"À ceci près que le sens du terme "racisme" (dans son acception plus ou moins actuelle) contient à la fois un référent (pour aller très vite, le fait de considérer telle race comme fatalement supérieure à une autre), et un jugement moral sur ce même référent ; la poursuite de certains crimes ne désigne que cette poursuite, pas les "crimes" eux-mêmes, comme événements ayant eu lieu, comme faits, qui ont bel et bien existé [...] On devrait donc pouvoir imputer du racisme à Cuvier sans pour autant le traiter de raciste, c'est à dire y adjoindre la valeur de jugement.".
Cher Alain Eytan, je vous remercie d'avoir su formuler de manière explicite un distinguo, en définitive, pas si subtil que cela, qui était implicite dans la réponse, maladroite sans doute, que j'ai publiée vers 18 H 00 le 12 décembre.
En posant la question de la définition du racisme dans un commentaire encore antérieur, c'est également sur ce point précis que j'espérais attirer l'attention des débateurs. En vain apparemment, car comme vous le soulignez à juste titre chacun ici semble évoquer le racisme dans son acception criminelle, c’est-à-dire tardive.
C'est aussi l'option retenue par nombre de spécialistes autoproclamés qui déversent leur éminente science sur Wikipédia, apportant leur écot, volontaire ou pas, à l'oeuvre d'endoctrinement dénoncée par les in-nocents à longueur de forum.
Je crois que vous touchez du doigt le point névralgique et la faiblesse épistémologique de l'extrême majorité des thèses, universitaires ou des discours médiatiques ou vulgaires sur le thème du racisme et de ses possibles filiations historiques.
Ce me semble être, pour vous citer un exemple précis, dans cet esprit de confusion axiologique, entre autres confusions, qu'a été soutenue la thèse d'un Christian Delacampagne
Une histoire du racisme des origines à nos jours publiée en 2000 par la Librairie Générale Française en co-édition avec France-Culture et préfacée par la gracieuse Laure Adler. Je m'y suis replongé hier soir, troublé par la violence de nos échanges. L’un de vous connaît-il cette publication ?
L’auteur est agrégé de philosophie et docteur d’Etat ès Lettres et sciences humaines.
D’emblée il adopte une définition indéfiniment extensible du racisme en y englobant l’ensemble des comportements de rejet « haineux » - comment un rejet ne le serait-il pas, n'est-ce pas ! - exprimés à l’encontre d’un groupe humain en raison d’une caractéristique commune supposée aux membres de ce groupe. Si bien qu’ainsi présentée la misogynie devient racisme ; les femmes, partant, deviennent une race ! De même que les fumeurs, les homosexuels, les musulmans, les Italiens, les chômeurs, les communistes etc. Je précise que c’est bien l’auteur qui parle, pas moi (p. 11).
L’étape suivante,
locus communis de la démonstration, consiste à nier l’existence des races humaines, non sur la base d’une argumentation scientifique rationnelle et raisonnablement recevable mais à partir de clichés grossiers, d’approximations, de comparaisons avec l’animal, le chien notamment, jamais menées jusqu’à leurs conséquences ultimes. L’affaire, entendue, est expédiée en deux pages d’un galimatias qui ne convaincrait pas un gosse de 6 ans. Passons. Concomitamment toute approche contradictoire est balayée d’un revers de main comme ne pouvant relever que d’un regrettable « égarement de la raison ».
Dès la page 20, la couleur, si j’ose, est annoncée :
« Y a-t-il eu du racisme, en Afrique ou en Amérique indienne, avant la colonisation ? Y en a-t-il eu en Chine ou au Japon, avant l’arrivée massive des premiers Européens ? Le système hindou des castes, vieux de plusieurs milliers d’années, fut-il, dès sa naissance, un système raciste ? » Il ne fait pas de doute que la réponse est « négative dans les trois cas », assène l’auteur.
La conclusion s'impose d'elle-même : le racisme est, ne peut être qu'un vice ontologique des Européens, des blancs, des Occidentaux.
Le caractère éminemment raciste d’un tel postulat, soit dit en passant, tombe sous le sens, selon la définition même de l'auteur. Mais ce gros caillou dans les rouages de la démonstration ne semble pas l’avoir effleuré.
Le chapitre VII roule sur le thème de l’esclavage et de la traite des Noirs. Or sur 14 pages, l’évocation des traites arabo-musulmane, ottomane et africaine occupe moins d’une page et l’auteur s’empresse de renvoyer ses lecteurs à la seule traite qui, à ses yeux, mérite d'être dénoncée : la traite atlantique. Car il s'agit bien de dénoncer, non de comprendre ou de décrire.
Ainsi, pour évoquer enfin le cœur même du sujet qui nous occupe ici, voici ce que l’on peut lire à la page 153 suite à la dénonciation du racisme de Voltaire, philosophe est-il écrit, « à la fois polygéniste, raciste et antisémite ».
S’indignant qu’un « écrivain réputé pour sa brillante intelligence » puisse affirmer dans son
Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, publié en 1756, que Blancs et Noirs constituent « des races entièrement différentes » et que les Noirs comparables à des animaux « puissent s’unir avec des singes pour engendrer des monstres [citations que j’avoue n’avoir pas eu l’occasion de vérifier], Christian Delacampagne tente une explication. Il évoque pêle-mêle la passion antireligieuse aveuglante de Voltaire, son adhésion corollaire aux thèses polygénistes, ses intérêts de classe... Il conclut par ces mots :
« L’explication, bien entendu,
ne saurait avoir valeur d’excuse. Et l’on peut d’autant moins excuser [je souligne] un Voltaire ou un Kant, en prétendant qu’ils ne font que refléter les préjugés de leur temps, qu’à leur époque, précisément, d’autres esprits, mieux avisés, se sont déjà ouvertement élevés contre le mépris dans lequel sont tenus femmes, Noirs ou juifs. »
Où se lit à la fois l'intention clairement et ouvertement revendiquée de juger le XVIIIe siècle à l'aune de nos valeurs, le racisme étant pris ici dans son acception criminelle parfaitement anachronique et une perspective téléologique qui interdit que nous considérions ce travail tendancieux comme étant celui d’un historien digne de crédit plutôt que celui d'un procureur improvisé.