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Témoignage de l'intérieur

Envoyé par Virgil Waldburg 
09 juillet 2008, 12:31   Témoignage de l'intérieur
Expérience très récente d'un commission de délibération du baccalauréat 2008.
La séance commence. La secréataire lit les notes de chacun des candidats (d'abord ceux des "classes européennes" nouvelles classes d'excellence). Celle de ma discipline, la philosophie, vient assez tard dans la liste, après les sciences (il s'agit d'un baccalauréat S option SVT - sciences de la vie et de la terre), les notes de français, de langues. Les premières listes sont assez caricaturales. Les notes sont excellentes sauf en philosophie (à part quelques exceptions notoires).
Très vite, un des correcteurs de mathématique demande, goguenard, qui est le correcteur de philosophie. Je me désigne. Fin de la conversation. On voulait voir l'ayatollah : on l'a vu.
Les choses continuent de même, passées les bonnes classes. Les notes sont excellentes partout, sauf en philosophie et parfois en mathématiques et en français. Certains élèves obtiennent leur baccalauréat avec moins de 8/20 en mathématiques, avec mention (et avec une note honteuse en philosophie).
Certains sont justes, malgré tout. Quelques uns ont 9, 80 (ou quelque chose comme cela) de moyenne et il convient de les "sauver". Je me mords la langue pour ne pas protester : cela ne dérange personne qu'on "sauve" des candidats à qui j'ai mis moins de 5/20 pour la bonne raison que leur copie ne ressemblait à rien : ni à du français, ni à un raisonnement, ni à des analyses conceptuelles et qu'elle ne répondait nullement à la question.
A la fin, sur 103 copies, on compte 7 échecs, 7 au rattrapage et tous les autres admis, dont 8 avec mention Très bien.
Ma moyenne en philosophie tournait autour de 7/20, avec une dizaine de très bonnes copies et beaucoup de copies infamantes.
Discutant avec ma collègue d'allemand, celle-ci me révèle qu'avec les nouveaux barèmes de notation, il est impossible d'avoir moins de 12/20 et que presque tous ont plus de 15. On ne tient plus compte en allemande des déclinaisons, de la place du verbe... si on sent que le candidat veut dire quelque chose. En espagnol, la conjugaison n'est plus discrimminante. Ma collègue me dit en plaisantant (et en riant jaune) : "A voir leurs notes, on les croirait tous bilingues, mais arrivés en Allemagne, ils sont incapables de la moindre phrase."
Je soupçonne évidemment qu'il en est ainsi dans toutes les autres disciplines, philosophie mise à part. Et on ne pardonne pas à la philosophie d'avoir encore quelques exigences. D'où la question initiale visant à découvrir qui était l'ayatollah de service qui n'avait rien compris au film.

C'est ainsi qu'on ment à tout le monde et qu'on parvient à près de 90% de bacheliers analphabètes, pour la plupart.
Utilisateur anonyme
09 juillet 2008, 12:37   Re : Témoignage de l'intérieur
Xavier Darcos va présenter son projet de lycée à la carte. Tout l'enjeu pour nous est de savoir si la philosophie va devenir une simple option qui ne sera plus choisie que par une minorité d'élèves. Cela permettra de remonter une fois de plus les moyennes de manières artificielles en chassant les "ayatollah de service"...
C'est sans doute le meilleur moyen qu'on a trouvé pour supprimer cette discipline empêcheuse de donner le bac à tout le monde, ce d'une manière absolument démocratique, sur le thème : regardez, les élèves ne choisissent pas votre discipline, donc elle doit disparaître.
On a déjà jouer cet air là avec succès pour supprimer le latin et le grec, et l'allemand (presque partout).
C'est de l'hyperdémocratie telle qu'admirablement analysée par Renaud Camus. Comme si les élèves avaient la moindre idée de ce dont ils auront besoin après le lycée !
09 juillet 2008, 15:57   Brèves de jury : la ciguë.
Dans la série L, il y a une épreuve de Lettres qui demande qu'on ait lu les oeuvres littéraires au programme, et la capacité d'écrire une réponse organisée à une question d'analyse et de réflexion. Lettres et philo font toujours tache aux jurys et tempèrent l'enthousiasme général, pour les raisons que M. Virgil énonce plus haut. D'un côté, les professeurs de langues aux moyennes mirobolantes ; de l'autre, la philo et les lettres. Il y a toujours un-e collègue militant-e associatif-ve et/ou syndical-e, comme on dit, pour s'indigner de cet état de choses et demander hautement des comptes au philosophe. Rarement au littéraire (si j'ose pareille appellation) car tout le monde sait qu'ils sont incurables s'ils sont trop vieux pour être passés par l'IUFM...
09 juillet 2008, 16:02   Re : Témoignage de l'intérieur
« Comme si les élèves avaient la moindre idée de ce dont ils auront besoin après le lycée ! »

