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Réquisitoire et art oratoire

Envoyé par Jean-Marc du Masnau 
Bien chers amis,

Il y a quelques semaines, nous avions parlé ici de Robert Brasillach. J'ai fait quelques recherches à ce propos, et j'ai retrouvé des éléments de son procès.

Deux "ténors" s'affrontèrent, Me Isorni et le procureur Reboul (qui étaient amis intimes, Isorni étant le locataire de Reboul).

Reboul, dans un réquisitoire saisissant, renversa le procès, jusqu'alors favorable à Brasillach. Ce réquisitoire étudia un aspect peu connu de la personnalité de Brasillach, son homosexualité peut-être cachée, et l'incidence que cela avait sur sa perception de la France et de l'Allemagne.


Isorni, malgré une extraordinaire plaidoirie, ne put rien.

Le jury était composé de quatre résistants, semble-t-il des gens très bien, dont un seul communiste. Ils condamnèrent Brasillach à la majorité de trois contre un. Le mêmejury, qui siégeait pour une semaine, avait, dans deux autres affaires, prononcé une fois un acquittement et, l'autre fois, la peine minimale, c'est à dire l'indignité nationale.

Il est par ailleurs exact, d'après les pièces du procès, que Brasillach avait commis des écrits d'une grande violence, de véritables appels au meurtre, et d'un antisémitisme révoltant. Cela ne fut cependant pas le coeur des débats, et c'est pour intelligence avec l'ennemi que Brasillach fut condamné.
Utilisateur anonyme
06 juillet 2008, 21:29   Re : Icône gay ?
J'ai peine à comprendre, cher jmarc, comment l'orientation sexuelle aurait pu orienter à ce point les choix politiques de Brasillach et je suis curieux de lire le réquisitoire du procureur Reboul (le trouve-t-on dans l'un des bouquins publiés par Isorni ?). A-t-on condamné à mort un écrivain fasciste et antisémite pour intelligence avec l'ennemi ou un homosexuel pour intelligence avec l'ennemi ? Pensez-vous que, si Brasillach avait été une femme, il aurait tout plus été tondu, ou emprisonné comme Arletty, pour le prix de son intelligence avec l'ennemi, s'il est vrai que ses écrits n'ont pas été le motif de sa condamnation ?

Brasillach : dernière victime gay de la seconde guerre mondiale ?
06 juillet 2008, 22:09   Orientation
Bien cher Corto,

Cela n'a évidemment pas été la raison principale, je développerai ce thème si vous le voulez.

Voici trois anecdotes.

Etiemble surnommait Brasillache et Bardèche : Brasilèche et Bardache.

Jean Guéhenno, se référant à Brasillach, nous écrit dans son "Journal des années noires" : "Problème sociologique : pourquoi tant de pédérastes parmi les collaborateurs ?".

Et Jean-Louis Bory nous dit, à propos de "Chantons sous l'occupation" :

"Pour ce qui est de la présence de l'armée allemande à Paris, il y avait une fascination qui pouvait jouer sur les homosexuels, c'est la fascination qui joue sur le mythe de la virilité, lorsque la virilité est confondue avec la force..., le goût de la botte, du cuir et des fameuses messes de Nuremberg. Je pense là particulièrement à quelqu'un comme Brasillach, qui pouvait trouver l'exaltation d'une humanité suivant son goût. Mais ce n'est pas une raison pour que l'attraction du militaire vous pousse à collaborer avec le nazisme."
Cher Corto, nous voilà parvenu par votre biais sur un forum où l'on se demande si l'oeuvre de Michel Foucault est bonne à jeter aux orties, ou à la poubelle de l'histoire, à cause, entre autres, que l'homo qu'il était n'avait pas voulu croire, comme 99 % du corps politique et scientifique de son époque, à ce qui pouvait apparaître alors comme une fable sur le sida; et où l'on s'entête à se demander si Brasillach ne devrait pas, somme toute, parce qu'il était homo, parce que ceci, parce que cela, être réhabilité avec honneurs compassionnels, et en y ajoutant Gobineau, pour faire bonne mesure.

