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Drôleries de la vie littéraire

Envoyé par Thierry Noroit 
Cette information dans un périodique littéraire :

Premier grand prix de la rentrée littéraire, cette récompense couronne l'auteur de Limonov (P.O.L), par ailleurs toujours en lice pour le Renaudot et le Décembre.

Créé en 1986 par la Ville de Brive, le prix de la Langue française récompense l’oeuvre d’une personnalité du monde littéraire, artistique ou scientifique, qui a contribué de façon importante, par le style de ses ouvrages ou son action, à illustrer la qualité et la beauté de la langue française.

Emmanuel Carrère a été désigné au premier tour de scrutin par le jury présidé par Paule Constant et composé de Laure Adler, d'Hélène Carrère d'Encausse et Jean-Christophe Rufin de l’Académie française, de Tahar Ben Jelloun, Bernard Pivot, Patrick Rambaud et Robert Sabatier de l’académie Goncourt, et de Dominique Bona, Franz-Olivier Giesbert et Jean-Noël Pancrazi, membres du jury Renaudot.

Le prix de la Langue française, doté de 10 000 euros, sera remis au lauréat par Laure Adler, le vendredi 4 novembre, lors de l’inauguration de la Foire du livre de Brive.


C'est un bon livre, dont le "sujet" est passionnant, mais l'écriture, plate, sans imagination ni brio.

Ce qui est amusant, c'est de voir notre grande amie Laure Adler participer au jury du Prix de la... Langue française et même être appelée, à ce titre, à remettre sa récompense au lauréat.

Non moins amusant : la présence dans ce même jury de Madame Carrère d'Encausse, la propre... mère du lauréat. Espérons qu'elle se sera abstenue !
Brive la Gaillarde en a vu d'autres...
Tout à fait d'accord dans votre jugement sur Emmanuel Carrère. C'est un écrivain honnête, exigeant, qui fréquente peu les médias et essaie à travers ses romans de déchiffrer le monde et sa folie. Mais son style n'a jamais suscité en moi la moindre émotion esthétique. Quignard, comparé à lui, a des airs d'artiste.
Les cas-Carrère et Defalvard me semblent représentatifs de la situation de l'écriture aujourd'hui. D'un côté le non-style, l'écriture sans relief ni saveur, "journalistique" (mais d'un journaliste modeste et sérieux) ; de l'autre l'enflure. On passe sans transition du bleu de travail aux habits du dimanche.
Je viens de lire un tiers du Defalvard. Ce jeune homme a vraiment beaucoup de talent, mais il est vrai que le style a quelque chose de racoleur. Je vais persister, néanmoins.
Je suis très heureux d'apprendre que ce jeune homme ait réellement du talent, Bruno. Et le premier à dire que quelques extraits peuvent donner une idée très fausse de la qualité d'un livre. J'ai bien envie de lire ce roman mais d'autres lectures me submergent pour le moment (ces jours-ci : les nouvelles complètes de Nabokov et le merveilleux Danube de Claudio Magris).
J'aime tout particulièrement certaines coquetteries syntaxiques : il fait le choix d'écrire "Moi et ma soeur", par exemple, ou bien encore d'utiliser la construction directe avec "se souvenir" et indirecte avec "se rappeler". Tout cela me semble très maîtrisé, et seul un contrôle total de la syntaxe peut faire passer ce genre de bizarreries, qui chez un autre seraient des fautes injustifiées.
Peut-être, cher Bruno, mais à quoi bon de telles "bizarreries" ? Qu'apportent-elles au juste ?
Bonne question, cher Francmoineau. Elles ne peuvent enchanter que dans leur contexte, il me semble. Elles n'apparaissent pas saupoudrées ici ou là pour choquer le bourgeois. Elles me semblent répondre à une exigence d'écriture. Je me trompe sans doute. Rien n'est plus difficile que le jugement de goût, à une époque où l'art s'est libéré de toute contrainte.
Oui, vous avez sans doute raison, c'est une question de contexte. Néanmoins, la gratuité est une arme difficile à manier en ce domaine.
Ces manies stylistiques me paraissent gratuites en effet mais peut-être changerai-je d'avis en lisant le roman.
A propos, Bruno : l'hypothèse d'une supercherie (d'un auteur chevronné pastichant le style d'un débutant surdoué mais maîtrisant encore mal ses talents) doit-elle, à la lecture, être entièrement évacuée ?
Cher Kiran,
Lorsqu'on entend parler le jeune homme, on a du mal à croire à un coup monté...
Peut-être a-t-on affaire au Mozart de la prose ?
Utilisateur anonyme
11 octobre 2011, 13:05   Re : Drôleries de la vie littéraire
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Sans doute avez-vous raison. Mais je conserve de légers doutes.
11 octobre 2011, 14:33   The litmus test
Si le "style" de cet auteur peut laisser supposer un pastiche, une supercherie, presque un canular, c'est qu'il est lui-même pastichable. La question qui tue parmi toutes les interrogations sur son identité, son authenticité voire sa valeur littéraire, serait celle-ci: un auteur qui se laisse enfermer dans les signes d'identification de son "style" au point que la tentation d'en faire un pastiche et celle de douter même qu'il n'en soit pas déjà un sont constantes et quasi irrépressibles est-il, s'annonce-t-il comme, un grand auteur ? La réponse est non, comme on le chante dans une certaine samba de Carlos Jobim.
Je serais de l'avis de Francis Marche. Ce n'est pas un grand auteur. Et j'ajouterais prudemment : Mais il peut le devenir... en raison de sa présence attestée, naguère, sur ce site.
Les quelques pages que j'ai lues et les vidéos disponibles dans lesquelles s'exprime ce jeune auteur, Marien Defalvar, plaident pour une maîtrise incontestable de la langue. En revanche les mêmes pages trahissent un manque de vécu dont personne ne s'étonnera. Comment en serait-il autrement ?
Comme exemple de vécu, je citerai Suerte de Claude Lucas, paru dans la collection Terre Humaine chez Plon. Il s'agit de l'autobiographie romancée d'un ancien braqueur qui fit ses études en prison jusqu'à la licence de Philo. C'est un livre très fort, otage d'un collection sérieuse mais qui aurait du faire un tabac. A moins que l'Édition ait peur du ridicule, des fois qu'on ferait des comparaisons... Et ce bandit vous parle de Lévinas comme personne.
Je serais de l'avis de Buena Vista, et rien n'exclut qu'un "petit auteur", en noircissant suffisamment de papier, ou en bourrant suffisamment d'unités de capacité mémoire, puisse devenir grand, que le grand Marien Defalvard de 2035 renie ce premier roman et qu'il l'exclue d'avance de ses oeuvres complètes si ce n'est dans le dernier tome, mêlé aux fragments oubliés et aux notes de blanchisserie.
Je m'apprête à terminer le roman de M. Defalvart. Je reste très impressionné par la langue. Ce qui me frappe, c'est au fond que le rien de l'intrigue romanesque soit drapé dans une langue aussi formidablement élaborée. Cela me rappelle un peu l'écart entre le langage et l'expérience qu'on peut trouver chez Huysmans, notamment dans "A rebours". Rien d'étonnant : le jeune écrivain n'a rien vécu, et pourtant ce rien, il parvient à l'habiller de mots, comme si les mots vivaient tels des choses opaques, autonomes, détachés de toute expérience, détachés du monde. Il y a un peu de Genet aussi, dans cette performance... En un mot, je trouve cela très réussi, bien au-delà de mes attentes. Je vous prie d'excuser la médiocrité de mes formulations : il est tard...
M. Defalvard est-il le fils de l'économiste Hervé Defalvard ?
Utilisateur anonyme
15 octobre 2011, 04:13   Re : Drôleries de la vie littéraire
Je vais avoir l'air de faire, et de la manière la plus outrageuse, ma promotion - quoiqu'on l'ait déjà suffisamment faite à ma place, et en des lieux bien plus passants - mais un article de très bonne qualité, de loin le plus pertinent et le plus profond ayant été écrit sur Du temps qu'on existait, se trouve sur ce site inégal quoique toujours intéressant qu'est Stalker. Le fait qu'il s'accompagne de nombreuses et copieuses citations devrait donner une idée précise du style y employé.

