Le site du parti de l'In-nocence

Mais quoi !

Envoyé par Utilisateur anonyme 
13 juillet 2008, 09:55   Re : Mais pourquoi ?
" la world music glorifie le particulier, le local, le communautaire, tout en étant paradoxalement jouée par des types profondément urbains-modernes, des yuppies du jazz, mangeant bio, surassurés, comme vous dites, se préservant de toute destruction, de vrais petits hommes d'affaires encravatés qui ont des chaires dans les meilleures universités d'Amérique. "
Vous pouvez le dire ! Et pas que dans le domaine de la musique.
Plus je connais les " artistes " d'aujourd'hui, plus j'apprécie les bourgeois d'hier.
13 juillet 2008, 10:57   Re : Mais pourquoi ?
Très intéressant : seul ce qui nous fait défaut absolument, l'épreuve du temps, la postérité en somme, permet de distinguer à coup sûr la grande œuvre, le "morceau" de grande culture. Ce n'est pas si simple me semble-t-il. C'est certainement vrai à l'échelle globale, celle de la constitution du corpus qui se transmet, de la culture patrimoniale. Mais à l'échelle du détail, on sait bien que la présence ou non d'une œuvre ou même d'un auteur dans ce corpus peut paraître discutable, presque arbitraire ou hasardeuse, et qu'elle est d'ailleurs parfois sujette à révision, dans un sens ou dans l'autre.

Et d'un autre côté, il est des certitudes immédiates et jamais démenties par la suite, comme celle qu'exprime la fameuse apostrophe de Schumann à propos de Chopin « Chapeaux bas, Messieurs, un génie ! ».
Utilisateur anonyme
13 juillet 2008, 11:10   Pourquoi choisir ?
Oui, Cher Marcel, des révisions il y en a eu, mais pas tant que ça, tout de même. Ce sont surtout des ajouts, de nos jours. *
Et puis, je crois surtout qu'il ne faut pas se gêner. Qu'il faut avoir le courage de se tromper. En tout cas ne pas avoir la lâcheté de tout aimer.

Mais tout le monde va vous seriner : mais pourquoi choisir ? Pourquoi choisir, en effet, quand on peut tout avoir ? Seulement ce n'est pas vrai. On n'a jamais tout, ou bien c'est trop peu de tout. Et avec le Net, on est gâtés ! L'éclectisme tant revendiqué de nos jours est un virus particulièrement nocif. Mais, là aussi, il faut se méfier des homonymes.

(*) Il y aurait fort à dire sur le sujet, d'ailleurs. D'un côté il est passionnant de découvrir le terreau des musiciens et des musiques qui ont permis (par exemple) à un Beethoven d'être Beethoven (ce n'est pas seulement pour cette raison qu'il est passionnant de découvrir de nouveaux anciens talents, bien sûr…), d'un autre côté, à force de "découvrir" tout le monde, Beethoven ne sera plus qu'un compositeur classique parmi d'autres compositeurs classiques. Ce qui se passe horizontalement peut arriver aussi verticalement : à la limite, un continuum compositionnel depuis le Grégorien jusqu'à nos jours serait terrible. Il est bon, je crois, de classer : le baroque, le classique, le romantisme, ne serait-ce que cela, et même avec toutes les approximations, exceptions et enclaves qu'on voudra, cela me semble préférable à deux dates insignifiantes, posées sur une ligne infinie et neutre. On sait bien que les classiques ont été plus que trois, mais que trois noms restent à jamais les figures de cette musique ne me paraît pas un mal.
13 juillet 2008, 17:43   Re : Pourquoi choisir ?
C'est parce que la vie est courte qu'il faut savoir aller à l'essentiel, surtout dans le domaine de la culture, parce que y aller, à l'essentiel, prend déjà beaucoup de temps. C'est comme ça que je comprends la définition de Renaud Camus : la culture c'est la conscience de la préciosité du temps. Les classifications permettent d'en gagner, de ne pas trop se perdre dans des chemins de traverse, souvent séduisants, au risque de ne plus retrouver la voie royale. Je pense, en particulier à ceux qui n'ont pas les qualités qui permettent à d'autres plus doués de pouvoir s'offrir le luxe de musarder sans rater l'apothéose des meilleures haltes.
Utilisateur anonyme
13 juillet 2008, 17:54   Re : Pourquoi choisir ?
Tout à fait d'accord.
13 juillet 2008, 19:27   Pourquoi Choisir !
- "Oui, l'épreuve du temps, je suis bien d'accord avec vous, mais justement, le temps, on ne l'a pas. Je veux dire qu'on ne l'a pas pour ce qui se fait aujourd'hui."