Hm.. J'ai l'impression qu'ils en ont une idée assez juste, de ce dont ils auront « besoin ».

Et la philosophie, le grec, le latin n'en font pas partie.

Les cadres dirigeants des dernières entreprises où j'ai travaillé étaient d'une nullité intellectuelle assez impressionnante.
Les journalistes ( des « hebdos news » ) que je cotoie, itou.

Votre monde ( enfin, le nôtre, puisque j'en fais, dans une faible mesure, partie ) a déjà disparu, dans la mesure où personne ne reprendra le flambeau.

Et j'en parlais il y a peu avec un de ces « grands bourgeois à la culture classique », qui conchie bien évidemment l'Éducation nationale, et exècre les Amis du désastre.
Mais ses enfants (quadragénaires) sont absolument ignares, et il ne leur a rien légué de ce patrimoine culturel.
09 juillet 2008, 20:17   Philosophie
Je crois me souvenir qu'il y a quarante ans la philosophie était considérée comme une matière à la notation très variable, avec une forte propension aux notes médiocres.

Avez-vous de tels souvenirs ?
09 juillet 2008, 22:16   Re : Témoignage de l'intérieur
Cher M. Vanyadaveen, voilà déjà un bon siècle que " la mort de l'ancien monde " humaniste est proclamée avec une joie gourmande et souvent féroce. Je ne dis pas que ce soit votre sentiment, puisque cela vous consterne. Je me contente de rappeler que cela fait bien longtemps que j'entends ce couplet. En 1968, je n'avais que dix ans, et l'on me claironnait déjà que la table rase était pour bientôt, etc... (C'était déjà une citation de l'Internationale, âgée d'un siècle). Ce genre de prophétie m'accompagne donc depuis un certain temps. J'ai appris à y survivre de plusieurs manières. La première est de continuer à lire et à réfléchir sans me soucier le moins du monde de savoir si je suis, ou non, du monde tel qu'il va. Je vis comme si l'on ne m'avait rien dit. La seconde est plus verbale, plus argumentée : elle consiste à rappeler à ceux qui m'annoncent la mort de "mon monde" (et la mienne en même temps), que ce monde-là n'en est pas un ; qu'il n'y a jamais eu, n'y aura jamais, de masses cultivées avec lequelles on pourrait concevoir un "monde" ; qu'il n'y a jamais eu que des individus qui veulent, ou qui ne veulent pas, faire du grec, jouer Jean-Sébastien Bach et Couperin, philosopher. Qu'il s'est toujours trouvé des individus de ce genre, que la culture existe pour eux et par eux, non pour les cadres à gros salaires, les journalistes ou les fils de bourgeois ; qu'elle est en essence destinée à des individus qui ne justifient pas leur amour de ce qui est beau et la volupté qu'il leur donne par l'ambition de transmettre, d'éclairer les autres, ou je ne sais quelle bagatelle humanitaire. La culture est là, il suffit de la désirer, et personne, aucune institution, n'est capable d'éveiller un désir d'elle s'il n'existe déjà, dans l'individu. Pas tous, une faible minorité, mais tous les âges s'y trouvent, et ils ne forment pas un groupe, une foule, une masse. Ce sont des personnes totalement indétectables des sondeurs, des journalistes, des statisticiens et des prophètes attitrés. La proportion de jeunes gens n'y est pas inférieure à celle des personnes âgées. Partout, la soif est la même et peu d'obstacles tiennent devant elle, malgré toutes les fables misérabilistes que l'on raconte (souvenez-vous que les amateurs de la poésie d'Akhmatova, dans l'URSS de l'époque et de toujours, savaient par coeur ses poèmes sans les avoir jamais vus écrits nulle part). Le spectacle du désastre me fait donc rire et non désespérer, car je rencontre