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Appel aux latinistes

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
23 février 2008, 02:10   Appel aux latinistes
Les hasards toujours nécessaires du gagne-pain me permettent de découvrir un univers rédactionnel que je ne connaissais pas. C'est celui de la présentation avantageuse de divers objets de consommation, réunis dans un catalogue, lui-même destiné aux lecteurs de magazines d'actualité « généraliste ». Je suis recruté pour rédiger les petits textes qui accompagnent ces objets. J'apprends à cette occasion que ces magazines tirent une non-négligeable source de revenus de cette activité de vente par correspondance.

Par suite de cette opportunité professionnelle, des transmissions de documents de travail ont lieu, parmi lesquels une maquette du futur catalogue, un « pour se faire une idée » que je consulte consciencieusement. Les objets sont photographiés, flanqués de petits textes que j'ai d'abord crus porteurs de sens avant de m'apercevoir qu'ils n'étaient qu'un bloc de texte quelconque, suites de mots partout identiques, imprimés là pour figurer l'espace dont pourrait disposer le texte véritable. Je dis « bloc de texte quelconque » comme s'il s'agissait de lettres jetées au hasard, mais en réalité c'était un fragment de texte en latin. Je suppose que c'est ce que l'on a trouvé de plus inintelligible en même temps que de plus proche, par la distribution des mots et leur taille, d'un texte ordinaire de catalogue écrit en français.

Je continuais à feuilleter la maquette, reconnaissant de vue une série d'objets globalement identifiables, produits de bien-être et de loisirs, culturels ou physiques, écrans de toute sortes et machines à son, tout l'attirail des appareils de mesure de tout - du temps, du poids, de la masse musculaire, des battements cardiaques - des appareils à se maintenir en forme afin de se servir le plus longtemps possibles d'autres appareils.

Un de ces objets m'arrêta pourtant. Quel pouvait être son usage domestique ? Il me paraissait être un appareil ménager qui pouvait évoquer une bouilloire, ce qui le rattachait à la cuisine, mais certains de ses éléments me l'aurait plutôt fait ranger dans la salle de bains. A moins qu'il n'ait été conçu dans le sillage du fer-à-repasser ? C'était pour moi indécidable sachant la légende ne m'être d'aucun secours. Hélas, il me fallait reconnaître les terribles lacunes de mon éducation : ce latin ne me parlait pas plus qu'à tant d'autres : impossible même de me divertir de la rencontre insolite entre ce qu'il disait et l'objet contemporain. J'expérimentais une double ignorance : de la chose et de son nom, comme un malade d'Alzheimer perçoit peut-être son environnement quand l'assemblage des signes ne dit plus rien.

Aussi, quelque âme charitable et savante pourrait-elle traduire pour moi ce « bloc de texte », ce latin de bouche-trou, afin d'y mettre un sens, quel qu'il soit (pour la bouilloire-fer-à-repasser-sèche-cheveux, je poserai la question à mes collaborateurs.)

Voici :

SPLENDIDA PORRO ACULI FUGITANT VITANTQUE ET ALTE

Lurida praeterea fiunt quaecumque turem multaque sunt oculis in eorum sunt in luce fuemum propterea quia, cum confestim lucidus aer, qui quasi purghat eo multisque minutior, et mage pollens.

Merci de votre compréhension.
23 février 2008, 08:16   Réponse du latiniste senior
Cher Orimont,

Je ne résiste pas à l'envie de vous répondre par un anecdote professionnelle que vous garantis authentique. Alors que j'exerçais les dignes fonctions de traducteur attitré du Consulat de France dans un territoire britannique d'Asie orientale dont je tairai le nom, je reçus un appel d'une "agence de traduction" dont la "responsable par intérim", jeune femme dynamique et impatiente, m'aborda en ces termes:

"Bonjour monsieur, on nous a dit que vous traduisiez le latin.
- Ben.. c'est à dire que... enfin.. oui, il m'est arrivé de traduire du latin certains courts documents, des diplômes d'université, mais de là à dire que je..."

Au vrai, ces gens auraient eu du mal à trouver un traducteur moins compétent que moi dans un rayon de 2000 km pour traduire du latin, et à plus forte raison en latin.

" Très bien, nous avons un travail à vous confier, il s'agit de traduire des descriptions en latin.
- Traduire en latin dites-vous??"

La curiosité étant trop forte, je demande à voir un échantillon des textes que je reçois aussitôt par fax. Les "descriptions" sont des listes d'objets: "pieds de table en inox", "cendrier en verre", "cache-pots en plastique", etc..

Toujours par curiosité, amusé, intrigué, légèrement hypnotisé par la situation et n'écoutant que ma conscience professionnelle, je sors mon Gaffiot pour commencer à traduire et m'interrompt au bout de la première ligne: "que fais-je? où suis-je?"

Je rappelle la dame.

"J'ai commencé le travail, mais avant d'aller plus avant, je voudrais tout me même vous demander à quelle fin vous voulez ces choses en latin.
- C'est pour l'export.
- ???
- Oui! Pour un marché outre-mer quoi!"

Je savais que, par exemple, en Finlande, on s'amuse à communiquer des bulletins météorologiques en latin à toute l'Europe.

La question qui brûle la langue et qui fâche doit être posée:

"Mais puis-je vous demander pour quel marché outre-mer votre client doit faire traduire ces noms en latin?

- pour l'Amérique latine!"
23 février 2008, 08:46   Re : Appel aux latinistes
Voici, cher Orimont, qui répondra plus que complètement à la question :
[agoraclass.fltr.ucl.ac.be]
et
[neptune.fltr.ucl.ac.be]
Vous voyez, c'est du Lucrèce copié par un singe dactylographe...
Utilisateur anonyme
23 février 2008, 10:23   Re : délicieux !
Je ne doute pas un instant que l'anecdote contée par Francis Marche soit vraie, aussi invraisemblable puisse-t-elle sembler. Elle est en tout cas délicieuse. La conversation a-t-elle eu lieu en français ou en anglais ?
23 février 2008, 11:39   Re : délicieux !
La conversation s'est déroulée dans le pidgin local, d'assez bonne tenue ma foi.

Avec d'infinies précautions oratoires et ronds de jambes pédagogiques , j'ai brossé un tableau succinct de la situation linguistique de l'Amérique latine à la dame déçue ; mes précautions étant motivées par la crainte que la dame ne se tourne vers le Consulat en s'y plaignant de la goujaterie de leur traducteur à qui elle avait demandé de traduire quelque chose pour l'Amérique latine pour s'entendre répondre par ce malotrus qui refusait de fournir le service que les Latino-américains n'avaient qu'à apprendre l'espagnol et le portugais!

On n'est jamais assez parano.
Utilisateur anonyme
23 février 2008, 13:07   Merci !
Cher Bernard,

Je ne saurais trop vous remercier ! Vous contribuez à remettre un brin de hasard objectif dans ce monde, sinon une sorte de cohérence. De natura rerum ! La question est bien de définir la nature de toutes ces choses, ces biens matériels objets de commerce, pour la plupart d'entre eux des "appareils" qui ont, me semble-t-il, une tendance marquée à se multiplier comme des espèces végétales, par bouturage, croisements, greffes, une tendance marquée à devenir naturels.

J'observe par ailleurs qu'une grande quantité des objets de ce catalogue sont en définitive des sortes de prothèses, comme si ne cessaient d'augmenter les défaillances humaines.

Pardonnez, je dois libérer la place.
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