[stalker.hautetfort.com]
Stalker a compris et rendu palpable la grâce de votre écriture, cher Marien de Falvard.
Des prodiges.

Je profite de l'occasion (la mise-en- ligne de ce lien) pour dire mon scepticisme quant à l'exercice de la revue de presse culturelle. Quelle réflexion mène ces journalistes pour qu'ils n'aient rien de meilleur à proposer qu'un recyclage de leurs opinions ? C'est dire que c'est un monde clos, tout en répétitions, redites et où ces gens trouvent leur légitimité dans un rapport incestueux.

Quoi qu'il en soit, voici qui, au moins, fait le point sur le phénomène Defalvard. Où l'on voit que la réception qui lui est faite n'est pas nouvelle.
Concernant Marien Defalvard, le désir qu'il existe, qu'il est bien un jeune écrivain souverainement doué, prometteur, au style incomparablement original et créatif, devrait, pour l'heure, suffire, car la révélation de ce désir dans le public est déjà, en soi une bonne nouvelle, le signe d'une bonne santé. Il reste à l'intéressé, jeune homme attirant, à se mesurer à lui pour le combler, le décevoir, de manière alternative et répétée, comme tout jeune amant les aspirations complexes et les exigences férocement critiques de sa maîtresse, femme qui a du vécu et du jugement.
L'inanité des chroniqueurs ou de ceux qui se disent journalistes littéraires est immense : certains articulets cités par Stalker et qui se veulent des "éreintements" sont d'une imbécilité incroyable ; la plupart se contentent de pêcher çà et là quelques phrases extraites de leur contexte et de gloser avec dédain sur quelques "audaces" de vocabulaire ; très peu s'attardent au style lui-même, à la structure de l'ouvrage, que ce soit pour les louer ou en critiquer les éventuels défauts, alors qu'une analyse poussée dans ces domaines pourrait être du plus haut intérêt.

Que Marien Defalvard ait cité ici cet article qui comprend une injonction (lancée à son endroit) à aller de l'avant, à tenter de dépasser ce premier stade de l'écriture, est en soi, je pense, une preuve de maturité littéraire, et fournit la preuve que le jeune écrivain a une forte intuition des limites éventuelles et d'ailleurs minimes du style adopté pour cet ouvrage.
Utilisateur anonyme
15 octobre 2011, 14:04   Re : Drôleries de la vie littéraire
(Message supprimé à la demande de son auteur)
D'accord aussi.
Accord aussi. Que Marien Defalvard sache bien que nous formons pour l'avenir de sa carrière littéraire le voeu qu'il fasse manger leur chapeau à ses détracteurs de la manière la plus éclatante et confondante qui soit, et que nous ne doutons pas qu'il possède les moyens requis pour ce faire.
15 octobre 2011, 15:15   Robinson Cruzou
Puisque M. de Falvard nous fait la grâce d'intervenir quelquefois ici, peut-être pourrait-il nous donner un texte pour le premier numéro de la revue de l'In-nocence, à paraître en janvier ? (thème : la dissidence). (Mais quels sont les liens entre MM. de Falvard et Defalvard ? Les mêmes qu'entre de Foe et Defoe ?)
15 octobre 2011, 16:52   Re : Robinson Cruzou
Puisque M. de Falvard nous fait la grâce d'intervenir quelquefois ici, peut-être pourrait-il nous donner un texte pour le premier numéro de la revue de l'In-nocence, à paraître en janvier ? (thème : la dissidence). (Mais quels sont les liens entre MM. de Falvard et Defalvard ? Les mêmes qu'entre de Foe et Defoe ?)

Cher Renaud Camus, je me suis posé la même question. L'éditeur Grasset (vengeance de roturier ? ) ne marque pas de particule pour orner la couverture du livre.
[www.franceculture.com]
Citation
Stéphane Bily
L'inanité des chroniqueurs ou de ceux qui se disent journalistes littéraires est immense : certains articulets cités par Stalker et qui se veulent des "éreintements" sont d'une imbécilité incroyable ; la plupart se contentent de pêcher çà et là quelques phrases extraites de leur contexte et de gloser avec dédain sur quelques "audaces" de vocabulaire ; très peu s'attardent au style lui-même, à la structure de l'ouvrage, que ce soit pour les louer ou en critiquer les éventuels défauts, alors qu'une analyse poussée dans ces domaines pourrait être du plus haut intérêt.

En sont-ils capables ou en ont-ils le désir, la volonté ? D'une part, ces gens passent leur temps à sucer les noyaux creux de l'actualité et nourrissent leur "réflexion" de la lecture des articles de leurs confrères ou des présentations des attachés de presse. Comment diable, dans ces conditions, attendre l'once d'une analyse ? Sans oublier un cynisme marchand qui les conduit à flatter leur public dans le sens du poil, en d'autres termes à se conformer à ce qu'ils pensent être ses attentes et ses goûts.
Ainsi lorsque au sujet du livre de Marien Defalvard, les noms de Proust ou de Mallarmé sont-ils lancés dans le baratin, il ne s'agit que de "name dropping" à fin de distinction. Il y a bien longtemps que ces gens ne les lisent plus, même en extraits !

Cela vaut mieux d'ailleurs car alors leur appréciation de la production contemporaine serait nettement plus sévère.
D'ailleurs, parfois, je me prends à rêver d'une émission littéraire avec Kafka.

