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Portrait d'Alain Finkielkraut en 1980

Envoyé par Quentin Dolet 
Qui est l'auteur de ce portrait?

"30 décembre. Gaillon

A Paris, où je suis rentré deux jours, Alain Finkielkraut vient déjeuner. J'attendais un intello en blouson râpé, poil hirsute et barbe de trois jours, c'est un bon élève de Sciences po qui arrive, chemise bleue, pull jaune, pantalon marron et veste de sport grise, de bonne qualité. L'oeil est bleu, rieur, les cheveux mi-longs, le visage long, avec des traits fins corsés par une mâchoire forte et une bouche dessinée, large, gourmande, de garçon qui ne dédaigne pas les joies de ce monde.

L'intellectuel pas desséché. Du reste, par miracle, ce Saint-Cloudien, ancien élève de Barthes aux Hautes Etudes, n'est pas licencié de philosophie. Juste, si l'on peut dire, agrégé de lettres. Ex-mao, ex-gauchiste, encore un peu rocardien, il n'a jamais été en carte nulle part, et se démarque un peu de tout le monde dans ses opinions sémito-réformistes, qui heurtent la gauche parce que trop "sionistes" et la droite, parce que trop favorables néanmoins à la gauche... Il vit tout de même dans un monde conventionnel où l'univers est borné par le Monde, l'Obs, Libé et - éventuellement - l'Express. Mais là encore ce Cancer se sent brimé par Jean Daniel, Revel, Todd et même July, comme si ses exigences d'absolu étaient une conduite d'échec - un rien talmudiques car, pour rejoindre la judaïté perdue, il se plonge dans le Talmud, livre où, dit-il "le touche ce mélange de la plus haute spéculation avec le matériel le plus quotidien". Pas croyant - quel juif l'est vraiment? - ni pratiquant, il respecte cependant toujours Roshashana et Yom Kippour, passées entre papa qui a fait les camps, et maman, émigrée (de Pologne?) après guerre. Croyant, du reste, comment l'eût-il été? Son père, après l'expérience nazie, a perdu toute foi en Dieu.

Lui, dans sa quête, est un passéiste modéré, très pessimiste sur l'avenir d'Israël qui risque d'être détruit un jour par une guerre civile entre juifs, à laquelle ils ne résisteront pas.

Aime Kundera - et Philip Roth, qu'il va aller voir à Londres, prochainement.

Trente et un ans, toutes ses dents, mais dans son sourire quelque chose d'espiègle qui fait passer l'ambition. L'intelligence est encore incertaine d'elle-même, prête à s'étonner, à brûler, à se surprendre? Sa jeunesse n'est pas dominée, heureusement. Et le monde qui sera à ses pieds, sans qu'il en ait la tête enflée, c'est une variété intéressante. A suivre."
Vous piquez ma curiosité, cher Olivier. Je suis impatient de savoir qui est ce portraitiste capable de lâcher en rafale tant de lieux communs à la minute. Un journaliste qui se serait cultivé, peut-être, ou un lecteur des Goncourt en moins précieux, mais aussi mondain? Bien entendu, vous allez sortir de votre chapeau un nom prestigieux que je n'aurai pas su deviner.
Utilisateur anonyme
04 juillet 2008, 08:27   Re : Portrait d'Alain Finkielkraut en 1980
Bernard Pivot ?
N'empêche... Chemise bleue, pull jaune, pantalon marron et veste de sport grise, ça fait rêver...
Utilisateur anonyme
04 juillet 2008, 13:20   Re : Portrait d'Alain Finkielkraut en 1980
Bernard Franck?
Cher Henri, vous avez bien perçu la "mondanité" du personnage. Ce n'est pas un nom connu. Il a néanmoins fait l'objet récemment d'une émission matinale sur France Culture. J'ai découvert son Journal l'année dernière, dans un ouvrage consacré à l'écriture intime et à l'autobiographie. ll est mort en 1986.
Bon alors ? On attend la réponse ! On plaisante, on plaisante, mais il pourrait nous être utile de connaître l'auteur de cet extrait souverain, histoire de ne pas commettre l'erreur d'acheter un de ses ouvrages par hasard, distraits comme on peut l'être.
Utilisateur anonyme
04 juillet 2008, 19:16   Re : Portrait d'Alain Finkielkraut en 1980
Malheureux....il s'agit de Mathieu Galey !!!
Ah! Matthieu Galey est mort? Je me souviens qu'il avait interrogé Marguerite Yourcenar et qu'un livre avait été publié.
Cela m'a fait sursauter aussi cette harmonie de couleurs pour le moins étrange. Plutôt que de douter du goût d'Alain Finkielkraut, j'en déduirai que , plus vraisemblablement, l'auteur de ces lignes est atteint de daltonisme (avec confusion du bleu et du jaune peut-être, relativement rare) ?
Mathieu Galey, gagné Pascal!

En tant que point d'observation du petit monde littéraire des années soixante, soixante-dix et quatre-vingt, son Journal est intéressant, quoi qu'on puisse penser de l'homme, de son style. Il rapporte des anectodes, des détails, des "petites choses" qui en disent long sur certaines personnalités (Handke, Jack Lang, Yourcenar, Chereau, etc.) Mais il pouvait être injuste : c'est la loi du genre.

En outre il était capable, malgré les apparences, de beaux traits d'esprit, et le récit intérieur de ses deux dernières années, alors qu'il était atteint d'un mal incurable, est très émouvant.
Autre devinette :

"Tant de bombes gaspillées contre la liberté de penser et contre les hommes, et pas une seule dirigée contre la laideur : c'est à désespérer du terrorisme !"
Utilisateur anonyme
05 juillet 2008, 11:56   Re : Portrait d'Alain Finkielkraut en 1980
Muray ?
Bernanos ?
Mathieu Galey?
Oui, c'eût été drôle de retomber sur Mathieu Galey...

Mais ce n'est pas lui, même si l'on reste dans le registre des noms "peu connus". D'ailleurs, je pense que celui-ci l'est moins encore; il s'agit d'un certain Georges Picard, que je ne pratique guère plus que ça, mais duquel j'avais lu jadis "Tout m'énerve", qui contenait quelques éclats de ce genre. Ainsi :

"Pour moi, le goût du sport s'arrête là, à ces plaisirs modestes et sincères, sans commune mesure avec le fanatisme crétinisant qui disqualifie l'environnement du sport professionnel. Tristes temps que ceux où la compétition sportive devient le haut lieu de la gloire ou de la honte nationale et, quasiment, une métaphore du destin collectif."

ou :

"Admettons que les hommes soient fous, les gouvernements sans scrupules, que le maladie et la mort nous guettent, on peut quand même s'asseoir et prendre un verre en savourant la douceur du soir, non ?"
Merci bien Franmoineau pour ces citations. J'aime beaucoup la première, qui dit assez bien mon sentiment à cet égard (et ceci, malgré le plaisir que je ne peux m'empêcher de ressentir au spectacle du football international).

A propos de sport, quelqu'un a-t-il lu le dernier ouvrage de Redecker qui s'intitule : Le sport est-il inhumain?
Le sport est-il humain ? eut fait un meilleur titre, à mon avis. C'est d'ailleurs ce que j'avais lu d'abord, d'où ma déception.
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