« Le verrouillage est total ». Non, sans doute, pas. Quelques pistes.
1) Les meilleurs esprits à gauche, tel Michéa, commencent à pâtir de ce qu'ils ont bâti. Leur critique est juste. Par contre, les solutions leur manquent, car ils continuent à tenir la droite pour pestiférée. Lever ce dernier blocage est, exactement, la raison d'être du P.I. et sera, espérons-le, sa victoire.
2) « … tendre l'autre joue. » « L'Autre doit toujours passer avant moi » Les Français sont masochistes ? Ne les contrarions pas. Ils ont d'ailleurs raison : regardez à la télévision les nombreuses émissions qui placent de gentils Français au cœur de civilisations lointaines. Il est évident qu'ils sont perdus, abrutis. Privés d'éthique par la déliquescence de notre civilisation, ils improvisent et balbutient, les pauvres, une niaise morale (comment en irait-il autrement ? tout le monde ne naît pas La Bruyère) devant le regard condescendant ou compatissant de leurs hôtes. Plutôt que de la refuser, réorientons cette passion masochiste. Ne s'aimant pas, les Français pensent trouver la solution à leur malaise chez l'Autre qu'ils situent ailleurs qu'en leurs frontières et en leurs pères. Il faut dire aux Français l'ampleur de leur décadence mais cela pour les inciter à se ressaisir, et non à se dessaisir d'avantage, à chercher la réponse non dans l'Ouma ou la bande ethnique, mais dans une autre altérité, une altérité française, celle qui faisait dire : « nous sommes assis sur les épaules de géants ».
Exemple. Les immigrés font le travail que refusent ces paresseux de Français. Vrai, les Français ne veulent plus travailler la matière. C'est mal. Il est donc immoral de les laisser paresser. Il faut donc un reflux migratoire pour réapprendre à ces paresseux de Français à tenir une pioche comme leurs ancêtres, bâtisseurs de cathédral et ouvriers d'Hausmann. Le renversement est réussi : la haine de soi (que l'on ne supprimera pas de sitôt, qui est profondément française, paraît-il) ne débouche plus sur l'idéalisation de l'Autre mais sur le sain désir de se réformer.
Autre exemple. Les Français se défient de tout et tous, ne savent plus que parler d'argent (de « bons plans ») entre eux et d'amour à leur chien. Oui, il faut confirmer le noir tableau que les Français dressent d'eux-même, au lieu de chercher vainement à étouffer cette sombre passion parce qu'elle leur fait espérer le salut par le Sud. Par contre, il faut réorienter cette sombre passion : oh! fille aînée de l'Église, qui est le Dieu de Vie et d'Amour qui sortira les morts vivants de leur apathie : Allah ? Les bals du 14 juillet, au bon temps des flonflons, n'étaient-ils pas fraternels ?
Bref, il faut dire aux Français : vous avez raison, nous sommes cons, mais vous vous trompez de solution.
« … tendre l'autre joue. » On a dit, à ce sujet, que le chrétien doit souffrir sans faiblesse, mais sans violence, les insultes à son endroit, mais que, par contre, il ne doit pas souffrir que l'Église et le Christ soient insultés. Cela nous conduit au problème de l'hyper-démocratie : « le moi est haïssable », certes, mais, contrairement à ce qu'énonce l'hyper-démocratie, la France n'est pas moi, elle est plutôt mon salut.
3) Les gens de droite balancent entre deux discours inopportuns : l'appel au peuple et la conversion individuelle.
La seconde option, prêcher par l'exemple, me semble on ne peut moins politique et vouée à rien. De quoi s'agit-il ? Laisser les « cercles restreints » pour la solitude heureuse ? Mourir pour des idées ?
La première option témoigne d'un aveuglement aux maux de la démocratie. Le peuple qu'on appelle à la rescousse est bien malade : « l'Autre doit toujours passer avant moi... » Il semble que les Français réservent la formule à la politique et pratiquent, sans scrupule, le contraire dans le métro ou au travail.
