Le site du parti de l'In-nocence

Que reste-t-il de Michel Foucault ?

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
05 juillet 2008, 13:31   Que reste-t-il de Michel Foucault ?
La semaine dernière, soucieux de libérer quelque espace dans ma bibliothèque que l'obésité livresque menace d'étouffement, je me suis demandé s'il n était pas opportun de me séparer de l'oeuvre de Michel Foucault et de tous les ouvrages biographiques et de commentaires à son sujet qui occupent presque un rayon entier de cette vieille ruche de savoir. Que reste-t-il, me suis-je demandé, de Michel Foucault qui fut l'un des derniers penseurs français à captiver dans le monde tout ce qui fait métier ou occupation de penser ?

La mort de l'homme annoncée dans Les mots et les choses, une Histoire de la folie à l'âge classique paranoïaque, le premier volume de l'Histoire de la sexualité (La volonté de savoir) où toute la place est accordée aux seuls discours répressifs. Le long silence ensuite, puis les deuxième et troisième volumes de cette histoire : L'usage des plaisirs et Le souci de soi où après s'être dépris de lui-même, Michel Foucault reconstruit l'individu et sa liberté.

Ce matin sur France-Culture, une émission était consacrée au dernier ouvrage de Paul Veyne sur Foucault. Le propos m'a paru manquer de consistance et Paul Veyne trop émerveillé par son sujet pour être critique.
Hormis le pamphlet de Baudrillard : Oublier Foucault, je n'ai lu qu'un article véritablement critique sur l'oeuvre de Foucault : Maria Dakari, dans Esprit (avril 1985) : Le voyage en Grèce de Michel Foucault qui concluait :
Citation

Le foucaldisme a été seulement l'expression-pilote d'un mouvement général, où la promotion médiatique et les investitures officielles portaient leur choix sur des auteurs invariablement déterministes. Il n'y a pas lieu de revenir ici sur la fragilité scientifique de ces productions. Il suffira de reconnaître que le déterminisme est l'idéologie de base du pouvoir économique. La surdétermination économique de la vie ne peut être justifiée intellectuellement que sur la base d'un principe fataliste : l'économique est déterminant. (...)"

Alors, que reste-t-il de l'oeuvre du dernier philosophe français de renommée mondiale ? Quelqu'un aurait-il des lumières à ce sujet? Il y a une certaine urgence. Pour ma bibliothèque.
Utilisateur anonyme
05 juillet 2008, 13:43   Re : Que reste-t-il de Michel Foucault ?
Faites comme moi: je n'ai de Foucault que "L'ordre du discours", qui doit faire une centaine de pages, et n'occupe qu'un centimètre de rayonnage.
Utilisateur anonyme
05 juillet 2008, 14:03   Re : Que reste-t-il de Michel Foucault ?
Tel ce vieux sage qui se doit de brûler tous ses livres avant d'atteindre la connaissance...
Gardez tout. Dans dix ans, peut-être moins, paraîtra un livre : « Fallait-il brûler Foucault » !

Et puis, écoutez Réplique !
Utilisateur anonyme
05 juillet 2008, 15:16   Et puis, écoutez Réplique !
Ce Bernard, quel propagandiste !

Pour le gardez tout, je suis d'accord.
05 juillet 2008, 18:40   Hallucinating Foucault
Il existe un livre paru en Angleterre il y a six ou sept ans, signé d'une jeune femme, Patricia Duncker, qui s'intitule "Hallucinating Foucault". C'est, pour ainsi dire un "detective story", une recherche, celle de l'étripeur de White Chapel si vous voulez, celle du Graal, dans lequel Michel Foucault est un saint, un Saint Jean, qu'il faut suivre dans une quête au bout de laquelle se trouvera Saint Michel-Foucault.

Michel Foucault n'a jamais existé. Seul est repérable un certain Foucault, celui qui laissa son ombre trainer dans l'oeuvre de Deleuze, qui se plût l'espace d'une saison, à l'animer dans son "Foucault":

Ce "Foucault"-là est dessiné comme un vitrail de la Sainte-Chapelle:

Deleuze: "C'est toujours du dehors qu'une force est
affectée
par d'autres,
ou en affecte d'autres.
Pouvoir d'affecter, ou d'être affecté, le pouvoir est rempli de façon variable,
suivant les forces en rapport.
Le diagramme comme détermination d'un ensemble de rapports de force n'épuise jamais
la force,
qui peut entrer sous d'autres rapports et dans d'autres compositions.
Le diagramme est issu du dehors,
mais le dehors
ne se confond
avec aucun diagramme,
ne cessant d'en "tirer" de nouveaux.
C'est ainsi que le dehors est toujours ouverture d'un avenir,
avec lequel,
rien ne finit,
puisque rien n'a commencé,
mais tout se métamorphose.
La force, en un sens,
dispose d'un potentiel par rapport au diagramme
dans lequel elle est prise,
ou d'un troisième pouvoir qui se présente
comme
capacité
de
RESISTANCE."

