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Vers une Europe dominée

Envoyé par Gérard Rogemi 
30 novembre 2011, 15:30   Vers une Europe dominée
Quelques bonnes idées dans ce texte.

Je prends des paris sur la fausse fermeté de Mme Merkel. Pour des raisons bassement électorales elle refuse les euro-obligations que les marchés financiers veulent absolument imposer à l'Allemagne.

Va-t-elle céder ?


Vers une Europe dominée (info # 013005/11) [Analyse]

Par Sébastien Castellion © Metula News Agency

La crise financière européenne, provoquée par le surendettement des Etats du Sud, qui agite le continent depuis maintenant deux ans, est probablement entrée la semaine dernière dans sa dernière phase.

Personne ne peut prévoir quelle sera l'issue de la crise, qui viendra de la combinaison des actions de trois types d'acteurs :

les investisseurs sur les marchés financiers - qui, dans leur inquiétude pour leurs investissements, sont sujets à surréagir aux signaux donnés (volontairement ou non) par les gouvernements ;

les gouvernements des pays européens, qui ont chacun leurs contraintes politiques constitutionnelles. L'acteur prépondérant, aujourd'hui, est l'Allemagne, l'économie la plus importante et la mieux gérée d'Europe, coincée entre sa volonté de sauver une zone euro qu'elle domine sans conteste et sa réticence à payer pour un tel sauvetage ;

la Banque centrale européenne, qui pourrait tenter de sauver l'union monétaire en intervenant massivement sur les marchés, mais qui sait que, ce faisant, elle réduirait l'urgence de réformes chez les gouvernements dépensiers et risquerait donc de n'avoir fait que repousser la crise à plus tard.

Quel que soit le résultat final, il sera la conséquence des réponses qui seront données aux questions suivantes :

D'abord, jusqu'où ira la méfiance des investisseurs face aux titres de la dette publique européenne ? Les taux exigés pour le financement de la dette grecque ont intégré depuis longtemps la certitude d'une faillite... mais vu la petite taille de l'économie grecque, cette faillite, à elle seule, ne sonnerait pas le glas du système financier européen.

Le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF), créé par les gouvernements pour soutenir les économies européennes en difficulté, peut gérer le cas de la Grèce. Mais si une grande économie venait à faire défaut sur les titres de sa dette publique, il n'existe aujourd'hui aucun outil permettant de venir à son secours.

Or, les taux d'intérêt exigés pour les titres à dix ans de deux grandes économies - l'Italie et l'Espagne - se situent déjà entre 6 % et 6,5 %. S'ils dépassaient 7 %, la capacité de ces gouvernements à rembourser leur dette deviendrait - pour rester courtois - extrêmement problématique.

Même les économies les mieux gérées d'Europe ont plus de difficultés que naguère à trouver des investisseurs pour financer leur dette. La semaine dernière, l'Allemagne elle-même n'a pas trouvé suffisamment d'investisseurs pour acquérir les titres qu'elle tentait de mettre sur le marché. Si cela devait se reproduire, les taux allemands, à leur tour, partiraient à la hausse.

Ensuite - et indépendamment du comportement des gouvernements - les banques européennes pourront-elles continuer à fonctionner normalement ? Tout se combine actuellement pour rendre leur existence plus difficile.

Le marché interbancaire, où les banques se prêtent les unes aux autres de quoi surmonter leurs difficultés passagères, est presque aussi vide d'opérations aujourd'hui qu'immédiatement après la crise financière de 2008.

Dans les pays qui paraissent le plus à risque, les investisseurs retirent leurs placements des banques, ce qui réduit à la fois la capacité d'action de ces dernières et leur capacité à faire face à des défauts de paiement.

La plupart des économistes prédisent une récession en 2012 dans la zone euro, donc moins d'occasions de faire de nouvelles affaires, un risque accru de prêts non remboursés, et des besoins de financement qui augmenteront pour des gouvernements dont la capacité à rembourser est déjà incertaine.

Enfin, la troisième question sans réponse aujourd'hui, et dont résultera le dénouement de la crise, est de savoir si Angela Merkel et Mario Draghi savent vraiment ce qu'ils font.