On reconnaît dans cette inversion un effet de l'hyper démocratie, résultat nécessaire d'une démocratie mal comprise. Non seulement les eaux débordent de leur lit mais leurs cours s'inversent : les eaux stagnent dans le lit pendant que le courant emporte tout sur les berges.
L'homme de droite, très démocrate par les temps qui courent, en appel au peuple. Si la formule avait un sens, je veux dire, si le peuple existait encore, cela voudrait dire que le démocrate fait confiance, pour décider du bien commun, au vote des citoyens qu'inspire le bon sens populaire. Or, la chose publique et le tout social, bref la politique, ne sont pas la préoccupation des citoyens qu'inspire ou non le bon sens populaire. Toute idée nouvelle en ces domaines, aussi sage soit-elle, les effraie donc. Le peuple reconduit invariablement son blanc-seing à la classe politique en place pourvu qu'elle reste à sa place. De Gaulle en fit les frais en 1969.
Par contre, la démocratie se développe sans frein dans le domaine naturel du peuple, les mœurs et le corps. L'individu est conduit, par la démocratie, à appliquer la politique au seul domaine qu'il connait et qui n'est pas politique : les mœurs et le corps. Ce n'est que par contre-coup que les mœurs individualistes atteignent et altèrent l'ordre politique, en plaçant ce dernier au service de l'individu.
De là cette étrange impression d'accélération de l'Histoire (la destruction des peuples) et de paralysie en son cœur politique (la perte de la souveraineté orientée par le sens collectif).
Paradoxe, la démocratie détruit et le peuple dont elle exalte la souveraineté et la souveraineté qu'elle place dans le peuple. La démocratie aboutit donc à l'hyper-démocratie si elle n'est pas complétée.
3) C'est ici que l'on arrive à la troisième solution, outre les batailles à gagner dans l'arène (l'édition, les partis, les médias...) et les idées (les publications savantes et les outils : manuels, synthèses, dictionnaires de la répliques...) : une solution proprement politique, c'est-à-dire institutionnelle.
Comme je m'en suis rapidement expliqué ailleurs, il s'agirait de marier une démocratie d'esprit romantique et holiste, une république des Lumières, un présidentialisme bonapartiste, une royauté imprégnée d'écologie et d'humanité chrétiennes. Une telle composition est non seulement le cadre institutionnel propice à l'épanouissement de notre civilisation, mais son idée, et c'est cela qui nous intéresse ici, présente un pouvoir de conversion.
- Le medium est verrouillé d'être frappé d'inertie ou d'écholalie. Il faut donc le faire dérailler, lui rendre impossible la répétition mécanique grâce à une formule inédite qui le déboussole, qu'il ne puisse répéter, déformer, absorber. Il faut donc un gros, un très gros morceau qui l'étouffe ou qu'il expectore avec bruit.
- Il est impossible de convertir les masses en les attaquant au corps. Il faut les prendre à la tête et au cœur. N'existent-elles qu'à l'état d'idée, les institutions agissent sur une collectivité plus fortement que n'importe quel message pris dans le maelström de la communication. Elles agissent avant même d'être effectives et garantissent la pérennité de leurs bienfaits. La composition institutionnelle a l'avantage d'être à la fois très simple, et donc propre à frapper les simples d'esprit, et susceptible d'une infinie complexification. Elle est théorique et enracinée.
- On y vient, c'est une arme dialectique redoutable, adaptée aux revues savantes et aux plateaux télé, emmenant l'adversaire sur un terrain qu'il ne connaît pas (les institutions), utilisant contre son système fermé ses propres idées, n'offrant aucune prise qui ferait céder l'ensemble, encerclant l'ennemi de toutes parts, sans pourtant être un fourre-tout, car cette composition d'institutions et de constitutions renvoient « chacun de nous à sa profonde dualité, à ces apparentes contradictions qui se fondent en chacun de nous pour forger notre unicité », comme le dit Laurent Dandrieu dans l'excellent article qu'il consacre à l'univers de Tintin (Valeurs actuelles du 20 octobre 2011). Vous voyez, même Tintin est convaincu ! D'ailleurs, puisque le verrouillage est total, on n'a rien à perdre à essayer cette clef.