dans mon métier des individus qui veulent se cultiver, et satisfont ce désir-là qui est un désir de bonheur. Ils sont très peu nombreux et je vous avoue qu'en augmenter le nombre me paraît bien chimérique. La masse, ou du moins la majorité qui se prend pour le nouveau monde présent et à venir, celle qui ne veut rien entendre, eh bien, je l'instruis du mieux que je peux, sans transiger sur la quantité et sur la qualité, afin qu'elle retienne le minimum. Mais encore une fois, cette masse inculte a toujours été là, elle aussi. Elle écrit des mails, fréquente des rave-parties, paiera plus tard ses factures et votera, voilà ce qui la différencie des masses mérovingiennes. Il y a toujours aussi peu de gens cultivés, et ils n'ont jamais constitué un monde.
Utilisateur anonyme
09 juillet 2008, 22:53   Re : Témoignage de l'intérieur
Le PI pourrait-il conserver (encadrer ?) le message de M. Bès... ?
09 juillet 2008, 23:03   Re : Témoignage de l'intérieur
Cher Henri, merci pour cette page à laquelle je souscris entièrement et qui devrait, je trouve, figurer dans l’anthologie de ce forum.
J’ai eu l'occasion de l'écrire sur l'ancien: la personne qui m'a ouvert les portes de la musique, de l’opéra est une couturière « petite main », mère d’une amie et pour qui la culture, théâtre, opéra, cinéma d’auteur, danse représentait tout le bonheur d’être ici-bas.
09 juillet 2008, 23:23   Re : Témoignage de l'intérieur
Distraite quelques instants pendant la rédaction de mon message, je n'avais pas vu l'intervention de Pascal Orsoni.
09 juillet 2008, 23:24   Re : Témoignage de l'intérieur
...Et je revenais sur les lieux pour archiver votre texte, Henri.
C'est fait!
On souscrit, on souscrit à ce rappel de Henri Bès. Pourtant, il est des passages passionnels de la culture, des gouffres et des détroits, des crises, des morts violentes. La culture n'est pas un fleuve tranquille à l'immuable cours pour individus choisis visités par le sens du Beau. Par exemple, la philosophie: Heidegger, Sartre, font-ils partie de la culture, en ont-ils fait partie ? On est tenté de répondre oui. Mais on est aussitôt dérangé par un fait gênant: Heidegger continua sa dentelle sur l'étant, et Sartre de composer l'Etre et le Néant en lutinant les demoiselles cependant que des hommes en armes s'emparaient d'enfants serrant leur peluche sur leur poitrine pour les transporter et les regrouper dans des camps afin de plus commodément les détruire à la chaîne en les jetant dans des fours. La culture en souffre, et on a bien envie de se dire qu'elle est à refaire de fond en comble, à repenser, qu'il est encore à l'ordre du jour de casser le faux plâtre Sartre et son homologue Heidegger ne serait-ce que pour éviter un dangereux retour de l'impuissance de la culture, de sa coupable indifférence face la barbarie et aux masses qu'elle néglige.

Tout n'a pas toujours été comme aujourd'hui ou comme depuis les années 60 et certaines crises ne sont pas illusoires, ne sont pas des motifs chimériques repris par toujours les mêmes contre toujours les mêmes. Au sein même de la culture, seraient à dénoncer des faux, qui se révèlent à l'instant de ces crises historiques et se lisent dans leurs résultats. Il est des faux culturels qui ont tous les aspects du culturel mais que la réalité et sa barbarie dénoncent comme faux. Il ne s'agit pas de "hiérarchie" au sein de la culture, ou entre culture et ce qui ne l'est pas, mais bien d'écrans de fumée culturels, de leurres, de refuges illusoires, complices passifs (et parfois actifs) de la barbarie.