Le chancelier allemand joue un jeu dangereux, qui lui a jusqu'ici plutôt réussi mais qui pourrait parfaitement mal finir.

D'une part, elle s'efforce constamment de rassurer les marchés financiers, en répétant qu'il n'est pas question d'accepter un éclatement de la zone euro et qu'il faut, au contraire, renforcer les dispositifs européens.

Mais d'autre part, et dans le même temps, Angela Merkel a refusé, au nom du peuple allemand, toutes les propositions concrètes qui ont été avancées pour rassurer réellement les marchés.

Le chancelier ne veut pas entendre parler d'"euro-obligations", c'est-à-dire de titres de dette publique qui seraient remboursables à partir des ressources conjointes de l'ensemble des Etats de la zone euro, et non de celles de chaque Etat pris séparément.

Tout en affirmant chaque jour son attachement à l'euro, elle n'hésite pas à rappeler que les gouvernements qui n'amélioreraient pas leur gestion des finances publiques pourraient, en théorie, être exclus de la zone euro (une possibilité d'ailleurs absente des traités, mais qui pourrait sans doute être organisée politiquement).

Quant au président de la Banque Centrale Européenne, il aurait la possibilité de réduire l'inquiétude des marchés par une intervention massive pour acheter des titres de la dette européenne.

Le résultat serait une réduction de la valeur de l'euro par rapport aux autres monnaies, mais aussi, une réduction du risque de récession et des inquiétudes des investisseurs. Mais, comme Angela Merkel (quoique pour des raisons différentes), Mario Draghi hésite à agir.

L'un et l'autre ont de bonnes raisons d’hésiter. En refusant d'agir de manière rapide et spectaculaire, le chancelier allemand et le président de la Banque Centrale veulent maintenir la pression sur les gouvernements les plus mal gérés d'Europe - qui doivent, en effet, continuer à réduire leurs dépenses publiques et, dans certains cas, prélever plus d'impôts sur leurs citoyens.

Peut-être la politique de Mme Merkel et de M. Draghi parviendra-t-elle à son but : des signes rapides d'amélioration de la gestion publique dans les pays du Sud, qui rassureront les marchés, feront baisser progressivement les taux d'intérêt et permettront une sortie de la crise en douceur. Le remplacement récent des Premiers ministres grec, italien et espagnol, par des successeurs moins irresponsables, va dans ce sens.

Mais il est parfaitement possible aussi que le pari des deux dirigeants européens échoue.

Les investisseurs pourraient conclure que la réforme des politiques publiques est une illusion ; que les Etats du Sud préfèreront renoncer à rembourser leur dette ; et que ceux du Nord refuseront de venir à leur secours. Si cette conclusion s'impose, on verra un retrait massif des investissements dans le Sud de l'Europe, une augmentation vertigineuse des taux d'intérêt, des banqueroutes à répétition dans les grands pays, et, pour finir, l'éclatement de la monnaie unique.

Quelle que soit l'issue, la crise actuelle aura accéléré un processus qui se déroulait progressivement depuis deux générations : celui de la transformation de l'Europe, autrefois centre politique, économique et culturel du monde, en une région marginale et dominée, dans tous les domaines, par des zones plus fortes.

En termes militaires, l'Europe est depuis longtemps une puissance négligeable, dont la défense est presque entièrement déléguée aux Etats-Unis d'Amérique (à la notable exception de la force de dissuasion française). Cependant, les Américains se sont toujours montrés particulièrement peu envahissants dans leur rôle de défenseur du continent, n'exigeant jamais aucune contrepartie politique en échange du service vital que leur armée rendait à l’Europe.

A aucun moment, par exemple, les Etats-Unis n'ont suggéré que leurs troupes pourraient se retirer si les gouvernements européens prenaient des positions trop anti-américaines à l'ONU ; et ils ont toujours accepté d'observer sans broncher, du fond de leurs baraques, des manifestations anti-US, qu'ils auraient pu écraser en quelques minutes.