"Alors, Franz Kafka, dur vos rapports familiaux, hein ? Et qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire sur un insecte ? Vous étiez fort en SVT, à l'école ? Du goût pour les leçons de choses ? Et puis, dites-moi, vous vous sentez juif ? Vous pensez quoi du conflit israélo-palestinien ?"

Et ainsi de suite ...
Excellent.

"Pouvez-vous nous éclairer sur comment vous écrivez votre journal ? L'Amérique, l'idée vous est venue comment ? Et d'abord ce titre. Expliquez-nous pourquoi un titre aussi bateau... C'est un récit de voyage ? Alors que se passe-t-il au juste à la fin du Procès ? Préparez-vous une suite au roman pour nous le dévoiler ? Franz Kafka... Cela vous fait quoi quand on dit de vous que vous êtes le Stephen King de la Mitteleuropa ?, etc."
Cher Francis, il y a des entretiens magnifiques et d'une drôlerie insolente de Céline où il se moque des commentaires des journalistes. Avez-vous lu dans les "Contes cruels" de Villiers de l'Isle-Adam, la nouvelle intitulée "La machine à gloire" ? Il y démonte, déjà, la puissance de la dictature de l'opinion contre l'esprit critique.
C'est l'entretien où il annonce d'un air contrit qu'il a écrit le Voyage pour se payer un appartement ? Non, je ne connais pas ce conte de Villiers de l'Isle-Adam. C'est un auteur que je connais mal, ou que j'ai dû contourner dans mes lectures (Rémy de Gourmont, Huysmans, etc.) en me le réservant comme un dessert. Il semble que le moment soit venu de passer à table.
"Puisque M. de Falvard nous fait la grâce d'intervenir quelquefois ici, peut-être pourrait-il nous donner un texte pour le premier numéro de la revue de l'In-nocence, à paraître en janvier ?"

Là, je bats des mains, c'est une riche idée !


"C'est un récit de voyage ? Alors que se passe-t-il au juste à la fin du Procès ?"

"Ben tu vois, l'truc, j'ai joué à fond sur les symboles, en fait [il remet sa mêche d'un coup de menton] ; à la fin, quand y meurt, le héros, y a un gusse qu'écarte les bras, ça fait genre Christ, tu vois ? j'ai trouvé l'image trop top, en fait..."
Citation
Francis Marche
C'est l'entretien où il annonce d'un air contrit qu'il a écrit le Voyage pour se payer un appartement ? Non, je ne connais pas ce conte de Villiers de l'Isle-Adam. C'est un auteur que je connais mal, ou que j'ai dû contourner dans mes lectures (Rémy de Gourmont, Huysmans, etc.) en me le réservant comme un dessert. Il semble que le moment soit venu de passer à table.

Si mes souvenirs sont exacts, je crois que c'est dans le dernier entretien donné à deux jeunes étudiants. J'avais entendu cela l'an passé sur France Culture lors de longues rediffusions d'entretien organisées par Garrigou-Lagrange pour son anniversaire. Ah, joie de la commémoration ! Cela doit pouvoir se retrouver sur le site de l'ANPR.

Villiers, un curieux esprit ! Certes, il y a chez lui du hobereau qui sent que son monde s'effondre. Sa critique de l'esprit bourgeois, de sa médiocrité, le rapproche de Bloy ou de Barbey mais s'y ajoutent ses propres thématiques, parfois aux marges du fantastique. L'Eve future est un roman passionnant aussi.

Quoi qu'il en soit, à mon sens, un détour par ses contes ne peut que faire un bien fou pour se désengluer de la production contemporaine et de ses fades discours promotionnels.
Et puisqu'il fut question de préciosité de la langue, lire Villiers, c'est juger d'un emploi efficace de celle-ci, voulu, ironique et qui n'alourdit pas le rythme des phrases mais leur donne une syncope particulière.
Il y a dans les Contes cruels, si mes souvenirs sont bons, ce fameux conte où un médecin, figure du positiviste de l'époque, demande au condamné à mort sa coopération pour faire avancer la cause sacrée de la science, et l'adjure de cligner de l'oeil une fois sa tête coupée pour confirmer l'existence ou l'inexistence de l'âme après la mort.
Mais "Véra" est un conte de Villiers, n'est-ce pas ?
Autant l'analyse littéraire de "Stalker" est remarquable, autant il me semble qu'elle est affaiblie par le ton vindicatif et très célinien, justement, dans ses attaques contre les journalistes et les critiques. C'est lorsqu'on lit ce genre d'articles qu'on mesure le poids de l'héritage du ton de Céline en France. Il n'était pas nécessaire à l'auteur de massacrer les critiques pour faire valoir la pertinence de son analyse. Elle est assez forte pour n'avoir pas besoin d'hommes de paille.
J'ajoute que la pièce de Villiers, Le Prétendant, est excellente mais impossible à monter de nos jours à cause du nombre de personnages.
C'est sur Bonnie Prince Charlie ? Il y a sur scène la bataille de Culloden ?
L'action se passe en 179.. Aux premier et deuxième actes en Calabre. Aux 3e et 4e à Naples. Au 5e à Salerne.

Le pièce fut représentée à la Télévision Française le 31 décembre 1965.
"Franz Kafka, si vous le voulez bien, nous allons occuper la demi-heure qui nous reste à passer ensemble à décrypter l'actualité... Commençons par la Syrie: Franz Kafka, peut-on dire de la situation en Syrie que cette situation est kafkaïenne ?

-- Et bien mon cher Olivier Poivre de Demorand, je vous avouerai que je n'en sais trop rien, n'ayant pas suivi de près les derniers événements et qu'en outre...

-- Mais enfin, un écrivain engagé comme vous, dont l'influence s'étend bien au-delà de la sphère de vos lecteurs... Le problème il est où, selon vous, dans cette affaire ?

-- Ecoutez chère Ladre Alder, d'abord je voudrais préciser que...

-- Enfin répondez, qu'avez-vous à craindre ? Seriez-vous gêné par cette question ?

-- Mais pas du tout Madame Dumas Mireille, croyez bien que si ...

-- Ah là nous vous retrouvons... !

etc..."
Citation
Bruno Chaouat
Mais "Véra" est un conte de Villiers, n'est-ce pas ?


Oui, c'est le premier du recueil et si mes souvenirs sont exacts, c'est une variation, bien fin de siècle, sur la morte amoureuse. Ce n'est pas d'ailleurs pas celui que je préfère si tant est que posé de la sorte, mon avis ait quelque intérêt !