Pour ce qui se fait aujourd'hui, on ne peut être certain que du très laid, de l'indiscutable, de ce qui ne résiste pas à la mode, l'immonde. Concernant les beautés présentes, vous avez raison : on n'est sûr de rien. Personnellement, je crois en "la délicatesse de goût" de David Hume, aussi je ferai plus confiance en mon jugement musical futur que présent, ainsi que je me fierais au vôtre plutôt qu'au mien, par exemple. En cela, et comme personne ici, je ne suis pas passionné d'égalité.

"Lorsque les conditions deviennent égales (…) chacun entreprend [alors] de se suffire et met sa gloire à se faire sur toutes choses des croyances qui lui soient propres." Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome deux


- "Et puis, je crois surtout qu'il ne faut pas se gêner. Qu'il faut avoir le courage de se tromper. En tout cas ne pas avoir la lâcheté de tout aimer.

Mais tout le monde va vous seriner : mais pourquoi choisir ? Pourquoi choisir, en effet, quand on peut tout avoir ? Seulement ce n'est pas vrai. On n'a jamais tout, ou bien c'est trop peu de tout. Et avec le Net, on est gâtés ! L'éclectisme tant revendiqué de nos jours est un virus particulièrement nocif. Mais, là aussi, il faut se méfier des homonymes."


"Serait-ce, (...), que l'amour de la beauté demeure barbare s'il n'est accompagné (...), par la faculté de viser dans le jugement, le discernement et la discrimination, bref, par cette faculté curieuse et mal définie que nous appelons communément le goût ?" Hannah Arendt, "La crise de la culture"

Pour les Grecs (c'est de cela qu'Arendt parlait), la faculté de juger était, au moins tout autant que la fabrication d'œuvres d'art, constitutive de la culture, elle-même constitutive du monde (humain).

Je vais lier votre jugement à mon épreuve du temps.

Pour Hannah Arendt la durabilité était importante :

"La vie humaine comme telle requiert un monde dans l'exacte mesure où elle a besoin d'une maison sur la terre pour la durée de son séjour ici. Certes, tout aménagement que font les hommes pour se pourvoir d'un abri et mettre un toit sur leur tête - même les tentes des tribus nomades - peut servir de maison sur la terre pour ceux qui se trouvent en vie à ce moment-là. Mais cela n'implique en aucun cas que de tels aménagements engendrent un monde, isolent une culture. Cette maison terrestre ne devient monde, au sens propre du terme, que lorsque la totalité des objets fabriqués est organisée au point de résister au procès de consommation nécessaire à la vie des gens qui y demeurent, et ainsi, de leur survivre. C'est seulement là où une telle subsistance est assurée que nous parlons de culture ; c'est seulement là où nous sommes confrontés à des choses qui existent indépendamment de toute référence utilitaire et fonctionnelle, et dont la qualité demeure toujours semblable à elle même, que nous parlons d'œuvres d'art." Hannah Arendt, "La crise de la culture"

Mais alors que la philosophe semblait faire de l'inutilité la clef de la permanence, je pense plutôt, comme David Hume, que le jugement en est la cause : la durabilité d'une œuvre se mesure à sa longévité dans l'esprit des hommes, dans leur mémoire sélective.

- "Et avec le Net, on est gâtés !"

Cette infinie mémoire virtuelle ne serait-elle pas l'outil qui, tragiquement, 'rend obsolète' la mémoire humaine et la discrimination qui lui est nécessaire ? Le net serait à la mémoire ce que la calculatrice est au calcul mental...


- "Je vous remercie pour votre très bel extrait de Hume..."

Mais c'est moi qui vous remercie pour vos très beaux extraits.


Correction : ajout d'un mot et correction d'une faute
Utilisateur anonyme
14 juillet 2008, 00:09   Pourquoi transmettre ?
"C'est seulement là où une telle subsistance est assurée que nous parlons de culture ; c'est seulement là où nous sommes confrontés à des choses qui existent indépendamment de toute référence utilitaire et fonctionnelle, et dont la qualité demeure toujours semblable à elle même, que nous parlons d'œuvres d'art."

L'œuvre serait ce qui, d'abord, a servi, puis a cessé de servir, et néanmoins demeure présent et reçu par ceux qu'elle n'a pas directement servi. On se trouve au contraire environné d'une "totalité d'objets fabriqués" qui n'est pas du tout organisée au point de survivre à ses propriétaires. Ce sont les propriétaires de ces objets qui veulent leur survivre, ambition comme une autre mais qui rend impossible toute idée de transmission, d'héritage.
Utilisateur anonyme
14 juillet 2008, 11:42   Re : Pourquoi transmettre ?
On en revient donc à la question du bien et du donné. Il y a des choses qui nous traversent (ou que nous endossons) sans nous appartenir. Le corps, les œuvres, la patrie, la langue. Et même, une maison, une bel endroit…

Je pense aux violons que les violonistes se transmettent de génération en génération, même quand ils les ont achetés.
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