Puisque leur défense était ainsi assurée sans aucun coût, les Européens pouvaient se bercer de l'illusion que cela ne remettait pas en cause leur propre importance politique - ou même, que les questions de défense, puisque nous étions devenus un acteur marginal dans ce domaine, n'avaient, après tout, peut-être pas une telle importance.

En matière économique, l'Europe reste une région importante par la richesse et la taille de son marché ; elle conserve, dans de nombreux domaines, des entreprises de grande qualité.

Et pourtant, le continent a d'ores et déjà perdu l'essentiel de ce qui fait l'influence économique. Depuis vingt ans, les grands projets d'infrastructures se négocient en Asie. Les innovations techniques les plus importantes - celles qui sont liées aux technologies de l'information, aux biotechnologies, aux nanotechnologies - viennent des Etats-Unis, et, dans une moindre mesure, du Japon. L'accumulation de fonds capitalistiques géants, capables d'intervenir stratégiquement à travers le monde, se déroule en Chine et dans les pays du Golfe.

Bref, tous les indicateurs d'une puissance économique future clignotent bien loin du continent européen. A mesure que le continent s'enfonce dans sa crise financière, c'est le reste du monde - Chine surtout, mais aussi Russie, Brésil, Etats-Unis... qui étudie comment se faire un peu d'argent en achetant en solde tel ou tel pan de l'économie européenne. L'ancien centre économique du monde en est aujourd'hui réduit à se vendre au plus offrant pour boucler ses fins de mois.

Jusqu'à récemment, l'Europe se berçait encore de l'illusion qu'elle fournissait au moins au monde un modèle de société. Ce modèle combinait la démocratie, une redistribution sociale toujours plus forte, une attention particulière donnée à la qualité de la vie et à l'environnement, une culture ancienne et sophistiquée, et la promotion des droits de l'homme dans le monde.

Aujourd'hui, cette dernière illusion d'une centralité européenne est en train de voler en éclats.

La démocratie européenne subsiste dans le choix des dirigeants et est solidement ancrée dans les institutions - mais, vu de Pékin ou de Moscou, il est manifeste qu'elle a aggravé la crise. C'est pour être réélus que les gouvernements du Sud ont plongé leur pays dans la dette ; c'est par crainte de la réaction du peuple allemand, que Mme Merkel refuse les mesures radicales qui rassureraient les marchés.

De la même manière, la redistribution sociale, comme l'insistance mise sur la qualité de la vie et l'environnement, apparaissent, vu depuis le point de vue des puissances montantes, comme des luxes décadents, qui ont miné l'énergie européenne et causé des dépenses insoutenables.

On peut vouloir travailler toujours moins, dépenser toujours plus et freiner constamment le développement économique pour protéger telle forêt ou telle espèce d'animaux. Ou bien on peut vouloir s'affirmer durablement comme une grande puissance. Mais pas les deux.

Du coup, même la culture européenne - l'un des joyaux les plus indiscutables du continent - manque aujourd'hui remarquablement de confiance en soi. Dans tout le continent, les œuvres contemporaines se réfugient soit dans l'auto-contemplation des petits milieux intellectuels subventionnés qui les produisent, soit dans des références soumises à d'autres zones culturelles - Etats-Unis, monde musulman, et, de plus en plus souvent, Russie ou Asie.

Les seuls membres des professions culturelles qui continuent d'avoir une vision purement européenne sont ceux dont le métier est de transmettre le passé - interprètes, conservateurs de musée - et non de préparer l'avenir.

Enfin, la dernière illusion européenne, celle d'un continent solidement au service des droits de l'homme, est en train de disparaître presque complètement. Certes, les droits de l'homme restent bien défendus en Europe, même par rapport à d'autres zones, à l'exception sans doute des Etats-Unis. Mais on ne peut pas s'attendre à ce qu'un continent qui sera (peut-être) sauvé de la faillite par des investissements venus de Chine ou des pays du Golfe se montre bien vaillant pour défendre les droits de l'homme dans ces pays, où ils sont le plus ouvertement méprisés.