Pour ce qui est de Juan Ascencio, aka le stalker, il est juste que ce qu'il écrit est souvent plus intéressant que ce qu'on trouve dans les médias. C'est que Juan Ascencio est indépendant. En outre, il a une épine dorsale et défend une certaine littérature. Néanmoins, cher Bruno, nous tombons aussi d'accord sur le fait que ses invectives et imprécations sont pénibles. Certes, la bêtise, l'inculture, la paresse de nos journaleux est insupportable mais elle va avec la fonction, je suppose. Là encore, le journaliste doit être la plaie et le miroir de la société. Pour le coup, je pense à "Bel ami". Opportuniste ambitieux, tu seras plumitif ! De plus, je crois qu'il est préférable de se garder des imprécateurs quel que soit leur bord et de tous ceux qui croient détenir la vraie vérité immaculée. On sait ce que cela donne dès qu'ils ont une once de pouvoir.
C'est pour cette raison que je préfère ceux qui pointent le ridicule par la satire ou le pastiche. Hélas, nos plumitifs français sérieux, engagés, sinistres et forcément mélancoliques manquent de cette verve salutaire.
Heureusement avons-nous Francis !


Je crois donc que désormais pour lire des textes qui sortent du ronron, il faut passer soit par les blogs, soit par des revues spécialisées. Le reste ? Petit baratin, couper-coller des dossiers d'attachés de presse et autres renvois d'ascenseur.
Francis, encore, encore des pastiches ! Je ne m'en lasse pas !
Oui, oui, encore !
Il me semble que les jugements qui sont portés dans ce "fil" sur l'oeuvre, le "style", la langue de Carrère sont beaucoup trop abrupts et même si abrupts qu'ils empêchent de comprendre en raison ce qui (l'esthétique ?) sous-tend son entreprise littéraire, laquelle, à mon sens, est sans pareille. De très nombreuses phrases (presque toutes les phrases) sont "plates", celles-ci par exemple, qui détonnent dans un récit d'écrivain : "Patrice avait un siège sur son porte-bagages pour Clara, mais Amélie savait déjà pédaler seule, sans petites roues sur le côté"… "C’est vraiment la campagne, là, avec des vallons et des vaches" (D’autres vies que la mienne, P.O.L., 2009).
Depuis trois siècles et demi environ, la platitude est tenue par les critiques littéraires, les écrivains, les professeurs, etc. pour un défaut ou un manque ou une absence de style, de littérature, de poésie, d'art ou pour une ignorance de ce que doit être l'expression littéraire. Certes. Mais, chez Carrère, la platitude est volontaire, consciente, assumée. Là est justement l'intérêt de son oeuvre. Car autant il est facile de faire plat quand on ne sait pas écrire ou quand on prend la plume une ou deux fois par an pour rédiger dix ou vingt lignes (c'est même "naturel"), autant il est difficile pour un "écrivain", qui écrit dix ou vingt pages par jour, de faire dans la "platitude". En un sens, cette platitude assumée est une ascèse, un effort, c'est aller contre sa nature ou contre ce que l'on a appris par ses propres lectures ou à l'école. De ce point de vue, ce que fait Carrère, c'est de l'artifice, donc de l'art, et la réussite est au bout de l'effort. Ses livres, dont les histoires sont élémentaires ou frustes, se lisent avec plaisir, même ce qui dans les récits ne présente aucun intérêt, même pas un intérêt documentaire - par exemple les arguties juridiques des deux juges de Valence pour rendre responsables dans les affaires de sur-endettement non pas les familles à la dérive qui empruntent à gogo mais les prêteurs qui abusent de la fragilité ou de l'inconscience des emprunteurs.
Patrice avait un siège sur son porte-bagages pour Clara, mais Amélie savait déjà pédaler seule, sans petites roues sur le côté

C'est tout de même un peu boiteux, de la part d'un écrivain de profession...
Une petite roue de chaque côté, sinon on se casse la figure.
J'avais commencé "D'autres vies que la mienne" et me j'ai laissé tomber le livre quand j'ai lu une comparaison entre un personnage et l'acteur comique Pierre Richard. Je n'ai tout simplement pas eu le coeur de continuer...
Curieux. J'ai beaucoup aimé ce livre.
Je devrais m'y remettre, cher Marcel... C'est sans doute ma faute. Il y a des livres qui vous tombent des mains, sans que l'auteur y soit pour rien...
« Et c'est aussi pourquoi bien des amants — oh ! les prédestinés ! — ont su, dès ici-bas, au dédain de leur sens mortels, sacrifier les baisers, renoncer aux étreintes et, les yeux perdus en une lointaine extase nuptiale, projeter, ensemble, la dualité même de leur être dans les mystiques flammes du Ciel. À ces cœurs élus, tout trempés de foi, la Mort n'inspire que des battements d'espérance ; en eux, une sorte d'Amour-phénix a consumé la poussière de ses ailes pour ne renaître qu'immortel : ils n'ont accepté de la terre que l'effort seul qu'elle nécessite pour s'en détacher. »

Villiers, L'Amour suprême
Citation
JGL
Il me semble que les jugements qui sont portés dans ce "fil" sur l'oeuvre, le "style", la langue de Carrère sont beaucoup trop abrupts et même si abrupts qu'ils empêchent de comprendre en raison ce qui (l'esthétique ?) sous-tend son entreprise littéraire, laquelle, à mon sens, est sans pareille. De très nombreuses phrases (presque toutes les phrases) sont "plates", celles-ci par exemple, qui détonnent dans un récit d'écrivain : "Patrice avait un siège sur son porte-bagages pour Clara, mais Amélie savait déjà pédaler seule, sans petites roues sur le côté"… "C’est vraiment la campagne, là, avec des vallons et des vaches" (D’autres vies que la mienne, P.O.L., 2009).
Depuis trois siècles et demi environ, la platitude est tenue par les critiques littéraires, les écrivains, les professeurs, etc. pour un défaut ou un manque ou une absence de style, de littérature, de poésie, d'art ou pour une ignorance de ce que doit être l'expression littéraire. Certes. Mais, chez Carrère, la platitude est volontaire, consciente, assumée. Là est justement l'intérêt de son oeuvre. Car autant il est facile de faire plat quand on ne sait pas écrire ou quand on prend la plume une ou deux fois par an pour rédiger dix ou vingt lignes (c'est même "naturel"), autant il est difficile pour un "écrivain", qui écrit dix ou vingt pages par jour, de faire dans la "platitude". En un sens, cette platitude assumée est une ascèse, un effort, c'est aller contre sa nature ou contre ce que l'on a appris par ses propres lectures ou à l'école. De ce point de vue, ce que fait Carrère, c'est de l'artifice, donc de l'art, et la réussite est au bout de l'effort. Ses livres, dont les histoires sont élémentaires ou frustes, se lisent avec plaisir, même ce qui dans les récits ne présente aucun intérêt, même pas un intérêt documentaire - par exemple les arguties juridiques des deux juges de Valence pour rendre responsables dans les affaires de sur-endettement non pas les familles à la dérive qui empruntent à gogo mais les prêteurs qui abusent de la fragilité ou de l'inconscience des emprunteurs.

