L'article 2 (ajouté en 1992) ne tombe pas du Ciel. Il est apparu nécessaire à quelques personnes après une longue série de constats.
En 1959, Etiemble soutient la thèse du "babélien" : une langue hybride dans les pays d'Europe placés sous l'influence des Etats-Unis, anglo-américain + italien : italglese en Italie; anglo-américain + français : franglais en France, etc.; 1975 : quinze ans plus tard, les lois Bas-Lauriol sont votées pour empêcher l'américanisation du français. En vain.
Années 1960-70 : constats alarmants sur le recul du français dans le monde; baisse du nombre d'élèves inscrits dans les cours de langue des Centres culturels à l'étranger; choix de l'anglais au détriment du français en Grèce, Italie, Espagne; effondrement de l'usage du français en Europe de l'Est, au Proche-Orient, en Amérique latine, etc.
Des sommes importantes ont été investies de 1965 à 1975 : en partie en vain.
Années 1980-90 ; progression de l'anglo-américain en France : affaire des Annales de l'Institut Pasteur (la dernière grande revue scientifique française qui a décidé de passer à l'anglais); affaire des colloques en anglais; élimination du français au profit de l'anglais comme langue de travail de l'Europe des 15, puis des 18, etc.
Autrement dit, en 1992, quand cet article est inscrit dans la Constitution, le français est depuis une trentaine d'années en recul constant dans le monde et aussi en France, et pas seulement dans les sciences dures et dans la recherche : l'abbé Grégoire (enquête menée entre 1791 et 1994) estimait à 33 ou 34 les idiomes (langues) parlés en France : au début des années 1990, l'immigration massive a porté ce chiffre à 75.
De fait, cet article 2 est une mesure défensive, une sorte de ligne Maginot symbolique, un rempart imaginaire. Pendant des siècles, de la fin du XVIe siècle à 1920, le français s'est diffusé dans le monde et souvent avec de beaux succès, sans l'intervention de l'Etat et sans qu'il ait été jugé nécessaire d'inscrire dans la loi que la France avait pour langue officielle ou d'usage le français. La chose allait de soi. C'est justement parce qu'elle ne va plus de soi que le législateur, pris par la panique et sans doute pour d'autres raisons, a cru qu'il pourrait sauver le français de la débâcle annoncée en inscrivant dans le marbre de la Constitution (et de façon incongrue) qu'il était la langue de la République, alors qu'il est la langue de la France.
Les langues régionales sont mortes ou elles sont entrées dans l'agonie terminale. Croire qu'en écrivant dans la Constitution (le "lieu" le plus inadapté qui soit à cela) quelque chose de vague et qui n'engage à rien, elles seront sauvées, c'est aussi naïf que d'essayer de vider la mer à la petite cuillère.