Tout ça est lassant et je crois venue l'heure d'imiter le regretté Alexis qui a su quitter le navire avant qu'il ne prenne une trop mauvaise eau et ne commence à sentir le raticide à plein nez.
Bien cher Corto,

Parlant de femmes tondues, et donc de collaboration horizontale, voici un extrait du réquisitoire Reboul.

Reboul lit d'abord une citation de Brasillach. Je fais des coupes.

" J'ai contracté, me semble-t-il, une liaison avec le génie allemand. Qu'on le veuille ou non, nous aurons cohabité ensemble. Les Français de quelque réflexion, durant ces quelques années, auront plus ou moins couché avec l'Allemagne... et le souvenir leur en restera doux.

... Le sentiment est là maintenant, et si l'on veut savoir ce que je suis, il faut lui faire sa part."

Reboul termina la citation en posant le document et en ajoutant cette formule, en regardant le jury en face :

" Ce sentiment qui n'ose pas dire son nom, et qui est l'amour".

Reboul, vous le noterez, ne parle jamais de l'homosexualité de Brasillach. mais se réfère, par le "sentiment qui n'ose pas dire son nom", au procès d'Oscar Wilde.


En fait, un des grands thèmes du réquisitoire Reboul fut que Brasillach s'était donné à l'Allemagne, ce qui expliquait sa trahison.
06 juillet 2008, 22:22   A Francis
Diable,

Bien cher Francis,

Quel rat vous a donc mordu ?

Ne partez pas ! j'étais justement en train de préparer une réponse à Cassandre (question sur le fait que l'Eglise catholique abandonnerait les Français de souche) sur le thème "le métissage, valeur cardinale de la politique catholique conservatrice" (je plaisante, je voulais simplement aborder les théories de Freyre et de l'Estado Novo à propos de la Portugalité), et je comptais sur vous pour avoir des lumières sur Macao en vous faisant part des sentiments que j'éprouvai en visitant ce lieu.
06 juillet 2008, 22:28   Sources
Bien cher Corto, voici mes sources :

"Le procès de Robert Brasillach", par Me Isorni et altri, 1946 (bibliothèque de Castres par prêt inter-bibliothèques).

"Oeuvres complètes", Robert Brasillach, collection personnelle.

"Intelligence avec l'ennemi", Alice Kaplan, 2000 Chicago, 2001 traduction (bibliothèque de Castres).
Utilisateur anonyme
06 juillet 2008, 23:46   Re : Réquisitoire et art oratoire
"Tout ça est lassant et je crois venue l'heure... "

Je ne voudrais pas passer pour un vieillard quinteux plein de réserves et de ronchonnements mais, à force de lire M. Corto s'imaginant marcher pour une grande cause, et tout expliquer par cette cause, et tout ramener à cette cause...

J'espère néanmoins, cher Francis, que votre esprit extraordinairement original continuera de souffler sur le forum.
07 juillet 2008, 10:45   Re : Réquisitoire et art oratoire
Après on nous dira que la fuite des cerveaux n'est qu'un mythe ...
07 juillet 2008, 11:11   Re : Collaboration horizontale
Tout ce que suggère le procès de Brasillach confirme l'intuition que j'ai depuis longtemps et qui d'ailleurs repose sur de banales évidences : l' "Autre " " excite la libido ; le goût que l'on a pour lui relève souvent d'un érotisme inconscient. Or quel est l' "Autre " absolu sinon l'ennemi ? d'où la séduction que celui-ci opère sur certains jusqu'à la trahison. Il me semble que, aujourd'hui, ce phénomène affecte toute notre société. C'est notre libido collective ( hommes et femmes confondus) qui s'est laisé séduire jusqu'à la trahison de notre civilisation par cet " Autre " absolu qu'est le musulman, d'autant plus que notre société a refoulé les valeurs viriles que celui-ci affiche avec tant d'arrogance ( et aussi parce que l'image que l'on a de lui est, contrairement au " pauvre " de souche, celle d'un être jeune et beau ). Il faut toujours se méfier du retour du refoulé. Ce qui l'a été dans sa forme noble ou normale nous revient un jour ou l'autre sous forme de caricature grotesque.
Utilisateur anonyme
07 juillet 2008, 11:57   Re : Réquisitoire et art oratoire
Merci, cher jmarc, pour vos réponses érudites et précises. Votre extrait du réquisitoire Reboul (grâce à vos indications bibliographiques, je vais le lire intégralement) ne confirme-t-il pas que l'homosexualité de Brasillach fut un élément d'appréciation important dans sa condamnation à mort ? La dernière phrase de Reboul ne porte que sur cela et ce n'est pas par hasard, car finir sur l'essentiel est un élément de l'art de la plaidoirie.
07 juillet 2008, 12:57   Réquisitoire
Non, ce fut secondaire.