Cher JGL, vous me permettrez d'être sceptique. Je n'ai jamais lu E. Carrère. C'est ce que vous dites d'une certaine "platitude" de l'écriture qui m'étonne.
Tout d'abord, dans l'une de vos citations, la place de "là" est déjà un effet de style puisqu'il induit une rupture syntaxique par rapport à la norme de l'ordre des mots attendu. En outre, "là" en opposition à "ici" induit un effet de point de vue.

Bref, j'en reviens à notre histoire de "platitude". Si mes souvenirs sont corrects, on a pu parler d'écriture "plate" ou d'écriture voulant travailler à l'illusion d'une objectivité avec le nouveau roman.
Et, pour ma part, je vois dans les interrogations de Robbe-Grillet ou celles de Sarraute, un questionnement sur le roman bien plus pertinent que dans la production de Carrère. A savoir que Carrère me semble une sorte d'héritier exsangue de ces théories. Il n'en aurait gardé que l'idée d'un rapport au monde vidé de tentation psychologisante, de prise de position existentielle, le tout dans cette écriture soi-disant "neutre".
Mais quoi qu'on pense de Robbe-Grillet, tout le monde ne peut pas écrire "Les gommes".
Je suis dans ce débat beaucoup plus proche de JGL que des autres participants, encore que ne voie pas très bien ce que l'écriture de Carrère aurait de “plat”. Je suis très sensible au contraire à son côté pince-sans-rire, ce qui est peut-être, il est vrai, une autre façon de dire la même chose. Par exemple cette phrase m'a fait me tordre : « D'après les historiens les plus sérieux (Robert Conquest, Alec Nove, ma mère), vingt millions de Russes etc. ». J'admire beaucoup chez lui le talent de rendre absolument passionnant ce qui à première vue ne l'est pas forcément (cf. l'exemple donné par JGL du long passage, dans D'autres vies que la mienne, sur la Justice, les banques et le surendettement). Je viens d'achever Limonov (l'histoire d'une écrivain à demi-raté qui fonde un minuscule parti politique et aspire à prendre la tête de son pays) et je vous assure qu'on ne peut pas s'en détacher.
Je viens d'achever Limonov (l'histoire d'une écrivain à demi-raté qui fonde un minuscule parti politique et aspire à prendre la tête de son pays) et je vous assure qu'on ne peut pas s'en détacher.

Entièrement d'accord avec l'appréciation du maître. Moi aussi, je n'ai pas pu me détacher de Limonov, qui est un livre passionnant. Cela dit, pour avoir été le premier sur ce fil à émettre quelques réserves sur la qualité du style d'Emmanuel Carrère (voir message du 7 octobre à16h29) je demeure surpris que le fait de ne pouvoir se détacher d'un livre soit, ICI, le seul ou le principal critère d'apprécation.

J'éprouverai un petit plaisir bathmologique et transgressif à oser paraître plus renaud-camusien que le maître et à lui
rappeler par exemple ce passage de Corée l'absente (page 558) :

J'ai également appris de lui [le professeur Jean-Yves Tadié], à ma vive satisfaction, que Walter Scott enfant lisait Sterne et répondait à ses parents, qui lui disaient qu'il n'allait rien y comprendre :

- Mais cet auteur n'écrit pas pour être compris !


Bien évidemment, il ne faut pas pousser le paradoxe trop loin. Mais enfin, Emmanuel Carrère, on le comprend peut-être trop bien, trop aisément.
(l'histoire d'un écrivain à demi-raté qui fonde un minuscule parti politique et aspire à prendre la tête de son pays)

Ah oui, complètement ouf, le type.
Je vous en prie, Bily, je ne suis pas un écrivain à demi-raté, si c'est à cela que vous faites allusion.

Quant à M. Vista, je lui ferai observer que personne n'a jamais dit que le caractère passionnant d'un livre était ICI le seul critère pertinent.
Meuh non, Cher Renaud Camus, qu'allez-vous penser là... (ce qui me fait penser que je me réincarnerais volontiers, plus tard, en lecteur des Eglogues...).
17 octobre 2011, 12:20   Sur Emmanuel Carrère
Permettez-moi de donner à lire quelques réflexions que m'avait inspiré la lecture d' Un roman russe, au moment de sa parution :

Emmanuel Carrère achève Un roman russe par une lettre à sa mère et cette lettre elle-même par une phrase lapidaire à propos du livre : « Il est à toi. » tels sont ses derniers mots.

Sans cette lettre, le livre s'achèverait sur le regard de fou du grand-père maternel de l'auteur. Or, cette folie, telle que montrée par Emmanuel Carrère, tient pour une très grande part à une impossibilité de trouver sa place dans la société française après l'exil de Russie, consécutif au triomphe des Bolchéviques. La folie du grand-père est très sensiblement celle d'un déclassé et si, chez un autre, elle eût pu se figer en mélancolie chronique, elle prend chez cet homme les proportions d'une haine de soi assez puissante pour s'étendre à un rejet global de l'existence dont témoigne une paroxystique graphomanie épistolaire.

Ce sentiment d'être un déclassé ne s'épuise pas dans un sentiment de déchéance matérielle (encore que la gêne et les « petits boulots » auxquels il est réduit, la lésine, soient vécus comme le seul héritage à transmettre, l'héritage falsifié qui s'est substitué à l'authentique); ce sentiment est aussi, peut-être surtout, le sentiment insupportable de n'être plus à sa place, quelle qu'ait pu être cette place. Dans ce sens, son mariage avec Nathalie, une princesse elle aussi en exil, n'est pas vécu comme une aubaine, une compensation heureuse produite par les événements mais, au contraire, comme une confirmation du bouleversement de l'ordre ancien. Normalement, jamais un tel couple n'aurait pu se former.

Aussi, terminer Un roman russe sur le regard de ce grand-père déplacé, ce serait bien sûr lui laisser le dernier mot et, à travers lui, entériner la victoire de ceux qui renversèrent l'ordre ancien, contraignirent cet homme à l'exil et lui mirent dans les yeux ce regard de fou; ce serait, en somme, pour Emmanuel Carrère, trahir son milieu d'origine.

Alors il termine son livre par une lettre à sa mère, une lettre qui serait identique à celle, manuscrite, qu'il aurait pu glisser dans un exemplaire en le lui offrant. Or il la rend publique, mieux, il l'intègre au livre sans la distance d'une post-face, sans solution de continuité avec les chapitres qui précèdent, il fait en sorte que cette lettre, que rien ne distingue pourtant d'une correspondance privée, participe entièrement à l'œuvre dont elle pourrait bien livrer l'ambition : signifier clairement qui en est le véritable propriétaire et ce n'est pas le lecteur. Celui-là, c'est un usurpateur qui croit posséder quelque chose et ne possède rien. En mettant les choses au mieux, le livre est pour lui mais, en aucun cas il n'est à lui.