Pourquoi De Gaulle a-t-il jugé plus coupable (en lui refusant sa grâce) Brasillach , homme cultivé, homme de culture même que, par exemple, un commerçant impliqué dans le marché noir ? C'est que l'homme de culture est soumis à des exigences particulières que lui imposent l'écho de sa voix dans la collectivité et la pénétration des consciences qu'elle opère. N'eût été ces exigences, le besoin de se pencher sur la culture ou de s'occuper de sa dissémination ne se poserait pas; elle croîtrait toute seule chez les élus, les "naturellement cultivés" comme une plante vivace et innocente dont il n'y aurait pas lieu de se soucier.
10 juillet 2008, 08:29   Re : Témoignage de l'intérieur
Je vous remercie, chers Pascal et Aline, et je suis très intéressé par les objections de M. Marche. Je n'avais pas l'ambition, je l'avoue, de lancer un débat de fond sur les questions que vous soulevez, mais seulement de réagir, en autobiographe amateur, à des mots lus dans le message de M. Vanyadaveen et qui me rappelaient certaines "heures sombres" de la dictature marxiste sur les esprits. La question de la responsabilité morale de la culture est brillamment traitée dans le tome II des Exorcismes spirituels de Philippe Muray, dans un essai intitulé "Dieu est un artiste (Malraux, Claudel, Bataille, etc.)" D'autres textes, en d'autres volumes, discutent de ces questions. Les discours de Heidegger mettent-ils la culture en danger? Le génocide nazi rend-il la poésie impossible, comme le pense Adorno, l'opéra ou la philosophie obscènes? Enfin, ces questions ne sont-elles pas elles-mêmes sartriennes? Quant aux faux culturels dénoncés par la réalité et sa barbarie, je me souviens d'un de mes professeurs nous enseignant que l'Enéide ne servait qu'à justifier l'injustice de l'ordre esclavagiste romain ("parcere subjectis et debellare superbos"). Ce fut vrai un temps. La réalité impériale a "dénoncé" l'Enéide, mais à ma connaissance, le poème lui a survécu.
Je partage vos analyses. Ce qui me semble plus inquiétant, c'est que les clercs - une bonne partie d'entre eux, peut-être la majorité - ont déserté les champs de la culture, qu'ils sont rémunérés pour labourer, et même ont décidé de ne plus jamais les ensemencer.
Le texte de M. Bès est bien sûr très intéressant, et je souscris à plusieurs de ses remarques, mais je ne suis pas certain de l'approuver entièrement. D'abord, parce que prétendre que la culture est toujours là, et qu'il suffit de la désirer, c'est tout de même un raccourci assez raide, et il y a certaines limites à l'essentialisme. Ensuite, et plus gravement, peut-être, parce qu'il semble ne pas apercevoir que, précisément, il y a désormais une différence capitale entre la masse d'hier, qui n'était guère qu'une masselotte, somme toute, et celle d'aujourd'hui, qui serait plutôt proche, elle de la masse critique. Or, et pour continuer dans cette métaphore physique, la quantité de mouvement de l'une est incommensurable à celle de l'autre; si la première se contentait tranquillement d'être ce qu'elle était, et ne songeait aucunement à transformer le monde ni n'en avait les moyens, la seconde, à l'inverse, par le double effet de son formidable accroissement et des capacités de nuisances qui ont été mises entre les mains de chacun de ses membres, n'a de cesse que de bouleverser, éradiquer, métamorphoser, renverser tout ce qui n'est pas elle, et par conséquent de déblayer, en furieux bull-dozer aveugle qu'elle est, tout ce qui ressemble de près ou de loin à une manière d'être qui ne serait pas identique à la sienne. C'est-à-dire qu'elle ne se contente plus d'être, et de laisser être, mais qu'elle entend être seule, si l'on peut risquer cet oxymore. D'ailleurs, même si ses intentions n'étaient pas si voraces, les conditions de son étalement dans le monde le seraient à sa place.
M. Bès nous parle d'individus qui peuvent continuer à émerger par et pour eux-mêmes, sans se préoccuper de la chape qui recouvre le monde. C'est un bel éloge de la liberté; encore faut-il que les conditions de cette liberté ne soient pas englouties par la marée qui gronde.
10 juillet 2008, 09:19   Re : Témoignage de l'intérieur
Je suis plutôt, hélas, de l'avis de Francmoineau. La bêtise et l'inculture se propagent en proportion de la puissance des médias qui est sans commune mesure avec ce qu'elle était il y a seulement cinquante ans.
D'autre part, certes, on peut dire que la culture n'a pas immunisé contre la barbarie. Il reste qu'on aura désormais la barbarie et l'inculture triomphante en plus. Piètre consolation.
Enfin, ces questions ne sont-elles pas elles-mêmes sartriennes?