Ce qui emporta la décision fut la lecture par Reboul des articles écrits par Brasillach.
07 juillet 2008, 14:05   Re : Réquisitoire
Cher Jmarc, je me joins au remerciement de Corto.
07 juillet 2008, 15:36   Re : Réquisitoire et art oratoire
J'apprends beaucoup de choses et, du coup, je me demande s'il ne faudrait pas comparer les différents procès. Je pense à celui de Maurras, en particulier. N'était-ce pas perdu d'avance ?
07 juillet 2008, 15:53   L'horizon
Jean Genet a été nommé dans ce forum. Il avait écrit un roman qui campait de jeunes et séduisants miliciens attendant la mort dans le Paris libéré de 1944. Je n'ai de ce roman qu'un très lointain souvenir, et je ne suis même pas sûr qu'il contienne un passage opposant le Juif souffreteux et le lumineux Allemand, dans l'esprit d'un de ces miliciens. L'ai-je inventé? Ou peut-être confondu avec ce fameux article du Monde où Jean Genet expliquait que s'il prenait parti pour les Palestiniens, c'est qu'ils étaient plus beaux que les Israéliens? De gustibus... J'en profite pour vous demander ce que vous pensez de cet auteur : non sans doute de sa pensée politique, mais de son oeuvre et de la réception que Sartre lui a ménagée dans les cercles bien-pensants du temps. Je vais de ce pas voir s'il y a une entrée Genet dans le dictionnaire de notre indispensable Furetière.

PS. Rien dans les "Mythologies intellotes", survolées un peu vite, ni dans la "Légende Dorée". En revanche, je tombe sur le dernier article lexical en date : pédéraste.
Utilisateur anonyme
07 juillet 2008, 16:53   Re : Réquisitoire et art oratoire
De mémoire, je crois que le roman de Genet s'appelle Pompes funèbres. Quant au passage dont vous croyez vous souvenir, cher Henri Bès, je me propose de le vérifier ce soir.

Ce que je déteste le plus dans l'oeuvre de Genet, c'est son apologie de la trahison.
Utilisateur anonyme
07 juillet 2008, 16:58   Re : Si ma mémoire est bonne
Je me souviens que, dans ses mémoires, Henry Bordeaux évoque longuement le procès de Maurras qui était l'un de ses maîtres et à qui il avait apporté son soutien en allant témoigner en sa faveur, tout en regrettant que Maurras ne se soit pas désolidarisé de l'Action française après la condamnation de ce mouvement par le Vatican. Mais je vous dis tout ceci avec le seul appui de mon souvenir de cette lecture, il y a plusieurs années déjà.
Utilisateur anonyme
07 juillet 2008, 21:50   Re : Pompes funèbres
Citation

et je ne suis même pas sûr qu'il contienne un passage opposant le Juif souffreteux et le lumineux Allemand, dans l'esprit d'un de ces miliciens.
Non, après un parcours rapide de Pompes funèbres, je ne trouve pas ce passage. Mais quelle belle langue ! Il y a un plaisir trouble à se replonger dans cette prose poétique vénéneuse :
Citation