Sous couleur psychologisante d'enterrer le fantôme d'un grand-père, d'en finir avec un secret de famille mortifère, /Un roman russe s'affirmerait plutôt en titre de propriété restauré.

Avec ces derniers mots qui tombent comme une sentence en restitution de patrimoine, il se pourrait qu'Emmanuel Carrère révèle une autre nature de la fameuse thématique qu'on lui reconnaît d'ordinaire : le mensonge, les troubles de l'identité, l'enfermement, ou plutôt, que cette thématique se déplace du champ psychologique des affaires de l'inconscient pour s'installer plus nettement dans le domaine des questions de milieu social et du malheur inévitablement promis à quiconque ne reste pas à sa place.

Ainsi les uchronistes, à qui Emmanuel Carrère a consacré un brillant essai, sont-ils les plus fous d'entre les littérateurs, qui prétendent modifier la place des événements du passé; ainsi l'héroïne de Hors d'atteinte aurait-elle dû rester à sa place d'institutrice au lieu d'entrer dans un casino; ainsi les parents de Jean-Claude Romand auraient-ils dû en faire un forestier comme eux, au lieu de le pousser vers les études de médecine; ainsi le fils d'une académicienne n'aurait-il pas dû afficher à la face du/Monde son amour pour une modeste employée dans l'édition parascolaire en publiant une nouvelle érotique que sa destinataire ne lit même pas, exactement comme s'il l'avait adressée à quelqu'un qui ne sait pas lire ; un projet aussi déplacé ne pouvait qu'entrainer les désordres qu'il a entraîné : entre individus de milieux sociaux différents, le seul terrain d'entente envisageable c'est la sexualité et, en fin finale, ça ne suffit pas. Il faut bien qu'un jour chacun reprenne sa place et rentre en possession des biens et des maux qui lui a désignés sa naissance.

Et si l'on voit quantité d'écrivains entretenir des rapports si ambigus avec la fiction, c'est peut-être dans l'acceptation ou le refus de leurs origines sociales qu'il faut chercher une explication.


(On pourrait ajouter aujourd'hui à cette thématique du "déclassement" ou "déplacement" social, l'intérêt marqué par Carrère dans D'autres vies que la mienne pour ces fameux surendettés, qui représentent une nouvelle figure d'individus cherchant à vivre sur un autre pied que celui auquel ils devraient se tenir, en somme à changer de classe sociale en contractant des dettes qui, un jour, les submergent. Bien que n'ayant pas encore lu Limonov, il me semble que le choix d'un tel personnage s'inscrit lui aussi dans cette thématique. N'est-il pas un héros déplacé par excellence, un héros du déclassement perpétuel ?
(l'histoire d'un écrivain à demi-raté qui fonde un minuscule parti politique et aspire à prendre la tête de son pays)

Ah oui, complètement ouf, le type.



Cher Stéphane Bily,

Aviez-vous remarqué ici même le fil de discussion intitulé Devinette, à la date du 19 septembre 2011 ? Il me semblerait amusant de s'y reporter compte tenu de la manière dont Renaud Camus résume le livre d'Emmanuel Carrère et de votre propre réaction gentiment irrévérencieuse.
Ah mais je vois que Renaud Camus a rajouté les italiques là où je ne faisais que les deviner (sans trop être sûr de moi, comme d'habitude)...
Oui, un peu lâchement — j'ai craint le malentendu...
Comme disait François Mauriac, « on n'est jamais sûr de rien, avec le forum de l'In-nocence ».
En effet. D'autre part je trouve très pertinente et suggestive la lecture bolacrienne.
Et si l'on voit quantité d'écrivains entretenir des rapports si ambigus avec la fiction, c'est peut-être dans l'acceptation ou le refus de leurs origines sociales qu'il faut chercher une explication.


Ce qu'écrit Orimont me semble une piste passionnante. Avec leur filiation aussi, ajouterais-je, filiation de côté de la mère chez Carrère.


Mais cet auteur n'écrit pas pour être compris !

Bien évidemment, il ne faut pas pousser le paradoxe trop loin. Mais enfin, Emmanuel Carrère, on le comprend peut-être trop bien, trop aisément.

Et si cet écrivain n'écrivait pas pour être "compris", pourquoi aurait-il écrit ?
De façon plus large, comment comprenez-vous cette "histoire" de comprendre les textes d'un écrivain, cher Buena Vista ?

Une fois encore, je n'ai pas lu Carrère et ne voudrais pas dire n'importe quoi mais comme vous avez convoqué Sterne, je ne m'avance plus masquée. J'aurais envie de dire que Sterne (et d'autres, un certain nombre d'autres), leurs textes ne se laissent pas épuiser par une lecture quelle qu'elle soit, que leurs textes sont inépuisables, tout simplement.
D'autres, en revanche, livrent des histoires, parfois honorables mais sans plus.
Chère Véra,

Je n'ai pas lu toute l'oeuvre d'Emmanuel Carrère et serais bien en peine, par exemple, d'en proposer une analyse aussi poussée que celle d'Orimont Bolacre.

Son dernier livre, Limonov, m'a retenu parce qu'il s'agit d'un roman qui traite d'un personnage réel et vivant, l'écrivain russe Edward Limonov.

Sur ce, on apprend qu'Emmanuel Carrère reçoit pour ce livre le Prix de la Langue française.

Aucun doute : ce roman mérite un prix autant qu'un autre, pourquoi pas le Goncourt ou le Médicis par exemple ?

Mais un prix spécifiquement lié à la langue française, cela me paraît plus problématique. Nombre d'écrivains ont une pratique de la langue qui me semble plus réfléchie, plus raffinée. Moins utilitaire, moins journalistique.

Souvent j'ai eu l'impression de lire une bonne grosse biographie à l'anglo-saxonne : passionnante, méticuleuse, mais sans art... sinon l'art non négligeable de construire un récit efficace.

D'autres écrivains ont une pratique de la langue plus sophistiquée. lls aspirent aussi à être compris, bien sûr. Mais exigent pour cela davantage d'attention du lecteur, une participation plus active, ou plus ludique, de sa part.

J'espère que vous me... comprenez mieux. Eh oui, moi aussi j'aime à être compris, tant qu'à faire. Qui échappe à ce désir
un peu vulgaire ?

(Le passage que j'avais mis en italiques à 10h50, où il est question de Sterne, est une citation tirée d'un volume du Journal de Renaud Camus).
Si c'est le fait que Limonov, personnage trouble, soit un "personnage historique" qui vous a séduit, je me permets de vous conseiller la lecture de "The Untouchable" de l'écrivain irlandais John Banville, traduit en français par "L'intouchable". Il y est question de l'un des fameux espions de Cambridge, Anthony Blunt.
A priori je ne pense pas que Banville vise la même cible que Carrère. Banville vise la traversée des apparences. Lui aussi d'ailleurs a beaucoup écrit sur le mensonge, la duplicité et même les faussaires.