Bien sûr qu'elles le sont, comme les thèses de R. Camus dans la Déculturation ne sont pas exemptes de bourdivisme. Il faut dire que Sartre, qui ne fut jamais un sot, savait, après la guerre , la valeur au regard de l'histoire de la philosophie qu'il avait butinée avant et pendant elle, et étant lucide a opéré ou tenté d'opérer un retournement dialectique, d'où le parfum "sartrien" (celui qu'on respire dans les Situations p. ex.) de mon message; mais ce parfum analogique ne doit en rien troubler l'analyse et la perception de ces faits de fausse culture, de culture faillie, pas plus que les sentiments de culpabilité qui purent inspirer à Sartre son retournement ultérieur et ses excès contraires n'exonèrent sa philosophie de ce qui avait été une faillite certaine.

Ce que je reprocherais à votre approche - qui est celle du "tout se ressemble uniment dans l'histoire", arguant par exemple que ce qu'on a pu dire de l'Enéide, qui ressemble à ce que l'on peut dire de Heidegger, n'a en rien entamé sa valeur d'icône culturelle, etc., - est qu'elle conçoit l'histoire comme le "steady state" de certains cosmologues, voire géologues d'autrefois pour qui les boulersements cataclysmiques (et le chaos) n'entrent dans aucune équation, et, s'ils existent, ne change rien pour l'avenir, n'entraînent aucune redisposition définitive de ce qui doit se concevoir comme immuable. Je sais qu'on peut y lire une essence du conservatisme (le vôtre probablement) mais aussi respectable et vénérable soit-elle, je la crois myope et de ce fait incapable de nous préserver des rechutes de l'histoire dans la barbarie, cela dit très grossièrement. J'ai par ailleurs le plus grand respect pour ce que vous nous dites de votre travail d'enseignement, qui m'apparaît comme exemplaire vu d'ici.
10 juillet 2008, 10:18   Re : Témoignage de l'intérieur
Oui, je suis d'accord avec vous : je n'ai décrit que les réactions de défense personnelle qu'élabora un individu soumis au terrorisme culturel et moral soixante-huitard pour survivre et ne pas ressembler à ses parents et maîtres-penseurs. Pour survivre d'abord, puisque la culture qu'ils promouvaient ne me donnait aucun plaisir et me semblait fausse et barbare, et je refusais que l'on jette l'Enéide aux oubliettes. Pour ne pas ressembler à ces maîtres-penseurs et à leurs disciples ensuite : ils enseignent, eux aussi, et ne donnent pas à ceux qui désirent la culture les moyens de l'acquérir. Ils n'enseignent que de la déconstruction, comme on l'a vu dans les contributions précédentes de ce fil ou d'autres. De la déconstruction de quoi, d'ailleurs? de leurs propres acquis culturels, et ils jouent devant leurs élèves un débat interne entre professeurs sur des questions qu'ils ignorent, et dont ils se fichent à juste titre.

En somme, mon approche est théoriquement sans valeur, elle n'a d'efficacité que comme idéologie personnelle. Demeure une chose que je ne puis nier : je rencontre un désir de culture chez certains élèves, et cette rencontre-là me rassure.
10 juillet 2008, 11:18   Re : Témoignage de l'intérieur
Il est très possible d’échapper au conditionnellement médiatique et nous en voyons des preuves vivantes tous les jours. Moi aussi, cher Henri, je rencontre ce désir que vous décrivez chez mes étudiants. Mes étudiants en Arts Plastiques, bizarrement, me paraissent plus « classiques » que ceux des autres sections pédagogiques de l’école. Leur langage n’est pas très à la mode, leur souci de « sculpture de soi » est souvent très visible et sincère. Ils savent se passionner, s’émouvoir et…passant pour des extraterrestres auprès de leurs amis, ils ont compris que leur solitude serait de plus en plus grande, à mesure qu’ils s’élèveront dans cette quête et qu’ils deviendront » plus précieux humainement », selon l’expression de Renaud Camus. La conception « non démocratique » de la peinture selon notre écrivain ne leur paraît pas à tous réactionnaire. Je connais d’autre part beaucoup de personnes capables de vivre sans télévision et pour qui la lecture, le théâtre, la musique, les Arts en général sont une nécessité absolue.
Comme l’a dit un jour Corto dans un très beau billet, le cercle des gardiens de la flamme n’est pas rompu.
10 juillet 2008, 12:47   Re : Témoignage de l'intérieur
Merci, cher Henri, pour ce rappel (au réveil, ça fait plaisir)...

