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Oui, l'épreuve du temps, je suis bien d'accord avec vous, mais justement, le temps, on ne l'a pas. Je veux dire qu'on ne l'a pas pour ce qui se fait aujourd'hui."
Pour ce qui se fait aujourd'hui, on ne peut être certain que du très laid, de l'indiscutable, de ce qui ne résiste pas à la mode, l'immonde. Concernant les beautés présentes, vous avez raison : on n'est sûr de rien. Personnellement, je crois en "
la délicatesse de goût" de David Hume, aussi je ferai plus confiance en mon jugement musical futur que présent, ainsi que je me fierais au vôtre plutôt qu'au mien, par exemple. En cela, et comme personne ici, je ne suis pas passionné d'égalité.
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Lorsque les conditions deviennent égales (…) chacun entreprend [alors] de se suffire et met sa gloire à se faire sur toutes choses des croyances qui lui soient propres." Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome deux
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"Et puis, je crois surtout qu'il ne faut pas se gêner. Qu'il faut avoir le courage de se tromper. En tout cas ne pas avoir la lâcheté de tout aimer.
Mais tout le monde va vous seriner : mais pourquoi choisir ? Pourquoi choisir, en effet, quand on peut tout avoir ? Seulement ce n'est pas vrai. On n'a jamais tout, ou bien c'est trop peu de tout. Et avec le Net, on est gâtés ! L'éclectisme tant revendiqué de nos jours est un virus particulièrement nocif. Mais, là aussi, il faut se méfier des homonymes."
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Serait-ce, (...), que l'amour de la beauté demeure barbare s'il n'est accompagné (...), par la faculté de viser dans le jugement, le discernement et la discrimination, bref, par cette faculté curieuse et mal définie que nous appelons communément le goût ?" Hannah Arendt, "La crise de la culture"
Pour les Grecs (c'est de cela qu'Arendt parlait), la faculté de juger était, au moins tout autant que la fabrication d'œuvres d'art, constitutive de la culture, elle-même constitutive du monde (humain).
Je vais lier votre
jugement à mon
épreuve du temps.
Pour Hannah Arendt la durabilité était importante :
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La vie humaine comme telle requiert un monde dans l'exacte mesure où elle a besoin d'une maison sur la terre pour la durée de son séjour ici. Certes, tout aménagement que font les hommes pour se pourvoir d'un abri et mettre un toit sur leur tête - même les tentes des tribus nomades - peut servir de maison sur la terre pour ceux qui se trouvent en vie à ce moment-là. Mais cela n'implique en aucun cas que de tels aménagements engendrent un monde, isolent une culture. Cette maison terrestre ne devient monde, au sens propre du terme, que lorsque la totalité des objets fabriqués est organisée au point de résister au procès de consommation nécessaire à la vie des gens qui y demeurent, et ainsi, de leur survivre. C'est seulement là où une telle subsistance est assurée que nous parlons de culture ; c'est seulement là où nous sommes confrontés à des choses qui existent indépendamment de toute référence utilitaire et fonctionnelle, et dont la qualité demeure toujours semblable à elle même, que nous parlons d'œuvres d'art." Hannah Arendt, "La crise de la culture"
Mais alors que la philosophe semblait faire de l'inutilité la clef de la permanence, je pense plutôt, comme David Hume, que le jugement en est la cause : la durabilité d'une œuvre se mesure à sa longévité dans l'esprit des hommes, dans leur mémoire
sélective.
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Et avec le Net, on est gâtés !"
Cette infinie mémoire virtuelle ne serait-elle pas l'outil qui, tragiquement, 'rend obsolète' la mémoire humaine et la discrimination qui lui est nécessaire ? Le net serait à la mémoire ce que la calculatrice est au calcul mental...
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Je vous remercie pour votre très bel extrait de Hume..."
Mais c'est moi qui vous remercie pour vos très beaux extraits.
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