Le goût de la singularité, l'attrait de l'interdit,concoururent à me livrer au mal. Comme le bien, le mal se gagne peu à peu par une découverte géniale qui vous fait glisser verticalement loin des hommes, mais le plus souvent par un travail quotidien minutieux, lent, décevant. Je donnerai quelques exemples.Parmi les travaux qui marquent cette ascèse particulière, c'est la trahison qui me coûta le plus d'efforts. Pourtant j'eus le courage admirable de m'écarter des hommes par une chute plus profonde, de livrer à la police mon ami le plus martyrisé. J'amenai moi-même les policiers au logement où il se cachait et je tins à coeur de recevoir, sous ses yeux, le prix de ma trahison. Sans doute cette trahison me cause une soufrance inouïe, m'apprenant du même coup mon amitié pour ma victime et pour l'homme un amour encore vivace, mais au milieu de cette souffrance, il me semblait que demeurât, la honte m'ayant brûlé de toute part, au milieu des flammes ou plutôt des vapeurs de la honte, d'une forme aux lignes sévères et nettes, d'une matière inattaquable, une sorte de diamant, justement appelé solitaire. Je crois qu'on l'appelle aussi l'orgueil et encore l'humilité et encore la connaissance. J'avais commis un acte libre.
08 juillet 2008, 00:06   Re : Pompes funèbres
" Or quel est l' "Autre " absolu sinon l'ennemi ? "
Je me suis très mal exprimée. Voilà ce que je voulais dire :
L'ennemi - déclaré ou non - reconnu comme celui qui imbu de l'irréductibilité de sa différence ne peut se satisfaire de nous que vaincus, est celui qui nous est absolument interdit. C'est donc le " Différent " par excellence, l' "Autre " absolu. Il n'en est que plus séduisant et pactiser avec lui est plus excitant qu'avec l'allié naturel ou l'ami.
Ce désir de l'ennemi, chère Cassandre, me paraît animer l'univers romanesque de Genet. "Je ne pense pas tous les jours" à cet auteur, mais je ne le lis jamais sans étonnement. Merci à Corto d'avoir fait cette recherche : j'ai rêvé et prêté à Genet des choses qu'il n'a pas écrites. Je me souviens en particulier de la stupéfaction que me causèrent ses vers, long discours à la Boileau en alexandrins classiques à la louange de la queue d'un condamné à mort. C'est moins le sujet qui me surprenait (après tout, je viens de commencer Le roman de Renart, le vrai, et ma fois, bon, ce n'est pas comme Tricks puisque c'est écrit en vers, mais le langage y est - de la même façon - précis, correct, syntaxiquement impeccable, et sans détours (Tricks, le Roman de Renart et ceux de Genet n'appartiennent pas, formellement, stylistiquement, à cette catégorie XVIII°s des "livres qu'on lit d'une main")), c'est donc moins le sujet qui surprenait que la facture de ce poème et l'étrangeté de son imagerie catholique (dévotion, reposoirs, agenouillements), qui ne s'accompagnait pas dela moindre intention satirique ou anticléricale manifeste : du moins ç'avait été mon impression, peut-ête fausse et obscurcie par la force suggestive du thème. Il semblait à l'étudiant stressé que j'étais alors, que le contenu de l'oeuvre romanesque et poétique de Genet jurait avec le contenant, et qu'il avait voulu cette contradiction. Genet est vraiment un curieux oiseau. Quelqu'un connaît-il l'histoire de sa réception dans les lettres (Gallimard, Le Monde, etc...) ?
Utilisateur anonyme
08 juillet 2008, 10:04   Re : Pompes funèbres
C'est beau comme une pièce de Sartre.
Cher Jmarc, qu'auriez-vous prononcé ? L'intelligence avec l'ennemi n'est-t-elle pas manifeste ?
08 juillet 2008, 20:43   Jugement
Bien cher DJF,

Vous avez raison, l'intelligence avec l'ennemi est manifeste dans le cas de Brasillach.

Il est dommage que la justice ne se soit pas montrée aussi ferme avec les collaborateurs économiques.
Le fils de Bousquet cite dans son livre des "communications" de De Gaulle demandant à tous les fonctionnaires de rester à leur poste et de continuer à faire fonctionner ce qu'on appelle de nos jours "l'équipe France", faire tourner la machine. Cet appel, in extenso, devait s'adresser aux chefs d'entreprise, agriculteurs, ouvriers et bien sûr journalistes. L'intelligence avec l'ennemi, c'est autre chose que la simple collaboration.
Ayant commencé la lecture du procès de Brasillach avec l'a priori qu'il était un pauvre bougre sacrifié, j'ai complètement changé d'avis. C'était un lâche, un traître que toute civilisation digne se devait d'éliminer. Reboul explique certains des actes de B. par son homosexualité. Ce n'est ni à charge, ni à décharge : il s'agit simplement de comprendre pourquoi.
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