Ceci dit, cette idée de compréhension ou non compréhension d'un texte est intéressante, surtout pour Sterne qui s'amuse à brouiller les pistes, à décevoir son lecteur, etc. Un peu à la manière de Diderot, parfois. Alors, peut-être pourrait-on avancer qu'un pan de la littérature ne vise pas à être comprise, en ceci qu'elle vise à excéder la "communication", à se situer ailleurs.

Il y a de toute façon peu de chance pour que je lise Carrère. Je me méfie toujours des écrivains encensés par ce qui tient lieu de critique et la production contemporaine m'a trop souvent laissé le sentiment de m'être fait flouer. Je lui préfère encore le spectacle de la rue.
17 octobre 2011, 18:21   Encens respirable
"Il y a de toute façon peu de chance pour que je lise Carrère."

Essayez tout de même Le détroit de Behring, qui n'est pas un roman mais un essai, passionnant, sur les uchronies littéraires (Grand prix de la Science-Fiction Essai 1987 et prix Valery-Larbaud 1987, que cet encens ne vous rebute, il est mérité pour ce livre.)
.
Sans compter que Valéry-Larbaud, c'est un rien chic...
Je soutiens d'enthousiasme la motion Bolacre en faveur du Détroit de Behring qui est à mon sens un livre merveilleux. En revanche je proteste un peu contre la notion que Sterne ait pu faire quelque chose « un peu à la manière de Diderot ». Je sais bien que Mme X. s'adressant à des lecteurs français leur donnait Diderot comme référence familière, mais la formule me gêne tout de même un peu dans la mesure où elle inverse les influences et, selon moi, les mérites.
Valery, Valery-Larbaud, cher Bruno Chaouat, c'est encore plus chic.
Valery-Larbaud ? Vous confondez avec Valéry-Radot...
17 octobre 2011, 21:02   Otro toro
"Je suis plus feuilleteur que liseur, sachez-le, et j'aime feuilleter tout autant que lire, des millions de fois au cours de ma vie j'ai plus feuilleté que lu, mais en feuilletant, j'ai eu au moins autant de plaisir et de véritable jouissance de l'esprit qu'en lisant."

Thomas Bernhard - Maîtres anciens (1985) (trad. Gilberte Lambrichs (1988))
J'en suis médusé.
N'est-ce point au pauvre Valery Larbaud qu'était arrivé la mésaventure suivante : il avait dû vendre ses biens pour survivre, et notamment ses propriétés du "Vignoble vichyssois", entrainant les jeux de mots qu'on imagine...
17 octobre 2011, 21:07   Re : Encens respirable


Motion Orimont adoptée ! En avant pour l'aventure du grand froid !

M. Camus, vous avez raison, ma phrase prêtait à confusion. C'était un parallèle que je voulais faire et non une réelle comparaison entre les deux écrivains.
Vous connaissez Rabelais ? vous connaissez Sterne ? Si vous ne les connaissez pas, je vous conseille de les lire, surtout le dernier ; mais si vous voulez connaître une très-faible imitation de Tristram Shandy, vous n’avez qu’à lire Jacques le Fataliste.
Oh, je n'irai pas jusqu'à très faible, non, non, j'aime beaucoup Jacques le fataliste ; mais imitation, certainement...


Pardonnez-moi, dame Véra, nous autres sterniens, dont vous êtes aussi, je crois, sommes un peu chatouilleux...
Ce qui a réellement le plus nui à la réputation de Jacques le Fataliste, c’est la forme dans laquelle il est écrit. Ce reproche capital doit être renvoyé à Sterne. Sterne est un mauvais modèle, le plus mauvais des modèles. Son allure brisée, sautillante, est tellement fatigante pour le lecteur, qu’il ne la supporte que le temps de lire le Voyage sentimental et que Tristram Shandy est déjà deux fois trop long. Et la particularité de cette fatigue, c’est qu’elle ne se dissipe jamais. Commencez la lecture d’un livre écrit dans le genre de Sterne : dès la vingtième page, vous portez non-seulement le poids de ces vingt pages, mais celui de tout le Sterne que vous avez lu précédemment. C’est ce qui est arrivé aux premiers lecteurs de Jacques le Fataliste.


Comme quoi, Assézat avait la dent dure.
Citation
Renaud Camus
Oh, je n'irai pas jusqu'à très faible, non, non, j'aime beaucoup Jacques le fataliste ; mais imitation, certainement...


Pardonnez-moi, dame Véra, nous autres sterniens, dont vous êtes aussi, je crois, sommes un peu chatouilleux...

Sans doute comme le jeu autour de l'identité du personnage dans "Le neveu de Rameau" doit être une imitation de "Moll Flanders".

Diderot, un homme que n'aimait pas Rousseau, ne pouvait avoir que du bon !
» Bien évidemment, il ne faut pas pousser le paradoxe trop loin. Mais enfin, Emmanuel Carrère, on le comprend peut-être trop bien, trop aisément.

C'est très curieux, mais les écritures dites "plates" les plus réussies, celles qui parviennent à donner l'impression de "coller aux choses" et d'en épouser les contours à la façon d'un calque appliqué sur le dernier fond accessible, m'a toujours semblé être la plus incompréhensible, précisément.
Ici "compréhension" veut dire qu'on suppose, entrevoit, laisse entendre qu'il y ait quelque chose derrière, un autre fond, qui rendrait compte, expliquerait celui qui est l'objet du récit. Mais l'écriture plate ripe contre une matérialité, une surface qui se révèle intransperçable, éprouve une nudité superficielle sans les oripeaux des faux-semblants et les facilités du report, nudité qui est fondamentalement étrangère, parce qu'elle contrecarre l'inclination si naturelle à superposer des arrière-fonds, arrière-mondes, des coulisses de la représentation, en somme.
Restituer cette platitude-là, c'est du grand art.
Oui, veuillez me pardonner l'accent malvenu...

[www.septentrion.com]
"Bref, j'en reviens à notre histoire de "platitude". Et, pour ma part, je vois dans les interrogations de Robbe-Grillet ou celles de Sarraute, un questionnement sur le roman bien plus pertinent que dans la production de Carrère. A savoir que Carrère me semble une sorte d'héritier exsangue de ces théories. Il n'en aurait gardé que l'idée d'un rapport au monde vidé de tentation psychologisante, de prise de position existentielle, le tout dans cette écriture soi-disant "neutre". "

"Si mes souvenirs sont corrects, on a pu parler d'écriture "plate" ou d'écriture voulant travailler à l'illusion d'une objectivité avec le nouveau roman."

