyens, le fasse dans une autre langue ("l'affari so in francese", disait-on jadis en Corse lorsque l'administration s'en mêlait); c'est bien pourquoi, d'ailleurs, autonomistes et indépendantistes divers ne sont nullement satisfaits d'une simple "patrimonalisation" qui leur paraît sans intérêt, et veulent bel et bien faire sauter le verrou de l'article 2.
Ensuite, sur le fond, j'y reviens, d'autres menaces me paraissent infiniment plus graves, comme le fait de tolérer qu'une entreprise comme Renault, par exemple, exige de ses cadres qu'ils communiquent entre eux en anglais, y compris sur le territoire français.
L'article 2 (ajouté en 1992) ne tombe pas du Ciel. Il est apparu nécessaire à quelques personnes après une longue série de constats.

En 1959, Etiemble soutient la thèse du "babélien" : une langue hybride dans les pays d'Europe placés sous l'influence des Etats-Unis, anglo-américain + italien : italglese en Italie; anglo-américain + français : franglais en France, etc.; 1975 : quinze ans plus tard, les lois Bas-Lauriol sont votées pour empêcher l'américanisation du français. En vain.

Années 1960-70 : constats alarmants sur le recul du français dans le monde; baisse du nombre d'élèves inscrits dans les cours de langue des Centres culturels à l'étranger; choix de l'anglais au détriment du français en Grèce, Italie, Espagne; effondrement de l'usage du français en Europe de l'Est, au Proche-Orient, en Amérique latine, etc.
Des sommes importantes ont été investies de 1965 à 1975 : en partie en vain.

Années 1980-90 ; progression de l'anglo-américain en France : affaire des Annales de l'Institut Pasteur (la dernière grande revue scientifique française qui a décidé de passer à l'anglais); affaire des colloques en anglais; élimination du français au profit de l'anglais comme langue de travail de l'Europe des 15, puis des 18, etc.

Autrement dit, en 1992, quand cet article est inscrit dans la Constitution, le français est depuis une trentaine d'années en recul constant dans le monde et aussi en France, et pas seulement dans les sciences dures et dans la recherche : l'abbé Grégoire (enquête menée entre 1791 et 1994) estimait à 33 ou 34 les idiomes (langues) parlés en France : au début des années 1990, l'immigration massive a porté ce chiffre à 75.

De fait, cet article 2 est une mesure défensive, une sorte de ligne Maginot symbolique, un rempart imaginaire. Pendant des siècles, de la fin du XVIe siècle à 1920, le français s'est diffusé dans le monde et souvent avec de beaux succès, sans l'intervention de l'Etat et sans qu'il ait été jugé nécessaire d'inscrire dans la loi que la France avait pour langue officielle ou d'usage le français. La chose allait de soi. C'est justement parce qu'elle ne va plus de soi que le législateur, pris par la panique et sans doute pour d'autres raisons, a cru qu'il pourrait sauver le français de la débâcle annoncée en inscrivant dans le marbre de la Constitution (et de façon incongrue) qu'il était la langue de la République, alors qu'il est la langue de la France.
Les langues régionales sont mortes ou elles sont entrées dans l'agonie terminale. Croire qu'en écrivant dans la Constitution (le "lieu" le plus inadapté qui soit à cela) quelque chose de vague et qui n'engage à rien, elles seront sauvées, c'est aussi naïf que d'essayer de vider la mer à la petite cuillère.
On voit aussi clairement qu'après avoir fait le bonheur des communautarismes régionaux, cette disposition sera évidemment exploitée par d'autres communautarismes (suivez mon regard...) On ouvre ici une boîte de Pandore, et j'espère bien que l'avis du Sénat portera conseil.

Avec 34 % de musulmans à Bruxelles (et ses 19 communes), on voit clairement également ce que l'on pourrait bien parler officiellement dans la capitale de l'Europe.
Réflexion très franco-française, cher JGL. La liberté de la langue est une liberté individuelle dans maintes constitutions,. Dans la relation avec l'Etat, c'est le droit de parler sa langue maternelle avec les autorités et d'obtenir des réponses dans cette langue, à condition que dite langue soit une langue officielle du pays concerné. Qui sait si un jour, il ne faudra pas invoquer la liberté de la langue pour conférer en français avec un fonctionnaire alsacien ou basque ?
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