Gilles Deleuze, "Foucault", Les Editions de Minuit, juin 1986
05 juillet 2008, 18:45   Re : Hallucinating Foucault
J'allais oublier: "Les Mots et les choses" est le dernier grand poème en prose du corpus français.

Libre à vous de le jeter aux rats.
Je donnerais beaucoup de romans pour le magistral introït de "Surveiller et punir", sans parler d'à peu près toute l'Histoire de la folie...
05 juillet 2008, 19:06   Roman
Sans compter que "Moi, Pierre Rivière, ayant..." se lit comme un roman !
Quand j'essaie de lire Foucault, l'ombre du professeur Muzil surgit bien vite, qui refroidit mon enthousiasme. C'est bête.
Utilisateur anonyme
06 juillet 2008, 17:10   Re : Que reste-t-il de Michel Foucault ?
Merci de vos avis. C'est en définitive le gardez tout, conseillé par Bernard Lombart, que je retiendrai. La belle citation de Deleuze par Francis Marche, qui s'achève par l'affirmation d'une capacité de résistance , y est pour quelque chose...

Et puis il y a le Michel Foucault tel que je l'imagine de Maurice Blanchot et cette phrase qui en est extraite :

Citation

Ici, je dirai que Foucault qui, un jour, se proclama par défi un "optimiste heureux" fut un homme en danger et qui, sans en faire étalage, eut un sens aigu des périls auxquels nous sommes exposés, s'interrogeant pour savoir ceux qui sont les plus menaçants et ceux avec qui l'on peut temporiser. de là l'importance qu'eut pour lui la notion de stratégie, et de là qu'il en vint à jouer avec la pensée qu'il aurait pu, si le hasard en avait décidé ainsi, devenir un personnage d'Etat (un conseiller politique), aussi bien qu'un écrivain - terme qu'il a toujours récusé avec plus ou moins de véhémence et de sincérité - ou un pur philosophe ou un travailleur sans qualification, donc un je ne sais quoi ou un je ne sais qui.

En tout cas un homme en marche, solitaire, secret et qui, à cause de cela, se méfie des prestiges de l'intériorité, refuse les pièges de la subjectivité,cherchant où et comment est possible un discours de surface, miroitant, mais sans mirages, non pas étranger, comme on l'a cru, à la recherche de la vérité, mais laissant voir (après bien d'autres) les périls de cette recherche, ainsi que ses relations ambigües avec les divers dispositifs du pouvoir.
"la pensée qu'il aurait pu, si le hasard en avait décidé ainsi, devenir un personnage d'Etat (un conseiller politique), aussi bien qu'un écrivain (...) ou un pur philosophe ou un travailleur sans qualification"

Il est toujours étonnant de constater combien l'illusion rétrospective, la croyance au hasard et la superstition du libre-arbitre peuvent affecter même les plus grands esprits.
Bien cher Francmoineau, je ne vois pas bien ce que vous voulez dire. Certains croient au hasard, d'autres à la main de Dieu...

Quelle devrait être, selon vous, l'attitude d'un grand esprit ?
Essayons de comprendre la "pensée" de MF.

1. En 1960 ou 1961, il a exercé les fonctions d'attaché culturel à l'Ambassade de France à Varsovie. L'Ambassadeur d'alors garde des conversations qu'il a eues avec lui le souvenir émerveillé de feux d'artifice conceptuels. MF a été rappelé en France par les services de contre espionnage, le KGB ayant mis dans son lit un de ses agents, un éphèbe polonais (cf. le témoignage de cet ambassadeur dans l'ouvrage "cent ans d'action culturelle de la France à l'étranger", publié dans les années 1990). MF savait donc de quoi il en retournait dans les pays de l'Est. Il ne pouvait pas en pas en avoir saisi l'essence : de pures idéocraties, c'est-à-dire des ordres entièrement soumis à des discours premiers ou fondateurs - ceux de Marx, Lénine, Staline, usw. Il savait les camps de travail forcé, la morale puritaine, l'utilisation de la psychiatrie pour éliminer les opposants, la police omniprésente, y compris la police de la pensée, la censure veillant sur tous et sur tout, etc. Il détenait les clefs d'une analyse pertinente de l'ordre façonné par les discours marxistes léninistes.
Or, c'est aux vieux pays démocratiques et libéraux, pourvus de régimes bonasses, qu'il a appliqué, de façon qui parait quarante ans après totalement fantasmatique, ces analyses, non aux "sociétés" des pays de l'Est pour lesquels ces analyses étaient faites : l'ordre du discours, la prison comme mode de dressage des corps et des âmes, la folie fabriquée par la société, etc.