Rien ne m'a jamais semblé aussi peu "plat", que l'art du Nouveau roman et, à supposer que je l'ai bien compris, je partage le sentiment d'Alain Eytan quand il écrit : "les écritures dites "plates" les plus réussies, celles qui parviennent à donner l'impression de "coller aux choses" et d'en épouser les contours à la façon d'un calque appliqué sur le dernier fond accessible, m'ont toujours semblé être les plus incompréhensibles, précisément." Quant à la "neutralité" du Nouveau roman, je la trouve bien préméditée, bien concertée, bien théorisée pour prétendre à ce qualificatif de "neutre"...

Acceptez que je vous désabuse, Véra, puisque vous ne l'avez pas lu, et faites-moi confiance : Carrère n'est en aucun cas "une sorte d'héritier exsangue de ces théories", pas plus que Houellebecq, autre praticien de la plateforme (tous deux sont également marqués par la science-fiction) sauf, bien sûr, que tout écrivain est "l'héritier par force" des travaux de ses prédécesseurs ou des "mouvements" marquants qui, pour le meilleur et pour le pire, font que l'on ne peut plus vraiment écrire comme avant après leur éclosion.
Vous avez parfaitement compris, cher Orimont, mais vous m'inquiétez un peu, là, des fois que je serais aussi impénétrable que le dernier fond dont je parlai, les Nymphes plates et les desseins des dieux flemmards de Francis ??!...
Mon cher Orimont, je trouve décidément vos remarques passionnantes. Dit sans désir de flagornerie.

De fait, nous sommes d'accord en ce qui concerne le "Nouveau roman". Je n'ai, moi non plus, jamais considéré que les écrivains (d'ailleurs fort différents) raccrochés à ce groupe de façon abusive (ils avaient d'abord et surtout un éditeur en commun ainsi que des questionnements sur la littérature) aient réellement pratiqué une écriture "plate" ou "neutre".

Ce terme me laisse dubitative car dès qu'on écrit, on ne peut guère que s'éloigner de l'objectivité et clamer qu'on veut être objectif est déjà un effet de subjectivité.

Je réagissais à la remarque sur le style faite par JGL sur la "platitude" de l'écriture de Carrère et sur le fait qu'"on" attendrait du "style" pour apprécier un écrivain, soit des effets de style se pointant comme tels, eux-mêmes. Une sorte de grosse Bertha stylistique, tout en métaphores, rythmes tertaires, oymores, que sais-je ?

Et je voulais rappeler que des auteurs comme Robbe-Grillet ou Sarraute avaient tenté de battre en brèche ces conceptions d'une certaine critique et d'un certain roman.

Pour en revenir à Carrère, que voulez-vous, à force d'en avoir entendu parler dans des médias auxquels je n'accorde guère de crédit et que je soupçonne de malhonnêteté intellectuelle foncière, d'incompétence, de goût pour le copinage et la magouille, j'en était venu à penser qu'il faisait partie de ces romanciers de gare qu'on cherche à nous refourguer, en emballant leur foncière indigence d'attributs ronflants.
Soit-dit en passant, je suis ravie d'être détrompée par vos soins. Je me dis souvent qu'à force de déceptions donc de méfiance, je rate sans doute des auteurs contemporains . Mais que voulez-vous, le grand laminage qui fait que les médias parlent de tout et de n'importe quoi de la même façon m'a blasée.
On ne rappelle jamais assez le fait que Robbe-Grillet avant d'avoir été "romancier" avait été ingénieur agronome (ingénieur à l'institut des fruits et légumes coloniaux). Croyez-moi si vous voulez, mais ce fait est fondamental pour interpréter ou éclairer sa démarche stylistique -- il apprit à écrire, à décrire et à dépeindre en composant des fiches signalétiques, nomenclaturales et taxonomiques de végétaux, soit des natures mortes. On n'exagèrerait à peine à déclarer que toute son oeuvre littéraire n'est que le fruit d'une énorme déformation (ou déviation) professionnelle.
"on" attendrait du "style" pour apprécier un écrivain, soit des effets de style se pointant comme tels, eux-mêmes. Une sorte de grosse Bertha stylistique, tout en métaphores, rythmes tertaires, oymores, que sais-je ? "

Bien entendu, quand l'effort se fait sentir, que les effets sont appuyés, les métaphore plaquées et que l'auteur donne l'impression qu'il s'écoute écrire comme d'autres s'écoutent parler, je suis d'accord avec vous, mais quand le style vient des profondeurs de l'homme, de son rythme, de son souffle intérieurs, que les métaphores coulent de source, semblent naître d'elles-mêmes, il me semble que rien n'est plus beau . Au reste l'écriture plate ne peut être appréciée comme effet de style que si l'on connaît le "grand" , celui dit "littéraire", de même que la transgression ne peut être appréciée comme telle que si l'on connaît la norme. De plus, le danger est la tentation, la facilité de glisser du style plat à la platitude sans style et d'en faire proliférer les "émules" . D'autre part, il me semble que lorsque cette platitude n'est pas au service d'une histoire suffisamment intéressante, elle décourage le lecteur "lambda"qui dès lors va chercher son plaisir dans des auteurs de troisième rayon dont l'écriture ne sera plus , précisément, qu'indigente . Je peux me tromper, mais il m'a semblé, que la baisse d'intérêt du public, en France, pour la lecture a coïncidé avec l'apparition du "nouveau roman" et de l'engouement qu'il a suscité dans ce qu'on appelait ,à l'époque, l' intelligentsia, et que ce public qui s'est détourné de ce genre littéraire, le roman, n'en a plus repris le chemin, sauf pour des écrivains, précisément, à la Gavalda. Il a été dit plus tard quand la mode du "nouveau roman" est un peu retombée que c'était un genre littéraire qui ne semblait écrit que pour intéresser les professeurs. N'y aurait-il pas un peu de vrai ?
La tentation est grande, chère Cassandre, de vous répondre "c'est un peu plus compliqué que ça". Il y aurait à vous opposer, la grosse Bertha Marguerite Duras, qui commença à faire vraiment parler d'elle au milieu des années 60 quand elle produisit dans cette facture universelle de "Nouveau Roman" (Moderato Cantabile, Le Ravissement de Lol V. Stein) -- je réalise en l'écrivant combien ce "lol" était prédestiné --, et avant de produire du roman de gare sans vouloir se départir de cette facture, devenue filon commercial juteux. C'est en écrivant le Ravissement que, nous dit-elle, elle comprit que "tout pouvait s'écrire comme ça", que "ça marchait" (son mot). Le pire dans tout ça est que ce Ravissement est un très beau texte (c'est aussi sa seule oeuvre qu'elle n'écrivit pas bourrée, de son propre aveu public).
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