Ruinée, incapable de se défendre, dépourvue d'importance géopolitique, manquant de confiance en sa propre culture, privée du minimum de crédibilité qui lui permettrait de défendre ses valeurs, l'Europe est en train de devenir sur tous les plans un continent dominé. Quelles que soient les forces qui vont définir le siècle qui commence, il est presque certain que ceux qui en feront l'histoire considèreront l'Europe, au bout du compte, comme un continent sans importance.
01 décembre 2011, 01:09   Re : Vers une Europe dominée
Ce texte me paraît trop pessimiste, sauf en ce qui concerne la culture.
Je ne crois pas une seconde à la mort de l'euro et de l'eurozone. Tout le monde a intérêt à leur survie, y compris les Chinois. Ceux-ci ont l'Europe pour meilleur client et d'autre part, ils préfèrent un monde multipolaire qui leur évite le tête-à-tête avec les Etats-Unis.
On n'a pas dégagé le sens profond d'une victoire récente de l'Europe, du moins de deux de ses plus vieilles nations. La guerre de Libye et la mise à mort du tyran (fût-ce par lyncheurs libyens interposés) sont dans le droit fil d'une grande tradition européenne : le combat pour la liberté. La mise à mort du tyran est fondatrice de l'Occident. Harmodius et Aristogiton, les deux Brutus, celui qui a tué le dernier roi de Rome et celui qui a tué César, Lorenzaccio tel que l'a rêvé Musset, les Conventionnels qui ont condamné Louis XVI (un brave homme qui avait le tort d'être un symbole d'oppression) furent de grands Européens, ils devraient figurer sur les billets d'euros à la place de ces architectures vides et sinistres. Aucune autre culture humaine n'a produit une valeur de cette force.
Le monde musulman patauge à n'en plus finir dans ses archaïsmes. L'Afrique subsaharienne s'étouffe sous son absurde et exponentielle natalité. Si l'Europe parvient à se défendre contre l'importation de ces deux dangers, si elle sait arrêter les criquets pèlerins, elle aura encore de beaux jours et de grands siècles devant elle. Le problème culturel, c'est justement de trouver la force de rester nous-mêmes.
Eschyle dans "Les Perses" : "Ce sont des hommes libres et nous, nous sommes esclaves de notre Grand Roi".
01 décembre 2011, 09:51   Re : Vers une Europe dominée
Citation
La mise à mort du tyran est fondatrice de l'Occident.

Hum ... sans vouloir être hors-sujet mais les démocraties occidentales n'ont elles pas donné naissance aux pires dictatures, Weimar en 1933, Moscou en 1917, l'italie en 1922, etc... ?
01 décembre 2011, 12:19   Re : Vers une Europe dominée
Je ne dis pas que l'Occident n'a pas engendré de monstres. Je dis qu'il est le seul à avoir érigé en valeur le combat pour la liberté et la mort du tyran, et ce depuis longtemps. Où est la tradition chinoise de contestation de l'Empereur ? Quels sont les héros péruviens de la lutte contre l'Empire inca, très totalitaire et oppressif ? Quelle tradition arabe de tuer le calife (pas pour prendre sa place, pour libérer ses peuples) ? Quel Egyptien aurait eu l'idée absurde de tuer Pharaon parce qu'il était omnipotent ? J'irai jusqu'à dire que les printemps arabes sont occidentaux (mots d'ordre, facebook et tutti quanti) et que les automnes arabes sont arabes (pagaille, islamisme, revoilez-vous mes chéries).
01 décembre 2011, 19:54   Re : Vers une Europe dominée
Citation

J'irai jusqu'à dire que les printemps arabes sont occidentaux (mots d'ordre, facebook et tutti quanti) et que les automnes arabes sont arabes (pagaille, islamisme, revoilez-vous mes chéries).

Hum... Et les automnes occidentaux, ils sont quoi ?
Je pense qu'Ataturk a bien renversé le calife...
02 décembre 2011, 01:12   Re : Vers une Europe dominée
Renverser n'a pas la symbolique puissante d'une exécution, surtout d'une exécution avec roulements de tambours.
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