J'encadre et conserve votre réponse, qui ne pouvait tomber mieux.
Vous êtes derechef le héros de ma journée.
Utilisateur anonyme
10 juillet 2008, 14:10   Re : Témoignage de l'intérieur
D'accord avec tous les intervenants (c'est ennuyeux, je l'avoue...).

Je vais cependant rebondir sur le message de M. Francmoineau. Je trouve en effet son analyse des masses, du poids grandissant des masses, et donc de "l'homme-masse", d'une redoutable pertinence. Je me souviens d'avoir lu, il y a fort longtemps, un ouvrage d'Ortega y Gasset ( "La révolte des masses", publié pour la première fois à Madrid en 1929) prophétisant très clairement cette inédite et inévitable montée en puissance des masses : "Il est un fait qui , pour le bien et pour le mal, est le plus important de la vie publique européenne d'aujourd'hui, c'est l'arrivée des masses au plein pouvoir social".
Si Ortega parle de "révolte" c'est pour mieux souligner que les masses ne portent en elles aucun projet de reconstruction, et qu'elles ne désirent pas autre chose que de saccager l'ordre ancien - quoi donc de plus révoltant que l'ordre ancien ?! Aussi, selon lui, "l'homme-masse" n'est pas une classe sociale, mais un type d'homme qui peut apparaître dans toutes les classes de la société. Historiquement, il est le produit (toujours selon Ortega) des XVIIIe et XIXe siècles, qui imposérent les droits du plus grand nombre sur les autres.

En bref, l'"homme-masse" c'est l'"homme moyen", qui "n'a que des appétits", "ne se suppose que des droits" et "ne se croit pas d'obligations". C'est l'homme, conclut Ortega, "sans la noblesse qui oblige".
En bref, l'"homme-masse" c'est l'"homme moyen", qui "n'a que des appétits", "ne se suppose que des droits" et "ne se croit pas d'obligations". C'est l'homme, conclut Ortega, "sans la noblesse qui oblige".

A propos de droits de l'homme, cette sentence, terrible, de J. Audiberti:

"L'Homme mérite des baffes quand il prétend avoir des droits"
Utilisateur anonyme
10 juillet 2008, 14:48   Re : Témoignage de l'intérieur
Et ceci, cher Francis, toujours d'Ortega y Gasset : "On a abusé de la parole. C'est pour cela que le prestige des mots est tombé si bas. Comme pour tant d'autres choses l'abus a consisté ici à faire usage de l'instrument sans précaution, sans conscience de ses limites. Depuis bientôt deux siècles on croit que parler veut dire parler "urbi et orbi", c.a.d. à tout le monde et à personne. Pour ma part, je déteste cette façon de s'exprimer et je souffre quand je ne sais pas d'une manière concrète à qui je parle."
10 juillet 2008, 17:31   Re : Témoignage de l'intérieur
A.Finkielkraut insiste chaque fois qu'il en a l'occasion sur le fait que le faux esprit rebelle né de 68 entendait déconstruire, liquider, la culture dite bourgeoise, c'est-à-dire, si l'on compte les " humanités " puiqu'elles en faisaient partie par excellence, quelque chose comme vingt-cinq siècles de culture, dans le même temps que la vraie rébellion contre la dictature soviétique, en Techécoslovaquie, par exemple, s'appuyait sur cette culture bourgeoise, se nourrissait d'elle.
C'est Valéry, je crois, qui a dit que, désormais, l'Histoire était proportionnnelle aux masses. On pourrait dire de la culture qu'elle leur est inversement proportionnelle : plus on cherche à l'étendre, plus on lui fait perdre en profondeur, en saveur et en richesse, comme les volailles élevées en batterie pour nourrir les masses ne donnent qu'une chair pauvre et inconsistante. L'admirable, et, là, je rejoins Aline et Henri, c'est qu'il y ait encore des individus qui aient de l'appétit pour la vraie culture et la recherchent. Toutefois, il y a une grande différence avec le passé pas si lointain. Hier, les personnes très cultivées suscitaient le respect des incultes. Aujourd'hui elles ne suscitent que leur indifférence.

Modifié pour cause de mauvaise orthographe.
"Aujourd'hui elles ne suscitent que leur indifférence"...

... quand ce n'est pas leur hostilité (les fameux bouffons).
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