En même temps, il est encourageant de remarquer à quel point ce genre de sujet-Lily est parfois mal accueilli des parents, des élèves, et même parfois de quelques professeurs. Les sujets des séries S et ES de 2007 n'évitaient pas Hugo ni Prévert (qui ne vaut guère mieux que Pierre Perret, voir l'essai réjouissantde Michel Houellebecq, "Jacques Prévert est un con") dans le "corpus de textes", et donnaient dans la bien-pensance dans un des travaux proposés à partir d'un extrait de
Choses vues de Hugo (livre dont on ne dira jamais assez comme il est faible) : "A son arrivée à la Chambre des Pairs, le narrateur, sous le coup de l'émotion, prend la parole à la tribune pour faire part de son indignation et plaider pour plus de justice sociale. Vous rédigerez ce discours." Il y a tout ce qu'il faut dans le genre : l'émotion généreuse, l'indignation vertueuse, etc... En fait, un tel sujet (appelé "écriture d'invention" dans la langue des programmes) présente deux avantages : le premier, d'être en prise avec l'idéologie du moment (moment un peu long, qui dure depuis 1848) et donc à la portée des plus mauvais élèves ou des plus paresseux ; le second, de permettre de vérifier que les "registres littéraires lyrique et polémique" (toujours dans la langue des programmes) ont été bien étudiés, au point que l'élève soit capable d'y recourir. Pour les meilleurs, un commentaire d'un extrait de La Bruyère (Gnathon) avait été prévu, et une dissertation sur le sujet suivant : "Dans quelle mesure la forme littéraire peut-elle rendre une argumentation plus efficace?" J'avoue que 2007 était une année difficile.
Les sujets de 2008, dans les mêmes séries, étaient moins idéologiques : portant sur le roman, ils demandaient en dissertation si la tâche du romancier ne consistait qu'à imiter le réel quand il crée des personnages. Le commentaire portait sur un extrait fameux (enfin, présent dans les annales anciennes du bac) du
Chef-d'oeuvre inconnu. J'aurais été bien en peine de faire l'écriture d'invention, dont le sujet était fondé sur le portrait du duc de Guermantes vieilli, dans
Le temps retrouvé : on demandait aux élèves d'écrire le portrait d'une femme que le narrateur a aimée dans sa jeunesse et qu'il retrouve longtemps après, percevant, sous ses traits vieillissants, sa beauté d'autrefois. C'est ce qui me frappe souvent dans le choix des sujets de Première, prévus par des professeurs "en qui l'Inspection a toute confiance", nous dit un jour un Inspecteur de Créteil : une alternance entre la bouillie idéologique la plus fade, et des exigences littéraires extravagantes. Le correcteur est placé dans le premier cas dans une situation d'ennui absolu (même, j'imagine, le camarade syndiqué "anti-sarko" le plus fervent), où il retrouve sous forme manuscrite et fautive le même discours qu'ailleurs ; ou bien il est obligé de se mettre d'accord avec les autres pour ne pas reprocher à des adolescents d'avoir quelque peine à imaginer une femme qu'ils ont aimée dans le passé et qu'ils retrouvent fort changée. C'est un beau sujet, mais je crains qu'ils aient fait le portrait de leur grand-mère. Quant à l'art du portrait , je n'y ai pas consacré assez d'heures et d'exercices pratiques dans l'année, avec mes propres élèves...