2. En 1981 ou 83, Montagnier qui étudiait les rétro-virus, rencontre au cours d'un dîner privé, à Stanford, Foucault. Il évoque une nouvelle maladie, qui ressemble à une épidémie, et qui touche les homosexuels. La réaction de MF a été d'éclater de son rire sardonique, et de faire de cette maladie (le SIDA) une pure invention de la morale bourgeoise pour obliger les homosexuels à rentrer dans le rang.
Ces faits (et d'autres : par exemple ses prises de position en faveur de la "révolution islamique" en Iran - il est vrai que le discours, en 1979, a imposé à Téhéran son ordre) convergent. MF prétendait être libéré des idéologies : c'est l'idéologue le plus forcené qui soit. Soit sa thèse : le discours serait à lui seul un facteur d'ordre. D'où ses thèses sur la mort de l'Homme (après celle de Dieu : l'homme a tué Dieu, il a tué l'Homme aussi) et sur les seules réalités qui soient : les structures - bien entendu, les seules structures que lui-même il mettait au jour ou le système discursif qui était dans sa propre tête, non dans les faits. Son livre sur Les Mots et les choses (charge contre les grammairiens et les sémiologues réalistes des XVIIe et XVIIIe s qui croyaient saisir les choses dans les mots) est faux de part en part.

3. Le seul point positif à retenir de son oeuvre, c'est le retournement survenu après la publication du tome I de l'Histoire de la sexualité. Dans ce tome I (une sorte d'introduction), il annonçait une analyse de la répression des discours sur le sexe qui caractérisait l'Occident puritain et religieux. Or, en menant ses études (manuels de confesseurs en particulier), c'est tout le contraire qu'il découvre : non pas l'interdiction de dire le sexe, mais l'obligation à le dire ou à en parler. D'où l'abandon de cette thèse préalable (une fois qu'il s'est rendu compte qu'elle était fausse) et la recherche du souci de soi chez les moralistes de l'Antiquité (tomes II et III de son Histoire de la sexualité). Il y a aussi dans sa pensée (fin des années 1970) des développements inquiétants à partir de la lecture qu'il a faite de Boulainvillers : le bon gouvernement est celui qui assure la propagation et la survie de la race (et même ce serait l'objectif de tout gouvernement). Mais chut....
» Le seul point positif à retenir de son oeuvre (...)

Encore une bonne économie de faite !
Utilisateur anonyme
06 juillet 2008, 21:16   Économie
Choisir n'est-il pas notre seul devoir ?
Belle analyse gigéhélienne de la "recklessness" des intellectuels, pour reprendre le titre du livre de Mark Lilla (The Reckless Mind), qui consacre un chapitre à Foucault, justement. Mais s'il fallait brûler les livres des auteurs politiquement irresponsables...
Utilisateur anonyme
06 juillet 2008, 21:33   Re : Espace
Mais que d'espace libre dans les rayonnages de nos bibliothèques, cher bruno chaouat ! Quant à l'analyse de JGL, elle est, en effet, très éclairante.
L'oeuvre de Michel Foucault n'est pas à trouver dans les errements de l'individu "Michel Foucault". Ce que nous rappelle ici JGL est bien sûr exact et assez bien connu à présent. L'homme malgré lui, parvint à s'extraire de son époque peu de temps avant sa fin. On est tenté de dire que les lumières qu'apporte ici JGL sur l'homme et l'époque ont quelque dette envers l'oeuvre elle-même, notamment le discours sur les structures, qui manquait son objet (Foucault visait les extérieurs, tant historiques que géopolitiques, comme si le sensible immédiat le rebutait - mille critiques que l'on pourrait faire de l'homme reviennent à cela).

Les Mots et les choses dévoilent tout le jeu, la mécanique de l'épistémé avec un talent, un art inégalés. Il est profondément injuste et sans pertinence d'en faire "une charge contre les grammairiens et les sémiologues réalistes" (?). Les grilles que dévoilent ce livre éclairent cent histoires: celle de l'économie, de la pensée économique, de la littérature, et généralement de l'histoire de l'histoire. C'est un ouvrage qui, à ce seul titre, serait déjà irremplaçable. Il l'est encore pour l'écriture, superbement excitante, comme, en soi, une sorte de poétique. Tant pis pour ceux qui ne voient pas de quoi il est question ici.
Cher jmarc, vous répondre dans le détail serait obligatoirement long et fastidieux... et demanderait à ressasser des pages entière du corpus philosophique aux sections liberté, volonté, hasard, déterminisme, etc., chose dont je n'ai guère la possibilité matérielle ni même intellectuelle.
Disons simplement que l'illusion, ici, consiste à s'imaginer qu'on aurait pu agir autrement que l'on a agi, être autrement que l'on a été, choisir autre chose que ce que l'on a choisi : il aurait fallu, en somme, être quelqu'un d'autre. Je trouve d'autre part surprenant qu'un philosophe puisse énoncer quoi que ce soit en l'accompagnant d'un "si le hasard en avait décidé ainsi" (même si ce sont les mots de Blanchot, en l'occurrence), ce qui disqualifie aussitôt les propos tenus, selon moi, car hasard est un mot vide de sens...
Mais l'attitude d'un grand esprit est quelque chose que je me garderais bien d'indiquer !
"hasard est un mot vide de sens... "

Voilà une affirmation bien hasardeuse me semble-t-il. La théorie des quantas n'est-elle pas toute entière fondée sur lui ? Il est vrai que cela déplaisait fort à Einstein pour qui "Dieu ne jouait pas aux dés".
» Tant pis pour ceux qui ne voient pas de quoi il est question ici.

Faut dire qu'on en fait, des économies de librairie, ici ! Après avoir jeté Lacan, Derrida, Heidegger et quelques autres, il est conseillé de passer son temps à autre chose que Foucault. Dites-moi si Lévi-Strauss tient encore le coup, car il vient de "sortir" en Pléiade, et c'est pas donné...
Utilisateur anonyme
07 juillet 2008, 23:22   Que reste-t-il ?
Mais vous savez, Benard, même si on "jette" Foucault, Lacan, Derrida (Heidegger, vous me surprenez), il en reste encore pas mal…
" Les Mots et les choses dévoilent tout le jeu, la mécanique de l'épistémé avec un talent, un art inégalés. "

Je suis entièrement d'accord avec cette dormule de Francis. J'ai beaucoup aimé ce livre à l'époque - lointaine - où je l'ai lu.
08 juillet 2008, 10:01   Re : Que reste-t-il ?
(Vous savez bien, cher Boris, que je n'ai rien jeté !)
08 juillet 2008, 11:43   Re : Que reste-t-il ?
Cher Marcel, votre mot est joli...
Je m'accroche, pourtant : dire que quelque chose est dû au hasard, c'est simplement une contradiction dans les termes. Je ne m'aventurerai pas dans la physique quantique, mais l'erreur des détracteurs du déterminisme est peut-être de confondre celui-ci avec la "prédictibilité"; c'est aller un peu vite en besogne que de décréter que parce qu'un événement est imprévisible, il est dû au hasard (sans compter le paradoxe formel évoqué ci-dessus).
Quant à Dieu, cher Olivier, j'emprunterai la réponse de Laplace à Napoléon, en vous disant que c'est une hypothèse dont je n'ai pas besoin.
Utilisateur anonyme
08 juillet 2008, 11:48   Une hypothèse dont je n'ai pas besoin
Il y en a qui ne doutent de rien…
... vous parlez sans doute de ceux qui croient en Dieu ?
Utilisateur anonyme
08 juillet 2008, 13:01   Re : Une hypothèse dont je n'ai pas besoin
Eh non, justement, ceux-là, ils sont déjà catalogués comme tels, à tort.
Ah... en ce cas, en attendant la grande transverbération, je m'en tiendrai à une suspension prudente de mon jugement.
Quelqu'un connaîtrait-il un lien vers un enregistrement de la dernière émission "Répliques" que j'ai manqué étant loin de chez moi ?
Je remercie à l'avance les généreux éclaireurs.
Désolé, cher Virgil, si vous ne vous hâtez pas, il vous faudra vous rendre sur le site du "Nouveau réactionnaire", car ce lien que je vous ai indiqué ne sert que d'une semaine à l'autre, je crois...
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter